COUR D'APPEL DE VERSAILLES 12ème chambre section 2 F.L./P.G. ARRET Nä Code nac : 39C contradictoire DU 17 JUIN 2004 R.G. N 03/00207 AFFAIRE : S.A. GALERIES LAFAYETTE C/ S.A. GENEDIS S.A. SCAMARK Société COOPERATIVE GROUPEMENTS D'ACHATS DES CENTRES LECLERC Décision déférée à la cour : d'un jugement rendu le 21 Octobre 2002 par le Tribunal de Grande Instance NANTERRE Nä de chambre : 2ème chambre RG nä :
01/03064 Expéditions exécutoires Expéditions délivrées le : à :
représentée par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD représentée par la SCP LEFEVRE TARDY & HONGRE BOYELDIEU Expédition : INPI pour transcription REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LE DIX SEPT JUIN DEUX MILLE QUATRE, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre : APPELANTES S.A. GALERIES LAFAYETTE ayant son siège ..., agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. S.A. LR MONOPRIX DISTRIBUTION ayant son siège ..., agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. représentées par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD, avoués. assistées de Me Jacques Y..., avocat au barreau de PARIS (L.222). ** ** ** ** ** ** ** ** INTIMEES S.A. GENEDIS ayant son siège ..., prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. S.A. SCAMARK ayant son siège ... LES MOULINEAUX, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. Société COOPERATIVE GROUPEMENTS D'ACHATS DES CENTRES LECLERC ayant son siège ... LES MOULINEAUX, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. APPELANTES INCIDEMMENT représentées par la SCP LEFEVRE TARDY & HONGRE BOYELDIEU, avoués.
assistées de Me Gilbert X..., avocat au barreau de PARIS (C.156). ** ** ** ** ** ** ** ** Composition de la cour : En application des dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 29 Avril 2004 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Denis COUPIN, Conseiller chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé de : Madame Françoise LAPORTE, Président, Monsieur Jean-François FEDOU, conseiller, Monsieur Denis COUPIN, conseiller, Greffier, lors des débats : Mme Marie-Thérèse GENISSEL, 5FAITS ET PROCEDURE : La SA DES GALERIES LAFAYETTE est titulaire d'une marque semi-figurative comprenant un dessin et la phrase "La France a du talent" déposée à l'Institut National de la Propriété Intellectuelle - INPI - le 21 février 1985 pour désigner les produits et services des classes 1 à 34 dont des articles alimentaires, qui a été enregistrée sous le numéro 130.0008 et renouvelé par déclaration enregistrée le 10 janvier 1995. La SA COOPERATIVE DES GROUPEMENTS D'ACHATS DES CENTRES LECLERC -GALEC- est pour sa part titulaire de deux marques nominatives Nos régions ont du talent" déposées respectivement les 05/11/1997 et 16/02/1998 enregistrées sous les numéros 97/702964 et 98/718244 dans les classes 16 et 35 et 3, 29 à 33dans d'une marque semi-figurative avec une carte de France entourée du slogan "nos régions ont du talent" déposée le 19 octobre 1998 et enregistrée nä 98/755017 au titre des classes 3, 16, 29 à 33 et 35 à 42 et enfin d'une marque nominative "nos vignerons ont du talent" déposée le 17 novembre 1998 et enregistrée sous le numéro 98/759677 visant les boissons alcooliques. Autorisée judiciairement, la société GALERIES LAFAYETTE a fait constater par huissier le 29 janvier 2001 l'utilisation dans les locaux de la SA GENEDIS à l'enseigne Leclerc d'étiquettes "nos régions ont du talent" et "nos vignerons ont du
talent" sur des produits fournis par la SA SCAMARK licenciée du GALEC. Puis arguant d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale à leur détriment, la société GALERIES LAFAYETTE et la SAS LR MONOPRIX DISTRIBUTION -LMTD- en tant qu'exploitante de la marque "la France a du talent" ont assigné celles-ci devant le tribunal de grande instance de NANTERRE aux fins d'obtenir leur cessation et la réparation de leur préjudice. Par jugement rendu le 21 octobre 2002, cette juridiction a dit que la société GALERIES LAFAYETTE n'avait pas encouru la déchéance de ses droits sur la marque nä 13.0008, rejeté les demandes de déchéance pour défaut d'exploitation et déceptivité ou tromperie, débouté les sociétés GALERIES LAFAYETTE et MONOPRIX de toutes leurs prétentions, alloué aux défenderesses une indemnité de 2.000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire et condamné in solidum les