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05/12/2002 | FRANCE | N°2001-1203

France | France, Cour d'appel de Versailles, 05 décembre 2002, 2001-1203


Le Groupe SEDRI est à l'origine un groupe de sociétés (incluant notamment la société SEDRI, (SOCIÉTÉ D'ETUDE DE DÉVELOPPEMENT ET DE RECHERCHE INDUSTRIELLE) spécialisées dans la production de relais télématiques installés chez des commerçants, assurant la diffusion d'informations de toutes natures et essentiellement publicitaires. Au cours du mois d'avril 1989, Monsieur Patrick DEFORT, Président Directeur Général de la société SEDRI, s'est mis en rapport avec la société FINANCIERE INDOSUEZ (filiale à 100 % de la BANQUE INDOSUEZ) en vue de la constitution d'une holding deva

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Le Groupe SEDRI est à l'origine un groupe de sociétés (incluant notamment la société SEDRI, (SOCIÉTÉ D'ETUDE DE DÉVELOPPEMENT ET DE RECHERCHE INDUSTRIELLE) spécialisées dans la production de relais télématiques installés chez des commerçants, assurant la diffusion d'informations de toutes natures et essentiellement publicitaires. Au cours du mois d'avril 1989, Monsieur Patrick DEFORT, Président Directeur Général de la société SEDRI, s'est mis en rapport avec la société FINANCIERE INDOSUEZ (filiale à 100 % de la BANQUE INDOSUEZ) en vue de la constitution d'une holding devant contrôler la société SEDRI. Un contrat de mandat a été conclu le 28 juin 1989 entre la société SEDRI et la société FINANCIERE INDOSUEZ, aux termes duquel cette dernière a reçu une mission de conseil et d'assistance de la société SEDRI en vue de la réalisation de diverses opérations, et en particulier la création de la société holding et la recherche de partenaires industriels et financiers susceptibles d'être intéressés par une prise de participation minoritaire dans cette société. La société FINANCIERE BEAULIEU a été constituée le 04 juillet 1989 entre les fondateurs de la société SEDRI ; elle détenait 59,1 % du capital de SEDRI ; à la même époque les dirigeants de la société SEDRI ont envisagé une augmentation du capital de celle-ci. Selon convention en date du 1er août 1989, la BANQUE INDOSUEZ a consenti à la société FINANCIERE BEAULIEU une ligne d'ouverture de crédit d'un montant maximum de 130.000.000 F, afin de permettre à cette dernière, d'une part de souscrire à l'augmentation de capital de la société SEDRI, d'autre part de couvrir les frais liés à diverses opérations financières. Dès la fin du mois d'août 1989, les dirigeants de la société SEDRI ont envisagé une augmentation de capital plus importante que celle initialement prévue. La BANQUE INDOSUEZ a alors entrepris les démarches nécessaires afin d'organiser le prêt devant permettre à la société FINANCIERE BEAULIEU de participer à une

augmentation de capital à hauteur de 364.000.000 F (55.491.442,27 ) ; la société B.M.C.I. (anciennement BANQUE DE LA MUTUELLE INDUSTRIELLE, B.M.I.) a figuré parmi les banques auxquelles l'offre de participation a été présentée par la BANQUE INDOSUEZ ; le 31 octobre 1989, elle a donné son accord pour participer à concurrence de 20.000.000 F (3.048.980,34 ) au financement en pool bancaire ainsi mis en place par celle-ci. L'acte de prêt d'un montant de 240.000.000 F (36.587.764,14 ) a été régularisé entre les banques et la SA FINANCIERE BEAULIEU le 13 novembre 1989 ; il était prévu que le prêt serait affecté à concurrence de 219.000.000 F (33.386.334 ) (sic) à l'augmentation de capital de la Société SEDRI, et pour le solde, soit 21.000.000 F (3.201.429,36 ), aux besoins de trésorerie de la SA FINANCIERE BEAULIEU. Il était également stipulé que ce prêt, d'une durée de six mois, devrait être remboursé au plus tard le 15 mai 1990. Le 07 juin 1990, la BANQUE INDOSUEZ a informé la société FINANCIERE BEAULIEU de la prorogation du crédit aux mêmes conditions du 15 mai 1990 au 06 avril 1991. La situation financière du Groupe SEDRI s'est progressivement dégradée, aboutissant, par jugement rendu le 17 août 1990, à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire des sociétés de ce groupe, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 20 septembre 1990. Faisant grief au CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ (anciennement dénommé BANQUE INDOSUEZ) d'avoir laissé détourner l'objet du prêt sans en aviser les membres du pool dont il était le chef de file, et de s'être servi des fonds prêtés pour obtenir le remboursement de ses propres encours, et notamment le prêt de 130.000.000 F (19.818.372 ) (sic) qu'il avait consenti à la société FINANCIERE BEAULIEU, la société B.M.C.I. l'a, par acte d'huissier du 12 octobre 1999, assigné en paiement de la somme globale de 35.000.000 F (5.335.716 ) (sic) en réparation des divers préjudices subis par elle par suite de ces agissements fautifs. Par

