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19/09/2002 | FRANCE | N°1999-7234

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19 septembre 2002, 1999-7234


Le 03 mai 1991, la société PLASTIGAM, aux droits de laquelle est aujourd'hui la société SCE, consentait à la société LAPAC un contrat de licence de fabrication et de commercialisation d'un applicateur à curseur et à rouleaux pour produits déodorants, dépilatoires ou autres, pour la durée du brevet de son invention. Un litige est survenu entre la société L'OREAL, la société SCE et ses dirigeants relativement à la propriété de cinquante quatre brevets, dont celui objet de la licence. La société LAPAC a été, en conséquence, judiciairement autorisée à verser entre les mai

ns d'un séquestre les sommes dues à la société SCE. Par lettre du 23 janv...

Le 03 mai 1991, la société PLASTIGAM, aux droits de laquelle est aujourd'hui la société SCE, consentait à la société LAPAC un contrat de licence de fabrication et de commercialisation d'un applicateur à curseur et à rouleaux pour produits déodorants, dépilatoires ou autres, pour la durée du brevet de son invention. Un litige est survenu entre la société L'OREAL, la société SCE et ses dirigeants relativement à la propriété de cinquante quatre brevets, dont celui objet de la licence. La société LAPAC a été, en conséquence, judiciairement autorisée à verser entre les mains d'un séquestre les sommes dues à la société SCE. Par lettre du 23 janvier 1997, la société SCE a notifié à son cocontractant la résiliation du contrat. Estimant cette décision fautive, la société LAPAC a saisi le tribunal de commerce de PONTOISE d'une demande en paiement de la somme de 4.230.000 francs (644.859,34 euros) de dommages et intérêts. De plus, qualifiant de dénigrants à son endroit les termes d'une lettre adressée le 29 septembre 1997 par la société SCE à sa cliente, la société YVES ROCHER, et estimant que ce comportement était constitutif de concurrence déloyale, elle a demandé 1.000.000 francs (152.449,02 euros) en indemnisation de son préjudice. Par jugement rendu le 22 juin 1999, cette juridiction a considéré qu'en résiliant unilatéralement le contrat du 03 mai 1991, la société SCE avait commis une faute mais que n'était pas apportée la démonstration de la réalité d'un préjudice en résultant pour la société LAPAC qu'elle a déboutée de sa demande de dommages et intérêts. Tenant compte du contexte conflictuel des relations entre les deux parties, elle a écarté la qualification d'acte de concurrence déloyale de la lettre du 29 septembre 1997. La société LAPAC, qui a interjeté appel de cette décision, indique qu'en plus du contrat litigieux, la société SCE lui avait consenti une licence de fabrication d'un " stick oval " et celle de produire, exclusivement pour YVES ROCHER, des appareils

de massage à profil cranté. Elle évoque les contentieux survenus entre la société L'OREAL et Monsieur X..., père de l'actuelle dirigeante de la société SCE. Rappelant les dispositions du contrat de licence du 5 mai 1991, à durée indéterminée, qui ne pouvait être résilié qu'en cas d'infraction à ses obligations, elle observe que le formalisme contractuellement prévu pour une résiliation n'a pas été respecté. Elle soutient avoir, pour sa part, parfaitement respecté ses obligations en réalisant les investissements et les démarches commerciales convenues. Elle admet que les résultats n'en étaient pas tangibles, mais souligne qu'elle n'était tenue à aucune obligation de résultat relativement au succès commercial du produit. Elle explique que son préjudice résultant de cette résiliation est constitué du coût de 750.000 francs (114.336,76 euros) des empreintes, des salaires de deux assistantes commerciales pour 400.000 francs (60.979,61 euros), de 315.000 francs (48.021,44 euros) de frais de déplacement et de publicité, ce qui représente un total arrondi à 233.000 euros auquel s'ajoute la perte de chance de réaliser un bénéfice de 300.000 euros sur la durée restant à courir d'exécution du contrat. Analysant les termes de la lettre adressée le 29 septembre 1997 à YVES ROCHER, relevant ses inexactitudes, elle en souligne le caractère dénigrant et fait valoir que la société SCE ne peut justifier le dénigrement commis ni par l'intérêt de prévenir le destinataire d'une éventuelle complicité de contrefaçon, ni par une réponse à un acte de dénigrement précédent. Elle demande ainsi à la cour d'infirmer le jugement, de condamner la société SCE à lui payer 523.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation fautive du contrat et 150.000 euros pour celui résultant du dénigrement, outre 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. La société SCE répond que le contrat du 03 mai 1991 n'a jamais été exécuté par la société LAPAC,

