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02/11/2006 | FRANCE | N°05/05155

France | France, Cour d'appel de Versailles, 02 novembre 2006, 05/05155


COUR D'APPEL DE VERSAILLES

12ème chambre section 2

J. F. F. / P. G.
ARRET No Code nac : 39D

contradictoire

DU 02 NOVEMBRE 2006

R. G. No 05 / 05155

AFFAIRE :

S. A. S. EMANUEL X...


C /
Madame Véronique Z... épouse A...

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Mai 2005 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
No Chambre : 7
No Section :
No RG : 2003F01478-2003F01585-2003F02669

Expéditions exécutoires
Expéditions
délivrées le :
à :
SCP KEIME GUTTI

N JARRY
SCP BOMMART MINAULT
SCP DEBRAY-CHEMIN
E. D

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE DEUX NOVEMBRE DEUX MILLE SIX,
La cour d'appel ...

COUR D'APPEL DE VERSAILLES

12ème chambre section 2

J. F. F. / P. G.
ARRET No Code nac : 39D

contradictoire

DU 02 NOVEMBRE 2006

R. G. No 05 / 05155

AFFAIRE :

S. A. S. EMANUEL X...

C /
Madame Véronique Z... épouse A...

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Mai 2005 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
No Chambre : 7
No Section :
No RG : 2003F01478-2003F01585-2003F02669

Expéditions exécutoires
Expéditions
délivrées le :
à :
SCP KEIME GUTTIN JARRY
SCP BOMMART MINAULT
SCP DEBRAY-CHEMIN
E. D

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE DEUX NOVEMBRE DEUX MILLE SIX,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S. A. S. EMANUEL X... Immatriculée au registre du commerce et des sociétés 348 885 500 RCS Paris ayant son siège..., agissant poursuites et diligences de son Président du Conseil d'Administration domicilié en cette qualité audit siège.

représentée par la SCP KEIME GUTTIN JARRY, avoués-N du dossier 05000607
Rep / assistant : la SCP Philippe Clément, avocat au barreau de PARIS (P. 480).

APPELANTE
****************

Madame Véronique Z... épouse A... demeurant....

représentée par la SCP BOMMART MINAULT, avoués-N du dossier 00032056
Rep / assistant : Me Delphine MOLLANGER, avocat au barreau de PARIS (D. 627).

S. A. S. Agence MCCANN ERICKSON PARIS ayant son siège..., prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

représentée par la SCP DEBRAY-CHEMIN, avoués-N du dossier 05000683
Rep / assistant : Me LORVO de la SCP FOUCAUD-TCHEKHOFF-POCHET et associés, avocat au barreau de PARIS (P. 10).

INTIMES
****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Septembre 2006 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-François FEDOU, conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Françoise LAPORTE, président,
Monsieur Jean-François FEDOU, conseiller,
Monsieur Denis COUPIN, conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Marie-Thérèse GENISSEL,

FAITS ET PROCEDURE :

Au mois d'octobre 2001, la Société EMANUEL X... a présenté au public, dans le cadre de son défilé prêt-à-porter printemps-été, un modèle de bustier sans manche, de couleur prune en mousseline transparente, et incrusté de perles, ainsi qu'un modèle de pantalon en jean zébré, sur lequel est imprimé au niveau de la taille un cordage blanc fermé par un noeud simple qui tombe sur la jambe gauche du pantalon.

L'agence conseil en communication MCCANN-ERICKSON PARIS a conçu et réalisé pour le compte de la Société L'OREAL une publicité pour une gamme des produits de beauté, intitulée " Purple Chic " Collection automne-hiver 2002.
Cette campagne publicitaire met notamment en scène le mannequin Noémie E..., qui apparaît d'une part en gros plan, d'autre part en silhouette ; sur le visuel de la silhouette, le mannequin est revêtu en particulier d'un bustier pourpre semi-transparent recouvert de perles et d'un jean zébré.

