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27/03/2003 | FRANCE | N°2001-3381

France | France, Cour d'appel de Versailles, 27 mars 2003, 2001-3381


La SA d'Habitations à Loyer Modéré d'Eure et Loir, devenue la société EURE ET LOIR HABITAT, a embauché : Gilles X..., Laurent HERIN, et André BILLAUD en qualité d'employés d'immeuble, leur travail consistant, au sein d'ensembles immobiliers propriété de la société EURE ET LOIR HABITAT, à assurer les services généraux suivants :

entretien des espaces verts,

entretien de propreté des parties communes et des espaces libres,

service des ordures ménagères,

exécution de petites réparations,

surveillance générale des ensembles immobiliers

,

surveillance des installations de chauffage,

tâches administratives. Les contrats de travail a...

La SA d'Habitations à Loyer Modéré d'Eure et Loir, devenue la société EURE ET LOIR HABITAT, a embauché : Gilles X..., Laurent HERIN, et André BILLAUD en qualité d'employés d'immeuble, leur travail consistant, au sein d'ensembles immobiliers propriété de la société EURE ET LOIR HABITAT, à assurer les services généraux suivants :

entretien des espaces verts,

entretien de propreté des parties communes et des espaces libres,

service des ordures ménagères,

exécution de petites réparations,

surveillance générale des ensembles immobiliers,

surveillance des installations de chauffage,

tâches administratives. Les contrats de travail ainsi conclus ont prévu que pour l'exécution de telles fonctions les salariés devaient obligatoirement résider sur place dans les ensembles immobiliers et à cet effet la société EURE ET LOIR HABITAT a donné en location à chacun des salariés un logement moyennant le versement d'un loyer soumis aux dispositions légales et réglementaires régissant les habitations à loyer modéré outre le paiement des charges locatives. [*

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*] Les trois salariés ont saisi le Conseil de Prud'hommes de Chartres le 22 mai 2000 d'une demande dirigée contre la société EURE ET LOIR HABITAT tendant à voir ordonner la suppression dans leurs contrats de travail de la clause les obligeant à résider sur leur lieu de travail et aux fins d'obtenir le paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'obligation d'exécuter cette clause illégale. L'Union Locale CFDT s'est associée à cette action en

justice en invoquant la défense des intérêts des salariés et l'intérêt collectif de la profession. Après jonction des instances, le Conseil de Prud'hommes, statuant en formation de départage, par jugement en date du 9 juillet 2001, a débouté les salariés et l'Union Locale CFDT de leurs demandes, laissant à chaque partie la charge des dépens par elle exposés. Gilles X..., Laurent HERIN, André BILLAUD et l'Union Locale CFDT ont régulièrement relevé appel de cette décision. Reprenant leur argumentation initiale et en se fondant d'une part sur les dispositions de l'article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales disposant que " toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance " et imposant dès lors le libre choix du domicile personnel et familial et d'autre part sur les dispositions de l'article L.120-2 du Code du travail rappelant que " nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ", les salariés ont demandé à la Cour de réformer le jugement déféré et de déclarer nulle et de nul effet la clause contractuelle d'obligation de résidence sur le lieu de travail. Ils ont fait en outre valoir qu'étant tous employés d'immeuble leurs tâches ne nécessitaient nullement leur présence permanente sur leur lieu de travail alors par ailleurs que la société EURE ET LOIR HABITAT a reconnu qu'ils n'avaient aucune obligation d'astreinte. Estimant enfin que la société EURE ET LOIR HABITAT en leur imposant une obligation en violation de la législation sociale leur avait occasionné un préjudice, les salariés ont demandé la condamnation de leur employeur au paiement à chacun d'une somme de 7 622 euros à titre de dommages et intérêts. L'Union Locale CFDT, estimant recevable son action en application de l'article L.411-11 du

