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05/09/2002 | FRANCE | N°2001-5157

France | France, Cour d'appel de Versailles, 05 septembre 2002, 2001-5157


Le magazine Paris Match édité par la société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES et dont Madame X... est la directrice de la publication, a publié dans le numéro 2689 paru le 1er décembre 2000 un article annoncé en page de couverture sous le titre " Paul, le bébé martyr, Dans l'intimité des parents qui indignent la France Des photos bouleversantes ", et sur six pages intérieures illustré de photographies de l'enfant et des parents présentés dans une scène de leur vie familiale. Par assignation à jour fixe, L.BARDAMU agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant l

égal de son fils Paul, a fait assigner la société HACHETTE FILIPAC...

Le magazine Paris Match édité par la société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES et dont Madame X... est la directrice de la publication, a publié dans le numéro 2689 paru le 1er décembre 2000 un article annoncé en page de couverture sous le titre " Paul, le bébé martyr, Dans l'intimité des parents qui indignent la France Des photos bouleversantes ", et sur six pages intérieures illustré de photographies de l'enfant et des parents présentés dans une scène de leur vie familiale. Par assignation à jour fixe, L.BARDAMU agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de son fils Paul, a fait assigner la société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES et Madame X... sur le fondement des articles 12 de la déclaration universelle des droits de l'homme, 8 alinéa 1 de la convention européenne des droits de l'homme, 9 et 1382 du code civil, 39 bis, 42,43 et 44 de la loi du 29 juillet 1881, aux fins d'obtenir la réparation du préjudice personnel subi à raison de la publication de cet article et condamnation des défendeurs in solidum à lui payer la somme de 38112,25 en réparation du préjudice subi du fait de la reproduction de photographies de son enfant en violation de l'article 39 bis de la loi de 1881, 381 en réparation de l'atteinte portée à sa vie privée et au droit qu'il détient sur son image. Par le jugement déféré prononcé contradictoirement le 14 mars 2001, le tribunal de grande instance de NANTERRE a : - déclaré irrecevable l'action fondée par L.BARDAMU sur l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881 - déclaré mal fondée l'action engagée pour violation de la vie privée et atteinte au droit à l'image - condamné L.BARDAMU à payer à la société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES la somme de 3048,98 par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Appelant, L.BARDAMU conclut aux termes de ses dernières écritures en date du 2 mai 2002 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, au visa des textes invoqués expressément dans son acte introductif

d'instance : A titre principal, - au sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive sur les poursuites exercées par le procureur de la république près le tribunal de grande instance de PARIS contre les intimés pour avoir commis le délit de diffusion d'informations relatives à l'identité ou permettant l'identification d'un mineur victime d'une infraction sans autorisation des personnes ayant sa garde, en violation des dispositions de l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881, A titre subsidiaire, - à la confirmation du jugement en ce qu'il a considéré que l'infraction prévue par l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881 est matériellement constituée - à l'infirmation pour le surplus et prie la cour, statuant à nouveau - de dire et juger que les intimés ont violé les dispositions de l'article 39 bis et les condamner in solidum à lui payer la somme de 38 112,25 en réparation du préjudice subi du fait de la reproduction de photographies de l'enfant, - de dire et juger que la société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES a porté atteinte à sa vie privée et au droit sur son image et de la condamner à lui payer la somme de 38 112,25 en réparation de son préjudice En tout état de cause, - de condamner la société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES à lui payer la somme de 7600 par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. La société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES et Madame X... intimées, concluent aux termes de leurs dernières écritures en date du 16 mai 2002 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé : Vu les articles 6,7 et 10 de la convention européenne des droits de l'homme, Vu les articles 39 bis et 47 de la loi du 29 juillet 1881, Vu l'article 9 du code civil, Vu les articles 372-2,373,389-1 et suivants, - que soit jugé inapplicable l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881 en raison de son incompatibilité avec les articles 6,7,8 et 10 de la convention européenne des droits de l'homme, - de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'action

fondée sur l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881 et en tant que de besoin l'infirmer en ce qu'il a considéré que l'infraction était constituée, - de dire et juger les dispositions de l'article 39 bis inapplicable au cas d'un mineur décédé et contraire aux exigences de prévisibilité, sécurité et clarté suffisantes prescrites par la CEDH, - de confirmer le jugement qui a débouté du chef des atteintes à la vie privée et au droit sur l'image, Vu l'article 4 du code de procédure pénale, - de rejeter la demande de sursis à statuer Très subsidiairement, - de réduire le montant des dommages et intérêts En tout état de cause, - de condamner l'appelant à leur payer la somme de 10 000 par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile - de condamner l'appelant aux dépens. Le Procureur Général a visé la procédure. SUR CE Considérant qu'il convient, avant d'examiner le bien fondé de la demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue de l'instance pénale pendante devant la chambre correctionnelle de la cour d'appel de PARIS, de statuer sur la recevabilité discutée par les intimées de l'action engagée par L.BARDAMU sur le fondement de l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881, qu'en effet le sursis à statuer se justifie si la décision pénale peut avoir une incidence sur la décision civile, étant ici observé que les deux actions procèdent d'un même fait, opposent les mêmes parties pour une même cause, une telle incidence tenant alors au fait de savoir si l'infraction aux dispositions de l'article 39 bis est constituée, le pénal tenant alors le civil en état, et que L.BARDAMU s'il s'est constitué partie civile devant la juridiction répressive n'a pas sollicité l'indemnisation de son préjudice, qu'il a choisi de poursuivre par la voie principalement civile ; I: sur la recevabilité de l'action fondée sur les dispositions de l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881 :

