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12/10/2006 | FRANCE | N°336

France | France, Cour d'appel de Versailles, Ct0012, 12 octobre 2006, 336


COUR D'APPEL DE VERSAILLES 12ème chambre section 2J.F.F./P.G. ARRET N Code nac : 39C contradictoire DU 12 OCTOBRE 2006R.G. No 05/05338 AFFAIRE :S.A.S SANDOZ, C/SAS BIOGARAN Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Juin 2005 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE No Chambre : 2ème No Section : No RG : 6584/04 Expéditions exécutoires Expéditions délivrées le : à : Me Claire RICARD SCP KEIME GUTTIN JARRY

E.D. REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAISLE DOUZE OCTOBRE DEUX MILLE SIX, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire ent

re : S.A.S SANDOZ, ayant son siège ..., agissant poursuites et dili...

COUR D'APPEL DE VERSAILLES 12ème chambre section 2J.F.F./P.G. ARRET N Code nac : 39C contradictoire DU 12 OCTOBRE 2006R.G. No 05/05338 AFFAIRE :S.A.S SANDOZ, C/SAS BIOGARAN Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Juin 2005 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE No Chambre : 2ème No Section : No RG : 6584/04 Expéditions exécutoires Expéditions délivrées le : à : Me Claire RICARD SCP KEIME GUTTIN JARRY

E.D. REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAISLE DOUZE OCTOBRE DEUX MILLE SIX, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre : S.A.S SANDOZ, ayant son siège ..., agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège. représentée par Me Claire RICARD, avoué - N du dossier 250436 Rep/assistant : Me Jacques X..., avocat au barreau de PARIS. APPELANTE****************SAS BIOGARAN ayant son siège ..., prise en la personne de son Président domicilié en cette qualité audit siège, représentée par la SCP KEIME GUTTIN JARRY, avoués - N du dossier 05000674 Rep/assistant : Me Christian Y..., avocat au barreau de PARIS. INTIMEE****************Composition de la cour :En application des dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du

26 Juin 2006 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-François FEDOU, conseiller chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Françoise LAPORTE, président,

Monsieur Jean-François FEDOU, conseiller,

Monsieur Denis COUPIN, conseiller Greffier, lors des débats : Melle Fabienne Z..., Faisant fonction,

FAITS ET PROCEDURE :

La Société BIOGARAN a pour activité la fabrication, promotion, commercialisation et vente des génériques de spécialités pharmaceutiques, communément appelés "médicaments génériques".

Elle a déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle les marques suivantes pour désigner notamment les "produits pharmaceutiques à usage humain" :- marque déposée le 16 juillet 1997 et enregistrée sous le no 97 687 288, comportant cinq pictogrammes, chacun étant représenté dans un carré associé à un autre carré positionné au-dessus, de même taille mais vide, composé chacun d'un dessin stylisé, dans l'ordre :soleil levant, plein soleil, croissant de lune, éphéméride et couvert, accompagné respectivement de la mention "matin", "midi", "soir", "durée", "repas";- marque composée des mêmes pictogrammes sans les mentions, déposée le 26 juin 2002 et enregistrée sous le no 02 3 171 094 ;- marque reproduisant le pictogramme symbolisant le soleil levant, déposée le 15 mai 2002 et enregistrée sous le no 02 3 164 136 ;- marque reproduisant le pictogramme symbolisant le plein soleil, déposée le 15 mai 2002 et enregistrée sous le no 02 3 164 142 ;- marque reproduisant le

pictogramme symbolisant un croissant de lune, déposée le 15 mai 2002 et enregistrée sous le no 02 3 164 126.

Pour sa part, la Société SANDOZ commercialisait ses médicaments dans des emballages comportant, parmi le décor, les dénominations et les mentions y figurant, des pictogrammes représentant les trois périodes de la journée (matin, midi et soir, respectivement symbolisés par un demi-soleil, un soleil et un croissant de lune), auxquelles le médicament doit être administré, et prévoyant une place afin que le pharmacien puisse inscrire les unités de prises respectives, c'est-à-dire la posologie.