jugement du 05 décembre 2000, le tribunal de commerce de NANTERRE a :

* écarté des débats le rapport d'expertise judiciaire du 20 mars 1991 ; * condamné le CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ à payer à la B.M.C.I., anciennement Banque de la Mutuelle Industrielle, la somme de 17.000.000 F (2.591.633,29 ), arrêtée au 12 octobre 1999, à titre de dommages-intérêts, majorée des intérêts légaux à compter de cette date ; * condamné le CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ à payer à la B.M.C.I. la somme de 60.000 F (9.146,94 ) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Aux termes de sa décision, le tribunal a énoncé qu'en sa qualité de chef de file, le CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ avait gravement engagé sa responsabilité envers la B.M.C.I. en délivrant sciemment une information fausse ayant emporté l'engagement de la banque participante et en ayant outrepassé ses pouvoirs dans le cadre de l'exécution de la convention de prêt ; il a toutefois mis à la charge de la B.M.C.I. une part de responsabilité à hauteur de 15 % au motif que celle-ci n'avait pas fait preuve de toute la prudence nécessaire. La SA CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ a interjeté appel de ce jugement. Elle conteste avoir manqué à son obligation de loyauté en s'abstenant de révéler à la B.M.C.I. la situation dégradée du Groupe SEDRI, dans la mesure où elle ne disposait pas en octobre 1989 des informations privilégiées qui lui auraient permis d'apprécier l'existence et l'étendue de cette dégradation. Elle nie également avoir délivré à la B.M.C.I. des informations erronées en évoquant dans son fax du 26 octobre 1989 la signature le 20 septembre 1989 d'un protocole d'accord entre SEDRI et RSCG ainsi que l'existence d'un protocole d'accord confidentiel signé début septembre 1989 entre SEDRI et LA VOIX DU NORD.

Elle souligne qu'en réalité, tant la SA B.M.C.I. que les autres membres du pool bancaire ont pris la décision de participer au prêt du 13 novembre 1989 dans la mesure où l'action SEDRI était à l'époque

