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13/09/2001 | FRANCE | N°JURITEXT000006938563

France | France, Cour d'appel de Versailles, 13 septembre 2001, JURITEXT000006938563


FAITS ET PROCEDURE : La SA AOC DIRECT -AOC- exerce une activité de vente par correspondance et utilise les services de la POSTE pour diffuser ses offres de vente et recevoir les commandes de sa clientèle. Cette activité a été gravement perturbée lors des grèves de Décembre 1995. Le 29 janvier 1996, la société AOC a présenté une demande d'indemnisation amiable à la POSTE laquelle lui a proposé le report de quinze jours calendaires des prélèvements sur affranchissements du mois de décembre et une remise exceptionnelle de 5 % sur les affranchissements du mois de janvier. Le 13 f

vrier 1996, la POSTE a, en outre, adressé à la société AOC un do...

FAITS ET PROCEDURE : La SA AOC DIRECT -AOC- exerce une activité de vente par correspondance et utilise les services de la POSTE pour diffuser ses offres de vente et recevoir les commandes de sa clientèle. Cette activité a été gravement perturbée lors des grèves de Décembre 1995. Le 29 janvier 1996, la société AOC a présenté une demande d'indemnisation amiable à la POSTE laquelle lui a proposé le report de quinze jours calendaires des prélèvements sur affranchissements du mois de décembre et une remise exceptionnelle de 5 % sur les affranchissements du mois de janvier. Le 13 février 1996, la POSTE a, en outre, adressé à la société AOC un dossier relatif à l'impact financier réel de cette grève. La société AOC l'a complété et retourné à la POSTE, mais n'a obtenu aucune réponse à cet envoi en dépit de plusieurs relances en 1996 et le 27 janvier 1997, la POSTE l'a avisée de son refus d'y donner suite en lui proposant d'autres avantages que celle-ci a estimé dérisoires. C'est dans ces circonstances que la société AOC a assigné la POSTE devant le Tribunal de Commerce de NANTERRE en réparation de son préjudice. Par jugement rendu le 05 juin 1998, cette juridiction a condamné la POSTE à régler à la société AOC la somme de 75.000 francs à titre de dommages et intérêts en sus des remises déjà versées, et une indemnité de 15.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens. Appelante de cette décision, la POSTE soulève l'irrecevabilité de l'action de la société AOC en raison de la prescription annale de l'article L 13-1 du Code des Postes et Télécommunications n'ayant pas fait l'objet d'interruption et dénie toute intention dilatoire de sa part dans la formulation de ce moyen. Elle se prévaut des articles L7 et L13 du même code pour invoquer son absence de responsabilité en raison des retards dans l'acheminement des correspondances confiées par la société AOC en raison des grèves de décembre 1995 en soutenant qu'en toute

hypothèse, celles-ci revêtent tous les caractères de la force majeure de nature à l'exonérer en application de l'article 1148 du Code Civil. Elle prétend n'avoir souscrit aucun engagement contractuel envers la société AOC dans son courrier du 13 février 1996, mais seulement proposé de nouveaux gestes commerciaux comme le corrobore la correspondance subséquente. Elle dément avoir commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité délictuelle et allègue, en tout état de cause, l'absence de préjudice et de lien de causalité. Elle sollicite donc l'irrecevabilité de l'action de la société AOC comme prescrite et l'entier débouté de l'intimée, outre une indemnité de 20.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. La société AOC oppose que l'article L 13-1 du Code des Postes et Télécommunications est étranger au débat ayant pour cause juridique le refus d'indemnisation de la POSTE. Elle considère que le litige ne relève pas d'une perte ou d'un retard, mais d'une carence totale de la POSTE dans le fonctionnement de ses services comme dans la mise en oeuvre de mesures suffisantes à permettre de conserver l'outil de travail de vente par correspondance engageant sa responsabilité contractuelle contrairement à ce qu'a retenu le tribunal. Elle fait valoir que les éléments de la force majeure ne sont pas réunis en l'espèce. Elle ajoute que la POSTE a violé la promesse d'indemnisation qu'elle lui avait faite et qu'elle est fondée à réclamer la réparation de son manque à gagner, dont les premiers juges ont, selon elle, sous estimé l'importance. Elle demande donc à la Cour de déclarer la POSTE irrecevable en sa fin de non recevoir et de la condamner au versement de 15.000 francs sur le fondement de l'article 123 du nouveau code de procédure civile. Formant appel incident du chef du montant de l'indemnité allouée, elle demande à ce titre la somme de 616.552 francs avec intérêts légaux à compter du 21 mai 1997 ainsi qu'une indemnité de 10.000

francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. MOTIFS DE LA DECISION : Ï Sur la fin de non recevoir : Considérant que l'action indemnitaire initiée par la société AOC n'a pas pour objet une réclamation concernant des correspondances déposées en novembre et décembre 1995 mais pour fondement d'une part, un arrêt total des services de la POSTE pendant plusieurs semaines entraîné par une grève et d'autre part, la violation d'une promesse d'indemnisation ; qu'elle n'est donc pas soumise à la prescription de l'article L 13-1 du Code des Postes et Télécommunications et s'avère parfaitement recevable ; considérant que la société AOC ne démontre pas avoir subi un préjudice caractérisé en raison de la formulation de cette fin de non recevoir seulement en cause d'appel par la POSTE dont elle n'établit pas l'intention purement dilatoire ; que sa demande en dommages et intérêts de ce chef sera rejetée. Ï Sur la responsabilité de la POSTE : Considérant que la société AOC reprochant en premier lieu à la POSTE l'inexécution totale de son obligation d'acheminement des biens confiés recherche la responsabilité contractuelle générale de cette administration sans que les articles L7 et L13 du Code des Postes et Télécommunications dérogatoires au droit commun stipulant une exonération en cas de pertes d'objets ou de correspondances ordinaires et de retard dans la distribution n'aient vocation à recevoir application en l'espèce ; considérant qu'il n'est pas discuté que le vaste mouvement de grève de décembre 1995 consécutif à la présentation en novembre 1995 du plan de réforme de la sécurité sociale dit "Plan Juppé" a entraîné un dysfonctionnement complet des services postaux en paralysant toute leur activité pendant une longue période de temps, et par voie de conséquence, celle des sociétés de vente par correspondance qui, comme la société AOC ont recours à la POSTE pour diffuser leurs catalogues, recevoir les commandes et délivrer les marchandises

achetées par cette voie ; considérant toutefois, que la POSTE est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 1148 du Code Civil dans la mesure où la grève de décembre 1995 revêt tous les caractères de la force majeure ; considérant en effet que la grève de décembre 1995 qui a été déclenchée par les centrales à la suite de la présentation par le Gouvernement du plan de réforme de la Sécurité Sociale a été d'une très grande ampleur et a touché la plupart des grands secteurs de l'activité économique en paralysant le pays ; considérant que ce mouvement social est né d'une réaction aux mesures gouvernementales adoptées pour réguler l'institution de la Sécurité Sociale dans divers domaines au titre notamment de la maîtrise des dépenses de santé et les retraites puis s'est rapidement généralisé ; que la POSTE ne pouvait donc pas prévoir cette grève ni en entraver le développement par des négociation internes à l'entreprise ou y mettre un terme en satisfaisant les revendications de ses salariés puisque son issue dépendant de décisions d'ordre politique devant être prises sur le plan national dont elle n'avait pas l'initiative ; que la POSTE n'était pas davantage en mesure de surmonter d'un point de vue technique ce conflit social particulièrement rude ayant affecté la vie économique du pays tout entier dès lors que les moyens d'acheminement de substitution susceptibles d'être mis en oeuvre n'étaient pas de nature à lui permettre d'assurer de manière continue l'expédition et la distribution des correspondances puisque l'activité d'autres secteurs tels que la SNCF était elle-même arrêtée ; considérant que la POSTE doit donc être exonérée de ce chef ; considérant cependant que la POSTE en réponse à la demande d'indemnisation formulée le 29 janvier 1996 par la société AOC s'est prononcée dans un courrier du 13 février 1996 selon les termes suivants : "PAR LETTRE DU 29 JANVIER, VOUS AVEZ APPELE NOTRE ATTENTION SUR LES CONSEQUENCES DES MOUVEMENTS SOCIAUX SUR VOTRE