qu'aucune commande de l'applicateur standard n'est intervenue pendant plus de six ans, alors qu'elle continuait de payer les annuités de maintien de son brevet. Elle soutient que l'absence d'exploitation du brevet constitue une faute justifiant la résiliation du contrat. Observant les variations des prétentions de la société LAPAC, elle soutient qu'aucun élément ne vient justifier le montant exorbitant du dommage prétendu et fait valoir que les investissements sont amortis, notamment parce qu'ils étaient communs à l'applicateur cranté commercialisé par YVES ROCHER. Elle explique sa lettre du 29 septembre 1997 comme une réaction à la collusion des sociétés L'OREAL et LAPAC tendant à son anéantissement et par le climat conflictuel des relations. Elle considère que les sociétés LAPAC et YVES ROCHER se rendaient coupables de contrefaçon en développant un applicateur à rouleau cranté utilisant le système d'ouverture breveté. Elle en déduit qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut lui être reproché. Ainsi conclut-elle à la confirmation du jugement et réclame 16.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 11 avril 2002 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 04 juin 2002. ä MOTIFS DE LA DECISION ä Sur la résiliation du contrat Considérant que le contrat litigieux avait pour objet de définir les conditions dans lesquelles PLASTIGAM concédait à LAPAC une licence de fabrication exclusive, pour l'Europe, concernant un applicateur à curseur et à rouleau destiné à recevoir des produits déodorants, dépilatoires ou autres, à l'exclusion d'un appareil de massage à rouleau de profil cranté qui faisait l'objet d'un contrat d'exclusivité conclu avec la société YVES ROCHER ; considérant que le contrat était conclu pour la durée des brevets mais pouvait être résilié, à tout moment, par chacune des parties en cas d'infraction de l'autre à ses obligations

contractuelles, à charge d'adresser une mise en demeure valant résiliation après un délai de trente jours, à moins que la partie défaillante n'ait entre temps porté remède à l'infraction alléguée ; considérant que par lettre recommandée du 23 janvier 1997, la société SCE a notifié à la société LAPAC que le contrat était " réputé annulé à compter de ce jour, puisque LAPAC n'a ni réalisé d'études de marché comme il était convenu, ni fabriqué " et qu'elle se considérait libérée de ses engagements contractuels ; considérant qu'en procédant ainsi, sans dénoncer au préalable à son cocontractant les griefs qu'elle articulait et sans le mettre en demeure d'y remédier dans un délai de trente jours, la société SCE a, à l'évidence, manqué au respect des engagements contractuels qu'elle avait souscrits relativement aux modalités formelles de résiliation éventuelle du contrat ; considérant que dès le 31 janvier 1997, la société LAPAC protestait de l'irrégularité de la résiliation et de son caractère abusif ; considérant que la société SCE n'apporte aucun élément de nature à démontrer la réalité d'un manquement de la société LAPAC à ses obligations dont elle se borne à rappeler la définition contractuelle ; que l'obligation d'investir dans les outillages de production nécessaires à la réalisation du produit est stipulée comme devant être réalisée dans un délai de cinq mois de la date de signature ; que, pendant plus de cinq ans, la société SCE n'a, à aucun moment, allégué le non-respect de cette obligation ; qu'elle ne conteste pas la réalité de la capacité de la société LAPAC à fabriquer les applicateurs ; que sont produites aux débats des factures d'une société SEFIMO de fabrication de moules ; considérant que le contrat prévoyait à son article 7 - Commercialisation " LAPAC et PLASTIGAM uniront leurs efforts afin de démarcher un maximum de clients en Europe, PLASTIGAM agissant sous mandat LAPAC. Dans un premier temps, il est convenu que les gros preneurs européens seront