demanderesses aux dépens. Les sociétés GALERIES LAFAYETTE et LRMD ont relevé appel de cette décision. La première s'estime en droit de défendre son enregistrement en tous les éléments le composant en soulignant que l'expression "La France a du talent" est totalement originale et distinct au regard des produits qu'elle désigne. Elle prétend que la contrefaçon par imitation résulte des ressemblances visuelles, sonores et intellectuelle entre les trois marques en cause en affirmant que la responsabilité des intimées est aggravée puisqu'il s'agit de sociétés commerciales sur lesquelles pèsent une obligation de prudence et de renseignement qui agissent dans le même secteur que le sien et qu'elles disposent à l'évidence d'un service intègre de propriété industrielle. La société LRMD allègue la concurrence déloyale des intimées à son encontre puisqu'elles ont diffusé des produits directement substituables à un prix inférieur. Elles se réfèrent aux motifs du jugement au titre de la non déchéance de la marque "la France a du talent" en soulignant
que la partie verbale distinctive et extractible de la marque en constitue l'élément essentiel, en faisant état de son usage sérieux et en déniant que son utilisation puisse être qualifiée de déceptive ou trompeuse. Elles invoquent des importants préjudices par elles subis en considérant que les centres LECLERC ont causé une dilution de la marque et une perte de son pouvoir distinctif auprès de la clientèle et en évaluant le nombre d'exemplaires de catalogues contrefaisants à 10.800.000 et le préjudice commercial résultant de la vente des produits revêtus de la marque "nos vignerons ont du talent" sur la base d'une moyenne de 6.404 unités une valeur moyenne de 15.381 euros et une marge de 25 % environ et de la marque "nos régions ont du talent" par extrapolation en multipliant par 8,8 le préjudice précédent. La société LES GALERIES LAFAYETTE sollicite la condamnation du GALEC au versement au titre de l'imitation illicite, la somme de 18.300 euros pour chacune de ses cinq marques déposées et solidairement avec les sociétés SCAMARK et GENEDIS celle de 164.645 euros en réparation de la contrefaçon par reproduction sur catalogues. La société LRMD réclame la condamnation solidaire des intimées au paiement des sommes de 15.380 euros et de 1.353.491 euros en réparation des préjudices résultant de la commercialisation des produits sous les marques respectivement "nos vignerons ont du talent" et "nos régions ont du talent". Elles demandent aussi à la cour d'interdire aux sociétés GALEC, SCAMARK et GENEDIS de faire fabriquer, détenir, offrir, vendre, exporter, reproduire ou fabriquer sous quelques forme et support que ce soient les dénominations "nos régions ont du talent" ou "nos vignerons ont du talent" sous astreinte de 200 euros par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, d'ordonner la publication du "jugement" dans trois journaux ou magazines de leur choix aux frais des "défenderesses" dans la limite de 30.000 euros, l'entier débouté
des sociétés GALEC, SCAMARK et GENEDIS sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Les sociétés GENEDIS, SCAMARK et GALEC opposent que le graphisme de la marque "la France a du talent" évoquait l'univers de la mode féminine et en constituait l'élément essentiel et son non usage persistant par l'appelante depuis 1982. Elles font valoir que la société LES GALERIES LAFAYETTE tentent de s'arroger un monopole sur les déclinaisons de "Avons du talent". Elles objectent que la marque nä 130.0008 est globale et ne peut être dénaturée par extraction du slogan qui y est intégré en reprochant au tribunal d'avoir estimé que ce dernier était matériellement séparable et en déduisent que cela exclut tout grief de contrefaçon. Elles ajoutent qu'en toute hypothèse, il n'existe aucun risque de confusion, ni à fortiori déloyauté alors même que la situation de concurrence n'est pas établie en l'expèce, ni davantage de préjudice démontré. Elles considèrent que la société GALERIES LAFAYETTE n'ayant pas effectué l'usage requis de la marque encourt la déchéance édictée par l'article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle, même à supposer détachable le slogan de la marque semi figurative, celui-ci ayant été utilisée pendant seulement trois jours dans trois magasins et sur deux catalogues en 1999 et pas à titre de marque mais de simple support publicitaire. Elles soutiennent qu'en tout état de cause, la marque nä 130.0008 a fait l'objet d'une utilisation déceptive entrainant aussi la déchéance dans la mesure où elle a été employée pour des produits non français, importés ou d'appellations protégées non françaises établissant une utilisation trompeuse qui ne peut conduire qu'à la sanction prévue par l'article L 714-6 du code de la propriété intellectuelle. Elles concluent à la confirmation de la décision entreprise du chef du rejet des prétentions des appelantes fondées sur la contrefaçon et la concurrence déloyale. Elles forment appel incident pour obtenir la
