COUR D'APPEL DE VERSAILLES
12ème chambre section 2
D. C. / P. G.
ARRET No Code nac : 39D
contradictoire
DU 24 MAI 2007
R. G. No 06 / 01908
AFFAIRE :
S. A. R. L. TGFA
C /
SA ETAM
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Février 2006 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
No Chambre : 05
No Section :
No RG : 2004F03920-2004F05474
Expéditions exécutoires
Expéditions
délivrées le :
à :
SCP TUSET-CHOUTEAU
SCP KEIME GUTTIN JARRY
SCP JULLIEN, LECHARNY, ROL ET FERTIERE. D.
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE VINGT QUATRE MAI DEUX MILLE SEPT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S. A. R. L. TGFA ayant son siège... 75003 PARIS, agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège.
représentée par la SCP TUSET-CHOUTEAU, avoués-No du dossier 6109
Rep / assistant : Me Philippe PAQUET, avocat au barreau de PARIS (P. 65).
APPELANTE
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SA ETAM ayant son siège... 92112 CLICHY, agissant poursuites et diligences de son Président Directeur Général domicilié en cette qualité audit siège.
représentée par la SCP KEIME GUTTIN JARRY, avoués-No du dossier 06000377
Rep / assistant : Me Annette SION, avocat au barreau de PARIS.
S. A. S. CARO ayant son siège... 75003 PARIS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
représentée par la SCP JULLIEN, LECHARNY, ROL ET FERTIER, avoués-No du dossier 20060825
Rep / assistant : Me Emmanuelle HOFFMAN-ATTIAS, avocat au barreau de PARIS (D. 405).
INTIMEES
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Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 Mars 2007 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Denis COUPIN, conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Françoise LAPORTE, président,
Monsieur Jean-François FEDOU, conseiller,
Monsieur Denis COUPIN, conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Thérèse GENISSEL,
FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
La société à responsabilité limitée TGFA commercialise des sacs à main sous la marque MARC A... et notamment des modèles dénommés NAIA et TANIA qui sont deux sacs identiques mais de tailles différentes.
Constatant que la société anonyme ETAM, qui était sa cliente, offrait à la vente des sacs reproduisant les caractéristiques du modèle NAIA, elle l'a assignée devant le tribunal de commerce de Nanterre en contrefaçon de modèle ainsi qu'en concurrence déloyale, lui réclamant, à titre de dommages et intérêts, les sommes respectives de 30. 000 et de 12. 000 euros. La société ETAM a appelé en garantie la société par actions simplifiée CARO, son fournisseur.
Par un jugement rendu le 21 février 2006, cette juridiction, après avoir joint les deux instances, a relevé que les modèles revendiqués n'étaient pas déposés à l'Institut National de la Propriété Industrielle, qu'ils ne présentaient aucune originalité mais au contraire de nombreuses similitudes avec la mode en cours, que la société TGFA ne justifiait pas d'une création originale, ni d'une antériorité de divulgation des modèles. Elle l'a, en conséquence, déboutée de toutes ses demandes et condamnée à payer à chacune des sociétés ETAM et CARO 3. 000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société TGFA, qui a interjeté appel de cette décision, se prévaut d'une exploitation et d'une commercialisation de son modèle de sac sous son nom et, donc, du bénéfice de la présomption de titularité des droits de création.
Elle invoque aussi la protection du modèle NAIA par le droit d'auteur sur ce modèle qu'elle expose avoir créé en février 2002 et commercialisé pour la première fois en janvier 2003. Elle en souligne l'originalité et soutient qu'il témoigne d'un effort créatif et porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.
Elle conteste la prétendue banalité affirmée par la société CARO qui n'en justifie pas, comme la réalité d'une quelconque antériorité en réfutant le caractère probant des pièces produites par la société CARO.
Elle souligne que le procès-verbal de la saisie contrefaçon effectuée le 07 juillet 2004 dans les locaux de la société ETAM établit la contrefaçon. Elle chiffre son préjudice à 30. 000 euros en considération du nombre de modèles contrefaits vendus à vil prix alors qu'elle a été contrainte de retirer le modèle NAIA de ses collections après seulement une année d'exploitation.