Considérant que les intimées plaident la non conformité de l'article

39 bis aux articles 6,7,8 et 10 de la convention européenne des droits de l'homme et l'irrecevabilité subséquente de l'action ; Qu'elles soutiennent que les dispositions de l'article 39 bis , ne peuvent trouver application qu'au cas où le mineur est vivant lors de la publication, que ces dispositions sont définies en termes trop généraux pour être compatibles avec l'exigence de précision et le respect du principe fondamental de la liberté d'expression, qu'en pratique l'application de ces dispositions rendrait impossible toute relation de l'affaire Y... ; Considérant que l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881 qui ne distingue pas selon que le mineur soit en vie ou décédé au jour de la publication incriminée, issu de la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence édicte des mesures propres à assurer la protection des mineurs, dans le droit fil et la continuité de l'article 14 de l'ordonnance de 1945, qu'il comporte ainsi des restrictions à la liberté de la presse ; Considérant que ces restrictions s'inscrivent dans les principes posés par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme relatives au droit de tout individu au respect de sa vie privée et familiale, et ne sont nullement incompatibles avec les principes posés par l'article 10 de la convention qui affirme le droit à la liberté d'expression comportant la liberté d'opinion et de recevoir ou communiquer des informations mais précise aussi à l'alinéa 2, que l'exercice de ces libertés comporte des devoirs et responsabilités pouvant être soumis à certaines .... restrictions ou sanctions prévues par la loin constituant des mesures nécessaires .... à la protection des droits d'autrui ; Que les dispositions de l'article 39 bis sont dès lors parfaitement compatibles avec les principes posés par la convention européenne des droits de l'homme qui admet expressément des restrictions légales à l'exercice des libertés ; Considérant que les intimées soutiennent encore que

l'action engagée sur le fondement de l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881 est irrecevable en ce que ces dispositions ne visent que la victime de l'infraction seule personne à subir préjudice et à pouvoir agir sur son fondement, qu'elles dénient toute possibilité d'agir aux personnes autres que la victime de l'infraction pénale ; Que l'appelant fait valoir que son action est recevable dès lors qu'il subit un préjudice personnel à raison de la violation des dispositions de l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881, et se prévaut des décisions rendues sous l'empire des articles 14 et 14-1 de l'ordonnance de 1945 ayant admis la recevabilité de l'action des parents du mineur décédé avant la publication de l'article, en réparation du préjudice personnel découlant de la violation des dispositions ; Considérant que l'action fondée sur l'article 39 bis de la loi de 1881 n'est recevable que si elle tend à la réparation d'un préjudice constitué par l'atteinte à l'intérêt légitime protégé par les dispositions de l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881 ; Considérant que ces dispositions pénales introduites par la loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence, nécessairement d'interprétation stricte, ne tendent qu'à la protection du mineur victime d'une infraction, par l'interdiction de toute divulgation d'éléments permettant son identification, et ne visent qu'à protéger son anonymat et garantir le respect de sa vie privée ; Que ces dispositions n'autorisent pas la réparation du préjudice subi par des personnes autres que celles bénéficiaires de la protection légale ainsi instaurée ; Considérant que les dispositions des articles 3 et 4 du code de procédure pénale sont ici inopportunément invoquées, en ce qu'elles autorisent seulement la partie lésée à poursuivre, à son choix, la réparation de son préjudice soit devant le juge répressif accessoirement à l'action publique, soit devant les tribunaux civils par voie d'action civile principale, et que L.BARDAMU n'est pas la

