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28/11/2002 | FRANCE | N°2000-4557

France | France, Cour d'appel de Versailles, 28 novembre 2002, 2000-4557


Les époux X... animent les sociétés de droit français APEX, Y... et de droit polonais SOFRALUX et l'entreprise personnelle Y... X... Z..., qui déploient des activités de négoce et de distribution, notamment en Pologne, de produits de parfumerie et cosmétiques. Par lettre du 15 juillet 1993, la société CHANEL a proposé à la société SOFRALUX la distribution exclusive de ses produits sur le territoire de la Pologne. Sans qu'aucun contrat écrit n'ait été signé, la société CHANEL vendait ses produits à la société APEX qui les revendait à Y... laquelle approvisionnait le rés

eau polonais de détaillants agréés. Après avoir fait état de dysfonction...

Les époux X... animent les sociétés de droit français APEX, Y... et de droit polonais SOFRALUX et l'entreprise personnelle Y... X... Z..., qui déploient des activités de négoce et de distribution, notamment en Pologne, de produits de parfumerie et cosmétiques. Par lettre du 15 juillet 1993, la société CHANEL a proposé à la société SOFRALUX la distribution exclusive de ses produits sur le territoire de la Pologne. Sans qu'aucun contrat écrit n'ait été signé, la société CHANEL vendait ses produits à la société APEX qui les revendait à Y... laquelle approvisionnait le réseau polonais de détaillants agréés. Après avoir fait état de dysfonctionnements dans la gestion de la distribution de ses produits, la société CHANEL notifiait aux époux X... et à APEX, par lettre du 24 février 1998, la rupture des relations commerciales sous un préavis de six mois. L'estimant abusive, comme dépourvue de motif légitime et signifiée sous un préavis insuffisant, la société APEX a saisi le tribunal de commerce de Nanterre d'une demande en paiement de dommages et intérêts de 2.498.265 francs (380.858,04 euros) à laquelle s'est opposée la société CHANEL en réclamant elle-même 150.000 francs (22.867,35 euros) en réparation des préjudices résultant de manouvres de sur-stockage. Madame Z..., épouse X..., exerçant sous l'enseigne Y... X... Z... est intervenue volontairement à l'instance pour demander que les condamnations à intervenir soient prononcées au bénéfice indivis de la société APEX et d'elle-même. Relevant qu'un contrat de concession peut être dénoncé à tout moment sans que soit nécessairement énoncé un motif, estimant que la résiliation ne reposait pas sur des motifs délibérément fallacieux et n'avait pas été accompagnée d'agissements malveillants et considérant raisonnable la durée de six mois du préavis accordé, cette juridiction, par jugement rendu le 21 mars 2000, a débouté la société APEX et Madame X... Z... de toutes

leurs demandes. Elle a pareillement relevé que la société CHANEL n'apportait pas la preuve des griefs qu'elle alléguait et l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles. La société APEX et madame X... Z... exerçant sous l'enseigne Y... X... Z..., qui ont interjeté appel de cette décision, rappellent l'historique des relations entre elles et la société CHANEL en expliquant que cette dernière avait une parfaite connaissance du montage juridique choisi, vendait à une société de droit français APEX ses produits qui étaient distribués par Madame Z.... Elles réfutent les reproches de dysfonctionnements adressés à APEX en rappelant qu'aucun contrat n'avait été signé et que la société CHANEL ne peut donc invoquer un manquement à une obligation. Elles rappellent le caractère très satisfaisant de l'évolution des chiffres d'affaires réalisés en produits CHANEL de 1994 à 1997 et les bons résultats d'APEX, due à la mise en place d'un réseau de points de vente de qualité. Elles prétendent que la résiliation est l'aboutissement d'un scénario artificiel, en trois étapes, monté par CHANEL. Elles soutiennent que la résiliation est abusive en raison de la mauvaise foi et du comportement déloyal de la société CHANEL qui a rompu après plusieurs années de relations fructueuses en mettant en place un scénario fondé sur des arguments fallacieux. Elles contestent que la durée de préavis de six mois soit raisonnable, au cas d'espèce, au regard de celle d'exécution du contrat, du caractère privilégié de la relation contractuelle, de l'importance des chiffres d'affaires ainsi que du caractère plus ou moins saisonnier de la vente des produits, le dernier trimestre de l'année civile étant essentiel pour le chiffre d'affaires et la marge. Elles réclament l'indemnisation de leurs préjudices qu'elles chiffrent à 190.429 euros à raison des circonstances déloyales de la rupture et à 158.691 euros pour la perte de marge sur les cinq mois de préavis