ENTREPRISE DE VENTE PAR CORRESPONDANCE ET LEUR IMPACT FINANCIER. AFIN DE RETROUVER VOTRE ENTIERE CONFIANCE, LA POSTE EST PRETE A FAVORISER DES MESURES DE RELANCES DE VOTRE ACTIVITE DURANT L'ANNEE 1996. CES MESURES S'INSCRIVANT DANS UN CADRE DE PARTENARIAT ET DE FIDELISATION DONT NOUS SOUHAITONS VOIR LE DEVELOPPEMENT. ELLES S'AJOUTENT AUX PREMIERES DISPOSITIONS DONT VOUS AVEZ EU CONNAISSANCE C'EST A DIRE :

LE REPORT DE QUINZE JOURS CALENDAIRES DES PRELEVEMENTS SUR LES AFFRANCHISSEMENTS DE DECEMBRE ET UNE REMISE EXCEPTIONNELLE DE 5 % SUR LES AFFRANCHISSEMENTS DE JANVIER. AUSSI, AFIN D'ETUDIER EN PARTICULIER VOTRE DOSSIER ET PRENDRE EN COMPTE L'IMPACT FINANCIER REEL DES EVENEMENTS DE DECEMBRE SUR VOTRE ENTREPRISE, JE VOUS REMERCIE DE BIEN VOULOIR REMPLIR LE PLUS COMPLETEMENT POSSIBLE LE DOSSIER FINANCIER CI-JOINT ET ME LE RETOURNER DANS LES MEILLEURS DELAIS..." Considérant qu'à cette lettre étaient jointes deux pages et demi de demandes d'informations préalables aux mesures en faveur des entreprises de ventes par correspondances "nécessaires à la POSTE afin de l'aider dans l'appréciation des mesures à prendre", se classant en cinq catégories : À les informations financières relatives à l'activité faisant l'objet de deux annexes ayant pour finalité de permettre d'établir une estimation de la perte de marge brute subie par votre entreprise en décembre 1995 et concernant le chiffre d'affaires, la marge brute, les autres coûts d'exploitation et le résultat d'exploitation ; À les informations financières permettant d'apprécier votre sensibilité financière aux événements de décembre relatives à fin décembre 1994 et fin novembre 1995 au besoin en fonds de roulement, la trésorerie nette, les capitaux propres et des dettes à long et moyen terme, déterminés par une troisième annexe ; À les informations relatives aux modes de traitement du trafic à reporter sur une annexe 4 ; À les informations relatives à la clientèle donnant lieu à une annexe 5 ; À et les informations

concernant une éventuelle police d'assurance couvrant les pertes d'exploitation donnant un questionnaire en annexe 6 ; Considérant que les termes de ce document comme le nombre et la précision des renseignements requis outre les pièces justificatives réclamées démontrent l'engagement certain et non équivoque contracté par la POSTE d'indemniser la société AOC en tant que société de vente par correspondance de manière autonome et complémentaire des gestes commerciaux déjà offerts dont le montant devait être déterminé au vu du dossier financier à compléter, dans le dessein de conserver une clientèle constituée d'une catégorie d'entreprises susceptibles de faire appel à la concurrence de sociétés de droit privé pour les besoins de leur activité précédemment paralysée par des grèves ayant essentiellement touché le secteur public ; considérant que la société AOC justifie avoir rempli ce dossier et l'avoir retourné à la POSTE, le 26 février 1996, complété de 8 annexes et qu'il n'est pas allégué sa non conformité aux demandes de la POSTE ; considérant qu'en dépit de cette situation et nonobstant trois lettres de rappel en date des 19 avril 1996, 13 mai 1996 et 24 octobre 1996, la POSTE n'a même pas cru devoir fournir une quelconque réponse avant le 23 janvier 1997, date à laquelle elle s'est bornée à indiquer à la société AOC que sa demande d'indemnisation auprès de la Direction Générale n'avait pas abouti sans donner aucune explication, ni raison à cet égard ; considérant que la POSTE qui n'a pas ainsi honoré son engagement d'indemnisation spécifique sans aucun motif après avoir laissé perduré cet état de fait pendant un an a commis une faute ayant causé un préjudice incontestable à la société AOC qui était en droit de pouvoir en bénéficier ; considérant qu'ainsi que l'admet la société AOC, l'indemnisation en cause n'était pas chiffrée, même si son principe était certain, la POSTE s'étant laissée sur ce point la faculté d'en apprécier le montant en fonction des éléments financiers