Consécutivement à un procès-verbal d'huissier de justice en date du 05 mai 2004, la Société BIOGARAN a, par acte du 27 mai 2004, assigné la Société SANDOZ en contrefaçon pour imitation illicite des marques dont elle est titulaire ainsi qu'en dommages-intérêts pour concurrence déloyale.

Parallèlement, elle a, suivant acte du 1er juin 2004, assigné cette dernière en la forme des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L 716-6 du Code de la propriété intellectuelle.

Par ordonnance du 12 juillet 2004, le Président du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE a rejeté les demandes de la Société BIOGARAN, en relevant "qu'il existait un doute sur le caractère sérieux de l'action au fond".

Par jugement du 13 juin 2005, le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE a : - dit que les marques no 97/687 288, 02/3 171 094, 02/3 164 136, 02/3 164 142 et 02/3 164 126 de la Société BIOGARAN ont un caractère distinctif et n'ont pas été déposées frauduleusement, et rejeté les demandes tendant à voir prononcer la nullité de ces

marques ;- rejeté la demande en déchéance de la marque no 97/687 288 ;- dit que la Société SANDOZ s'est rendue coupable de contrefaçon des marques no 97/687 288 et 02/3 171 094, enregistrées à l'Institut National de la Propriété Industrielle, dont la Société BIOGARAN est titulaire ;- dit que la Société SANDOZ s'est également rendue coupable de faits distincts constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire ;- ordonné à la Société SANDOZ de cesser l'usage, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, des pictogrammes constituant la contrefaçon des marques dont la Société BIOGARAN est propriétaire, et ce sous astreinte de 10.000 ç par semaine de retard, passé le délai de trois mois à compter de la signification du jugement, se réservant le pouvoir de liquider l'astreinte ;- condamné la Société SANDOZ à verser à la Société BIOGARAN la somme de 75.000 ç à titre de dommages-intérêts ;- autorisé la Société BIOGARAN à faire procéder à la publication du jugement dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais de la Société SANDOZ, le coût de chaque insertion ne pouvant excéder la somme de 3.500 ç HT ;- rejeté la demande reconventionnelle de la Société SANDOZ ;- condamné la Société SANDOZ au paiement de la somme de 4.500 ç en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

La Société SANDOZ a interjeté appel de cette décision.

Elle constate que la marque no 97/687 288 a été déposée pour désigner notamment "les produits pharmaceutiques", c'est-à-dire, conformément à la définition de la marque donnée par l'article L 711-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, pour "distinguer" les produits de la Société BIOGARAN de ceux d'autres entreprises.

Elle relève que les signes déposés à titre de marque par la Société BIOGARAN sont utilisés pour désigner, non des produits

pharmaceutiques, mais des moments de la journée auxquels le médicament doit être pris.

Elle observe que les pièces versées par la partie adverse démontrent que les pictogrammes en cause sont destinés à favoriser l'observance du traitement et, éventuellement, la sécurité du patient, mais en aucun cas à désigner le produit lui-même.

Elle en déduit que l'absence d'utilisation des pictogrammes à titre de marque justifie le prononcé de la déchéance des droits de la Société BIOGARAN sur la marque 97/687 288.

Elle fait valoir que les cinq marques litigieuses sont nulles à défaut de répondre aux exigences de l'article L 711-1 du Code de la propriété intellectuelle.

Elle explique que les laboratoires pharmaceutiques se différencient grâce à leurs marques nominales et à leurs conditions commerciales, et non par le biais des éléments visuels secondaires de leurs emballages.

Elle allègue que les marques de la partie adverse étaient dénuées de distinctivité au jour de leur dépôt et qu'elles n'ont pas acquis de caractère distinctif par l'usage, dès lors que l'utilisation que la société intimée a faite des pictogrammes en cause a toujours été systématiquement associée à l'usage de la marque "BIOGARAN".

Elle soutient que ces marques sont dépourvues de caractère distinctif également au regard de l'article L 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, puisque le moment de la prise du médicament, qui est une caractéristique importante pour un médicament, constitue aussi une caractéristique désignée par les marques de BIOGARAN.