une des valeurs les plus sûres sur le second marché parisien. Elle prétend qu'il importe peu qu'elle n'ait pas porté à la connaissance de la société B.M.C.I. l'existence de la convention d'ouverture de crédit consentie le 1er août 1989 à hauteur de 130.000.000 F (19.818.372,24 ), puisque celle-ci n'avait aucune incidence sur l'objet du prêt, devant permettre à la SA FINANCIERE BEAULIEU de souscrire à l'augmentation du capital de la société SEDRI. Elle considère que c'est également à tort qu'il lui est fait grief d'avoir outrepassé ses pouvoirs de chef de file en consentant le 13 novembre 1989 de sa seule initiative une prorogation de prêt, alors que cette prorogation était assortie de différentes conditions suspensives souscrites pour le plus grand profit des membres du pool, et alors qu'en toute hypothèse, ces conditions suspensives n'ayant pas été remplies, aucune prorogation n'a finalement été accordée à l'emprunteur. Elle déduit de ce qui précède qu'elle n'a ni manqué à son obligation de loyauté et d'information lorsqu'elle a invité la société B.M.C.I. à participer au prêt destiné à la SA FINANCIERE BEAULIEU et régularisé par l'acte du 13 novembre 1989, ni manqué à son obligation de diligence en sa qualité de chef de file pendant la durée du prêt. Elle soutient qu'en revanche, la société intimée, en sa qualité de professionnel, aurait dû vérifier personnellement la situation de la SA SEDRI, et que, ne l'ayant pas fait, elle ne peut valablement rejeter sur la partie appelante les conséquences de sa propre carence. Par voie de conséquence, tout en relevant que c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté des débats le rapport non contradictoire établi par la Société Européenne de Contrôle Comptable et Financier, la SA CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ demande à la Cour d'infirmer pour le surplus le jugement entrepris, de débouter la SA B.M.C.I. des prétentions formulées par elle à son encontre, et de condamner cette dernière à lui rembourser la somme de 2.677.296,20

qui lui a été réglée en raison de l'exécution provisoire prononcée par les premiers juges. A titre très subsidiaire, alléguant que rien ne justifie que le point de départ des intérêts moratoires soit fixé à une date antérieure au prononcé de la décision de première instance, elle conclut au rejet de la demande formulée par la société intimée, et correspondant à un prétendu manque à gagner sur les intérêts que celle-ci aurait perçus si elle avait pu réaliser le placement de la somme prêtée. Elle réclame en outre la somme de 7.622,45 en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. La société B.M.C.I. réplique que la société FINANCIERE INDOSUEZ (ultérieurement absorbée par le CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ) avait une parfaite connaissance dès le début de l'année 1989 de la dégradation de la situation économique et financière des sociétés du Groupe SEDRI. Elle soutient que la BANQUE INDOSUEZ lui a sciemment fourni des informations erronées, et a ainsi gravement manqué à son obligation de loyauté, en lui adressant le 26 octobre 1989 une télécopie dans laquelle elle prétendait qu'un protocole d'accord entre SEDI et RSCG avec possibilité d'extension au Groupe OMNICOM avait été signé le 20 septembre 1989, et qu'un protocole d'accord confidentiel avait également été conclu début septembre 1989 entre SEDRI et la VOIX DU NORD. Elle observe que ces informations ont revêtu à son égard un caractère d'autant plus déterminant que le prêt à court terme était annoncé comme une opération non risquée, par suite de l'entrée immédiate de nouveaux financiers dans le capital de l'emprunteur. Elle fait également grief à la partie adverse d'avoir méconnu son obligation d'information et de conseil en ne l'avertissant pas de la situation financière globale du groupe SEDRI et en omettant de la renseigner sur l'existence d'un premier prêt d'un montant de 19.818.372 (130.000.000 F) (sic) par elle consenti et dont elle seule, en ses qualités de chef de file et de prêteur,

pouvait avoir connaissance. Elle reproche encore à la partie adverse d'avoir, en sa qualité de chef de file, pris l'initiative d'une prorogation de la durée du prêt, sans aucun accord des membres du pool, et ce en violation de la convention de prêt. Elle en déduit qu'en altérant de façon considérable la nature même du contrat de financement qu'elle avait signé avec la B.M.C.I., la SA CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ a commis des fautes lourdes et engagé sa responsabilité contractuelle sur le fondement des articles 1134 et 1147 du code civil. Se portant incidemment appelante de la décision entreprise, la société B.M.C.I. demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté des débats le rapport d'expertise judiciaire du S.E.C.C.F., et en ce qu'il a mis à sa charge une part de responsabilité égale à 15 % dans les conséquences dommageables de sa participation au financement de l'opération litigieuse. Aussi, elle demande à la Cour, à titre principal, de fixer à 5.640.613 (37.000.000 F)(sic) les préjudices financiers subis par elle en raison des agissements et fautes multiples imputables au CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ, en sa qualité de chef de file, et, en conséquence, de condamner ce dernier à lui verser cette somme à titre de dommages-intérêts. A titre infiniment subsidiaire, au cas où il serait jugé que le point de départ des intérêts doit être fixé, non à la date de l'envoi par elle du courrier du 13 septembre 1990, mais à celle de l'assignation délivrée le 12 octobre 1999, elle sollicite la condamnation de la partie appelante à lui régler, à titre de dommages-intérêts, la somme de 3.155.253 (20.697.106 F)(sic). Elle réclame en outre la somme de 12.195 (80.000 F)(sic) sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 septembre 2002. ä MOTIFS DE LA DECISION : ä Sur la responsabilité contractuelle de la banque chef de file : Considérant que, dans le