recueillis ; considérant que la société AOC ne peut donc revendiquer des dommages et intérêts sur le fondement de son manque à gagner, mais uniquement sur celui d'une perte de chance de chiffre d'affaires et de résultat qui, au vu de l'ensemble des documents produits permettant à la Cour de disposer d'éléments suffisants pour statuer, justifie l'octroi d'une indemnité de 100.000 francs avec intérêts légaux à compter de l'assignation du 21 mai 1997. Ï Sur les autres prétentions des parties : Considérant que l'équité commande d'accorder à la société AOC une indemnité de 10.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; considérant que la POSTE qui succombe en son appel, supportera les dépens. PAR CES MOTIFS Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, DECLARE recevable l'action de la SA AOC DIRECT et DEBOUTE cette dernière de sa demande en dommages et intérêts sur le fondement de l'article 123 du nouveau code de procédure civile, INFIRME le jugement déféré hormis en ses dispositions concernant l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et les dépens, Et statuant à nouveau, CONDAMNE la POSTE à verser à la SA AOC DIRECT 100.000 francs de dommages et intérêts avec intérêts légaux à compter du 21 mai 1997 outre une indemnité supplémentaire de 10.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, LA CONDAMNE aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP DEBRAY-CHEMIN, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. ARRET PRONONCE PAR MADAME LAPORTE, CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER

LE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRESIDENT M.THERESE GENISSEL

F. X...


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006938563
Date de la décision : 13/09/2001

Analyses

RESPONSABILITE CONTRACTUELLE.

1) Une grève générale d'ampleur nationale née d'une réaction à un projet gouvernemental, dès lors que non prévisible ni susceptible d'être contrée par des négociations locales, puisque dépendant de réponses d'ordre politique, et insurmontable, comme affectant l'ensemble de la vie économique du pays tout entier, revêt tous les caractères de la force majeure et c'est à bon droit que la POSTE se prévaut des dispositions de l'article 1148 du code civil pour s'exonérer de sa responsabilité à l'égard de ses clients relativement aux graves perturbations de son service liée à la grève de décembre 1995.2) Un courrier qui, en réponse à une demande d'indemnisation liée à des mouvements sociaux, énonce " afin de retrouver votre entière confiance, La POSTE est prête à favoriser des mesures de relances de votre activité durant l'année 1996. Ces mesures s'inscrivant dans un cadre de partenariat et de fidélisation dont nous souhaitons voir le développement. Elles s'ajoutent aux première propositions dont vous avez eu connaissance, c'est à dire..(..). Aussi, afin d'étudier en particulier votre dossier et prendre en compte l'impact financier réel des événements de décembre sur votre entreprise, je vous remercie de bien vouloir remplir (..)le dossier financier ci-joint. ", lequel est constitué d'un questionnaire de plusieurs pages à compléter de pièces justificatives, constitue un engagement certain et non équivoque de la POSTE d'indemniser le destinataire de manière autonome et complémentaire au vu du dossier financier constitué par celui-ci.Il s'ensuit que l'offrant, qui sans alléguer d'une non conformité quelconque du dossier, se borne, nonobstant trois lettres de rappel, à notifier, plus d'un an après et sans autre motif, que la demande d'indemnisation n'a pas abouti, n'a pas honoré son engagement d'indemnisation spécifique et a commis une faute ayant causé un préjudice au demandeur, lequel ne peut toutefois s'analyser que comme une perte de chance de chiffre d'affaires et de

résultat, dès lors que l'offre d'indemnisation n'était pas chiffrée et laissée à la seule appréciation de l'offrant.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2001-09-13;juritext000006938563 ?
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