Pour la réalisation de cette campagne, l'agence conseil en communication s'est adressée à Madame A..., laquelle, suivant bon de commande no 12486 du 25 avril 2002, s'est engagée à effectuer le stylisme du visuel, en sélectionnant des vêtements qui seront portés par le mannequin, ce en cohérence avec les choix artistiques arrêtés par l'agence de publicité.

Au motif qu'elle avait eu la surprise de constater, à la lecture du magazine suisse-allemand " Annabelle " du 04 septembre 2002, que ses deux modèles originaux de bustier et de pantalon avaient été utilisés sans son autorisation amiable dans le visuel publicitaire conçu pour la promotion des cosmétiques ayant fait l'objet de la campagne " Purple Chic ", la Société EMANUEL X... a, dans un premier temps par acte du 31 décembre 2002, assigné la Société MCCANN-ERICKSON en référé devant le Président du Tribunal de Commerce de NANTERRE.

Par ordonnance du 29 janvier 2003, ce magistrat a notamment interdit sous astreinte à la Société MCCANN-ERICKSON, en application de l'article 873 alinéa 1er du nouveau Code de procédure civile, de diffuser et d'exploiter, directement ou indirectement, le visuel ayant illicitement reproduit les créations de la Société EMANUEL X..., lui a ordonné, sur le fondement de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, la production de tous les éléments de nature contractuelle et comptable relatifs à l'élaboration et à l'exploitation de la campagne publicitaire litigieuse, et l'a condamnée au paiement de la somme provisionnelle de 70. 000 € à titre de dommages-intérêts.

C'est dans ces circonstances que la Société EMANUEL X... a, par acte des 19 et 21 mars 2003, assigné la Société MCCANN-ERICKSON en contrefaçon et en dommages-intérêts.

Par acte du 05 juin 2003, la Société MCCANN-ERICKSON a assigné en intervention forcée et en garantie Madame A..., à laquelle elle reprochait de lui avoir fourni des modèles qui n'étaient pas librement reproductibles.

Par jugement du 31 mai 2005, le Tribunal de Commerce de NANTERRE a débouté la Société EMANUEL X... de ses demandes à l'encontre de la Société MCCANN-ERICKSON PARIS, levé le séquestre, et, en conséquence, condamné EMANUEL X... à restituer à MCCANN-ERICKSON PARIS la somme de 70. 000 €, outre intérêts au taux légal à compter du 19 février 2003, et à payer à chacune des autres parties la somme de 1. 500 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La Société EMANUEL X... a interjeté appel de cette décision.

Elle reproche à la Société MCCANN-ERICKSON d'avoir procédé à la copie servile des vêtements créés par elle, s'agissant d'une reproduction illicite de tout ou partie de cette création.

Elle fait valoir que la remise matérielle des vêtements créés par elle n'emporte pas transfert des droits d'auteur qu'elle détient sur lesdites vêtements, et que son bureau de presse n'a aucun pouvoir ni mandat pour consentir une exploitation publicitaire et / ou commerciale de ses propres créations.

Elle expose qu'à chaque fois que son bureau de presse prête un vêtement à une célébrité ou une styliste, un bon de sortie, précisant la date de sortie, la référence du vêtement prêté et le nom de la personne emprunteuse, est établi et remis à celle-ci, et elle observe que les intimées sont dans l'incapacité de produire une trace écrite du prêt relatif aux vêtements litigieux.

Elle précise qu'en toute hypothèse, la production du carnet à souche, voire d'une copie du bon de sortie correspondant au prêt des vêtements remis à Madame A..., n'aurait aucune conséquence sur l'issue du présent litige, puisqu'un tel prêt par son service de presse ne vaut jamais, au profit de la personne emprunteuse, cession par la société appelante des droits de reproduction et / ou de représentation des vêtements prêtés à des fins publicitaires.

Elle allègue qu'elle seule a le pouvoir, à l'instar des autres maisons de couture titulaires des droits d'auteur sur leurs créations, de déterminer de façon discrétionnaire les conditions dans lesquelles les créations qui lui appartiennent peuvent être reproduites ou utilisées, notamment pour les besoins d'une publicité n'ayant pas pour objet de les promouvoir.

