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05/12/2002 | FRANCE | N°JURITEXT000006941382

France | France, Cour d'appel de Versailles, 05 décembre 2002, JURITEXT000006941382


Pour la réalisation de documents promotionnels de sa saison 1995/1996, le THEATRE DE SAINT-QUENTIN EN YVELINES a eu recours aux services de Madame Catherine X..., graphiste indépendante. Madame X... a réalisé l'ensemble des documents afférents à la promotion des spectacles de danse donnés par la troupe COMPANIA NACIONAL DE DANZA DE ESPANA "NACHO DUATO", les 27, 28, 30 septembre et 1er octobre 1995. La commande correspondante portait sur la conception graphique des éléments suivants : une affiche (40 x 60), un carton d'invitation trois volets, une chemise de presse et un tract trois vo

lets recto-verso. Ce travail a fait l'objet de la comman...

Pour la réalisation de documents promotionnels de sa saison 1995/1996, le THEATRE DE SAINT-QUENTIN EN YVELINES a eu recours aux services de Madame Catherine X..., graphiste indépendante. Madame X... a réalisé l'ensemble des documents afférents à la promotion des spectacles de danse donnés par la troupe COMPANIA NACIONAL DE DANZA DE ESPANA "NACHO DUATO", les 27, 28, 30 septembre et 1er octobre 1995. La commande correspondante portait sur la conception graphique des éléments suivants : une affiche (40 x 60), un carton d'invitation trois volets, une chemise de presse et un tract trois volets recto-verso. Ce travail a fait l'objet de la commande nä 20/073 du 21 avril 1995 et a donné lieu à l'émission d'une facture en date du 28 mai 1995 d'un montant TTC de 18976 F (2.892,87 ). Le THEATRE DE SAINT-QUENTIN EN YVELINES n'a pas fait appel à Madame X... pour l'élaboration de la ligne de la saison suivante, laquelle a été confiée à la SARL EQUINOX. Au motif que des similitudes existaient entre l'ensemble des documents promotionnels créés par elle et ceux conçus pour la saison 1996/1997 par la Société EQUINOX, Madame Catherine X... a, par actes des 20 mars et 06 avril 1998, assigné le THEATRE DE SAINT-QUENTIN EN YVELINES et la SARL EQUINOX en contrefaçon sur le fondement des articles L 335-2 et L 335-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, et en concurrence déloyale par application des articles 1382 et 1383 du Code Civil. Par jugement du 2 mai 2000, le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES a débouté Madame X... de l'ensemble de ses demandes, l'a condamnée à payer à chacun des défendeurs la somme de 10.000 F (1.524,49 ) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, et a rejeté la demande reconventionnelle en dommages-intérêts présentée par le THEATRE DE SAINT-QUENTIN EN YVELINES. Madame Catherine X... a interjeté appel de cette décision. Elle fait valoir que la reprise d'éléments provenant d'une oeuvre préexistante

n'exclut pas de reconnaître l'originalité et le caractère protégeable d'une oeuvre, lorsque celle-ci porte la marque de la personnalité de son auteur et manifeste la créativité du graphiste. Elle relève que les documents litigieux portent manifestement l'empreinte de ses créations, ce qui résulte notamment de l'homogénéité constatée avec ceux imaginés pour la ligne de saison. Elle se prévaut de la reprise à l'identique de tous ces éléments, lesquels peuvent présenter une certaine banalité lorsqu'ils sont utilisés séparément, mais qui, reproduits systématiquement et de la même manière, créent un risque de confusion. Elle allègue que c'est à tort que le Tribunal a considéré que les ressemblances existant entre les documents élaborés par Madame X... et ceux créés par la Société EQUINOX résultaient des exigences de la Compagnie Nationale de Danse Espagnole, et en particulier du style très original des photographies de Carlos CORTES. Elle réitère que la contrefaçon s'apprécie par les ressemblances et est constituée dès lors que, comme c'est le cas en l'espèce, les caractéristiques essentielles de l'oeuvre protégée sont reproduites. Par voie de conséquence, Madame X... demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, et, à titre principal, de : - constater la contrefaçon commise à son préjudice par le THEATRE DE SAINT-QUENTIN EN YVELINES et par la Société EQUINOX ; - condamner in solidum le THEATRE DE SAINT-QUENTIN EN YVELINES et la Société EQUINOX au paiement de la somme de 60.000 F (9.146,94 ) à titre de dommages-intérêts, outre les intérêts au taux légal à compter du 06 avril 1998 ; - ordonner la publication de l'arrêt à intervenir sur trois supports au choix de l'appelante ; - condamner in solidum les intimés au paiement de la somme de 75.000 F (11.433,68 ) au titre des frais de publication. A titre subsidiaire, elle sollicite la condamnation in solidum du THEATRE DE SAINT-QUENTIN EN YVELINES et de la Société EQUINOX à lui payer les mêmes indemnités, sur le fondement

