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19/02/2002 | FRANCE | N°1999-23606

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19 février 2002, 1999-23606


Claudine X... est appelante d'un jugement rendu le 9 septembre 1999 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VERSAILLES qui l'a déboutée de sa demande tendant à obtenir la condamnation de son employeur, la société AIR FRANCE, pour faute inexcusable à l'origine d'un accident du travail dont elle a été victime. Il est constant que Claudine X..., hôtesse de l'air, chef de cabine a été victime le 4 juillet 1991 d'un traumatisme lors de l'atterrissage à RCG, d'un appareilA320, sur le vol AF 1133 COPENHAGUE-PARIS. IL n'est pas d'avantage discuté que ce vol avait été confi

é à Didier Y..., commandant de bord, et à Sophie Z..., qui était...

Claudine X... est appelante d'un jugement rendu le 9 septembre 1999 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VERSAILLES qui l'a déboutée de sa demande tendant à obtenir la condamnation de son employeur, la société AIR FRANCE, pour faute inexcusable à l'origine d'un accident du travail dont elle a été victime. Il est constant que Claudine X..., hôtesse de l'air, chef de cabine a été victime le 4 juillet 1991 d'un traumatisme lors de l'atterrissage à RCG, d'un appareilA320, sur le vol AF 1133 COPENHAGUE-PARIS. IL n'est pas d'avantage discuté que ce vol avait été confié à Didier Y..., commandant de bord, et à Sophie Z..., qui était aux commandes de l'appareil au moment de l'atterrissage. Claudine X..., estimant que l'atterrissage particulièrement dur qu'elle a subi constitue une faute inexcusable a initié à cette fin une procédure devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale. Pour statuer comme indiqué ci-dessus, la juridiction précitée a considéré que la faute inexcusable ne peut résulter en l'espèce que de l'emploi d'un pilote non-qualifié. Or, elle a constaté que Sophie Z... était titulaire d'une licence de pilote professionnel depuis le 13 juin 1991, ce dont il résulte que sa qualification était établie. Elle a par ailleurs mis en avant que si la qualification était récente, Sophie Z... n'était pas seule à assumer la responsabilité de l'appareil puisque placée sous la direction du commandant de bord, lui-même instructeur. Claudine X... a interjeté appel le 20 octobre 1999, de ce jugement à elle notifié le 23 septembre. A l'appui de son recours, elle fait grief pour l'essentiel à AIR FRANCE d'avoir confié la maîtrise de l'appareil à un pilote non qualifié, ou non habilité, et à Sophie Z..., dont c'était le premier vol commercial, d'avoir effectué un atterrissage très dur.
Elle prie ainsi la Cour de :
- Infirmer le jugement don appel.
- dire que AIR FRANCE a commis une faute inexcusable.
- condamner AIR FRANCE à l'indemniser pour les divers chefs de préjudice subis.
La condamner à lui payer les sommes suivantes :
- au titre du préjudice professionnel 69. 928, 49 euros et 12. 086, 33 euros
- au titre du prétium doloris 7. 622, 49 euros
- au titre du préjudice d'agrément 15. 244, 90 euros
- à titre de remboursement des frais avancés-concernant l'examen pratiqué par le Docteur A... 228. 67 euros
A titre subsidiaire :
Désigner un médecin avec mission habituelle en pareille matière, si la Cour s'estimait insuffisamment informée par les conclusions du Docteur A....
Désigner tel expert pilote avec pour mission de dire si Sophie Z... avait les compétences nécessaire, à l'époque des faits, la rendant apte à prendre les commandes d'un airbus A320 avec passagers lors de la phase d'atterrissage et de sonner son avis sur l'origine de l'accident qui s'est déroulé à l'occasion dudit atterrissage, afin de déterminer les éléments de fait permettant de dégager les responsabilités encourues.
Dans le cas de l'application des subsidiaires, lui allouer une provision de 15. 244, 90 euros.
En toute hypothèse condamner AIR FRANCE à lui payer une somme de 3. 811, 23 euros sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