Elle considère que la décision entreprise a, en énonçant que Madame A... était devenue titulaire des droits de reproduction et d'exploitation à des fins commerciales et publicitaires des vêtements qu'elle avait reçus en prêt, violé les dispositions de l'article L 111-3 du Code de la propriété intellectuelle.

Elle relève que les vêtements litigieux créés par elle n'ont fait l'objet d'aucune cession de droits d'auteur, ni à titre gratuit, ni à titre onéreux, qui satisferait au formalisme exigé par l'article L 131-3 du même code.

Elle fait grief à la Société MCCANN-ERICKSON de s'être contentée de la remise par Madame A... des créations litigieuses, sans s'être préalablement assurée de l'existence des prétendus droits d'auteur allégués par cette dernière sur lesdites créations et du consentement exprès de la société appelante à leur exploitation dans le cadre de la publicité L'OREAL.

Elle réitère que, dans la mesure où les pièces communiquées par la Société MCCANN-ERICKSON ne permettent pas de déterminer la rémunération totale et précise versée par la Société L'OREAL à l'agence de publicité pour la réalisation de la campagne litigieuse, elle ne peut que renouveler son refus d'accepter, en réparation de son préjudice, l'offre de versement de la somme de 2. 500 €, parfaitement dérisoire, pour compenser une telle exploitation non autorisée.

Elle ajoute qu'en reproduisant sans son autorisation son modèle original de " bustier " et de " jean zébré " dans une campagne publicitaire conçue pour la promotion de produits cosmétiques de grande distribution sur plusieurs types de supports de médiocre qualité qui ont été largement diffusés, la Société MCCANN-ERICKSON a porté atteinte à l'image des créations de la société appelante.

Par voie de conséquence, elle demande à la Cour, en réformant dans son intégralité le jugement déféré, de constater qu'en reproduisant, pour illustrer sa campagne de publicité, deux modèles originaux de vêtements de la Société EMANUEL X... sans son autorisation et sans aucune mention de son nom, la Société MCCANN-ERICKSON s'est rendue coupable de contrefaçon en violation des articles L 122-4 et L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Elle sollicite la condamnation de la Société MCCANN-ERICKSON à lui verser, à titre de dommages-intérêts, la somme de 150. 000 €, en réparation du préjudice patrimonial et de l'atteinte à l'image de ses propres créations résultant de ces actes de contrefaçon, et elle conclut à la publication judiciaire de la décision à intervenir, soit du dispositif, soit par extraits, dans cinq journaux ou revues au choix de la société appelante et aux frais de la société intimée, sans que le coût global de ces publications ne puisse excéder 25. 000 €.

Elle réclame solidairement aux intimées la somme de 15. 000 € en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'Agence MCCANN-ERICKSON PARIS conclut à la confirmation du jugement.

Elle rappelle que, si elle a reconnu avoir utilisé des modèles de la Société EMANUEL X..., elle a toujours contesté être l'auteur d'une contrefaçon, dès lors que sa styliste, Madame A..., a constamment déclaré que le buste pourpre semi-transparent recouvert de perles et le jean zébré ont été remis en connaissance de cause par le bureau de presse de la société appelante.

Elle explique que les modèles en cause ont été confiés à Madame A..., styliste publicitaire par un membre du bureau de presse de la Société EMANUEL X..., que le bureau de presse était ainsi informé de l'usage publicitaire qui serait fait, et que cette remise démontre donc l'autorisation donnée par la maison de couture.

Elle allègue qu'il n'y a pas eu reproduction servile des vêtements litigieux, puisque le caractère original des vêtements prêtés empêchait toute possibilité d'une copie servile.

Elle invoque la pratique usuelle et courante, dans la profession des couturiers, suivant laquelle, en cas d'usage publicitaire, la simple remise matérielle du modèle vaut autorisation d'exploitation sans restriction, et elle conclut que cet usage la dispensait d'obtenir un accord préalable et exprès du titulaire des droits d'auteur.