Elle estime que les premiers juges l'ont, à tort, condamnée pour contrefaçon sur la base de l'article L 713-3 du Code de la propriété

intellectuelle, sans que la société intimée ait rapporté la preuve d'un risque de confusion.

A cet égard, elle indique que le consommateur à prendre en compte est avant tout le pharmacien, vis-à-vis duquel aucun risque de confusion n'existe, puisque, si la délivrance par les pharmaciens des produits BIOGARAN n'est pas dictée par la présence des pictogrammes, c'est donc que le choix par les pharmaciens de référencer lesdits produits n'est aucunement dicté par ces pictogrammes.

Elle précise qu'un risque de confusion auprès des patients n'est pas davantage envisageable, dès lors que les refus de substitution n'émanent que de patients qui souhaitent que leur soit délivré le produit princeps, et non pas un générique autre que celui qui leur est proposé.

Elle souligne que la seule utilisation des pictogrammes de la Société SANDOZ consiste en une aide à l'observance du traitement, et que le professionnel averti ne considère pas lesdits pictogrammes comme un élément identifiant les produits de cette société, de telle sorte que leur non utilisation à titre de marque permet, à lui seul, d'écarter le risque de confusion.

Elle objecte que la comparaison des marques no 97/687 288 et no 02/3 171 904 avec les pictogrammes SANDOZ aurait dû conduire le Tribunal à conclure à l'absence de risque de confusion.

A ce titre, elle considère qu'à supposer qu'il soit jugé que les marques de la Société BIOGARAN sont distinctives, elles le sont si faiblement que les droits conférés par ces marques doivent être limités aux dessins objet du dépôt, sauf à priver tous les concurrents des signes nécessaires et à accorder à la partie adverse un monopole sur un genre.

Elle prétend que la trilogie "matin, midi et soir" et sa

représentation la plus habituelle et la plus banale, sous la forme de dessins du soleil levant, de plein soleil et de la lune, sont les plus adéquates pour la fonction que remplissent les pictogrammes.

Elle réitère que ses propres pictogrammes ne constituent pas une imitation illicite des marques no 97/687 288 et 02/3 171 094 de la Société BIOGARAN, compte tenu de l'impression d'ensemble totalement différente qui se dégage de la comparaison entre les signes en cause, et ce particulièrement en ce qui concerne la marque no 02/3 171 094, laquelle ne comporte pas de mention écrite "matin, midi et soir".

Elle conteste la réalité des agissements de concurrence déloyale qui lui sont reprochés, alors que ne sont pas invoqués des faits distincts de la contrefaçon, que la publicité mise en oeuvre par elle ne valorise nullement ses propres pictogrammes par rapport aux autres éléments très nombreux de présentation de son packaging, et qu'elle a elle-même entrepris d'importants investissements financiers afin de promouvoir ses propres produits.

Elle ajoute que le montant des dommages-intérêts prononcés à son encontre en première instance n'est nullement justifié, dans la mesure où la forte croissance qu'elle a connue à partir de 2001, et la perte de vitesse à laquelle la société intimée s'est trouvée confrontée à compter du milieu de l'année 2003 sont sans lien de causalité avec l'apparition des pictogrammes litigieux sur les emballages SANDOZ.

Par voie de conséquence, la Société SANDOZ demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a reconnu l'absence de contrefaçon des marques no 02/3 164 136, no 02/3 164 142 et no 02/03 164 126, de prononcer la nullité des marques no 97/687 288, 02/3 171 094, 02/3 164 136, 02/3 164 142 et 02/03 164 126, de

dire que les droits de la Société BIOGARAN sur la marque no 97/687 288 sont déchus depuis le 16 juillet 2002, de juger que cette marque est non contrefaite par la société appelante, puisque les faits reprochés sont postérieurs à cette date, et de débouter la Société BIOGARAN de ses demandes des chefs tant de contrefaçon que de concurrence déloyale.

A titre très subsidiaire, elle propose que le montant des dommages-intérêts auxquels elle serait susceptible d'être condamnée soit ramené à l'euro symbolique.

