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21/11/2002 | FRANCE | N°2000-8500

France | France, Cour d'appel de Versailles, 21 novembre 2002, 2000-8500


La Société LAFARGE CIMENTS a confié à la Société de transports LOCATRAP l'expédition de produits à destination de deux usines LAFARGE situées à LE TEIL (Ardèche) ; la Société LOCATRAP, en sa qualité de commissionnaire de transport, a affrété la Société de transports CHALABREYSSE, qui, en tant que voiturier, a exécuté ses prestations en novembre et décembre 1998. Alors que la Société LAFARGE CIMENTS avait procédé au règlement de sa dette entre les mains de la Société LOCATRAP, celle-ci n'a jamais effectué le paiement des factures de la Société CHALABREYSSE ayant t

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La Société LAFARGE CIMENTS a confié à la Société de transports LOCATRAP l'expédition de produits à destination de deux usines LAFARGE situées à LE TEIL (Ardèche) ; la Société LOCATRAP, en sa qualité de commissionnaire de transport, a affrété la Société de transports CHALABREYSSE, qui, en tant que voiturier, a exécuté ses prestations en novembre et décembre 1998. Alors que la Société LAFARGE CIMENTS avait procédé au règlement de sa dette entre les mains de la Société LOCATRAP, celle-ci n'a jamais effectué le paiement des factures de la Société CHALABREYSSE ayant trait à ces prestations et s'élevant à la somme totale de 104.340,75 F (15.906,64 ) TTC. Par jugement du 26 mars 1999, le Tribunal de Commerce de SALON-DE-PROVENCE a prononcé le redressement judiciaire de la Société LOCATRAP ; par courrier en date du 27 avril 1999, la Société CHALABREYSSE a déclaré sa créance au passif de la Société LOCATRAP. Mise en demeure par lettre du 18 juin 1999 d'avoir à payer à la Société CHALABREYSSE la somme précitée sur le fondement de l'ancien article 101 du Code de Commerce (article L 132-8 du nouveau Code de Commerce), la Société LAFARGE CIMENTS s'est opposée au versement de cette somme, au motif qu'elle avait antérieurement réglé la Société LOCATRAP. C'est dans ces circonstances que, par acte du 31 août 1999, la Société CHALABREYSSE a assigné la Société LAFARGE CIMENTS en paiement de la somme de 104.340,75 F (15.906,64 ), augmentée des intérêts légaux et d'indemnités accessoires. Par jugement du 22 septembre 2000, le Tribunal de Commerce de NANTERRE a condamné la SA LAFARGE CIMENTS à payer à la SARL CHALABREYSSE et CIE la somme de 104.340,75 F (15.906,64 ), outre les intérêts au taux légal à compter du 18 juin 1999, ainsi qu'une indemnité de 10.000 F (1.524,49 ) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, et a débouté la Société CHALABREYSSE de sa demande de dommages-intérêts. La Société LAFARGE CIMENTS a interjeté appel de cette décision. Elle

fait valoir que l'interprétation de l'article L 132-8 du Code de Commerce, mais également le bon sens et l'équité, commandent de ne pas l'obliger à procéder une seconde fois au paiement d'une somme dont elle s'est déjà valablement libérée auprès de la Société LOCATRAP. Tout en observant qu'aucune décision significative consacrant le principe d'un double paiement n'a à ce jour été rendue, elle soutient que la société CHALABREYSSE a fait preuve de négligence fautive en ne vérifiant pas la santé financière de la Société LOCATRAP et ne faisant pas défense à la société appelante de régler l'intégralité de la facture du commissionnaire. Elle relève qu'en revanche aucune négligence fautive ne peut lui être imputée, dès lors qu'elle a procédé de bonne foi au paiement des sommes qu'elle devait à la Société LOCATRAP, avant l'ouverture de la procédure collective et antérieurement à toute action de la partie adverse. Elle souligne que rien n'autorise à conclure que celle-ci ne récupérera pas ou n'a pas déjà récupéré le montant des sommes qu'elle a déclarées au passif de la Société LOCATRAP en redressement judiciaire. Par voie de conséquence, la Société LAFARGE CIMENTS demande à la Cour d'infirmer la décision entreprise, et de débouter la Société CHALABREYSSE de toutes ses réclamations tant à titre principal que du chef de dommages-intérêts pour résistance abusive. Elle réclame en outre le versement des sommes de 3.048,98 (20.000 F) à titre de dommages-intérêts et de 3.048,98 sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. La Société CHALABREYSSE et Cie sollicite la confirmation du jugement. Elle expose qu'il ressort du contexte de l'adoption de l'article L 132-8 du Code de Commerce que l'expéditeur et/ou le destinataire, garants du paiement du prix du transport, sont tenus de régler le transporteur, malgré un premier paiement entre les mains du commissionnaire ou de l'intermédiaire de transport. Elle prétend que l'équité ou la bonne foi ne peuvent faire