Elle soutient qu'il incombe à la Société EMANUEL X... d'assumer la faute de la salariée de son bureau de presse, laquelle a remis à Madame A... un modèle en connaissance de l'usage publicitaire qui en serait fait.

Elle approuve les premiers juges d'avoir retenu que la Société EMANUEL X... est responsable de la destruction du bon de sortie susceptible d'établir que le motif du prêt n'était pas celui qui correspond à l'usage habituel que pouvait en faire Madame A....

Elle indique n'avoir procédé à aucune dissimulation dans le cadre de la communication des pièces qui lui ont été réclamées consécutivement au prononcé de l'ordonnance de référé du 29 janvier 2003, dans la mesure où les éléments contractuels et comptables transmis à la société appelante l'ont renseignée de manière exhaustive sur la diffusion, au demeurant très limitée, de la campagne publicitaire litigieuse.

Elle conteste que l'utilisation des modèles de la Société EMANUEL X... pour cette campagne publicitaire et le choix des supports auxquels l'Agence MCCANN-ERICKSON a eu recours aient entraîné une dévalorisation des produits de la société appelante.

Elle estime qu'il est de l'essence même de la mission d'un styliste de fournir des modèles exploitables pour la publicité, et elle observe que tel n'a pas été le cas en l'espèce, puisque la Société EMANUEL X... prétend n'avoir pas donné son autorisation pour un usage publicitaire.

Elle considère que Madame A... a commis une faute dans l'exécution de ses obligations, en ne se ménageant pas la preuve de l'autorisation de la société appelante, et / ou en ayant communiqué des informations inexactes à l'agence de publicité.

Elle ajoute qu'en toute hypothèse, elle n'avait pas à solliciter directement une nouvelle autorisation de la part du couturier, ni à vérifier auprès de celui-ci la qualité de la prestation de la styliste.

A titre subsidiaire, elle propose que l'indemnisation à laquelle la maison UNGARO peut prétendre par suite de la reproduction de ses deux modèles dans le visuel litigieux soit fixée à la somme totale de 2. 500 euros qu'elle s'offre de payer depuis le 15 octobre 2002, et elle conclut au débouté de la société appelante de toutes ses autres prétentions et à sa condamnation au paiement de 3. 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
A titre également subsidiaire, elle demande à la Cour de condamner Madame A... à la relever et garantir de toutes sommes qui pourraient être mises à sa charge consécutivement à l'utilisation de ces modèles dans le cadre de la publicité intitulée " Purple Chic " Collection automne-hiver 2002, et à la condamner au paiement de la somme de 1. 500 € au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Madame Véronique Z... épouse A... conclut également à la confirmation du jugement.

Elle indique s'être rendue auprès du bureau de presse de la Société
X...
, lequel lui a remis les vêtements finalement utilisés dans le cadre de la campagne L'OREAL, et elle précise avoir informé la société appelante de l'usage qui serait fait des modèles remis, lesquels lui ont donc été prêtés à titre gracieux à des fins publicitaires.

Elle explique qu'ayant tenté de contacter la salariée de la Société X... en vue de solliciter une attestation confirmant que les vêtements ont bien été remis en vue d'un usage publicitaire, elle s'est heurtée au refus de cette salariée, laquelle a souhaité ne pas se mettre en porte-à-faux avec son ancien employeur.

Elle relève que, s'agissant d'une remise en tant que vêtements " confiés ", leur remise matérielle et l'usage de cette pratique la dispensaient d'obtenir un accord préalable, puisque cette simple remise attestait de l'accord du couturier.

Elle souligne que la destruction du carnet à souche, à laquelle la société appelante affirme avoir procédé après la restitution du bon de sortie et des vêtements correspondants, est peu compatible avec la prétendue politique de cette dernière de contrôler et donc de limiter l'usage de ses modèles dans le cadre de prêts par son bureau de presse.