cadre d'une opération de financement organisée avec la participation de plusieurs co-prêteurs, la banque chef de file, qui n'est pas garante du remboursement du prêt à l'égard des membres du pool, est tenue de répondre des fautes que ces derniers peuvent lui imputer dans son comportement de chef de file ; considérant qu'à titre préalable, les premiers juges ne pouvaient écarter des débats le rapport d'expertise judiciaire établi le 20 mars 1991 par la société EUROPÉENNE DE CONTRÈLE COMPTABLE ET FINANCIER - S.E.C.C.F.) à la requête de Maître CHAVINIER, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire des sociétés du groupe SEDRI, au seul motif que les opérations d'expertise confiées à cet organisme ont été diligentées sans qu'ait été entendu le CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ (anciennement dénommé BANQUE INDOSUEZ), alors que ce rapport a été régulièrement communiqué dans le cadre de la présente procédure ; considérant que, toutefois, faute de mettre en évidence d'éventuels manquements de la BANQUE INDOSUEZ à ses obligations de chef de file du pool bancaire, cette expertise ne peut servir comme moyen de preuve au soutien des prétentions de la B.M.C.I. ; considérant que, sur le fond, il résulte du rapport d'enquête établi le 18 janvier 1991 par la Commission des Opérations de Bourse que Monsieur Patrick DEFORT, Président Directeur Général de la société SEDRI, a rencontré dès mars-avril 1989 les dirigeants de la BANQUE INDOSUEZ en vue d'envisager avec eux la création d'une société holding ayant une majorité de contrôle dans le capital des sociétés du Groupe SEDRI ; considérant qu'il est constant que ces premiers contacts ont abouti à la signature le 28 juin 1989 d'un contrat de mandat entre la société SEDRI représentée par ses associés fondateurs et la FINANCIERE INDOSUEZ, filiale à 100 % de la BANQUE INDOSUEZ ; considérant qu'il doit être observé que ce contrat de mandat a été rapidement suivi de la création le 04 juillet 1989 de la société FINANCIERE BEAULIEU et de l'octroi à cette dernière par la

BANQUE INDOSUEZ dès le 1er août 1989 d'une ouverture de crédit de 130.000.000 F (19.818.372 ) (sic) ; considérant que force est de constater que, devant le Service de l'inspection de la C.O.B., Monsieur X..., Directeur Financier de SEDRI, a reconnu que la situation financière du groupe avait commencé à se dégrader à partir du début de l'année 1989 ; considérant que la BANQUE INDOSUEZ, qui, dans le courrier qu'elle a adressé le 24 août 1990 à la BANQUE MUTUELLE INDUSTRIELLE (ancienne dénomination de la B.M.C.I.), précise que : " Les placements de trésorerie ont diminué et disparu avec la détérioration très rapide de la situation de SEDRI à partir d'octobre 1989 ", ne peut sérieusement soutenir que c'est seulement en février 1990 qu'elle a été informée de cette dégradation par les dirigeants du groupe ; considérant qu'il est donc suffisamment démontré qu'en ses qualités de banquier et de conseil financier des sociétés du Groupe SEDRI par l'intermédiaire du contrat de mandat qui avait été confié à sa filiale FINANCIERE INDOSUEZ, le CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ avait nécessairement connaissance des difficultés financières de ces sociétés lorsqu'elle a, en octobre 1989, proposé à la B.M.C.I. (alors dénommée B.M.I.) de participer à l'opération de financement mise en place en faveur de la société FINANCIERE BEAULIEU ; considérant qu'il est également acquis aux débats que, parallèlement à l'envoi le 26 octobre 1989 de sa proposition écrite invitant la B.M.I. à participer au pool bancaire, la BANQUE INDOSUEZ, sous la signature de son Directeur-Adjoint, Monsieur Y..., a adressé le même jour à la société intimée une télécopie lui précisant qu'un protocole d'accord avait été signé le 20 septembre 1989 entre SEDRI et RSCG avec possibilité d'extension au Groupe OMNICOM et qu'un protocole d'accord confidentiel avait été signé début septembre 1989 entre SEDRI et la VOIX DU NORD, ce protocole devant déboucher sur un " contrat de collaboration pour l'utilisation du télélot et les petites annonces