obstacle à l'application de cette garantie contenue dans le texte de l'article L 132-8 susvisé, qui est d'ordre public. Elle en déduit que la Société LAFARGE est mal fondée à soutenir que son paiement, même effectué de bonne foi, à la Société LOCATRAP est libératoire et qu'il l'exonère de tout règlement envers le transporteur. Elle précise être d'autant plus fondée à agir directement à l'encontre du destinataire que celui-ci connaissait la qualité de voiturier de la société intimée. Tout en relevant qu'elle a déclaré sa créance au passif de la Société LOCATRAP dont l'impécuniosité ne peut laisser espérer un quelconque règlement de sa part, elle estime que le sort de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'égard de cette société est sans incidence sur l'action directe en paiement dont elle dispose à l'encontre de la Société LAFARGE. Elle ajoute qu'il ne peut lui être reproché une négligence fautive pour n'avoir pas vérifié la santé financière de la Société LOCATRAP et pour n'avoir pas adressé à la société appelante une défense de payer qui n'est nullement exigée par la loi. Elle demande à la Cour, en ajoutant à la décision entreprise, de condamner la Société LAFARGE CIMENTS à lui payer les sommes de 10.000 F (1.524,49 ) à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et de 20.000 F (3.048,98 ) en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 mai 2002. MOTIFS DE LA DECISION : SUR LES CONDITIONS D'EXERCICE DE L'ACTION DIRECTE DU TRANSPORTEUR :

Considérant qu'aux termes de l'article L 132-8 du Code de Commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 6 février 1998, dite " Loi GAYSSOT " applicable au présent litige, " le voiturier a ainsi une action directe en paiement de ses prestations à l'encontre de l'expéditeur et du destinataire, lesquels sont garants du paiement du prix du transport. Toute clause contraire est réputée non écrite " ; Considérant qu'il s'infère de cette disposition d'ordre public que la

Société LAFARGE CIMENTS, qui est donneur d'ordre et destinataire des marchandises transportées par la Société CHALABREYSSE, est garante envers cette dernière du règlement du coût des transports effectués en novembre et décembre 1998 et non réglés par la Société LOCATRAP ; Considérant qu'en vertu de cette garantie légale, l'expéditeur ou le destinataire qui a déjà versé, même de bonne foi, le prix des transports au commissionnaire défaillant peut se voir imposer un second paiement entre les mains du transporteur ; Considérant qu'il suit de là que, même s'ils n'ont pas été précédés d'une mise en demeure du transporteur interdisant le règlement des factures au commissionnaire, les versements effectués par la Société LAFARGE CIMENTS antérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire de la Société LOCATRAP ne sauraient avoir d'effet libératoire ; Considérant qu'au demeurant, la société appelante ne peut sérieusement prétendre être restée dans l'ignorance de l'intervention de la Société CHALABREYSSE en tant que voiturier, alors qu'elle connaissait l'existence de cette dernière dont le nom figure sur les documents de transport qui lui étaient destinés ; Considérant qu'au surplus, la procédure collective dont le commissionnaire fait l'objet est sans incidence sur l'action personnelle et directe dont le transporteur est, en application de la disposition légale précitée, titulaire à l'encontre du donneur d'ordre ; Considérant qu'à cet égard, aucune négligence fautive ne peut être imputée à la Société CHALABREYSSE, laquelle a régulièrement déclaré sa créance le 27 avril 1999 entre les mains de Maître Y..., représentant des créanciers de la Société LOCATRAP en redressement judiciaire ; Considérant que, par ailleurs, la société intimée n'avait pas de raison particulière de craindre un dépôt de bilan de la part de son cocontractant avec lequel elle se trouvait en relations d'affaires habituelles depuis de nombreuses années ; Considérant que, dès lors, l'existence d'un double paiement