Elle constate que les bons de commande passés auprès d'elle par la Société MCCANN-ERICKSON ne prévoient en aucun cas que la styliste garantit l'agence que les vêtements remis peuvent être librement reproduits.

Aussi, à titre subsidiaire, elle demande à la Cour de débouter la Société MCCANN-ERICKSON de son appel en garantie dirigé à son encontre.

Encore plus subsidiairement, relevant que la Société X... n'a subi aucun manque à gagner consécutivement à la reproduction des modèles litigieux, elle propose de réduire à un euro symbolique les demandes de la société appelante.

Elle sollicite la condamnation solidaire des Sociétés MCCANN-ERICKSON et EMANUEL X... à lui verser la somme de 3. 500 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 08 juin 2006.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la contrefaçon de droit d'auteur :
Considérant qu'il est acquis aux débats que le modèle de bustier pourpre semi-transparent recouvert de perles et le jean zébré créés par la Société EMANUEL X... pour sa collection printemps-été 2002 constituent des créations originales, à ce titre protégeables par le droit d'auteur ;

Considérant qu'il est également constant que la Société EMANUEL X... est titulaire à titre exclusif des droits d'auteur se rapportant à ces créations ;

Considérant qu'à titre préalable, il doit être observé que le visuel publicitaire conçu et réalisé par l'Agence MCCANN-ERICKSON met en scène un mannequin, Mademoiselle Noémie E..., revêtue du bustier et du pantalon créés par la société appelante ;

Considérant qu'il en résulte que le modèle original créé par cette dernière a été servilement copié par la Société MCCANN-ERICKSON en vue d'une publicité destinée à assurer la promotion de produits cosmétiques faisant l'objet de la campagne " Purple Chic " de la Société L'OREAL ;
Considérant qu'en application de l'article L 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, le titulaire d'un droit d'auteur sur une création originale est en droit de s'opposer à ce qu'elle soit reproduite par quelque moyen que ce soit, sans son autorisation et sans aucune référence à l'auteur de cette création ;

Considérant qu'en l'occurrence, il n'est pas contesté que les vêtements créés par la Société EMANUEL X... ont, par l'intermédiaire de son bureau de presse, été prêtés à Madame A..., styliste, laquelle les a ultérieurement remis à l'agence de publicité ;

Considérant que, toutefois, il importe de déterminer si le prêt de vêtements par le bureau de presse d'une maison de couture à une styliste vaut autorisation de leur reproduction ou de leur exploitation à des fins publicitaires ;

Considérant qu'à cet égard, c'est à celui qui se prétend bénéficiaire d'une telle autorisation de rapporter la preuve que le titulaire du droit d'auteur lui a donné son accord en vue d'une utilisation publicitaire ou commerciale des vêtements confiés ;

Considérant que, pour sa part, la Société MCCANN-ERICKSON produit aux débats plusieurs attestations faisant état de la pratique de certaines Maisons de Couture, lesquelles habilitent leur service de presse à confier des vêtements à une styliste, et ce sans restriction d'usage ;

Mais considérant que ces attestations sont formellement contredites par la déclaration écrite de Monsieur Didier Y..., Président de la Fédération Française de la Couture, du Prêt-à-Porter des Couturiers et des Créateurs de Mode depuis le 26 juin 1998, lequel a certifié qu'il n'existait : " aucun usage professionnel régissant l'ensemble des maisons de couture impliquant que le prêt de vêtements par le bureau de presse d'une maison de couture autorise son bénéficiaire à reproduire ou à exploiter le modèle concerné à des fins publicitaires ou commerciales pour son propre compte ou pour le compte de tiers " ;

Considérant que Monsieur Y... précise, dans son attestation du 25 octobre 2005, que : " La pratique des " confiés " ne couvre que les prêts consentis intuitu personae à des clients privilégiés ou à des personnalités du monde politique, littéraire ou artistique pour des manifestations publiques de prestige et n'a jamais emporté aucune autorisation d'exploitation publicitaire ou commerciale " ;