En réplique, la société s'est attachée à réfuter l'argumentaire de l'appelante, précisant que l'incident est survenu à la suite d'un " cisaillement de vent ", bien dominé par l'intéressé, ainsi qu'il est attesté par le commandant de bord. Elle se réfère en outre au point de vue donné par un expert en aéronautique, Robert B.... Elle invite ainsi la Cour à :
- confirmer le jugement frappé d'appel-et vu, l'arrêt de cette Cour en date du 2 juillet 1996, de débouter l'appelante de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice professionnel, du préjudice d'agrément, du remboursement des honoraires du Docteur A..., subsidiairement lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur les demandes d'expertises technique et médicale formulées par Claudine X.... Résistant à d'autres prétentions de celles-ci, elle met en compte la somme de 4000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. La Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Yvelines s'en est remise à justice sur le mérite des prétentions émises par l'appelante.
SUR CE :
Sur la faute inexcusable :
Considérant que la faute inexcusable de l'employeur s'entend d'une faute d'une gravité exceptionnelle dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l'absence de toute cause justificative et se distinguant par le défaut intentionnel ;
Considérant qu'il est reproché à la société AIR FRANCE d'avoir commis une faute d'une gravité exceptionnelle en confiant la responsabilité de l'atterrissage à un pilote non qualifié ; qu'en effet, le fait pour un employeur de faire exécuter par un salarié une tâche dangereuse qui ne relève pas de sa qualification professionnelle peut constituer une faute d'une gravité exceptionnelle justifiant l'étude des autres critères de la faute inexcusable ;
Considérant cependant que Madame Z... dont la qualification est mise en cause est titulaire d'une licence de pilotage délivrée par les autorités compétentes, qu'il résulte de la licence de pilote de ligne que Madame Z... était qualifiée sur A 320 depuis le 13 juin 1991, (ou 25 juin selon correspondance du 13 juin 1994),
Que ce document administratif officiel, non argué de faux, a été délivré, par les services de la direction générale de l'Aviation Civile, et non par AIR FRANCE ;
Qu'il n'est pas contredit que ce document constate et valide la qualification d'un pilote ;
Que s'agissant d'un pilote nouvellement diplômé la société AIR FRANCE avait pris le soin de lui confier la responsabilité de co-pilote placé sous l'autorité et la surveillance d'un commandant de bord lui-même instructeur ce dont il résulte que la société a pris toutes les diligences nécessaires pour assurer la sécurité de l'équipage et des passagers ;
Que de surcroît, force est de convenir avec AIR FRANCE, que l'appelante, s'appuyant sur le rapport d'un expert aéronautique, Monsieur Raymond C..., entretient une confusion entre le statut de " pilote stagiaire en cours de qualification ", dont AIR FRANCE admet que l'activité est contrôlée par le commandant de bord, conformément à l'arrêté du 5 novembre 1997, période correspondant à la période d'apprentissage de la conduite de l'aéronef, et le statut de pilote qualifié effectuant " un vol d'adaptation en ligne " également dénommé pilote stagiaire ;
Que sans être contrée, AIR FRANCE explique que Madame Z... se trouvait dans cette situation, l'adaptation en ligne ayant uniquement pour but, sous le contrôle d'un commandant de bord instructeur, de familiariser les pilotes nouvellement qualifiés aux particularités commerciales des lignes de la compagnie ;
Que ces données techniques ont été confirmées par Monsieur Y..., dans son attestation du 5 avril 1994 : " Le stagiaire étant parfaitement qualifié sur la machine avant tout vol commercial " ;
Qu'il s'avère donc inopérant de soutenir que Madame Z... n'est devenue " pilote de ligne complet " (plc) que le 15 mai 1993 ;
Qu'il apparaît sans emport de même de dénoncer l'absence de conseil du commandant de bord (selon Monsieur C... " il n'y a eu aucun conseil ou brifing en vol rapporté par le CVR ") ; dès lors que Monsieur Y... n'avait pas à aider un pilote " stagiaire " ;
