COUR D'APPEL
RÉPUBLIQUE FRANOEAISE
DE
AU NOM DU PEUPLE FRANOEAIS
X...
Sème chambre
LE HUIT JUIN DEUX MILLE UN, ARRÊT N°
La cour d'appel de X..., Sème chambre, DU 08 JUIN 2001
a rendu l'arrêt CONTRADICTOIRE suivant, R.G. N° 99/01361
prononcé en audience publique, AFFAIRE:
La cause ayant été débattue à l'audience publique du 03 Mai 2001, DEVANT: Madame Dominique GUIRIMAND, président chargé du rapport, Georges Y...
les conseils des parties ne s'y étant pas opposés, en application de l'article 786 C/
du nouveau code de procédure civile, I/ Monique Z... épouse assisté de Madame Michèle MOREAU, greffier, A...
Le magistrat rapporteur en a rendu compte à la cour, dans son délibéré, celle-ci 2/ S.A. A.G.F. IART
-étant composée de 3/ S.C.P. MARTIN CHAUSSELAT
Madame Dominique GUIRIMAND, président, 4/ Monsieur le DIRECTEUR
Madame Françoise SIMONNOT, conseiller, REGIONAL chargé de la DIRECTION NATIONALE
Madame Françoise PRAGER-BOUYALA, conseiller, D'INTERVENTIONS et ces
mêmes magistrats en ayant délibéré conformément à la loi, DOMANIALES DANS L'AFFAIRE, Appel d'un jugement rendu le 20
ENTRE: Octobre 1998 par le T.G.I. de Monsieur Georges Y... X... (3ème chambre) 14, rue Angélique Vérien 92200 NEUILLY SUR SEINE Expédition exécutoire
Agissant en sa qualité d'ayant droit de monsieur B... BIRTCHANS%Y Expédition C... délivrées le:]]o1]1
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CONCLUANT par la SCP DELCAIRE BOITEAU, avoués près la cour à: SCP DELCAIRE BOITEAU
d'appel de X... SCP JULLIEN-LECHARNY ROL SCP LISSARRAGUE-DUPUIS PLAIDANT par maître DRUBIGNY, avocat au barreau de PARIS (C.677) etamp; ASSOCIES APPELANT ET 1/ Madame Monique Z... Veuve A... ll,avenue Princesse Grace 98000 PRINCIPAUTE DE MONACO CONCLUANT par la SCP JULLIEN-LECHARNY-ROL, avoués près la ccar d'appel de X... PLAIDANT par maître GARIBALDI, avocat au barreau de MARSEILLE INTIMEE - APPEL INCIDENT 2/ S.A. compagnie A.G.F. IART anciennement compagnie P.F.A. 87 rue de Richelieu 75002 PARIS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège 3/ S.C.P. MARTIN CIIAUSSELAT, commissaires-priseurs 3, impasse des Chevau-Légers 78000 X... prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège -2- CONCLUANT par la SCP LISSARRAGUE-DUPUIS etamp; ASSOCIAS, avoués près la cour d'appel de X... PLAIDANT par maître PORCHER, avocat au barreau de PARIS INTIMEES 4; :Monsieur le DIRECTEUR REGIONAL chargé de la DIRECTION NATIONALE D'INTERVENTIONS DOMANIALES, ès qualités de curateur à la succession vacante de Monsieur Alexandre D... 17 rue Scribe 75009 PARIS ASSIGNE EN APPEL PROVOQUE - MEMOIRE DEPOSE 5 EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
En 1977, monsieur B... Y... a confié à maîtres Paul et Jacques MARTIN, commissaires-priseurs associés, une huile sur toile intitulée "Portrait de madame E..." attribuée au peintre Jean-Baptiste E... afin qu'il soit procédé à sa vente aux enchères publiques. -3- Dans ce but, les commissaires-priseurs ont chargé monsieur l'expert Alexandre D... d'examiner l'oeuvre en vue dès son authentification. Le 18 décembre 1977, le tableau a été adjugé à madame Monique Z... veuve A... au prix de 40.000 francs (6.097,96 euros). N'ayant pu procéder à sa revente, en raison des doutes émis sur l'originalité du tableau, madame A... a, par actes des 9 et 16 novembre 1993, assigné en. paiement de dommages-intérêts et d'une indemnité pour frais irrépétibles la S.C.P. MARTIN DESBENOIT COMMISSAIRES PRISEURS, devenue la S.C.P. MARTIN CHAUSSELAT, et la S.A. CHRISTIAN DE CLARENS et Fils, courtier en assurances. Le 5 octobre 1994, la S.C.P. MARTIN CHAUSSELAT a assigné en intervention forcée le service des Domaines, en sa qualité de curateur à la succession de monsieur D..., et monsieur Y.... Par conclusions du 8 janvier 1996, madame A..., qui s'est désistée de ses demandes contre la SA. DE CLARENS et FILS, a demandé, à titre subsidiaire, la nullité de la vente et le remboursement du prix de l'oeuvre (40.000,00 francs, soit 6.097,96 euros), augmentée des frais mis à sa charge (4.570,00 francs, soit 696,69 euros). Par acte du 6 avril 1995, elle a assigné la COMPAGNIE PRESERVATRICE FONCIERE ASSURANCES, devenue A.G.F. IART. -4-
Les procédures ont été jointes par ordonnance du 19 décembre 1994.