Code du travail, a sollicité également la condamnation de la société EURE ET LOIR HABITAT au paiement d'une somme de 7 622 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi. Enfin, les appelants ont sollicité chacun l'indemnisation de leurs frais de procédure à hauteur de la somme de 1 500 euros. La société EURE ET LOIR HABITAT a conclu à la confirmation du jugement déféré. Elle a fait valoir que les salariés avaient donné leur consentement libre et éclairé lorsqu'ils avaient accepté l'emploi proposé leur imposant une obligation de résidence. Elle a fait observer en outre que cette obligation de résidence sur le lieu de travail n'imposait pas aux salariés l'obligation d'y demeurer en permanence puisque, n'étant pas soumis à un régime d'astreinte, ils n'étaient pas tenus de rester à la disposition permanente de leur employeur. Enfin la société EURE ET LOIR HABITAT a fait valoir que l'obligation de résidence sur place qui est de l'essence des fonctions attribuées aux salariés était valable au regard du droit interne et du droit européen et respectait les principes de proportionnalité voulus par la Jurisprudence. Estimant que la procédure engagée et maintenue par les salariés était non seulement injustifiée mais manifestement abusive et vexatoire, la société EURE ET LOIR HABITAT a sollicité la condamnation de chacun au paiement des sommes de 7 622 euros à titre de dommages et intérêts et de 762,25 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Enfin la société EURE ET LOIR HABITAT a demandé à la Cour de déclarer irrecevable l'action engagée par l'Union Locale CFDT dès lors que l'action fondée sur l'atteinte à la vie privée n'est pas ouverte à un syndicat chargé de la défense des intérêts de la profession. Elle a sollicité la condamnation de l'Union Locale CFDT au paiement des sommes de 7 622,45 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 762,24 euros au titre des frais de procédure exposés. SUR QUOI / LA COUR 1-

En la forme Considérant qu'il convient tout d'abord d'ordonner la jonction des instances d'appel sous le seul nä 01/03381 en raison de la connexité existant entre les instances opposant messieurs X..., HERIN et BILLAUD à la société EURE ET LOIR HABITAT et l'Union Locale CFDT à cette même société employeur des trois salariés ; 2-

sur le fond du litige Considérant que le litige soulevant une question de principe relative à l'obligation pour les employés d'immeuble de résider sur leur lieu de travail, l'intervention de l'Union Locale CFDT est recevable au sens des dispositions de l'article L.411-11 du Code du travail ; Considérant que l'article L.771-1 du Code du travail définit les concierges et employés d'immeuble à usage d'habitation comme " toutes personnes salariées par le propriétaire ä..et qui, logeant dans l'immeuble au titre d'accessoire du contrat de travail, sont chargées d'assurer sa garde, sa surveillance et son entretien ou une partie de ces fonctions " ; Considérant que la convention collective nationales des personnels des sociétés anonymes et Fondations d'Habitations à Loyer Modéré a défini plusieurs catégories de personnel préposés à la surveillance et à l'entretien ménager des immeubles à usage d'habitation :

le personnel de gardiennage seul susceptible de se voir attribuer un logement de fonction, le personnel de contrôle et de surveillance, le personnel d'immeuble comprenant les employés d'immeuble (catégorie 6) chargés des tâches matérielles afférentes à l'entretien d'ensembles immobiliers et les hommes et femmes de ménage (catégorie 7) chargés uniquement des travaux de nettoyage,

le personnel de sécurité, Considérant au cas présent que la société EURE ET LOIR HABITAT a embauché messieurs X..., HERIN et BILLAUD en qualité d'employés d'immeuble travaillant dans un cadre horaire déterminé (42 heures au départ selon un horaire fixé pour chaque jour de la semaine) pour assurer l'ensemble des tâches du personnel