Elle considère qu'outre la contrefaçon, la société ETAM a commis à son endroit des actes constitutifs de concurrence déloyale dès lors qu'elle a acheté les sacs à la société CARO en parfaite connaissance des droits antérieurs et qu'elle invoque la bonne foi. Elle s'estime ainsi bien fondée à lui réclamer 12. 000 euros de dommages et intérêts.
Elle demande en conséquence à la cour d'infirmer le jugement et de :
-condamner in solidum les sociétés ETAM et CARO à lui payer 30. 000 euros de dommages et intérêts pour les actes de contrefaçon,
-condamner la société ETAM à lui payer 12. 000 euros de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,
-faire interdiction aux sociétés ETAM et CARO de commercialiser les sacs litigieux sous astreinte de 200 euros par infraction constatée,
-ordonner la publication " du jugement " dans trois journaux ou revues sans que le coût unitaire n'excède 3. 500 euros HT,
-condamner in solidum les sociétés ETAM et CARO à lui payer 6. 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société ETAM explique qu'elle a acheté les sacs litigieux à la société CARO qui a accepté ses conditions générales d'achat la garantissant de toutes revendications de tiers. Elle en déduit que sa responsabilité ne peut être retenue et demande sa mise hors de cause.
Subsidiairement, elle discute le caractère probant de l'unique pièce produite par la société TGFA pour justifier une prétendue création en février 2002 et observe qu'il est en revanche démontré une commercialisation des sacs litigieux par un fournisseur chinois dès le mois de mai 2002. Elle en déduit que la société TGFA ne peut revendiquer aucun droit d'auteur.
Elle ajoute qu'en tout état de cause les sacs NAIA et TANIA sont dépourvus de toute originalité comme l'ont dit, à bon droit selon elle, les premiers juges, qu'ils présentent une simple association banale de caractéristiques antériorisées ce qui exclut tout apport créatif du prétendu auteur. Elle en infère l'absence de toute contrefaçon.
Elle rejette tout caractère déloyal de la concurrence exercée dès lors que n'est pas fautive la reprise d'objets qui ne sont pas protégés.
A titre subsidiaire, elle discute la réalité du préjudice allégué en relevant que la société TGFA ne produit aucun élément justificatif.
Elle réclame enfin la garantie de la société CARO sur le fondement de ses conditions générales d'achat portées sur ses bons de commande.
Invoquant les dispositions des articles 1128 et 1598 du code civil, elle demande que soit prononcée la nullité de la vente intervenue entre la société CARO et ordonnée la restitution du prix qu'elle a payé.
Elle réclame en outre à la société CARO 10. 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant pour elle de la procédure engagée par la société TGFA contre elle et pareille somme sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société CARO relève que la société TGFA n'est pas créatrice de modèles mais seulement importatrice et qu'elle ne produit aucun élément justifiant une prétendue activité de créateur des modèles qu'elle n'a pas déposés.
Elle considère que la société TGFA ne peut pas se prévaloir de la présomption simple résultant de l'article L. 113-1 code de la propriété intellectuelle car le modèle de sac, qui s'inscrit dans les tendances de la mode, n'est nullement original et a été divulgué antérieurement à janvier 2003.
Elle souligne l'absence de tout élément produit par la société TGFA pour justifier le préjudice allégué, ni dans son principe, ni dans son étendue. Elle estime que la perte subie éventuellement par la société TGFA se limiterait à la marge qu'elle aurait réalisée sur les 230 sacs vendus à la société ETAM.
Relativement à la demande au titre de la concurrence déloyale, elle souligne que la société TGFA ne caractérise aucun élément distinct et se borne à se prévaloir des actes de la prétendue contrefaçon, demandant ainsi, sur deux fondements différents, une double indemnisation d'un même préjudice qui, de surcroît, n'est ni caractérisé ni quantitativement justifié.
Elle décline toute garantie au bénéfice de la société ETAM qui avait antérieurement acheté des sacs à la société TGFA, était informée que celle-ci pouvait détenir des droits et connaissait l'origine des marchandises.
Rappelant l'absence de contrefaçon et la parfaite information de la société ETAM, elle s'oppose à toute annulation de la vente comme à la demande de dommages et intérêts au titre d'un prétendu préjudice qui n'est, selon elle, aucunement justifié.