déchéance de la marque 130.0008 à effet du 28 décembre 1996 en application de l'article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle et subsidiairement en vertu des articles L 711-3 et L 711-4 du même code pour les produits suivants : - Alcools - Apéritifs - Biscuiterie - Biscuits apéritifs - Cafés - Charcuterie - Cidres - Condiments - Confitures - Conserves de légumes - Conserves de poisson - Crémerie - Desserts laitiers - Fromages - Huiles - Pâtes - Plats préparés - Produits Gault et Millau - Produits laitiers - Riz - Thés - Viandes, volailles et gibiers sous vide - Vinaigres - Vin. Elles sollicitent, en raison de la gravité des tromperies, la publication de la décision à intervenir dans quatre quotidiens, trois hebdomadaires et dans LSA aux frais des appelantes dans la limite de 45.000 euros. Elles réclament enfin chacune une indemnité de 5.000 euros en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. MOTIFS DE LA DECISION : SUR LA DEMANDE DE DECHEANCE POUR NON USAGE :
Considérant qu'aux termes de l'article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de la loi du 04 janvier 1991, le titulaire d'une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période interrompue de cinq ans, sans justes motifs, il n'en a pas fait un usage sérieux pour les produits ou services visés dans l'enregistrement ; que toutefois, la déchéance ne peut être recherchée, si l'usage sérieux de la marque a été commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans, à moins qu'il n'ait été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire ait eu connaissance de l'éventualité de cette demande ; qu'il incombe au titulaire de la marque de rapporter la preuve de son exploitation ; considérant qu'en l'occurrence, la société LES GALERIES LAFAYETTE a été informée de l'introduction future de l'action en déchéance par lettre du mandataire du GALEC en date du 09 février 2001 et que cette prétention a été formulée par
conclusions du 12 septembre 2001 ; qu'il suit de là, que la période au cours de laquelle l'exploitation de la marque au sens du texte précité doit être intervenue est celle comprise entre le 28 décembre 1996 qui constitue le terme du délai de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 04 janvier 1991 et le 09 novembre 2000 date se situant trois mois avant l'annonce de l'action en déchéance ; Considérant que l'exploitation requise doit être effectuée à titre de marque et se révéler réelle et sérieuse, l'usage de la marque ne devant pas être symbolique ou sporadique ; considérant qu'il importe d'examiner exclusivement l'exploitation éventuelle de la marque nä 130.0008 telle qu'elle a été déposée, le 21 février 1985 et renouvelée le 10 janvier 1995 et conférant des droits à la société LES GALERIES LAFAYETTE antérieurement à l'assignation et non la nouvelle forme figurative totalement différente de la précédente résultant du renouvellement du 31 mai 2001 ; considérant que la marque complexe déposée en 1985 par la société LES GALERIES LAFAYETTE, grand magasin parisien, possède un graphisme tout à fait particulier représentant, enfermé dans un rectangle, le dessin d'un chapeau de type canotier tenu par trois doigts féminins recouverts de vernis et d'un visage féminin stylisé et maquillé et comportant en diagonale d'une dimension nettement moindre que celle du chapeau et apparaissant comme le bas de la tête, le slogan "la France a du talent" ; considérant que l'élément dominant de la marque en cause est le chapeau qui occupe la majeure partie de l'espace du rectangle, lequel à la forme d'une étiquette et qui évoque un "coup de chapeau", auquel procède une femme sophistiquée, ce qui renvoit à l'univers de l'élégance et de la mode féminine qui traduit bien l'image fréquente des Galeries Lafayette dans l'esprit de la clientèle tant française qu'étrangère ; considérant qu'il apparait ainsi que les motifs "la France a du