- Le 4 juillet 1996, le tribunal de grande instance de X... a ordonné une expertise, désignant monsieur F... en qualité d'expert. r Celui-ci, quia déposé son rapport le 9 septembre 1997, a
conclu que le tableau était une copie à la manière de E..., effectuée après 1820 par un suiveur ou une personne de l'entourage du maître, et que le certificat de monsieur D... ne constituait pas une garantie d'authenticité, compte tenu de sa formulation. Dans un second jugement en date du 20 octobre 1998, aujourd'hui frappé de recours, le tribunal de grande instance de X... a - déclaré la SA. DE CLARENS et fils hors de cause, - dit que la preuve d'une tromperie ou d'un dol n'était pas rapportée, - annulé la vente du 18 décembre 1997 pour erreur sur une qualité substantielle, en l'espèce, l'authenticité de l'oeuvre, -condamné M.BIRTCHANSKY à rembourser à Mme A... la somme de 44.570 francs (6.794,65 euros), valeur du 18 décembre 1977, à actualiser au jour du jugement en fonction de la variation de l'indice des prix à la consommation (série France entière), -5- - dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ou à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- - condamné monsieur Y... aux dépens, incluant les frais d'expertise. Monsieur Y... a interjeté appel de ce jugement, à l'encontre de madame A..., de la COMPAGNIE PRESERVATRICE FONCIERE ASSURANCES, et de la S.C.P. MARTIN-CHAUSSELAT. Il demande à la cour de - réformer le jugement entrepris, - rejeter des débats la pièce adverse n° 43, lettre de monsieur F... du 12 février 2001, - débouter madame A... de toutes ses demandes, fins et conclusions, Subsidiairement - dire, au cas où il serait établi que l'oeuvre litigieuse n'est pas authentique, qu'il ne saurait être condamné à payer une somme supérieure à 40.000 francs (6.097,96 euros), ne portant intérêts au taux légal qu'à compter du jour où la demande de nullité a été formalisée par madame A..., le 8 janvier 1996, - dire que les frais et honoraires payés par le vendeur à la ..S.C.P. MARTIN-CHAUSSELAT seront déduits de ladite somme, et condamner cette
société civile à lui rembourser cette somme, - dire qu'en tout état de cause, le remboursement du prix ne pourra s'opérer que contre la remise de l'oeuvre litigieuse, - condamner madame A..., ou à titre subsidiaire, la S.C.P. MARTIN-CHAUSSELAT, au paiement d'une somme de 20.000 francs (3.048,98 euros) sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, - condamner conjointement et solidairement madame A... et la S.C.P. MARTIN-CHAUSSELAT aux dépens. L'appelant critique les conclusions de l'expert judiciaire, dont le travail, selon lui, n'est ni sérieux ni convaincant, et par conséquent, impropre à rapporter la preuve du défaut d'authenticité de l'oeuvre. Il fait valoir qu'en 1956, le tableau avait été vendu sous le marteau de maître Etienne ADER, assisté de monsieur Pierre G..., tous deux professionnels avertis et reconnus comme tels. Il ajoute que la remise en cause de la compétence de monsieur D... comme expert est dénuée de tout fondement. Il rappelle qu'en cas d'annulation de la vente, les parties doivent être remises dans l'état où elles se trouvaient antérieurement au contrat, que le tableau devra en conséquence lui être -7- restitué en contrepartie du remboursement du prix perçu, déduction faite des frais. Il explique que les intérêts légaux ne pourront courir qu'à compter du 8 janvier 1996, jour où la demande de nullité a été formée. Il s'oppose à la ré actualisation du prix de vente, contestant en toute hypothèse la méthode de calcul proposée par madame A... H... souligne que dans la mesure où le tribunal a considéré que le commissaire-priseur et l'expert pouvaient légitimement ignorer le défaut d'authenticité du tableau, il ne saurait être valablement soutenu que son père en avait connaissance. Il affirme qu'aucune connivence n'est démontrée entre les trois défendeurs et indique que la lettre que l'expert judiciaire a adressée à madame A... le 12 février 2001, et dans laquelle cet expert donne son avis personnel sur l'affaire, devra être écartée des
débats, dès lors que l'expert, tenu d'un devoir d'impartialité et d'objectivité, n'a pas respecté ses obligations. Madame A... forme un appel incident pour voir - condamner monsieur Y... au paiement d'une somme de 218.393 francs (33.293,80 euros), soit l'équivalent de la somme de 44.570 francs ou 6.794,65 euros (total du prix de vente et du montant des frais) réactualisée, -8 h - condamner conjointement et solidairement monsieur Y..., la S.C.P. MARTIN-CHAUSSELAT et monsieur D... à lui payer la somme de 300.000 francs (45.734,71 euros) à titre de dommages et intérêts, en raison de leurs manouvres dolosives, - condamner la société LA PRESERVATRICE FONCIERE à relever et à garantir son assurée de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre sans qu'il puisse lui être opposé une quelconque franchise, et, en