Elle conclut ainsi à la confirmation du jugement, au débouté des sociétés TGFA et ETAM en toutes leurs demandes et à la condamnation de toute partie succombante à lui payer 3. 000 euros pour ses frais irrépétibles.
La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état du 08 février 2007 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 20 mars 2007.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de mise hors de cause de la société ETAM
Considérant que la société ETAM qui a procédé à la commercialisation des sacs litigieux et dont la responsabilité est recherchée par la société TGFA tant au titre de la contrefaçon, qu'à celui d'une concurrence prétendue déloyale, ne peut prétendre se voir mettre hors de cause au seul motif qu'elle se prévaut d'une garantie contractuelle de son fournisseur contre toute revendication de tiers ;
Qu'il ne convient pas de faire droit à sa demande de ce chef ;
Sur la contrefaçon de modèles
Considérant qu'il n'est pas discuté que la société TGFA n'a pas procédé, auprès de l'institut national de la propriété industrielle, à un quelconque dépôt de l'un ou l'autre des modèles de sac qu'elle désigne sous les noms de NAIA et TANIA ; qu'elle ne recherche pas la responsabilité de la société ETAM sur les fondements des articles L. 511-1 et L. 511-2 du code de la propriété intellectuelle mais en se prévalant d'un droit d'auteur tel qu'il est défini par l'article L. 111-1 du même code qui dispose que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporel exclusif et opposable à tous ;
Considérant qu'elle soutient qu'elle a exploité et commercialisé les sacs NAIA dès l'origine et revendique ainsi le bénéfice, en l'absence de revendication de la part de personnes physiques, d'une présomption de titularité des droits de création à l'égard des tiers, telle qu'elle résulte de la jurisprudence de la cour de cassation étendant le bénéfice des dispositions de l'article L. 113-5 du code de la propriété intellectuelle ;
Considérant que, dans son acte introductif d'instance, la société TGFA n'avait pas précisé la date de création alléguée de son modèle de sac NAIA ; qu'elle a ultérieurement affirmé que ce sac a été créé en février 2002 et commercialisé pour la première fois en janvier 2003 ;
Considérant que si elle justifie, par la production de factures, d'avoir effectivement vendu ce modèle de sac, pour la première fois, en janvier 2003, elle n'apporte pas, en revanche, la démonstration de la date alléguée de création en février 2002 ;
Considérant en effet qu'à cet égard sont dépourvues de force probante les photocopies d'un catalogue qui ne comporte aucune date et deux photocopies de dessins manuscrits identiques du sac et seulement différenciés par les mentions, elles aussi manuscrites, pour l'un " 02 / 02 " et pour l'autre " co / été / 03 " ;
Considérant que la société CARO expose qu'elle a acquis les sacs litigieux auprès d'un fournisseur chinois de Hong Kong dénommé B... HANDBAG dont elle précise, sans être contredite, qu'il est également celui de la société TGFA ; qu'elle en justifie en produisant la photo d'une facture, en date du 05 mai 2006, de vente par B... HANDBAG à la société TGFA de sacs de modèle CAPOEIRA ;
Considérant que la société CARO verse également aux débats une facture, datée du 05 mai 2002, matérialisant un achat, par une société BEST RAY INTERNATIONAL, auprès de ce fournisseur chinois de 400 unités d'un sac en Nylon référencé 12566 ; qu'elle y adjoint une attestation de ce fournisseur, datée du 25 février 2005, certifiant avoir vendu à la société CARO le sac référencé 12566, développé en janvier 2002 ; que cette attestation reproduit la photographie du sac modèle 12566 qui montre une exacte correspondance au modèle commercialisé par la société TGFA sous le nom de NAIA ;
Considérant que le fournisseur chinois B... HANDBAG, par une seconde attestation délivrée le 27 octobre 2006, a confirmé que la référence 12566 correspondait au modèle de sac litigieux et que la seconde partie du numéro de référence ne visait qu'à spécifier les couleurs du produit ou la longueur de la bandoulière ;
Considérant enfin que ce même fournisseur a adressé, le 18 décembre 2002, le numéro 27 de son catalogue qui présente les produits pour la saison automne hiver 2001-2002, lequel comporte en sa page 9 le modèle litigieux référencé 12. 566 ;