Considérant que cette déclaration, qui se trouve corroborée par l'attestation établie par Monsieur Olivier F..., Directeur Juridique du Groupe Jean-Paul GAULTIER, vient confirmer qu'il n'existe aucun usage professionnel dûment établi, en vertu duquel les services de presse des maisons de couture auraient pour habitude de prêter des vêtements à des fins autres que privées ou rédactionnelles ;

Considérant qu'il en résulte que les pratiques des autres maisons de couture en matière de prêt de vêtement ne peuvent être opposées à la Société EMANUEL X..., laquelle a seule le pouvoir de déterminer de manière discrétionnaire les conditions dans lesquelles les créations lui appartenant peuvent être utilisées ou reproduites ;

Or considérant qu'aux termes de sa déclaration écrite du 20 juillet 2004, Madame G..., responsable du bureau de presse et publicité de la société appelante, atteste qu'aucun membre de ce bureau : " n'est autorisé à prêter des vêtements à quiconque souhaiterait les utiliser dans une publicité ou dans le cadre d'une campagne publicitaire " ;

Considérant que, dès lors, la Société MCCANN-ERICKSON est sans droit à conclure que la simple remise matérielle du modèle par le bureau de presse de la Société EMANUEL X... valait consentement sans restriction du couturier et la dispensait d'obtenir un accord préalable et exprès du titulaire du droit d'auteur ;

Considérant que la société intimée n'est pas davantage fondée à invoquer la destruction par la maison de couture du bon de sortie qui lui avait été remis lors de la restitution des vêtements et qui eût été de nature, s'il avait été conservé, à établir la véritable destination des objets prêtés ;

Considérant qu'en effet, la Société EMANUEL X... indique, sans être contredite par des éléments probants, que, ni les bons de sortie émis par son bureau de presse, ni les talons de référence, ne mentionnent l'usage qui devrait être normalement fait des vêtements ;
Considérant qu'au demeurant, telle n'est pas la vocation de ces bons de sortie, lesquels n'ont de valeur probatoire qu'en ce qui concerne la restitution matérielle des objets confiés, et dont la remise ne saurait emporter des effets juridiques pour le bénéficiaire du prêt, dans la mesure où le bureau de presse de la société appelante n'a aucun pouvoir de consentir à des tiers une exploitation commerciale et / ou publicitaire de ses créations ;

Considérant qu'au regard de ce qui précède, la preuve n'est nullement rapportée que la Société EMANUEL X... ou son bureau de presse auraient autorisé Madame A... ou la Société MCCANN-ERICKSON à utiliser les vêtements dont s'agit pour la campagne de publicité de L'OREAL ;

Considérant qu'à titre surabondant, dès lors qu'en application de l'article L 111-3 du Code de la propriété intellectuelle, les prérogatives liées au droit d'auteur s'exercent indépendamment du sort réservé au support matériel de l'oeuvre, le simple prêt de vêtements n'a pu entraîner de plein droit la transmission de droits d'exploitation ou de reproduction au profit de son bénéficiaire ;
Considérant que, de surcroît, il incombait à la Société MCCANN-ERICKSON, en sa qualité de professionnel, de s'assurer que les articles représentés sur les visuels publicitaires ne portaient pas atteinte à des droits antérieurs, et que leurs conditions d'utilisation avaient recueilli le consentement exprès de la Société EMANUEL X... en vue de leur exploitation dans le cadre de la publicité litigieuse ;

Considérant que l'agence de publicité ne saurait donc se prévaloir utilement des déclarations prétendument reçues de Madame A... auprès de laquelle elle s'était procuré les vêtements, et ainsi exciper de sa bonne foi, au demeurant indifférente en matière de contrefaçon, pour tenter de s'exonérer de sa responsabilité envers le titulaire du droit d'auteur ;

Considérant que, par voie de conséquence, il y a lieu, en infirmant le jugement déféré, de dire qu'en reproduisant deux modèles originaux de vêtements, pour illustrer sa campagne de publicité en vue d'assurer la promotion des produits de maquillage de marque L'OREAL, sans justifier avoir reçu l'autorisation du titulaire du droit d'auteur sur ces créations, et sans avoir porté mention de son nom, la Société MCCANN-ERICKSON a commis des actes de contrefaçon au sens des articles L 122-4 et L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Sur l'indemnisation du préjudice subi :