de la concurrence déloyale, compte tenu des risques de confusion avérés existant entre son oeuvre et celle diffusée sous la signature de la Société EQUINOX. Elle réclame en outre à chacun des intimés la somme de 20.000 F (3048,98 ) en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Le THEATRE DE SAINT-QUENTIN EN YVELINES conclut à la confirmation du jugement. Il conteste qu'il y ait eu contrefaçon par emprunt d'un quelconque élément constitutif des documents de la campagne 95/96. A cet égard, il relève que la simple idée de traiter des photos en sépia n'est pas protégeable en soi, que les polices des caractères utilisés sont disponibles dans tout logiciel de composition graphique, que l'ordre des rubriques sur la plaquette de présentation du spectacle est tout à fait banal, que le type de papier est couramment utilisé pour ce genre de travail, et que le pliage identique de la plaquette en trois volets repose sur un choix du THEATRE. Il soutient que les ressemblances entre les documents litigieux sont la conséquence des exigences de la Compagnie NACHO DUATO, laquelle les a imposées au THEATRE, qui les a lui-mêmes retranscrites à Madame X.... Il relève que les photographies ont été choisies par la Compagnie Nationale de Danse Espagnole, et que tous les documents publicitaires ont été révisés par celle-ci conformément aux stipulations contractuelles qui la liait au THEATRE DE SAINT-QUENTIN EN YVELINES, de telle sorte que l'appelante ne saurait prétendre à un quelconque droit d'auteur sur les photographies ainsi que sur les autres éléments précités. Il en déduit qu'à défaut de reproduction de l'oeuvre de la partie adverse, la contrefaçon ne saurait être retenue. Il ajoute que Madame X... ne précise pas sur quels éléments précis elle fonde son action en concurrence déloyale. Il sollicite en outre la condamnation de l'appelante à lui verser les sommes de 1.500 pour manquement à son obligation contractuelle de garantie de jouissance paisible du

travail fourni en vertu de la commande qui lui a été consentie et de 1.500 sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. La Société OMEDIA (anciennement dénommée EQUINOX) conclut également à la confirmation du jugement. Elle allègue que Madame X... ne peut prétendre à aucun droit sur les photographies fournies et imposées par le Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines et par la Compagnie Nationale de Danse espagnole, et que les documents ont été réalisés par EQUINOX, non pas en teinte "sépia", mais en teinte "violine". Elle explique que la photogravure et la photocomposition ont été traitées par des entreprises tierces, et que le style et l'esprit des documents litigieux sont tirés de ceux fournis par le THEATRE, qui les détenait lui-même de la Compagnie NACHO DUATO. Elle en déduit que l'appelante ne peut revendiquer être l'auteur de ces documents lesquels, de par la multiplicité des intervenants, constituent une oeuvre collective. Elle ajoute qu'en tout état de cause, les similitudes ne proviennent que des instructions données par la Compagnie Nationale de Danse Espagnole ainsi que du style très original des photos de Carlos CORTES. A titre subsidiaire, elle relève que l'appelante ne peut valablement invoquer un préjudice, alors qu'elle ne dispose d'aucun droit sur son oeuvre et alors que ses prestations ont revêtu une très faible importance. Elle précise que l'utilisation par elle des éléments imposés par le Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines et par la Compagnie Nationale de Danse NACHO DUATO ne peut fonder l'action en concurrence déloyale. Elle sollicite en outre la condamnation de Madame X... au paiement de la somme de 3.049 sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. L'ordonnance de clôture a été prononcée le 13 juin 2002. MOTIFS DE LA DECISION : SUR LA PRETENDUE CONTREFAOEON :