Elle réclame en outre la somme de 15.000 ç sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La S.A.S. BIOGARAN sollicite la confirmation du jugement entrepris en ses dispositions consacrant le caractère distinctif de ses marques ainsi que la contrefaçon et la concurrence déloyale imputables à la Société SANDOZ.

Elle indique rapporter la preuve qu'elle a très largement exploité la marque figurative no 97/687 288 déposée le 16 juillet 1997, dans sa fonction de marque, et ce de manière intense à destination du public, des professionnels de la santé et des patients, la marque ayant été utilisée depuis 1997 et jusqu'en 2004 avec le signe tel que déposé.

Elle précise que le résultat de l'étude diligentée auprès des pharmaciens démontre amplement que ce but d'identification des pictogrammes litigieux a été atteint, et que le signe objet de la marque no 97/687 288 est exploité à titre de marque, ce qui doit conduire au rejet de la demande de déchéance présentée par la Société SANDOZ.

Elle invoque le rôle essentiel des éléments visuels pour permettre l'identification de l'origine des médicaments génériques, et elle

observe que tel est précisément le cas des pictogrammes grâce auxquels le pharmacien et le consommateur final constatent qu'ils sont en présence de médicaments de la gamme BIOGARAN.

Elle relève que la preuve du caractère distinctif se déduit des résultats de l'étude effectuée en octobre 2004 par la Société A+A, intitulée "Impact et Attribution de la zone posologie des packagings BIOGARAN" et mettant en évidence la capacité d'identification de cette zone posologie auprès des pharmaciens, dès lors qu'elle se différencie de celle des autres génériqueurs.

Elle allègue que l'accroissement du caractère distinctif dû à l'usage concerne chacun des éléments du conditionnement qui s'en détache, et que le consommateur perçoit clairement comme un élément d'identification du produit en cause, la coexistence de plusieurs marques n'empêchant pas la fonction d'identification de chacune prise isolément.

Elle objecte que les pictogrammes en cause ne donnent aucune indication au malade et ne servent à désigner ni la quantité ni la posologie du médicament sur lequel ils sont apposés, et qu'elle cherche seulement à monopoliser une forme très particulière de pictogrammes dont l'intérêt général ne commande nullement qu'ils puissent être utilisés par tous.

Elle considère que la démonstration est faite du risque de confusion, lequel résulte de la reprise par la Société SANDOZ de son espace posologie constitué d'une série de pictogrammes représentant, comme les marques de la Société BIOGARAN, chaque pictogramme associé à un carré blanc de même taille, avec la stylisation des mêmes symboles, faite de la même manière.

Elle estime que le risque de confusion doit s'apprécier autant à l'égard des pharmaciens et personnels des officines de pharmacies que

des consommateurs de médicaments génériques, et elle réitère que ces derniers ne s'attachent pas au nom des laboratoires pharmaceutiques, mais se réfèrent plutôt à la charte graphique présente sur l'intégralité des médicaments de la gamme d'un même laboratoire pharmaceutique de générique.

Elle constate que la société appelante se contente d'invoquer des différences qui ne sont que de détail dans la représentation stylisée du soleil et de la lune, ne pouvant être réputés suffisamment importantes pour écarter le risque de confusion.

Elle en déduit que les consommateurs qui seront en présence non simultanément des conditionnements litigieux, et qui seront habitués à reconnaître les génériques du premier coup d'oeil, seront nécessairement conduits à penser que les médicaments génériques SANDOZ font partie de la même gamme que ceux de BIOGARAN, ou, en tout cas, que les deux laboratoires sont économiquement liés.

Elle soutient être victime d'agissements distincts de concurrence déloyale, dans la mesure où, au-delà de l'atteinte portée à ses marques, la partie adverse ruine ses efforts et investissements consacrés au développement d'une identité forte, cherchant en outre à se placer dans le sillage de sa concurrente par l'adoption de la zone posologie litigieuse sur laquelle elle axe une partie de sa publicité, et n'hésitant pas à adopter seulement en France les pictogrammes litigieux alors que la société intimée n'est présente pour l'instant que sur le marché français.