contactés en priorité à partir de la France, conjointement par LAPAC et PLASTIGAM " ; que le courrier produit aux débats émanant de Monsieur Y..., agent de LAPAC, en date du 02 juillet 1991 et la réponse de la société SCE du 20 septembre suivant démontrent la réalité des démarches commerciales entreprises ; considérant que la seule constatation de l'absence de vente ne saurait constituer un motif valable de résiliation dès lors qu'aucun minimum de vente n'était contractuellement prévu et que la société SCE n'a jamais émis, à cet égard, la moindre protestation pendant cinq ans ; qu'il suit de là doit être confirmé le jugement qui a retenu que la résiliation signifiée sans respect de la procédure contractuelle d'envoi préalable d'une mise en demeure et sans que ne soit établie la réalité des manquements allégués, est abusive et fautive. ä Sur la demande d'indemnisation Considérant que la société LAPAC réclame le paiement d'une somme de 750.000 francs (114.336,76 euros) en indemnisation de la perte de moules dont elle justifie de l'acquisition, en novembre 1991, par la production de quatre factures ; mais considérant que la société SCE affirme, sans être contredite, que ces moules ont permis la fabrication de plus de quatre millions d'applicateurs à rouleau cranté commercialisés par YVES ROCHER ; que, dans de telles circonstances c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la société LAPAC n'était pas fondée à réclamer le remboursement de ces outillages, vieux de plus de cinq ans, comptablement et économiquement amortis ; considérant que la simple production aux débats de deux contrats de travail, l'un daté du 1er septembre 1994, l'autre du 05 juin 1996, concernant respectivement une responsable commerciale et une assistante commerciale ne suffit pas à démontrer la réalité d'investissements commerciaux dont la société LAPAC réclame le remboursement à concurrence d'une somme de 400.000 francs (60.979,61 euros) ; que rien ne démontre que ces

personnes, dont l'embauche apparaît tardive eu égard à la date de signature du contrat, aurait été affectées, pour deux tiers de leur temps à la promotion de l'applicateur alors qu'aucun document, lettre, télécopie, compte-rendu d'activité ou de réunion, ou autre ne sont produits à l'appui de cette affirmation ; considérant que la société LAPAC demande le paiement d'une somme de 315.000 francs (48.021,44 euros) correspondant à des frais de déplacement et de publicité mais ne justifie de cette prétention par aucun document ; considérant qu'elle réclame enfin une somme de 30.000 euros par an pendant dix ans au titre de la perte de chance de réaliser des bénéfices pendant la durée qui restait à courir du contrat ; mais considérant qu'il n'est pas discuté que, du 05 mai 1991 au 23 janvier 1997, aucune vente d'applicateur standard n'a été concrétisée ; que la société LAPAC ne précise en rien les raisons qui auraient pu faire qu'après le mois de janvier 1997, l'exploitation industrielle et commerciale de la fabrication de l'applicateur, qui avait été inexistante pendant près de six ans, lui aurait permis de dégager un bénéfice annuel de 30.000 euros ; qu'elle ne produit à cet égard aucun document justifiant la perspective du démarrage commercial de ce produit, ni d'efforts techniques ou commerciaux pour y parvenir ; que l'indemnisation de la perte d'une chance nécessite que soit démontrée l'existence d'un espoir de gain qui pourrait se déduire de données vérifiables ; que tel n'est manifestement pas le cas en l'espèce ; que c'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont dit que la responsabilité contractuelle encourue par la société SCE en raison de la résiliation fautive du contrat du 03 mai 1991, ne s'est traduite pour la société LAPAC par aucun préjudice évaluable et démontrable et ont débouté cette dernière de sa demande en paiement de dommages et intérêts ; ä Sur la concurrence déloyale pour dénigrement Considérant que le 29 septembre 1997, la société SCE a