partie lésée par la violation de ces dispositions pénales ; Considérant que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré l'appelant irrecevable à agir pour la réparation de son préjudice personnel sur le fondement de l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881 ; Considérant que la demande de sursis à statuer se trouve dès lors sans objet ; II : Sur les atteintes à la vie privée et au droit sur son image de L.BARDAMU : Considérant que l'appelant poursuit l'infirmation du jugement qui a rejeté ses demandes de ce chef ; Qu'il fait valoir que ni le droit à la liberté d'expression ni les impératifs d'actualité ne légitiment la publication ainsi faite ainsi que des photographies qui constitue une atteinte intolérable à l'intimité de sa vie privée, que cette publication n'a d'autre vocation qu'à satisfaire la curiosité du public et répond à un souci purement commercial ; Considérant que les intimées font valoir que cette publication satisfait au devoir légitime d'information du public sur un fait d'actualité et présente dans toutes ses composantes un caractère licite ; Considérant que le droit du public à l'information autorise la publication sans l'autorisation préalable du sujet, de l'image d'une personne impliquée dans un événement d'actualité ; Considérant qu'en l'espèce la relation du procès de L.BARDAMU et de son épouse, tous deux renvoyés devant la cour d'assises des hauts de seine du chef de violences sur leur enfant mineur ayant entraîné sa mort, les circonstances de la mort de l'enfant et l'évocation des relations des époux, au coeur des débats, constituaient un événement d'actualité dont Paris Match pouvait légitimement rendre compte ; Considérant que l'article est illustré de clichés photographiques représentant les époux Y... notamment dans une scène de leur vie familiale, en train de donner le biberon à l'enfant, et lors de leur mariage dans une pose plus conventionnelle ; Considérant, ainsi que relevé par les premiers juges dont les

motifs sont expressément adoptés, que les faits commis au domicile conjugal des époux Y... ont nécessairement placé au centre des débats publics l'intimité de leur couple et la personnalité de chacun dont celle de l'appelant, dont il a été largement et publiquement débattu au cours du procès d'assises ; Que dans ce contexte, le cliché représentant l'appelant en compagnie de son épouse et de son fils dans un moment d' intimité familiale, illustre avec pertinence l'article consacré à l'événement d'actualité que constituait le procès écoulé et les légitimes tentatives de l'auteur de faire comprendre au travers de l'évocation de la personnalité des époux Y... et de leur intimité conjugale directement en cause, les circonstances et les raisons de la mort de l'enfant, que le cliché renvoie d'ailleurs au récit d'une dispute entre les époux Y... dont les parents de Madame Z... avaient été témoins, scène à laquelle la lecture publique de l'arrêt de renvoi avait donné une publicité et une portée certaine ; Considérant que le cliché représentant le couple Y... le jour de son mariage participe également et de façon tout autant pertinente à l'illustration de l'article lui-même licite ; Considérant que la publication de ces clichés au soutien d'un événement d'actualité, bien que pris dans le cercle de famille, n'est pas de nature à porter atteinte à l'intimité de la vie privée de L.BARDAMU, ni à aucun autre de ses droits ; Considérant qu'il convient de confirmer le jugement qui a débouté L.BARDAMU de ses demandes ; Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES la totalité des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer en appel ; PAR CES MOTIFS LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

RECOIT L.BARDAMU en son appel mais le déclare mal fondé, CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y AJOUTANT, CONDAMNE

L.BARDAMU à payer à la société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES la somme de 2200 par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, CONDAMNE L.BARDAMU aux dépens avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile. ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET : Le Greffier, Le Président,

Sylvie RENOULT Francine BARDY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 2001-5157
Date de la décision : 05/09/2002

Analyses

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE - Respect de la vie privée - Droit à l'image - Atteinte - Photographies - Publication

L'action fondée sur l'article 39 bis de la loi de 1881 n'est recevable que si elle tend à la réparation d'un préjudice constitué par l'atteinte à l'intérêt légitime qu'il a pour objet de protéger.Dès lors que les dispositions pénales, d'interprétation strictes, de l'article 39 bis précité, introduites par la loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence, ne tendent qu'à la protection du mineur victime d'une infraction, en protégeant son anonymat et en garantissant le respect de sa vie privée par l'interdiction de toute divulgation d'éléments de nature à permettre son identification, ces dispositions n'autorisent pas la réparation du préjudice subi par des personnes autres que celles bénéficiaires de la protection légale ainsi instaurée. Le droit du public à l'information autorise la publication de l'image d'une personne impliquée dans un fait d'actualité, sans autorisation préalable de celle-ci.Dès lors que le renvoi de parents devant une cour d'assises, du chef de violences sur leur enfant mineur ayant entraîné sa mort, constitue un événement d'actualité dont un hebdomadaire peut légitimement rendre compte, l'illustration d'un article consacré au procès qui avait eu lieu par des clichés photographiques représentant les protagonistes du drame dans un moment d'intimité familiale avec leur enfant participe de la légitime volonté de l'auteur de l'article de faire comprendre, au travers de l'évocation de la personnalité des infanticides et de leur intimité conjugale directement en cause, les circonstances et les raisons de la mort de l'enfant.La publication sans autorisation préalable des clichés litigieux au soutien d'un événement d'actualité n'est donc pas de nature à porter atteinte à l'intimité de la vie privée de l'un des parents poursuivis.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2002-09-05;2001.5157 ?
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