Considérant qu'en application de l'article L 112-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, les oeuvres graphiques et

typographiques sont considérées comme oeuvres de l'esprit, dont la protection est assurée à condition qu'elles soient originales ; Considérant qu'il est admis que la protection peut recouvrir la mise en page ou encore la composition ou la présentation du document sur lequel des droits sont revendiqués, si ces éléments reflètent la personnalité de son auteur ; Considérant qu'en premier lieu en ce qui concerne les photographies et les polices de caractère, Madame X... soutient que les documents conçus par elle portent l'empreinte de ses propres créations, notamment au regard de l'homogénéité constatée avec ceux créés par elle pour la ligne de saison ; Mais considérant qu'il doit être rappelé que les photographies sont l'oeuvre de l'artiste Carlos CORTES et constituent l'un des éléments essentiels des campagnes de promotion du spectacle de la Compagnie Nationale de Danse espagnole ; Considérant que, si l'appelante a décidé de soumettre les clichés noir et blanc à un travail de photogravure afin de leur donner une autre teinte, le choix fait par elle de la couleur sépia ne revêt pas en soi un caractère original de nature à justifier la protection revendiquée par elle ; Considérant que la même observation doit être faite relativement à la typographie, dans la mesure où il n'est pas contesté que les polices utilisées respectivement par Madame X... et par la Société EQUINOX (désormais OMEDIA) sont disponibles dans tout logiciel de composition graphique ainsi que dans tout traitement de texte ; Considérant que l'appelante ne rapporte pas la preuve des modifications apportées à la police utilisée en ce qui concerne l'affiche du spectacle, et pas davantage du caractère original de ces modifications; Considérant qu'en second lieu en ce qui concerne la composition de la plaquette de présentation, le papier employé "Job Ivoire 170 gr" et le pliage, Madame X... allègue que la reprise systématique de ces éléments par la Société OMEDIA a créé un risque

de confusion constitutive de contrefaçon ; Mais considérant qu'il convient de relever que la plaquette litigieuse comporte en page 1 une reprise de l'affiche, en page 2 une photographie pleine page en noir et blanc, en page 3 le programme, en page 4 le bulletin de commande des places, en page 5 la critique et en page 6 les conditions de location de réservation ainsi qu'un schéma d'accès au théâtre ; Considérant qu'il apparaît que l'ordre des rubriques, qui est des plus banal pour une plaquette de présentation d'un spectacle, ne constitue nullement un élément d'originalité au sens de la propriété intellectuelle ; Considérant qu'il en va de même s'agissant du choix du papier, alors que le papier de couleur ivoire n'est pas différent de celui utilisé antérieurement (notamment lors de la campagne 1994/1995) par le THEATRE DE SAINT-QUENTIN EN YVELINES, et alors que ce type de papier n'est pas en soi protégeable par le droit d'auteur ; Considérant qu'il ne saurait en être autrement à propos du pliage identique de la plaquette en trois volets, dans la mesure où un tel pliage correspond uniquement à un objectif d'ordre fonctionnel recherché par le Théâtre lui-même ; Considérant qu'en définitive, Madame X... se prévaut à tort de droits sur les différents éléments susvisés, dès lors que ces éléments ont principalement servi de support aux photographies fournies par le Théâtre et réalisées par le photographe Carlos CORTES ; Considérant qu'il y a lieu également de souligner qu'en l'occurrence, la liberté de composition revendiquée par l'appelante s'est trouvée nécessairement restreinte, d'une part en raison du cahier des charges issu de la convention conclue pour la campagne 1995/1996 entre la compagnie théâtrale et la troupe espagnole, d'autre part par suite de l'intervention de tiers, spécialement de la Société TEXT'A, laquelle s'était vu confier la ligne graphique et la photocomposition ; Considérant qu'il suit de là qu'à défaut de porter l'empreinte de la personnalité de leur auteur,