Elle ajoute que son préjudice a été sous-évalué par le Tribunal, puisque, alors que, d'avril 2004 à juin 2005, date du jugement, la Société SANDOZ a progressé de 1,46 % en part de marché, elle-même régressait de 2,56 % sur la même période, ce qui l'autorise à voir chiffrer le dommage résultant des agissements contrefaisants et

parasitaires de sa concurrente à la somme de 1.573.270 ç, représentant seulement 1/25ème de ses pertes.

Se portant incidemment appelante de la décision entreprise, la Société BIOGARAN demande à la Cour de condamner la Société SANDOZ à lui verser, à titre de dommages-intérêts, la somme de 1.573.270 ç, quitte à parfaire, et de l'autoriser à faire procéder à la publication de l'arrêt à intervenir dans six journaux ou revues de son choix, aux frais de la Société SANDOZ, le coût global des publications ne pouvant excéder la somme de 192.610 ç HT.

Elle conclut au débouté de la Société SANDOZ de ses demandes reconventionnelles, et elle sollicite la condamnation de cette dernière au versement d'une indemnité de 50.000 ç en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 26 juin 2006.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur l'absence de caractère distinctif des marques :

Considérant qu'aux termes de l'article L 711-1 du Code de la propriété intellectuelle, "la marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale" ;

Considérant qu'il est admis que le signe ne peut constituer une marque que s'il possède une aptitude à distinguer les produits ou services du titulaire de la marque de ceux de ses concurrents ;

Considérant qu'il est également constant que c'est à la date de la demande d'enregistrement que s'apprécie le caractère distinctif de la marque;

Considérant qu'en l'occurrence, il doit être observé que les marques semi-figuratives de la Société BIOGARAN ont été déposées pour désigner les :- "Produits pharmaceutiques à usage humain" (marque no 97 687 288) ;- "Produits pharmaceutiques, vétérinaires; produits hygiéniques pour les soins de la peau et à usage médical; substances diététiques à usage médical" (marque no 02 3 171 094) ;- "Produits pharmaceutiques, vétérinaires, substances diététiques à usage médical. Produits hygiéniques pour la médecine" (marques no 02 3 164 136, no 02 3 164 142, no 02 3 164 126) ;

Or considérant que l'examen des documents produits aux débats met en évidence que les signes déposés à titre de marque par la Société BIOGARAN sont aptes à désigner, non des produits pharmaceutiques tels que visés aux dépôts, mais des moments de la journée auxquels le médicament doit être pris ;

Considérant qu'au demeurant, les articles de la presse spécialisée vantant les qualités du conditionnement des Laboratoires BIOGARAN mettent l'accent sur les avantages de la zone destinée à faciliter le suivi du traitement, et constituée par "cinq cases permettant d'inscrire la posologie, la durée du traitement et à quel moment prendre le médicament" ;

Considérant que, d'ailleurs, dans sa brochure "Découvrez le nouveau conditionnement BIOGARAN", la société intimée fait elle-même la distinction entre d'une part les éléments permettant de "différencier facilement le médicament", en particulier la dénomination "BIOGARAN", d'autre part ceux ayant vocation à renseigner le patient sur les modalités de prise du médicament, et en particulier les pictogrammes en cause ;

Considérant qu'il s'en infère que ces derniers, tels que représentés

à la date du dépôt des marques litigieuses, sont uniquement destinés à favoriser l'observance du traitement et la sécurité du patient, et ne jouent aucun rôle distinctif vis-à-vis des produits de la société intimée ;

Considérant que, de surcroît, en vertu de l'article L 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, sont dépourvus de caractère distinctif :"b) les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service" ;

Considérant qu'en l'occurrence, il doit être rappelé que les pictogrammes qui sont l'objet du dépôt des marques no 97 687 288 et no 02 3 171 094 sont constitués d'un carré associé à un autre carré positionné au-dessus, de même taille mais vide ;