insuffisants d'août à décembre. Elles s'opposent enfin aux demandes reconventionnelles de la société CHANEL en faisant observer qu'aucune des affirmations de cette dernière n'est étayée par un quelconque élément de preuve. Aussi concluent-elles à l'infirmation du jugement qui les a déboutées de leur demandes et à la condamnation de la société CHANEL à leur payer 349.119 euros de dommages et intérêts ainsi que 10.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. La société CHANEL répond en expliquant les incertitudes qu'elle a, selon elle, rencontrées sur l'identité de celle des sociétés du "groupe X..." qui devrait signer le contrat. Elle affirme que ses relations commerciales se sont limitées à des contacts avec l'équipe locale du groupe qui a développé les ventes. Elle invoque les dysfonctionnements imputables à la mauvaise gestion de la distribution par les époux X... qui agréaient de nouveaux points de vente sans son accord, qui n'avaient pas remplacé la maquilleuse démissionnaire, qui refusaient de négocier avec un grand magasin de Varsovie l'installation d'un espace CHANEL. Elle prétend que la résiliation a été le résultat d'une insatisfaction croissante et n'était ni calculée ni déloyale et précise que la majorité des griefs avait été portée à l'attention des époux X..., par des courriers de septembre et décembre 1997, sans qu'ils prennent, dans le délai de trois mois imparti, les mesures nécessaires. Elle rappelle la jurisprudence aux termes de laquelle des relations commerciales établies peuvent être rompues, sans motif, à tout moment, en respectant un préavis écrit et que des motifs inexacts invoqués n'ont pas d'incidence sur la rupture. Aussi indique-t-elle que les courriers qu'elle a envoyés ne visaient pas à la préparer. Elle ajoute qu'une résiliation n'est considérée comme abusive que si le fournisseur agit, à cette occasion, de manière malveillante à l'égard de son distributeur. Elle prétend que tel n'a pas été le cas

en l'espèce. Déniant à la vente de ses produits tout caractère saisonnier, elle affirme que le préavis de six mois était raisonnable au regard de la durée des relations, de la jurisprudence et des avertissements délivrés. Elle conclut en conséquence à la confirmation du jugement qui a débouté la société APEX et, selon elle, la société Y... X... Z... de leurs demandes. Subsidiairement, elle fait valoir que ne peut être réclamé un préjudice résultant de la réduction du chiffre d'affaires, mais seulement celui entraîné par le caractère de brutalité allégué. Elle ajoute qu'il ne saurait être présumé du chiffre d'affaires qui aurait été réalisé si le préavis n'avait pris fin qu'en février 1999. Elle critique l'analyse des marges brutes prétendument réalisées par APEX et Y.... Invoquant les manouvres destinées à nuire à son image de marque, utilisées par les époux X... qui ont fait croire aux revendeurs qu'ils ne seraient pas livrés pour les périodes de Noùl, elle demande à la cour de condamner les appelantes à lui payer 23.000 euros de dommages et intérêts. Elle réclame enfin 7.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 12 septembre 2002 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 15 octobre 2002. MOTIFS DE LA DECISION Considérant que par lettre du 14 juin 1993, la société CHANEL a confirmé à la société APEX les modalités envisagées pour la mise en place de la distribution en Pologne de ses produits ; que le 15 juillet suivant, elle délivrait à la société de droit français SOFRALUX une lettre d'intention de confier à cette dernière la distribution desdits produits, lui précisant que la signature d'un contrat précisant les conditions commerciales et juridiques, interviendrait ultérieurement ; Considérant que les parties s'accordent à confirmer qu'aucun contrat n'a, en définitive, été signé bien qu'un projet ait été