tant que de besoin, la condamner au paiement des mêmes indemnités, - condamner conjointement et solidairement les défendeurs et tous succombants au paiement de la somme de 126.404,78 francs (19.270,28 euros) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, - condamner conjointement et solidairement les défendeurs et tous succombants aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise. Elle conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles du tableau. Elle affirme que la somme de 44.570 francs (6.794,65 euros) que monsieur Y... a été condamné à payer en première instance doit faire l'objet d'une réévaluation selon la méthode de calcul suivante : 44.570,00 francs X 4,90, soit 218.393 francs (33.293,80 euros). -9- h Elle soutient que les moyens d'investigation utilisés par l'expert judiciaire existaient déjà en 1977, de sorte que le défaut d'authenticité du tableau aurait dû être mis en évidence à cette époque. Elle produit aux débats une lettre de l'expert judiciaire datée du 12 février
2001, soutenant que ladite lettre, intervenue hors le cadre de l'expertise judiciaire contradictoire, ne saurait être écartée des débats. Madame A... ajoute que, pour le cas où la cour ne retiendrait pas la lettre critiquée, elle verse aux débats une pièce émanant de madame I..., expert, attestant que les examens techniques effectués par monsieur F... pour apprécier l'authenticité de l'oeuvre. pouvaient déjà être utilisés dans les mêmes conditions en 1977. Elle fait valoir que le vendeur, l'expert et les commissaires-priseurs ne pouvaient ignorer le défaut d'authenticité de l'oeuvre compte tenu de sa facture générale, leur qualité de professionnels de l'art rendant en outre leur erreur inexcusable, et que, par application des dispositions des articles 23 et 29 du décret du 21 novembre 1956, applicables à la vente en cause, les responsabilités de l'expert et des commissaires-priseurs sont engagées. Elle retient que les travaux effectués de longue date sur l'oeuvre de E... (catalogue raisonné de 1908, biographie de E... de 1906, expositions diverses au cours de l'année 1977...) ne font aucune référence au tableau en cause, et précise qu'un dossier "ANALOGIE" du Musée du Louvre mentionne l'existence d'une autre vente de ce tableau le 7 décembre 1969, par le ministère de maître Paul MARTIN, assisté de monsieur D..., expert. -10- Elle soutient que monsieur Y... avait déjà essayé de vendre le tableau litigieux par l'intermédiaire du même commissaire -priseur et avec le même expert, ajoutant que les références du catalogue concernant ledit tableau attestent de leur parfaite connaissance du défaut d'originalité de l'oeuvre. Elle dénonce le manque de sérieux de l'expert D... quia déjà été mis en cause dans des affaires similaires, et dont les expertises ont fait l'objet de contestations telles que ses héritiers ont dû refuser sa succession. Elle rappelle qu'étant peu avertie en matière d'art, elle n'a pu avoir conscience
du fait que les termes du certificat établi par l'expert D... ne garantissaient pas l'authenticité de l'oeuvre, et que l'exercice de style auquel s'est livré ledit expert démontre à lui seul sa parfaite mauvaise foi. Elle explique que si la responsabilité de monsieur D... ne peut être engagée sur le fondement dudit certificat puisqu'il n'y garantit pas le caractère original du tableau, la faute de cet expert ressort de la comparaison entre les termes vagues du certificat et la présentation de l'oeuvre dans le catalogue où le même expert affirme sans aucune réserve que le tableau est une oeuvre originale de E... Elle expose encore que M.BIRTCHANSKY, professionnel de l'art, ne se serait pas défait d'une véritable oeuvre de E... à un prix aussi bas, et affirme qu'il a fait procéder à la vente de l'oeuvre litigieuse, en pleine connaissance de cause. Elle précise que le tableau avait été acquis à titre d'investissement, que compte tenu de son défaut d'authenticité, elle n'a pu -Il- h le vendre, de sorte qu'elle a connu des difficultés financières importantes, notamment à la suite de la maladie et du décès de son époux. - La compagnie A.G.F.IART et la S.C.P. MARTIN CHAUSSELAT demandent à la cour de - rejeter des débats la pièce adverse n° 43, lettre non contradictoire de monsieur F..., expert judiciaire, - déclarer madame A... mal fondée en son appel incident, - à titre subsidiaire, si la cour devait retenir la responsabilité solidaire des commissaires priseurs et de l'expert, de mettre à la seule charge de la Direction Domaniale, ès qualités de curateur à la succession vacante de monsieur D..., l'indemnisation qui pourrait être due en réparation, - condamner monsieur Y... à lui payer la somme de 20.000 francs (3.048,98 euros) sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, - le condamner aux entiers dépens. Elles s'en rapportent à justice sur le bien-fondé de l'appel principal interjeté par monsieur Y...