Considérant qu'il est constant que le petit carré vide, rempli par le pharmacien sur la base de la prescription du médecin, est exclusivement destiné à la posologie, que le Dictionnaire LAROUSSE définit ainsi : "quantité et rythme d'administration d'un médicament prescrit" ;

Considérant qu'il apparaît que ce petit cadre, associé aux termes "matin, midi, soir, durée, repas" et à leurs correspondants graphiques, sert à désigner des caractéristiques du produit pharmaceutique, c'est-à-dire sa fréquence d'utilisation et le moment de la journée où il doit être pris ;

Considérant que, dès lors, les marques susvisées de la Société BIOGARAN, en tant qu'elles ont vocation à renseigner le patient sur les modalités suivant lesquelles le produit pharmaceutique doit être

administré, ne revêtent pas un caractère distinctif au sens de la disposition légale précitée ;

Considérant qu'il résulte de l'article L 711-2 dernier alinéa du Code de la propriété intellectuelle qu'une marque, qui n'avait pas un caractère distinctif à la date de son dépôt, peut acquérir ce caractère distinctif par l'usage ;

Considérant que cette disposition est la traduction en droit national de l'article 6 quinquies C 1 de la Convention d'Union de Paris du 20 mars 1883, aux termes duquel :"Pour apprécier si la marque est susceptible de protection, on devra tenir compte de toutes les circonstances de fait, notamment de la durée de l'usage de la marque" ;

Considérant que, conformément à la jurisprudence communautaire, les preuves de l'acquisition du caractère distinctif par l'usage doivent être fondées sur un usage du signe en tant que marque ;

Considérant que, dans un arrêt du 22 juin 2006 (August Storck KG c/OHMI), la Cour de Justice des Communautés Européennes rappelle que : "l'expression "usage de la marque en tant que marque" doit être comprise comme se référant à un usage de la marque aux fins de l'identification par les milieux intéressés du produit ou du service comme provenant d'une entreprise déterminée..." ;

Considérant que, s'agissant de la définition des "milieux intéressés", le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes précise, dans son arrêt du 17 novembre 2005 (Biofarma c/ OHMI), qu'en matière de médicaments, "les comprimés étant à prendre par les patients à leur domicile, ceux-ci, en tant que consommateurs finaux, feront également partie du public pertinent, tout comme les pharmaciens, lesdits médicaments étant vendus dans leurs officines";

Considérant que cette définition du "public pertinent" est d'ailleurs admise par la Société BIOGARAN, laquelle, à propos du risque de

confusion, énonce que ce risque doit s'apprécier à l'égard tant des pharmaciens et personnels des officines de pharmacie que des consommateurs de médicaments génériques ;

Considérant que, pour conclure à l'acquisition, voire à l'accroissement, du caractère distinctif par l'usage, la société intimée se prévaut essentiellement des résultats de l'enquête diligentée par la Société A+A auprès d'un échantillon de deux cents pharmaciens, et ayant mis en évidence qu'une partie significative des pharmaciens interrogés attribue les pictogrammes litigieux aux Laboratoires BIOGARAN, soit un pourcentage de 68 % d'entre eux après cumul des "réponses spontanées" et des "réponses assistées" ;

Mais considérant qu'il est également démontré que la Société BIOGARAN a, depuis l'origine, communiqué auprès du grand public dans différentes revues, afin notamment de promouvoir la qualité de son conditionnement et le caractère fonctionnel de son "packaging" pris comme aide à l'observance du traitement ;

Considérant que, si les caractéristiques spécifiques de l'emballage de la société intimée ont valu à cette dernière d'être récompensée au moins à trois reprises, c'est, ainsi que le souligne la presse spécialisée, en raison du caractère "à la fois novateur, sûr et informatif" de ce conditionnement, "des pictogrammes étant placés de telle manière que le traitement prescrit par les médecins soit respecté, de sorte que les pharmaciens puissent délivrer en toute sécurité les médicaments, assurés de la bonne compréhension du patient" ;