établi au bénéfice de l'entreprise individuelle Y... ; Qu'il est établi par les documents comptables produits aux débats et, notamment, par les factures CHANEL, que la marchandise était facturée à la société APEX et livrée directement à Y... ; Considérant que les relations commerciales suivies se sont ainsi inscrites dans un cadre qui ne fixait aucune condition contractuelle de durée ou de modalité de leur interruption ; Qu'il suit de là que l'une ou l'autre des parties concernées pouvait librement choisir d'y mettre fin, à la condition que la rupture n'intervienne pas dans des conditions abusives et que soit respecté un préavis raisonnable ; Que cette faculté de résiliation a pour effet de rendre inopérante toute prétendue préparation par la société CHANEL d'un scénario pour aboutir à la rupture, lequel n'aurait eu de sens que dans le cadre de la mise en oeuvre d'une résolution judiciaire ou par effet d'une clause résolutoire, pour inexécution d'obligations contractuelles ; Considérant que, pour démontrer le caractère abusif de la résiliation, la société APEX et Y... X... Z... mettent en avant le travail, selon elles excellent, qu'elles avaient réalisé depuis juin 1993 pour promouvoir en Pologne la marque et les produits CHANEL et réfutent les griefs de dysfonctionnements invoqués ; Mais considérant que, si des lettres adressées à son distributeur polonais témoignent de la satisfaction exprimée par la société CHANEL sur des actions de promotion de la marque ou de développement du réseau, demeuraient par ailleurs un certain nombre de dispositions que le fabricant français avait demandé à son distributeur de prendre ; Qu'ainsi, dès le 26 mars 1996, la société CHANEL avait réclamé à monsieur X... de Y... la production "d'informations sur la profitabilité de chaque point de vente" ; que, par lettre du 09 janvier 1997, elle rappelait son souhait de connaître cette rentabilité individualisée pour focaliser les efforts sur les points

de vente les plus rentables ; Que, par lettre du 20 septembre 1997 qui dresse le compte-rendu d'une visite à VARSOVIE, elle a rappelé les objectifs commerciaux et énuméré un nombre important de modifications à faire et d'actions à entreprendre tant en ce qui concerne le distributeur que les points de vente ; qu'elle affirme sans être contredite que la plupart de ses demandes n'ont pas reçu satisfaction ; que la société APEX et Y... X... Z... ne précisent aucunement les moyens qu'elles auraient mis en ouvre pour tenter d'y apporter une réponse ; Que par lettre recommandée du 08 décembre 1997 la société CHANEL dressait l'inventaire de ses demandes non satisfaites et des observations demeurées sans effet ; que, dans sa réponse critique du 19 décembre, la société APEX admettait l'existence de certains dysfonctionnements ; Considérant que le 24 février 1998, la société CHANEL a notifié à monsieur et madame X... et à la société APEX sa décision de cesser l'ensemble des relations commerciales avec eux et avec toutes les sociétés de ce groupe à effet du 24 août suivant, leur laissant ainsi un préavis de six mois ; Considérant que la société APEX et Madame Z... exerçant sous l'enseigne Y... X... Z... soutiennent que ce préavis était insuffisant en faisant principalement valoir que les dates retenues leur ont fait perdre les ventes, habituellement importantes, de la période de fin d'année ; Considérant que, comme l'indique la société CHANEL, les articles de sa marque ne sont pas des produits saisonniers puisqu'ils correspondent à des fabrications industrielles suivies et que les nouveaux produits ne sont pas mis sur le marché en fonction de la saison à laquelle ils sont susceptibles d'intéresser la clientèle ; Considérant cependant que, s'agissant de produits de luxe, les articles CHANEL sont susceptibles d'être offerts en cadeaux et notamment à l'occasion des fêtes de fin d'année ; Considérant toutefois que ce caractère saisonnier des ventes n'a pas l'importance