Quant à la demande subsidiaire relative au remboursement de frais, elles font observer que monsieur Y... ne produit aucun justificatif des frais supportés par le -12- vendeur de l'oeuvre, dont il demande le remboursement, et conclut en conséquence à son débouté.
- Soulignant les manquements aux principes d'impartialité et du contradictoire résultant de la lettre de l'expert F... du 12 février 2001, elles demandent que ladite lettre soit écartée des débats. Sur le fond, elles concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a mis hors de cause la S.C.P. MARTIN-CHAUSSELAT, rappelant que la responsabilité d'un commissaire-priseur ne peut être engagée qu'au titre des actes relevant de son monopole et de la prisée, et que si elle peut être engagée à l'égard de l'adjudicataire sur un fondement quasi délictuel, c'est seulement dans le cas où il n'a pas pris la précaution de se faire assister par un expert compétent. Elles rappellent que s'agissant d'une vente antérieure au décret du 29 mars 1985, la responsabilité du commissaire- priseur doit s'apprécier au regard des dispositions du décret du 21 novembre 1956, en son article 29, ce texte prévoyant que le commissaire -priseur est personnellement responsable, tant civilement que disciplinairement, des fautes commises au cours ou à l'occasion des ventes publiques par les experts qui les assistent. Elles exposent que la responsabilité de la S.C.P. MARTIN-CHAUSSELAT ne saurait être retenue à ce titre, le tableau litigieux ayant été précédemment vendu aux enchères dans des conditions excluant tout doute sur son authenticité, au vu des conclusions de l'expert, monsieur G... -13- h Elles précisent également qu'au jour de la vacation du 18 décembre 1977, le commissaire-priseur a pris soin de se faire assister par monsieur D..., expert spécialiste en tableaux anciens, et dont la réputation, au moment de la vente, ne faisait l'objet d'aucune
critique. Elles ajoutent que l'expert judiciaire faisant lui -même état de la ressemblance du tableau litigieux avec les ouvres de E... et concluant que ledit tableau a été peint par un suiveur du maître, voire par sa propre fille, l'erreur commise par monsieur D... ne saurait en tout état de cause être tenue pour inexcusable, et par suite constitutive d'une faute. Elles indiquent que, contrairement aux allégations de madame A..., les moyens d'investigation scientifiques dont a pu disposer monsieur F... en 1997 différent sensiblement de ceux mis à la portée de monsieur D... vingt ans auparavant. A titre subsidiaire, il est précisé que, dans le cas où la cour retiendrait la responsabilité solidaire du commissaire priseur et de l'expert, il conviendrait de mettre l'indemnisation prononcée à la seule charge de l'expert, par application des dispositions du décret du 21 novembre 1956. Il est en outre exposé que les pièces produites à l'appui de la demande de dommages et intérêts de madame A... sont totalement étrangères aux débats, et par conséquent impropres à fonder l'indemnisation d'un quelconque préjudice matériel ou moral. Le DIRECTEUR DES SERVICES FISCAUX CHARGE DE LA DIRECTION NATIONALE D'INTERVENTIONS -14- DOIVIANIALES (D.N.I.D.), ès qualités de curateur de la succession déclarée vacante de monsieur D..., décédé le 25 décembre 1992, assigné en appel provoqué par madame A..., s'en remet à justice sur le bien fondé de l'annulation de la vente. Il rappelle que le certificat établi par monsieur D... ne constituait nullement une garantie d'authenticité, de sorte qu'aucune faute ne saurait être retenue à son encontre, qu'au surplus, la filiation de l'oeuvre litigieuse pouvait parfaitement laisser penser qu'il s'agissait d'un tableau du peintre. Il souligne en outre que monsieur D... ne disposait pas en 1977 des moyens techniques permettant d'armer avec certitude que le tableau ne pouvait pas être attribué à Jean-Baptiste