(réseau local) " ; or considérant que l'examen du protocole d'accord du 20 septembre 1989 met en évidence qu'il s'est agi en réalité simplement d'un " protocole d'intention " conclu entre le Groupe SEDRI et le Groupe RSCG, aux termes duquel, entre autres stipulations, les signataires sont convenus que ce dernier aura la possibilité d'acquérir une partie du capital de la FINANCIERE BEAULIEU à des conditions préférentielles, " au cas où les objectifs de chiffre d'affaires de publicité définis d'un commun accord seraient réalisés " ; considérant qu'au demeurant, la proposition écrite dont la B.M.I. avait été destinataire le 26 octobre 1989 attirait suffisamment l'attention de cette dernière sur le caractère non risqué de l'opération de financement litigieuse, puisqu'il y était mentionné que la facilité de crédit était consentie à la FINANCIERE BEAULIEU pour une durée limitée à six mois et que le remboursement devrait intervenir : " à l'échéance par l'entrée de partenaires financiers et industriels dans la FINANCIERE BEAULIEU " ; considérant que, dès lors, la référence, dans la télécopie susvisée, à des protocoles conclus avec d'importants partenaires industriels et financiers était de nature à convaincre la banque intimée que l'opération à laquelle il lui était offert de participer était dénuée de tout risque ; considérant qu'à cet égard, les auditions de Messieurs X..., Directeur Financier de SEDRI, et Y..., Directeur Adjoint de la BANQUE INDOSUEZ, reproduites dans le rapport d'enquête de la C.O.B., confirment que cette note d'information contenait des renseignements manifestement erronés sur l'existence de prétendus accords avec d'importantes agences de publicité, alors que de tels accords n'existaient pas à l'époque de l'envoi à la B.M.I. de la proposition écrite du 26 octobre 1989 ; considérant que ces informations inexactes ont pu légitimement induire en erreur la société intimée, en la déterminant à accepter le 31 octobre 1989 de

participer à une opération apparemment sans risque pour elle, compte tenu de la brève durée de l'opération de financement et de l'annonce de l'entrée immédiate de nouveaux partenaires dans le capital de l'emprunteur ; considérant qu'au surplus, il convient de relever que la BANQUE INDOSUEZ a, par lettre recommandée du 7 juin 1990, informé la FINANCIERE BEAULIEU que le pool de banques avait accepté de proroger le prêt du 15 mai 1990 au 6 avril 1991 ; considérant que, toutefois, il apparaît que, alors que l'article 13-1 de la convention de prêt du 13 novembre 1989 comporte la stipulation que : " aucune modification d'une quelconque disposition de la Convention ne sera effectuée à moins d'être faite par avenant ", la partie appelante a pris l'initiative d'une prorogation de prêt sans avoir recueilli préalablement l'accord de ses co-participants et sans avoir agi en vertu d'une procuration qui lui aurait été consentie par la B.M.I. ; considérant que, dès lors, en s'abstenant d'associer les autres membres du pool à cette initiative, la BANQUE INDOSUEZ a outrepassé ses pouvoirs dans des conditions d'autant plus préjudiciables à ces derniers qu'elle n'ignorait pas, au moins depuis février 1990, (ainsi qu'il résulte du courrier adressé le 21 août 1990 à la société intimée et du rapport d'enquête de la C.O.B.), que l'opération de financement en cause, destinée pour l'essentiel à permettre à la FINANCIERE BEAULIEU de suivre la nouvelle augmentation de capital du Groupe SEDRI, avait en réalité servi pour une bonne part à d'autres fins (en particulier à des remboursements de concours à court terme) que celles visées dans la note d'information diffusée le 26 octobre 1989 par la société appelante ; considérant qu'en définitive, il apparaît que le CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ (anciennement BANQUE INDOSUEZ) a proposé à la B.M.I. de participer au pool bancaire alors qu'il ne pouvait ignorer la dégradation de la situation financière de l'emprunteur, a assorti sa proposition de renseignements erronés de