Considérant que la société TGFA discute vainement la force probante de ces pièces en relevant que les attestations ne respectent pas les exigences de forme prévues par l'article 202 du nouveau code de procédure civile ;
Considérant toutefois que ces règles de forme ne sont pas prescrites à peine de nullité ; qu'en matière commerciale, la preuve peut être apportée par tous moyens ; que ces pièces émanent d'un commerçant international dont l'existence est avérée et ne peut être discutée par la société TGFA dont il est aussi le fournisseur ; que ces pièces ne doivent pas être déclarées irrecevables, ainsi que le prétend la société TGFA, au seul motif qu'elles ne respectent pas les exigences de l'article précité ;
Considérant que la société TGFA affirme encore que l'attestation du 25 février 2005 est " un montage reproduisant une photo tirée d'on ne sait où " ; que cette affirmation n'est appuyée d'aucun élément probant alors que la réalité de l'exploitation du sac litigieux par B... HANDBAG en janvier 2002 est confirmée par sa correspondance du 18 décembre 2006 et par le catalogue no27, tous deux produits aux débats en original ;
Considérant que la circonstance que la facture de B... HANDBAG emportant vente de sac 12566 est adressée à une société BEST RAY INTERNATIONAL n'a aucunement pour effet de contredire la réalité de l'antériorité de la commercialisation par ce commerçant du sac litigieux ;
Considérant ainsi qu'il est établi que les modèles de sac, dénommés par la société TGFA NAIA et TANIA, ont été divulgués par B... HANDBAG dès le mois de janvier 2002 et commercialisés en mai 2002 ; que cette antériorité aux prétentions de la société TGFA non démontrées avant la date du 31 janvier 2003 ont pour effet d'interdire à cette dernière de prétendre à une protection des modèles au titre des droits d'auteur dès lors qu'elle n'apporte pas la démonstration qu'elle est le créateur des modèles discutés ;
Qu'il suit de là que la société TGFA doit être déboutée de toutes ses demandes au titre de la contrefaçon ;
Sur la concurrence
Considérant que la commercialisation concurrente de modèles non protégés par un dépôt ou par les droits d'auteur ne peut être qualifiée de déloyale en l'absence de tout comportement fautif ; que la société TGFA n'en allègue aucun et se borne à formuler ses demandes indemnitaires de ce chef en invoquant les mêmes griefs que ceux émis à l'appui de son action en contrefaçon ;
Qu'il suit de là que la société TGFA doit être déboutée de toutes ses demandes et que le jugement entrepris doit recevoir confirmation en toutes ses dispositions ;
Sur les autres demandes
Considérant que la société ETAM qui ne supporte aucune condamnation, ne démontre pas une quelconque faute commise à son endroit par la société CARO, ni ne justifie du préjudice qu'elle allègue ; que sa demande en paiement de dommages et intérêts doit être rejetée ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la société ETAM et à la société CARO la charge des frais non compris dans les dépens qu'elles ont été, l'une et l'autre, contraintes d'engager en cause d'appel ; que la société TGFA sera condamnée à payer à chacune d'elles une indemnité complémentaire de 2. 000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Considérant que l'équité ne commande pas d'allouer des sommes sur le fondement du même texte à l'appelante qui, succombant dans l'exercice de son recours, doit être condamnée aux dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,
Déboute la société anonyme ETAM de sa demande de mise hors de cause,
Déboute la société à responsabilité limitée TGFA de toutes ses demandes,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Déboute la société anonyme ETAM de sa demande en paiement de dommages et intérêts dirigée contre la société par actions simplifiée CARO,
Condamne la société à responsabilité limitée TGFA à payer à chacune de la société anonyme ETAM et de la société par actions simplifiée CARO la somme complémentaire de 2. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à application de ce même texte au bénéfice de la société à responsabilité limitée TGFA,
La condamne aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par les SCP JULLIEN-LECHARNY-ROL-FERTIER et KEIME-GUTTIN-JARRY, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Arrêt prononcé par Madame Françoise LAPORTE, président, et signé par Madame Françoise LAPORTE, président et par Madame Marie-Thérèse GENISSEL, greffier, présent lors du prononcé
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,