Qu'il en aurait été différemment en cas d'alerte météorologique diffusée, dès le départ à COPENHAGUE, ou à l'approche de l'arrivée à ROISSY, ce qui n'est ni démontré, ni même allégué ;
Sur les manquements techniques du co-pilote :
Considérant que l'appelant cite l'avis de Monsieur C... qui a déploré la méconnaissance des règles standard de l'atterrissage : " Hauteur du début d'arrondi non respectée, loi de réduction de la puissance moteur non respectée, dérive non annulée, loi d'arrondi au manche non correcte " ;
Que le même expert affirme qu'il n'y a eu aucun gradient de vent selon les relevés de météorologie nationale, que la variance de portance liée à la couche d'air plus chaud sur la piste est un phénomène connu qui ne doit surprendre aucun pilote qualifié ; que pour critiquer Madame D..., l'appelante s'inspire aussi des commentaires du commandant E..., pilote et analyste à AIR FRANCE lequel note : " Le gradient de vent (subi par cet avion dans les quatre secondes qui ont précédé le toucher) serait un phénomène relativement fréquent qui peut être dangereux et conduire à des accidents. Le deuxième pilote dispose encore de moins de temps pour réagir car il lui manque un élément d'analyse primordial : les actions effectives du pilote en fonction sur les commandes et la sensation qu'il éprouve. Le délai d'analyse se trouve allongé au détriment du délai de réaction disponible. " ; qu'elle ironise sur l'apprentissage des pilotes d'AIR FRANCE " sur le tas " ; qu'elle invoque également l'opinion caustique d'un instructeur de l'aérospatiale, Monsieur Jean-Michel F..., recueillie sur les conditions d'atterrissage ;
Mais considérant que le commandant de bord dont le cursus n'est pas discutable ainsi qu'il s'évince des pièces nä 4 et 7 qui à l'inverse des experts a été le témoin oculaire de l'atterrissage querellé, a certifié n'avoir " observé aucune erreur de pilotage "- voir aussi sa lettre adressée à Madame X...- le 15 février : " tous les paramètres de vol sont parfaitement calibrés jusqu'à l'arrondi... aucun paramètre mathématique ne permet d'expliquer plus avant cet atterrissage dur. Je pense... qu'un fort gradient de température (juillet) a fait s'enfoncer l'avion brutalement " ;
Que l'avis technique peu élogieux de Monsieur C..., donné le 7 août 2001, ne détruit nullement celui présenté par Monsieur B..., le 27 décembre 2001 lequel souligne que " Mademoiselle Z... a parfaitement géré sa trajectoire " ; qu'il s'infère des documents techniques objectifs fournis par AIR FRANCE, que l'attérrissage ne peut être qualifié de " dur ", selon la définition proposée par le manuel d'entretien de l'AIRBUS A 320, dès lors que le jour de l'événement, d'accélération verticale était de 1, 86 g, alors que la qualification d'atterrissage " dur " commence à compter de 2, 6- éléments techniques non discutés par l'appelante ; que l'analyse de vol effectuée par Monsieur E... a été déclenchée non pas du fait de la survenance de l'incident au moment de l'atterrissage, mais en raison de la demande d'enquête réclamée par Madame X... " lors de l'atterrissage... le toucher a été très franc-au parking, un PNC me demande de signer un CRASDAB " ;
Que les impressions personnelles du personnel navigant commercial, telles qu'elles s'infèrent des dépositions de Mesdames Marie-France I..., Dominique J...