Considérant que c'est d'ailleurs en ce sens qu'est principalement orientée la communication de la Société BIOGARAN auprès des utilisateurs potentiels de ses médicaments génériques, ainsi que le met en évidence le questionnaire qu'elle a établi en mars 2000 à l'intention des patients, et aux termes duquel elle interroge ces

derniers sur le rôle des pictogrammes pour leur sécurité ainsi que pour la compréhension et le suivi du traitement ;

Considérant qu'il est ainsi démontré que la publicité organisée en faveur du conditionnement BIOGARAN privilégie l'information des consommateurs finaux sur le "bon usage du médicament", dont l'emballage est utilisé "comme un vecteur fondamental du service rendu au client" ;

Considérant qu'il en résulte qu'au moins à l'égard de ce public pertinent, les éléments visuels des conditionnements litigieux ont vocation à assurer une aide informative à l'observance du traitement, davantage qu'à identifier l'origine des produits pharmaceutiques de la société intimée ;

Considérant que la preuve n'est donc pas rapportée que la Société BIOGARAN aurait fait une utilisation prolongée et non équivoque des pictogrammes litigieux à titre de marque, à l'effet de différencier ses propres produits de ceux de ses concurrents ;

Considérant que, dans la mesure où les cinq marques en cause, dépourvues de caractère distinctif à la date de leur dépôt, n'ont pas acquis ce caractère par l'usage, il convient, en infirmant le jugement déféré, de les déclarer nulles au sens des articles L 711-1 et L 711-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

Considérant que, dès lors que ces marques sont annulées pour défaut de caractère distinctif, la demande présentée par la Société SANDOZ, tendant à voir prononcer la déchéance de l'une d'entre elles, no 97 687 288, pour défaut d'usage sérieux pendant plus de cinq années à titre de marque, doit être déclarée sans objet ;

Considérant que, par ailleurs, les signes en cause n'étant pas susceptibles de protection par le droit de la propriété intellectuelle, les demandes présentées par la Société BIOGARAN du

chef de contrefaçon doivent être rejetées.

Sur la demande du chef de concurrence déloyale :

Considérant que, même dans l'hypothèse où un signe déposé à titre de marque est déclaré nul pour défaut de caractère distinctif, sa reproduction ou son imitation est néanmoins susceptible de constituer un acte de concurrence déloyale, si elle a été de nature à créer, dans l'esprit de la clientèle, une confusion préjudiciable à l'entreprise concurrente, ou si elle s'est accompagnée de manoeuvres parasitaires au détriment de cette dernière ;

Mais considérant qu'en l'occurrence, il résulte des documents produits aux débats, et en particulier du rapport établi en mai 2003, intitulé "Observatoire des Génériques", que, parmi les critères de choix d'un laboratoire de générique par les pharmaciens, la qualité du packaging n'intervient que de manière très marginale ;

Considérant que cette analyse rejoint les résultats de l'étude réalisée par la Société A+A, laquelle a mis en évidence que la zone présentant les pictogrammes ne constitue pas, pour la majorité des pharmaciens interrogés, un élément incitatif à la délivrance des médicaments de la gamme BIOGARAN ;

Considérant qu'au demeurant, les pharmaciens sont tenus précisément informés, par la presse spécialisée et par les visiteurs médicaux des laboratoires de génériques, des spécificités propres aux nouveaux produits offerts à la vente par ces derniers ;

Considérant qu'il s'ensuit que leur choix de référencer les produits BIOGARAN, plutôt que ceux d'un autre laboratoire, n'est pas prioritairement dicté par la présence des pictogrammes sur les boîtes des médicaments, laquelle n'est donc pas de nature à les induire en erreur sur l'origine du produit qui leur est proposé à l'achat ;

Considérant que l'existence d'un risque de confusion auprès des

patients apparaît également exclue, même si le consentement de ces derniers à la substitution du produit princeps doit être recueilli ;

Considérant qu'en effet, ainsi que le relève exactement la société appelante, il n'est pas usuel que le patient refuse la substitution du produit princeps par le générique qui lui est proposé, en indiquant n'accepter que le générique d'un autre laboratoire ;