n'est pas de nature à exonérer la société appelante de son obligation de régler les factures litigieuses, afférentes à des prestations de transport dont la matérialité n'est pas contestée ; Considérant que le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné la Société LAFARGE CIMENTS à payer à la SARL CHALABREYSSE la somme de 104.340,75 F (15.906,64 ), augmentée des intérêts au taux légal à compter du 18 juin 1999, date de la mise en demeure. SUR LES DEMANDES COMPLEMENTAIRES ET ANNEXES : Considérant que, dans la mesure où le présent litige fait suite à des difficultés liées à l'interprétation d'une disposition légale qui était encore très récente lorsque la présente procédure a été engagée, la demande de dommages-intérêts présentée par la Société CHALABREYSSE pour résistance abusive et injustifiée a été à juste titre rejetée par le Tribunal ; Considérant que, dès lors qu'il est fait droit à la prétention de la société intimée, la demande de dommages-intérêts formulée à son encontre pour procédure abusive ne peut qu'être écartée ; Considérant que l'équité commande d'allouer à la Société CHALABREYSSE une indemnité complémentaire de 1.600 par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Considérant qu'il n'est cependant pas inéquitable que la société appelante conserve la charge de l'intégralité des frais non compris dans les dépens exposés par elle dans le cadre de cette instance ; Considérant que la Société LAFARGE CIMENTS, qui succombe en son recours, doit être condamnée aux dépens d'appel. PAR CES MOTIFS La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, DECLARE recevable l'appel interjeté par la Société LAFARGE CIMENTS, le dit mal fondé ; CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré ; Y ajoutant : CONDAMNE la Société LAFARGE CIMENTS à payer à la Société CHALABREYSSE la somme complémentaire de 1.600 sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; CONDAMNE la

Société LAFARGE CIMENTS aux dépens d'appel, et AUTORISE la SCP JULLIEN-LECHARNY-ROL, Société d'Avoués, à recouvrer directement la part la concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. ARRET REDIGE PAR MONSIEUR FEDOU, CONSEILLER PRONONCE PAR MADAME LAPORTE, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET

LE GREFFIER

LE PRESIDENT M. THERESE GENISSEL

FRANOEOISE X...


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 2000-8500
Date de la décision : 21/11/2002

Analyses

TRANSPORTS TERRESTRES

En vertu des dispositions d'ordre public de l'article L 132-8 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 6 février 1998, dite " Loi GAYSSOT " : " Le voiturier a aussi une action directe en paiement de ses prestations à l'encontre de l'expéditeur et du destinataire, lesquels sont garants du paiement du transport. Toute clause contraire est réputée non écrite. ".La garantie légale ainsi instituée implique qu'en cas de versement, même de bonne foi, du prix du transport au commissionnaire de transport défaillant, l'expéditeur peut se voir imposer un second paiement entre les mains du transporteur.En cas de redressement judiciaire du commissionnaire, il importe peu que le transporteur n'ait pas, avant même l'ouverture de cette procédure, adressé de mise en demeure à l'expéditeur pour lui interdire tout règlement de factures, dès lors que cette procédure collective est sans incidence sur l'action personnelle et directe que confère la loi au voiturier à l'encontre du donneur d'ordre, lequel, de surcroît, ne pouvait ignorer l'intervention d'un voiturier dont le nom figurait sur les documents de transport qui lui étaient destinés.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Composition du Tribunal
Président : Président : - Rapporteur : - Avocat général :

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2002-11-21;2000.8500 ?
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