- et de Messieurs Eric G..., Thierry K..., Folvio L..., ne sont donc pas de nature à modifier l'appréciation technique du commandant de bord, et celle du commandant Alain E... qui, même s'il relève- p. 2- " un pilote expérimenté aurait certainement réagi plus rapidement sur l'assiette et peut être augmenté le poussée ", n'en a pas moins conclu : "... opérationnellement l'atterrissage, quoique ferme, ne sort pas des normes acceptables, tant du point de vue du pilotage, que de la sécurité qui n'a jamais été mise en cause... techniquement, l'atterrissage a engendré des accélérations au contact qui restent en deça de celles nécessitant des vérifications de maintenance.... nous enregistrons tous les mois un certain nombre d'atterrissage où les valeurs des accélérations enregistrées dépassent celles de cet atterrissage sans qu'il y ait plainte de passagers ou d'un membre de l'équipage " ; que pareillement, les spéculations de l'instructeur F... même si elles ont le mérite d'avoir été consignées le 25 septembre 1996, peinent à contredire les explications spontanées du commandant Y..., qui, il importe de le répéter, n'a déclenché aucune procédure d'enquête, qu'il n'y a aucune raison de suspecter l'impartialité de celui-ci, et de privilégier les investigations expertales de Messieurs F... et C..., tous pilotes chevronnés ; mais dont l'un-Monsieur C... s'est prononcé bien tardivement-et l'autre Monsieur F... a esquissé des scénaris, selon son expression même ; que dans ces conditions, une expertise ne s'impose pas, la Cour s'estimant suffisamment et objectivement informée sur les conditions de l'atterrissage décrié, lesquelles ne révèlent pas de faute d'une gravité exceptionnelle de l'employeur via le comportement du commandant de bord ou de celui du copilote ;
Considérant en conséquence qu'aucune faute d'une gravité exceptionnelle de l'employeur n'est établie ; qu'il n'y a donc pas lieu de vérifier les autres critères de la faute inexcusable de l'employeur, celle-ci étant dans ces conditions écartée ; qu'abstraction faite d'un motif restreignant la commission de la faute inexcusable à l'emploi d'un pilote non qualifié, erroné mais surabondant, il y a lieu d'approuver le raisonnement suivi par le premier juge ;
Et considérant que la partie qui succombe et qui supporte les dépends éventuels n'a pas vocation à se prévaloir des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; que l'équité ne commandait pas toutefois qu'il soit fait application dudit article au profit de la société Air France en première instance ; que pour la même raison tirée de l'équité, il ne convient pas d'accorder une indemnité de procédure à la Société à hauteur de Cour ;
PAR CES MOTIFS et ceux non contraires du premier juge.
La COUR, STATUANT publiquement et par arrêt réputé contradictoire.
Dit l'appel recevable ;
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a mis à la charge de Claudine X... une indemnité fondée sur l'article 700 au profit de la Société AIR FRANCE.
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu davantage à octroyer à la société AIR FRANCE une indemnité de procédure en cause d'appel.
Et ont signé le présent arrêt, M. RAPHANEL, Président, et Madame BOHN, Greffier.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1999-23606
Date de la décision : 19/02/2002

Analyses

SECURITE SOCIALE, ACCIDENT DU TRAVAIL - Faute inexcusable de l'employeur - Définition

La faute inexcusable de l'employeur s'entend d'une faute d'une gravité exceptionnelle dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire qui, en l'absence de toute cause justificative, implique la conscience du danger que devait en avoir son auteur, mais se distingue de la faute volontaire par le défaut d'intention. Si le fait pour un employeur de faire exécuter par un salarié une tâche dangereuse ne relevant pas de sa qualification professionnelle peut constituer une faute d'une gravité exceptionnelle de nature à être qualifiée de faute inexcusable, tel n'est pas le cas d'une compagnie aérienne qui confie la responsabilité du copilotage d'un avion de ligne à l'occasion d'un vol dit " d'adaptation de ligne ", à un pilote nouvellement mais dûment qualifié pour voler sur ce type d'appareil, alors qu'en plaçant ce copilote sous l'autorité et la surveillance d'un commandant de bord ayant la qualification d'instructeur, la compagnie démontre avoir fait toutes les diligences nécessaires pour assurer la sécurité de l'équipage et des passagers


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2002-02-19;1999.23606 ?
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