adressé à la société YVES ROCHER une lettre ayant pour objet d'informer cette dernière de l'évolution du litige existant avec la société LAPAC ; que la première partie de cette correspondance, qui dresse un exposé complet des différentes procédures, apparaît indélicate et déplacée dans la mesure où le destinataire est étranger à ce litige comme le confirme la société SCE dès le troisième alinéa ; qu'elle ne peut toutefois être qualifiée de dénigrante puisqu'elle se borne à mentionner les actions et décisions judiciaires sans en dénaturer la réalité ou le sens ; considérant, en revanche, que la société SCE énonce plus avant : "En outre, la société LAPAC a suspendu arbitrairement le règlement des factures S.C.E depuis octobre 1994" ; que cette qualification par la société SCE du comportement de son cocontractant apparaît contraire à la vérité, au regard de la décision de cette cour qui, par arrêt du 13 janvier 2000, a autorisé la société LAPAC à séquestrer les redevances ; considérant que la société SCE explique ensuite qu'elle est en désaccord avec le dirigeant de la société LAPAC sur la nécessité d'inclure dans l'assiette du calcul des redevances les fabrications faites pour le compte de YVES ROCHER ; qu'elle en déduit que ne pas partager son analyse aurait pour conséquence de permettre de qualifier cette dernière de contrefacteur ; que sous le prétexte fallacieux de " clarifier la situation " et " d'éviter tout problème ultérieur ", le sens général de la deuxième partie de cette lettre vise clairement à jeter le discrédit sur la société LAPAC et son dirigeant Monsieur Z... et à instiller chez la société YVES ROCHER l'idée de s'interroger sur la poursuite de ses relations avec LAPAC ; que la société SCE soutient que l'envoi de cette lettre était justifié par la prétendue collusion entre les sociétés L'OREAL et LAPAC tendant à son anéantissement sans justifier de cette affirmation ; que l'existence d'un désaccord grave entre deux

sociétés ne saurait autoriser l'une d'elle à employer des moyens contraires à la loyauté commerciale pour divulguer des informations inexactes et dénigrer son adversaire auprès d'un de ses licenciés, par ailleurs client important de celui-ci ; considérant que le comportement de la société SCE est ainsi constitutif d'un acte de concurrence déloyale qui a nécessairement causé à la société LAPAC un préjudice, constitué de l'atteinte aux relations commerciales qu'elle entretenait avec la société YVES ROCHER même s'il n'est ni allégué, ni démontré que cette dernière les aurait rompues, et qui sera justement réparé par l'octroi d'une indemnité de 10.000 euros ; considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la société LAPAC la charge des frais qu'elle a été contrainte d'engager en cause d'appel ; que la société SCE sera condamnée à lui payer une indemnité de 1.500 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; considérant que la société SCE qui succombe doit supporter la charge des dépens. ä PAR CES MOTIFS Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, ä CONFIRME le jugement entrepris en ses dispositions concernant la résiliation fautive par la société SCE du contrat du 03 mai 1991 et l'absence de préjudice démontré par la société LAPAC, ä L'INFIRME en ce qu'il a débouté la société LAPAC de sa demande d'indemnisation du préjudice résultant de la concurrence déloyale, Et statuant à nouveau de ce chef, ä CONDAMNE la société SCE à payer à la société LAPAC 10.000 euros à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ä LA CONDAMNE aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par Maître SEBA, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile. ARRET REDIGE PAR MONSIEUR COUPIN, CONSEILLER PRONONCE PAR MADAME LAPORTE, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER

LE PRESIDENT M. THERESE A...

FRANOEOISE LAPORTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1999-7234
Date de la décision : 19/09/2002

Analyses

CONCURRENCE DELOYALE OU ILLICITE - Faute - Dénigrement

Si l'envoi par une société d'un courrier tendant à informer l'un de un client, tiers au contrat, du contentieux qui l'oppose à un autre client peut apparaître déplacé dans la mesure où le destinataire est étranger au litige, cet acte ne peut être qualifié de dénigrant dès lors qu'il se borne à mentionner des actions et décisions judiciaires sans en dénaturer la réalité ou le sens. En revanche, le fait d'énoncer, contrairement à la réalité, que la société visée a suspendu arbitrairement le règlement de ses paiements et de faire état d'un différend sur l'assiette des redevances qui, en cas d'analyse divergente du destinataire, conduirait à faire de celui-ci un contrefacteur, tend clairement à jeter le discrédit sur la société visée et à instiller chez le destinataire l'idée de s'interroger sur l'opportunité de la poursuite de ses relations commerciales avec ladite société ; dès lors que l'existence d'un désaccord grave entre deux sociétés ne saurait autoriser l'une d'elle à employer des moyens contraires à la loyauté commerciale pour divulguer à des tiers des informations inexactes et dénigrer son adversaire auprès d'un client commun, l'envoi d'une telle correspondance est constitutive d'un acte de concurrence déloyale ayant nécessairement entraîné une atteinte aux relations commerciales entre le destinataire et la société visée, même s'il n'est ni allégué ni démontré que le destinataire aurait rompues celles-ci ou se serait interrogé sur l'opportunité d'une rupture


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2002-09-19;1999.7234 ?
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