que lui attribuent la société APEX et Madame X... Z... Y... comme le confirment les relevés mensuels tels qu'ils figurent sur deux tableaux produits aux débats et intitulés PREVISIONS MENSUELLES DES VENTES et qui font apparaître que celles des mois de novembre et décembre de chacune des années 1995, 1996 et 1997 ont représenté respectivement 35,01% 31,83% et 30,49 % du chiffre d'affaires annuel, ce qui traduit une activité n'atteignant pas le double de la moyenne mensuelle ; Considérant qu'un préavis de six mois pour mettre fin à des relations commerciales qui duraient depuis quatre ans et demi apparaît tout à fait suffisant pour permettre à la société APEX et à Madame Z... exerçant sous l'enseigne Y... X... Z... d'écouler leur stock et de rechercher une activité complémentaire pour pallier la disparition d'une partie du chiffre d'affaires ; qu'à cet égard, les appelantes ne communiquent aucune précision sur leurs autres activités, sur les produits qu'elles commercialisaient par ailleurs et sur le niveau et la ventilation de leurs recettes ; Considérant enfin que la seule constatation du préjudice que constitue pour les appelantes la perte de la distribution exclusive sur le territoire de la Pologne est insuffisante à démontrer le comportement fautif de la société CHANEL ; Qu'ainsi la société APEX et madame X... Z... n'apportent pas la démonstration de ce que la société CHANEL, qui avait antérieurement attiré l'attention de la société APEX sur certains points d'insatisfaction et qui a assorti sa décision d'un préavis de six mois, aurait commis un abus de droit, susceptible de justifier l'octroi de dommages et intérêts, en mettant fin aux relations commerciales ; Considérant que la société CHANEL demande la condamnation de la société APEX et de "la société" Y... X... Z... à des dommages et intérêts en faisant valoir des manouvres des époux X... dont elle ne démontre aucunement la réalité ; qu'à

cet égard la simple production d'un tableau chiffré dont n'est précisé ni l'auteur, ni la date d'établissement, qui n'indique pas même la nature des articles correspondant aux "ventes locales en Zloty" prétendument décomptées est dépourvue de tout caractère probant ; qu'au surplus monsieur X... à l'encontre de qui sont articulés les griefs n'est pas dans la cause ; Qu'il suit de là que sa demande en paiement de dommages et intérêts ne saurait prospérer ; Qu'il résulte de ce qui précède que le jugement entrepris doit recevoir confirmation en toutes ses dispositions ; Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la société CHANEL la charge des frais qu'elle a été contrainte d'engager en cause d'appel ; que la société APEX et Madame X... Z... seront condamnées in solidum à lui payer une indemnité complémentaire de 1.500 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Considérant que les appelantes qui succombent dans l'exercice de leur recours doivent être condamnées aux dépens ; PAR CES MOTIFS Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris, Y ajoutant, CONDAMNE in solidum la société APEX et madame Gabriela X... Z... exerçant sous l'enseigne Y... X... Z... à payer à la société CHANEL la somme complémentaire de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, LES CONDAMNE sous la même solidarité aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par Maître SEBA, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile. ARRET REDIGE PAR MONSIEUR COUPIN, CONSEILLER PRONONCE PAR MADAME LAPORTE, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET

LE GREFFIER

LE PRESIDENT M. THERESE A...

FRANOEOISE LAPORTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 2000-4557
Date de la décision : 28/11/2002

Analyses

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Faute - Abus de droit - Société

L'existence de relations commerciales suivies en dehors d'un cadre contractuel fixant la durée ou les modalités d'interruption de celles-ci, implique pour chacune des parties la possibilité d'y mettre fin librement, sauf à ce que la rupture n'intervienne pas dans des conditions abusives et que soit respecté un préavis raisonnable.La rupture de relations commerciales poursuivies pendant trois ans, ne revêt pas de caractère abusif, dès lors que la décision de rompre fait suite à des demandes réitérées non satisfaites et qu'au regard de la durée de ces relations commerciales, un délai de préavis de six mois constitue un délai raisonnable permettant à l'autre partie de réorienter son activité


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2002-11-28;2000.4557 ?
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