Considérant qu'à supposer que son choix se porte exclusivement sur les pictogrammes des Laboratoires BIOGARAN, ce patient s'apercevra nécessairement que le médicament revêtu de la marque SANDOZ qui lui est proposé n'est pas celui recherché par lui ;

Considérant que, par ailleurs, il est acquis aux débats que la Société SANDOZ a effectué d'importants investissements publicitaires afin d'assurer la promotion de ses produits, et, dans une moindre mesure, du conditionnement de ses médicaments ;

Considérant qu'il ne peut donc lui être sérieusement fait grief de s'être placée dans le sillage de la société intimée pour faire l'économie des dépenses nécessaires à la diffusion de ses propres médicaments et de leur emballage ;

Considérant qu'au surplus, la Société BIOGARAN n'est pas fondée à reprocher à la partie adverse d'avoir ruiné les efforts consentis par elle pour tenter de se distinguer de ses concurrents, dès lors qu'il est jugé que les marques revendiquées par elle sont dépourvues de caractère distinctif ;

Considérant que, de surcroît, la société intimée ne démontre pas que le choix fait par la Société SANDOZ d'une "zone posologie" se rapprochant de celle utilisée par elle depuis 1997 aurait porté atteinte à l'image innovante qu'elle cherche à développer auprès de sa clientèle afin d'optimiser la promotion de l'ensemble des produits

de sa gamme ;

Considérant qu'au regard de ce qui précède, il convient, en infirmant également de ce chef la décision entreprise, de débouter la Société BIOGARAN de sa demande de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire.

Sur les demandes annexes :

Considérant que l'équité commande d'allouer à la Société SANDOZ une indemnité égale à 5.000 ç sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant qu'il n'est cependant pas inéquitable que la Société BIOGARAN conserve la charge des frais non compris dans les dépens exposés par elle dans le cadre de la présente instance ;

Considérant que la décision entreprise doit donc être infirmée en ce qu'elle a alloué une indemnité de procédure à la société intimée ;

Considérant que la Société BIOGARAN, dont les prétentions sont écartées, doit être condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.PAR CES MOTIFS

Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Déclare recevable l'appel interjeté par la Société SANDOZ, le dit bien fondé ;

Infirme le jugement déféré, et statuant à nouveau :

Déclare nulles les marques no 97 687 288, 02 3 171 094, 02 par la Société SANDOZ, le dit bien fondé ;

Infirme le jugement déféré, et statuant à nouveau :

Déclare nulles les marques no 97 687 288, 02 3 171 094, 02 3 164 136, 02 3 164 142 et 02 3 164 126, pour défaut de caractère distinctif ;

Déboute la Société BIOGARAN de ses demandes des chefs de contrefaçon et de concurrence déloyale ;

Dit que, par application de l'article R 714-3 du Code de la propriété intellectuelle, la présente décision d'annulation sera inscrite au Registre national des marques sur réquisition de la partie la plus diligente ;

Condamne la Société BIOGARAN à payer à la Société SANDOZ la somme de 5.000 ç sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Déboute la Société BIOGARAN de sa demande d'indemnité de procédure ;

Condamne la Société BIOGARAN aux entiers dépens de première instance et d'appel, et autorise Maître RICARD, Avoué, à recouvrer directement la part la concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Arrêt prononcé par Madame Françoise LAPORTE, président, et signé par Madame Françoise LAPORTE, président et par Madame Marie-Thérèse GENISSEL, greffier, présent lors du prononcé

Le GREFFIER,

Le PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : Ct0012
Numéro d'arrêt : 336
Date de la décision : 12/10/2006

Analyses

MARQUE DE FABRIQUE - Eléments constitutifs - Caractère distinctif

Dès lors que par leur stylisation, évoquant les motifs, respectivement accompagnés de mentions, les pictogrammes déposés à titre de marques semi-figuratives par un laboratoire pharmaceutique ne sont aptes qu'à favoriser l'observance du traitement par les patients et leur sécurité, et ne jouent aucun rôle distinctif des produits visés au dépôt, les marques déposées sont déclarées nulles


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Composition du Tribunal
Président : MME LAPORTE, Présidente

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2006-10-12;336 ?
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