Considérant que la détermination du préjudice consécutif aux agissements de contrefaçon doit normalement prendre en compte, d'une part le gain manqué par le titulaire du droit d'auteur, d'autre part la perte subie par lui en raison de la reproduction illicite de ses créations et de leur exploitation dans le cadre de la campagne publicitaire incriminée ;

Or considérant que la Société EMANUEL X... ne produit aux débats aucun document, comptable ou autre, de nature à établir que l'utilisation de ses deux modèles originaux de bustier et de pantalon dans le visuel publicitaire conçu en vue de la promotion de certains produits cosmétiques de la Société L'OREAL aurait eu des répercussions financières ou commerciales négatives sur sa propre activité de maison de couture ;

Considérant que la circonstance que la Société MCCANN-ERICKSON ait, d'après la Société EMANUEL X..., fourni des éléments d'information contractuels ou comptables incomplets sur le bénéfice qu'elle a pu retirer de cette campagne publicitaire pour le compte de la marque L'OREAL, ne peut suffire à rapporter la preuve de l'existence, au préjudice de la société appelante, d'un manque à gagner, lequel ne ressort précisément d'aucune des pièces communiquées par elle dans le cadre de la présente instance ;

Considérant que, dès lors, le seul préjudice dont la Société EMANUEL X... peut légitimement se prévaloir consiste, d'une part en l'atteinte portée à son droit d'auteur, son nom ne figurant pas sur la publicité litigieuse, d'autre part en l'avilissement de ses créations originales de vêtements lesquelles ont servi en l'occurrence, dans le cadre d'une campagne publicitaire d'envergure internationale, à vanter des produits d'une toute autre nature que ceux relevant de la haute couture ;

Considérant qu'un tel préjudice ne se trouve pas convenablement réparé par l'allocation d'une somme égale à 2. 500 €, que la Société MCCANN-ERICKSON propose, à titre subsidiaire, de verser à titre forfaitaire à la société appelante, et qui correspond, selon ses écritures, au budget qu'elle aurait accepté de consacrer à cette opération, si elle avait dû monnayer l'autorisation de la maison de couture ;

Considérant que, toutefois, dans l'appréciation du montant de l'indemnité due à cette dernière, il convient de tenir compte du caractère limité dans le temps et dans l'espace de l'exploitation litigieuse, laquelle a pris fin à peine deux mois après son lancement, s'est exercée seulement dans quelques pays étrangers, et a fait l'objet d'une diffusion réduite tant dans la presse que sous forme d'affichage ou d'affichettes ;

Considérant qu'au regard de ce qui précède, il convient de fixer à la somme de 15. 000 € le montant des dommages-intérêts auxquels Société EMANUEL X... peut prétendre en réparation des conséquences dommageables de la reproduction illicite de ses créations de vêtements, et de débouter la société appelante du surplus de sa réclamation.

Sur la demande de garantie et sur les demandes annexes :

Considérant qu'au soutien de son appel en garantie à l'encontre de Madame A..., la Société MCCANN-ERICKSON fait valoir que cette dernière n'a pas exécuté son obligation essentielle ayant consisté à lui fournir un modèle exploitable dans une publicité, et a eu un comportement fautif en ne se ménageant pas la preuve de l'autorisation de la Société EMANUEL X... ou en ayant communiqué des informations inexactes à l'agence de publicité ;
Mais considérant qu'il ne s'infère nullement des bons de commande passés par la Société MCCANN-ERICKSON auprès de Madame A... que cette dernière a garanti sa cocontractante que les vêtements remis pouvaient être librement reproduits ;