nature à induire en erreur la banque intimée sur les éléments déterminants de l'opération litigieuse, et a ultérieurement négligé de se conformer aux prescriptions contractuelles lors de l'exécution de la convention de prêt ; considérant que, par voie de conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a énoncé que la banque appelante, en sa qualité de chef de file, avait manqué à son devoir de loyauté et d'information à l'égard de son co-prêteur et engagé sa responsabilité contractuelle envers lui par application des articles 1134 et 1147 du Code Civil ; considérant que, pour autant, dans la mesure où le présent contentieux entre les parties se situe dans le cadre de relations entre professionnels de la même spécialité, l'existence d'un chef de file ne dispensait pas les autres participants d'un devoir de discernement et de suivi du chef du risque de crédit partagé ; considérant qu'en l'espèce, il s'infère de l'article 13 de la convention de prêt du 13 novembre 1989, signée par les membres du pool bancaire et notamment par la B.M.I., que chaque banque a déclaré avoir décidé de participer à cette convention sur la base des informations qu'elle a personnellement recueillies sur l'emprunteur, sans intervention de l'Agent (la BANQUE INDOSUEZ) ; or considérant que la banque intimée ne démontre ni n'allègue avoir, au cours du bref délai qui lui avait été accordé jusqu'au 03 novembre 1989 pour prendre option sur la proposition qui lui a été faite, entrepris par ses propres moyens la moindre démarche qui lui aurait permis de se renseigner sur la santé financière réelle de la FINANCIERE BEAULIEU, et en particulier sur l'état de ses encours et de sa trésorerie ; considérant que les premiers juges ont à bon droit apprécié que ce défaut de diligence imputable à la B.M.I. avait contribué, dans une proportion évaluée à 15 %, à la réalisation du dommage subi par cette dernière dans l'échec de l'opération de financement mise en place dans le cadre de ce pool bancaire. ä Sur la

détermination du préjudice subi par la Société B.M.C.I. : Considérant que les manquements du CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ à ses obligations contractuelles de loyauté et d'information sont directement à l'origine du préjudice subi par la B.M.C.I., dès lors que celle-ci, ayant accepté de participer à l'opération de financement litigieuse dans les conditions ci-dessus rappelées, a en définitive perdu la somme qu'elle avait prêtée dans le cadre de la convention de crédit souscrite le 13 novembre 1989 ; considérant que le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a, après application du partage de responsabilité, condamné la banque chef de file à payer à la B.M.C.I. la somme principale de 20.000.000 F - 15 % = 17.000.000 F à titre de dommages-intérêts ; considérant que la société B.M.C.I. sollicite en outre l'allocation de la somme complémentaire de 2.591.633 (17.000.000 F) (sic), correspondant au manque à gagner représentatif des intérêts qu'elle aurait perçus si son prêt n'avait pas été immobilisé, ces intérêts étant calculés au taux légal à compter du 13 septembre 1990, avec capitalisation ; considérant que cette demande, présentée sous la forme de dommages-intérêts, tend en réalité à permettre à la banque intimée de bénéficier du versement des intérêts légaux ; considérant qu'en application de l'article 1153-1 du code civil, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal, lesquels courent à compter du prononcé du jugement, à moins que le juge n'en décide autrement ; considérant qu'en l'occurrence, ces intérêts ne sauraient courir à compter de la lettre adressée le 13 septembre 1990 à la BANQUE INDOSUEZ par la B.M.I., dès lors que ce courrier fait le point sur le différend entre les parties sans pour autant constituer une mise en demeure de la part de la banque intimée ; considérant que le décompte d'intérêts produit aux débats par cette dernière peut d'autant moins être retenu qu'il intègre leur capitalisation à compter de l'année 1992, alors