talent" sont totalement intégrés au graphisme dont ils s'avèrent indissociables puisqu'ils ne font que ponctuer, motiver et expliquer "le coup de chapeau" tandis que le dessin constitue la partie essentielle de la marque et son élément distinctif ; considérant que contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, le slogan "la France a du talent", n'a pas, en l'espèce, de caractère distinctif propre de la marque en question qui doit être appréciée telle qu'elle a été déposée en se plaçant à la date de son enregistrement indépendamment de l'usage qui a pu en être fait ensuite ; qu'il apparait que cette marque complexe, en 1985, renvoyait globalement au "chic parisien et français" mis en valeur dans les magasins des Galeries Lafayette et traduisait la volonté d'attirer une clientèle féminine autour de cette idée ; considérant qu'il est constant que les sociétés LES GALERIES LAFAYETTE et LRMD ne justifient d'aucune utilisation de la marque semi-figurative nä 130.0008 ; considérant dans ces conditions, que la déchéance doit dès lors être prononcée à effet au 28 décembre 1996, en infirmant le jugement déféré. SUR LES AUTRES PRETENTIONS DES PARTIES : Considérant qu'eu égard à la déchéance, les appelantes doivent être déboutées de toutes leurs demandes au titre de contrefaçon et de la concurrence déloyale qui étaient fondées sur les droits conférés par la marque nä 130.0008 ; considérant qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la publication dans la presse du présent arrêt ; considérant que l'équité commande d'accorder à chacune des sociétés intimées une indemnité de 3.000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; considérant que les sociétés appelantes qui succombent en toutes leurs prétentions, supporteront les dépens des deux instances. PAR CES MOTIFS Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau, PRONONCE la déchéance de la marque nä 130.0008 déposée et renouvelée par la SA
LES GALERIES LAFAYETTE, en application de l'article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle à effet au 28 décembre 1996, ORDONNE la notification de cette décision au Directeur de l'INPI aux fins de transcription, DEBOUTE la SA LES GALERIES LAFAYETTE et la SAS LR MONOPRIX DISTRIBUTION de toutes leurs prétentions, DIT n'y avoir lieu à publication du présent arrêt, LES CONDAMNE in solidum à verser à chacune des sociétés intimées une indemnité de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, LES CONDAMNE aux dépens des deux instances et AUTORISE la SCP LEFEVRE-TARDY & HONGRE-BOYELDIEU, avoués, à recouvrer ceux d'appel conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. Arrêt prononcé par Madame Françoise LAPORTE, Président, et signé par Madame Françoise LAPORTE, Président et par Mme Marie-Thérèse GENISSEL, greffier présent lors du prononcé Le GREFFIER,
Le PRESIDENT, 0 Arrêt 2003-00207 1 17 juin 2004 2 CA Versailles 3 12 B Présidence : Mme F. LAPORTE, Conseillers : M. J-F Fedou, M. D. Coupin 4 1) Marque de fabrique, Perte, Déchéance, Défaut d'exploitation, Reprise, Durée, Modalités de décompte 2) Marque de fabrique, Protection, Etendue, Marque complexe, Elément dissocié, Condition// 1) Il résulte des dispositions de l'article L 714-5 alinéa 4 du Code de la propriété intellectuelle que lorsque le titulaire d'une marque a été informé de l'introduction future d'une action en déchéance, la période au cours de laquelle l'exploitation de la marque doit avoir été effective - commencement ou reprise - se situe nécessairement entre le terme du délai de déchéance quinquennal et la date du courrier l'en informant, diminuée de trois mois. 2) Dans une marque complexe représentant, insérés dans un rectangle en forme d'étiquette, les images d'un chapeau tenus par trois doigts féminins aux ongles vernis et un visage féminin stylisé et maquillé et, en diagonale, la mention de moindre dimension " La
France a du talent ", dès lors que la représentation symbolique d'un hommage rendu par une femme sophistiquée constitue l'élément dominant et distinctif auquel le slogan donne son sens, aucun caractère distinctif propre de la marque ne saurait être attribué à ce motif qui ne peut en être dissocié pour apprécier de l'usage qui a pu en être fait.