Considérant qu'en toute hypothèse, il incombait à l'agence de publicité, laquelle a pris l'initiative et a assumé la responsabilité de la reproduction des créations de la Société EMANUEL X... dans le cadre de la campagne publicitaire organisée par elle pour le compte de produits de la Société L'OREAL, de s'assurer des conditions d'utilisation effective de ces créations ;

Considérant que, dès lors, elle ne pouvait se contenter des déclarations prétendument reçues de la styliste quant à un usage à des fins publicitaires des vêtements remis, et il lui appartenait en sa qualité de professionnel de vérifier, directement auprès de la maison de couture, le consentement exprès de la Société EMANUEL X... en vue de l'exploitation de ses créations dans le cadre de la publicité L'OREAL ;

Considérant qu'il s'ensuit qu'en l'absence de preuve d'un manquement de Madame A... à ses obligations contractuelles, et plus encore d'un lien de causalité dûment établi entre le prétendu comportement fautif de cette dernière et l'obligation d'indemnisation à laquelle l'agence de publicité se trouve tenue envers la maison de couture, il convient de débouter la Société MCCANN-ERICKSON de sa demande de garantie dirigée contre elle ;

Considérant qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, il y a lieu d'ordonner la publication du dispositif de la présente décision dans trois journaux ou revues, au choix de la Société EMANUEL X... et aux frais de la Société MCCANN-ERICKSON, sans que le coût global de ces publications n'excède la somme de 7. 500 € ;

Considérant que l'équité commande de mettre à la charge de la Société MCCANN-ERICKSON, une indemnité égale à 3. 000 € à la Société EMANUEL X..., et la somme de 1. 500 € à Madame A..., en remboursement des frais non compris dans les dépens respectivement exposés par ces dernières tant en première instance qu'en cause d'appel ;

Considérant qu'il n'est cependant pas inéquitable que la Société MCCANN-ERICKSON conserve la charge des frais non compris dans les dépens qu'elle a engagés dans le cadre de la présente instance ;

Considérant que la Société MCCANN-ERICKSON doit être condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Déclare recevable l'appel interjeté par la Société EMANUEL X..., le dit partiellement fondé ;

Infirme le jugement déféré, et statuant à nouveau :

Dit que la reproduction du bustier et du pantalon, utilisés par la Société MCCANN-ERICKSON PARIS, dans le cadre du visuel publicitaire " Purple Chic " réalisé pour le compte de la Société L'OREAL, constitue une contrefaçon des droits d'auteur se rapportant aux modèles originaux de vêtements créés par la Société EMANUEL X... ;

Condamne la Société MCCANN-ERICKSON PARIS à verser à la Société EMANUEL X..., à titre de dommages-intérêts, la somme de 15. 000 €, en réparation du préjudice subi par cette dernière et résultant des actes de contrefaçon ;

Déboute la Société MCCANN-ERICKSON PARIS de sa demande de garantie dirigée contre Madame A... ;

Ordonne la publication du dispositif de la présente décision dans trois journaux ou revues, au choix de la Société EMANUEL X... et aux frais de la Société MCCANN-ERICKSON PARIS, sans que le coût global de ces publications n'excède la somme de 7. 500 € ;

Condamne la Société MCCANN-ERICKSON PARIS à verser, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, les sommes de 3. 000 € à la Société EMANUEL X..., et de 1. 500 € à Madame A... ;

Déboute les parties de leurs autres et plus amples demandes ;

Condamne la Société MCCANN-ERICKSON PARIS aux entiers dépens de première instance et d'appel, et autorise d'une part la SCP KEIME GUTTIN JARRY, d'autre part la SCP BOMMART-MINAULT, Sociétés d'Avoués, à recouvrer directement la part les concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Arrêt prononcé par Madame Françoise LAPORTE, président, et signé par Madame Françoise LAPORTE, président et par Madame Marie-Thérèse GENISSEL, greffier, présent lors du prononcé

Le GREFFIER, Le PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 05/05155
Date de la décision : 02/11/2006
Sens de l'arrêt : Autre

Références :

Décision attaquée : Tribunal de commerce de Nanterre


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2006-11-02;05.05155 ?
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