les éléments de ressemblance susceptibles d'être relevés entre les documents conçus par Madame X... et ceux établis l'année suivante par la Société EQUINOX (OMEDIA), ne peuvent justifier une protection en tant qu'oeuvres de l'esprit ; Considérant que, par ailleurs, il existe entre les documents des deux campagnes 1995/1996 et 1996/1997 des différences manifestes dans les autres éléments sur lesquels l'appelante pourrait revendiquer des droits, en particulier dans l'emplacement des photographies et des textes (lesquels n'occupent pas le même espace), et dans l'arrangement ou la composition des pages de ces documents ; Considérant que le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté Madame X... de l'ensemble de ses demandes du chef de contrefaçon. SUR LA PRETENDUE CONCURRENCE DELOYALE : Considérant qu'à titre subsidiaire, Madame X... fait valoir que ses demandes sont justifiées sur le fondement de la concurrence déloyale, compte tenu des risques de confusion avérés existant entre son oeuvre et celle diffusée sous la signature de la Société EQUINOX (OMEDIA) ; Mais considérant que l'appelante n'invoque aucun fait fautif distinct de ceux allégués par elle au soutien de son action en contrefaçon ; Considérant qu'elle ne produit aucun document établissant que la Société OMEDIA se serait livrée à son détriment à des agissements constitutifs d'une captation ou même seulement d'une tentative de détournement de clientèle ; Considérant que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont écarté sa prétention de ce chef. SUR LES DEMANDES COMPLEMENTAIRES ET ANNEXES : Considérant que la demande de dommages-intérêts présentée par le THEATRE DE SAINT-QUENTIN EN YVELINES pour "violation des garanties dues par Madame X..." doit s'analyser en une demande d'indemnisation du préjudice que cette compagnie théâtrale a prétendument subi par suite de la procédure dont l'appelante a pris l'initiative ; Considérant que, toutefois, dès lors que cette action

ne caractérise pas un abus de droit d'ester en justice, la prétention formulée de ce chef par le THEATRE doit être écartée ; Considérant que l'équité commande d'allouer à chacun des intimés une indemnité complémentaire de 1.000 par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Considérant qu'il n'est en revanche pas inéquitable que l'appelante conserve la charge des frais non compris dans les dépens exposés par elle dans le cadre de la présente instance ; Considérant que Madame X..., qui a été à juste titre condamnée aux dépens de première instance, doit en outre supporter les dépens d'appel. PAR CES MOTIFS La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, DECLARE recevable l'appel interjeté par Madame X..., le dit mal fondé ; CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré ; Y ajoutant : CONDAMNE Madame Catherine X... à payer au THEATRE DE SAINT-QUENTIN EN YVELINES et à la Société OMEDIA, pour chacun d'eux, la somme complémentaire de 1.000 sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; DEBOUTE le THEATRE DE SAINT-QUENTIN EN YVELINES de sa demande de dommages-intérêts ; CONDAMNE Madame Catherine X... aux dépens d'appel, et AUTORISE d'une part la SCP KEIME etamp; GUTTIN, d'autre part la SCP JULLIEN-LECHARNY-ROL, Sociétés d'Avoués, à recouvrer directement la part les concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. ARRET REDIGE PAR MONSIEUR FEDOU, CONSEILLER PRONONCE PAR MADAME LAPORTE, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET

LE GREFFIER FAISANT FONCTION

LE PRESIDENT QUI A ASSISTE AU PRONONCE CH. BOUCHILLOU

FRANOEOISE LAPORTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006941382
Date de la décision : 05/12/2002

Analyses

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE - Droit d'auteur - Protection - Conditions - Originalité - Création exprimant la personnalité de l'auteur

Si les oeuvres graphiques et typographiques constituent des oeuvres de l'esprit en vertu de l'article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle, leur protection reste subordonnée à leur caractère d'originalité. Dès lors que le choix de traiter en sépia des clichés noir et blanc ne revêt pas en soi un caractère original, et pas davantage, celui d'opter pour une police disponible dans tout logiciel de composition graphique, que l'utilisation d'un modèle de papier donné et précédemment utilisé, lequel n'est pas protégeable en soi et le fait de le plier en forme de brochure à trois volets, selon des impératifs fonctionnels fixés par le client, ne sont pas non plus de nature à refléter l'empreinte de la personnalité de l'auteur de la brochure, l'existence de ressemblances entre des programmes de spectacles conçus par des auteurs différents à l'occasion de saisons différentes, ne justifient pas la protection en tant qu'oeuvre de l'esprit d'un tel document au regard de l'autre, faute d'originalité


Références :

Code de la propriété intellectuelle, L 112-2

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2002-12-05;juritext000006941382 ?
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