qu'en application des dispositions de l'article 1154 du code civil, les intérêts des capitaux échus ne portent eux-mêmes intérêts qu'à compter de la demande qui en est faite ; considérant que, tenant compte de la très longue période qui s'est écoulée depuis que la B.M.I. a consenti en pure perte son prêt de 3.048.980 , les premiers juges ont à bon droit fait partir le cours des intérêts légaux à compter de l'assignation délivrée le 12 octobre 1999 au CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ et valant mise en demeure ; considérant qu'il y a donc lieu d'écarter l'appel incident de la B.M.C.I., et de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné le CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ au paiement d'une indemnité égale à 2.591.633,29 , majorée des intérêts légaux à compter du 12 octobre 1999, date de l'assignation. ä Sur les demandes annexes : Considérant que, dans la mesure où le jugement déféré est confirmé en toutes ses dispositions, la demande du CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ, tendant à la restitution des sommes perçues par la partie adverse dans le cadre de l'exécution provisoire, se trouve être sans objet ; considérant que l'équité commande d'allouer à la Société B.M.C.I. la somme complémentaire de 3.000 sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; considérant qu'il n'est cependant pas inéquitable que la société appelante conserve la charge de l'intégralité des frais non compris dans les dépens exposés par elle dans le cadre de cette instance ; considérant que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a condamné le CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ aux dépens de première instance ; considérant que ce dernier, qui succombe en son recours, doit être condamné aux dépens d'appel. ä PAR CES MOTIFS La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, ä DECLARE recevable l'appel interjeté par le CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ, LE DIT mal fondé ; ä DECLARE mal fondé l'appel incident de la société B.M.C.I. ; ä CONFIRME le jugement déféré par

substitution partielle de motifs, sous réserve de l'incidence de l'exécution provisoire dont est assortie la décision de première instance ; Y ajoutant : ä CONDAMNE le CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ à payer à la société B.M.C.I. la somme complémentaire de 3.000 sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; ä CONDAMNE le CREDIT AGRICOLE INDOSUEZ aux dépens d'appel, et AUTORISE la SCP GAS, Société d'Avoués, à recouvrer directement la part la concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du nouveau code de procédure civile. ARRET REDIGE PAR MONSIEUR FEDOU, CONSEILLER PRONONCE PAR MADAME LAPORTE, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER FAISANT FONCTION

LE PRESIDENT QUI A ASSISTE AU PRONONCE CH. BOUCHILLOU

FRANOEOISE LAPORTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 2001-1203
Date de la décision : 05/12/2002

Analyses

BANQUE - Responsabilité - Ouverture de crédit - Crédit consenti par un pool bancaire

Dans une opération de financement organisée avec la participation de plusieurs banques, la banque chef de file n'est pas garante du remboursement du prêt à l'égard des banques composant le pool, mais elle est néanmoins tenue de répondre des fautes que les membres du pool peuvent lui imputer en sa qualité de chef de file. Le fait de proposer, en parfaite connaissance de la dégradation de la situation financière de l'emprunteur, la participation à un pool bancaire en l'assortissant, à dessein, d'information erronées de nature à induire en erreur sur les éléments déterminants de l'opération, caractérise un manquement de la banque chef de file à son devoir de loyauté et d'information à l'égard de la banque co-prêteur qui engage sa responsabilité contractuelle à l'égard de ce co-prêteur en application des articles 1134 et 1147 du Code civil, de même qu'ultérieurement, la prorogation unilatérale du prêt par le chef de file


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2002-12-05;2001.1203 ?
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