préposé à la surveillance et à l'entretien ménager des immeubles à usage d'habitation (tâches administratives, surveillance générale des immeubles et des installations, entretien des espaces verts et des parties communes, services des ordures ménagères) ; Considérant que pour assurer l'ensemble de ces fonctions, la société EURE ET LOIR HABITAT a imposé aux employés d'immeuble de résider sur leur lieu de travail dans des logements faisant l'objet de contrats de location distincts des contrats de travail et ne constituant pas des avantages en nature tels que les logements de fonction habituellement mis gratuitement à la disposition des gardiens d'immeuble ; Considérant que tout en excluant les employés d'immeuble du service de l'astreinte, la société EURE ET LOIR HABITAT, par la clause contractuelle d'obligation de résidence sur le lieu de travail, a imposé à ses salariés de poursuivre postérieurement aux horaires de travail la surveillance générale des ensembles immobiliers dans le but de garantir la sécurité et la convivialité des lieux mis à la disposition des locataires, sans pour autant accorder à ces salariés des avantages complémentaires (à l'exception de réductions portant sur certaines charges) ; Considérant dans de telles conditions que la clause restreignant la liberté de choix du domicile personnel et familial des employés d'immeuble, si elle présente une utilité et un intérêt pour la société EURE ET LOIR HABITAT n'est par contre ni indispensable à la protection de ses intérêts légitimes ni proportionnée au but recherché au sens des dispositions de l'article L.120-2 du Code du travail, de l'article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales et plus généralement du Protocole additionnel nä4 à la Convention qui, dans son article 2 dispose que " quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence " ; Qu'en effet, les

salariés peuvent exécuter les tâches confiées aux heures fixées tout en résidant à l'extérieur de leur lieu de travail dès lors qu'ils ne sont astreints à aucune permanence sur place à la disposition de leur employeur ; Qu'en outre la société EURE ET LOIR HABITAT dispose toujours de la possibilité d'engager des gardiens d'immeuble logés sur leur lieu de travail aux conditions prévues par la convention collective en ce qui concerne la spécificité des tâches confiées et la rémunération des astreintes; Considérant en conséquence qu'il convient de déclarer nulle et de nul effet la clause d'obligation de résidence sur le lieu de travail incluse dans les contrats de travail d'employés d'immeuble liant les trois salariés à la société EURE ET LOIR HABITAT ; Considérant que ni les salariés ni l'Union Locale CFDT n'ont justifié d'un préjudice en relation avec l'application de la clause litigieuse ; qu'ainsi leurs demandes en paiement de dommages et intérêts sont rejetées ; Considérant qu'il convient d'accorder à chacun des appelants la somme de 600 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; PAR CES MOTIFS La Cour, statuant publiquement et contradictoirement, INFIRME le jugement rendu le 9 juillet 2001 par le Conseil de Prud'hommes de Chartres, ORDONNE la jonction des instances enrôlées sous les numéros 01/03381, 01/03382, 01/03383 et 01/03384 sous le seul numéro 01/03381, DECLARE recevable l'action engagée par l'Union Locale CFDT sur le fondement de l'article L.411-11 du Code du travail, DECLARE nulle et de nul effet la clause d'obligation de résidence sur le lieu de travail incluse dans chacun des contrats de travail d'employés d'immeuble liant messieurs Gilles X..., Laurent HERIN et André BILLAUD à la société EURE ET LOIR HABITAT ; CONDAMNE la société EURE ET LOIR HABITAT à payer à chacun des appelants la somme de 600 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, DEBOUTE les parties de toutes autres demandes, CONDAMNE la

société EURE ET LOIR HABITAT aux entiers dépens. ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRÊT, MONSIEUR LIMOUJOUX, PRESIDENT ET MADAME DELTOMBE-BOURSE, GREFFIER. LE GREFFIER

LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 2001-3381
Date de la décision : 27/03/2003

Analyses

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Employeur - Pouvoir de direction - Etendue - Restrictions aux libertés individuelles - /JDF

Au sens des articles L 120-2 du Code du travail et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamental- es et, plus largement, au regard des dispositions de l'article 2 du Protocole additionnel n° 4 à la Convention, relatives à la liberté de circulation et d'établissement sur le territoire d'un Etat, la validité de la clause de résidence incluse dans un contrat de travail suppose que l'atteinte portée à la liberté de choix du domicile personnel et familial du salarié soit justifiée par le travail à accomplir et reste proportionnelle au but recherché. Tel n'est pas le cas de l'obligation contractuelle faite à un employé d'immeuble d'une société d'H.L.M de résider sur son lieu de travail, alors que cette obligation ne donne lieu à aucun avantage en nature, le logement faisant ici l'objet d'un contrat de bail distinct du contrat de travail


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2003-03-27;2001.3381 ?
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