E... et que, dès lors, sa responsabilité ne saurait être retenue. A titre subsidiaire, pour le cas où la cour retiendrait la faute de M. D..., il indique que madame A... ne produit en toute hypothèse aucune pièce justifiant de l'existence d'un quelconque préjudice. Il observe enfin à titre d'information que le service des Domaines ne peut être tenu d'aucune somme excédant l'actif successoral recueilli, en application des articles 802 alinéa 1 er et 814 du code civil, et demande à la cour de rejeter les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile . L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 3 mai 2001. DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION -SUR LA DEMANDE DE REJET DE PIECES Considérant qu'ainsi que le demandent monsieur Y..., la compagnie A.G.F. IART et la S.C.P. MARTIN CHAUSSELAT, il convient d'écarter des débats la pièce n° 43 produite par madame A..., qui est une lettre que l'expert a irrégulièrement adressée à l'intéressée, sans y avoir été invité par la juridiction qui l'avait désigné, plus de trois ans après la clôture des opérations d'expertise, et en méconnaissance de son devoir d'impartialité ; - SUR LE FOND Considérant que le 18 décembre 1977, lors d'une vente aux enchères publiques effectuée à X... par le ministère de maures Paul et Jacques MARTIN, commissaires-priseurs associés, assistés de monsieur D..., expert, madame A... et son époux ont fait l'acquisition, pour la somme de 40.000,00 francs (6.097,96 euros), d'une oeuvre reproduite au catalogue, sous le numéro 38, où elle était ainsi décrite
Jean-Baptiste E... TOURNUS 1725 - PARIS 1805 "Portrait de madame E..." -16- Elle est vue en buste, la tête tournée vers la droite, les cheveux retenus par un ruban Cette oeuvre d'une technique vive et assurée a été étudiée par l'expert Pierre G... qui la considère comme "une oeuvre puissante et véridique représentant madame E... transposée par le Maître pour composer celui de 1'aimablejeunefzlle
de profil conservée au Musée du Louvre" Toile Haut: 45,5 cm -Larg :37,5cm Vente Galerie CHARPENTIER, 10 mars 1956, n° 82 Thème similaire gravé par Léopold MASSARD Considérant que monsieur D..., expert, a établi le 22 décembre 1977, à l'occasion de cette vente, le certificat suivant "Je soussigné Alexandre D..., expert près les Douanes françaises, et membre actif du syndicat des Experts professionnels, considère que le tableau reproduit ci-contre, et mesurant 45,5 x37,5 a fait partie de l'importante vente au Palais des Congrès de X... le (1)8 déc.1977, n° 38. L'oeuvre a été vendue comme étant de Jean-Baptiste E... La présente oeuvre a été particulièrement étudiée par l'expert Pierre G... qui la "considère comme une oeuvre puissante et véridique représentant Madame E... ". -17- Un thème similaire a été gravé par Léopold MASSARD. Le présent tableau figura le 10 mars 1956, sous le n°82, à la vente Galerie CHARPENTIER( C P ADERä).. ", Considérant que madame A..., voulant revendre ce tableau, a recueilli divers avis, selon lesquels la toile vendue n'était pas une oeuvre originale de Jean-Baptiste E...; Considérant que monsieur F..., expert judiciaire, a déposé son rapport le 9 septembre 1997 ; Qu'il a conclu que cette toile, non signée, n'avait pas été certifiée par monsieur D... comme une oeuvre de J.B E..., mais qu'elle avait été vendue "comme étant de Jean-Baptiste E..."; Qu'il a précisé qu'il s'agissait d'une copie, "à la manière de E...", effectuée après 1820, probablement par un suiveur ou un membre de l'entourage du maître ; Qu'il apparaît ainsi établi que ledit tableau ne peut être attribué au peintre Jean-Baptiste E...; Considérant que comme l'ont à juste titre relevé les premiers juges, l'authenticité de l'oeuvre est, compte tenu de son prix et de sa nature, une qualité substantielle, et qu'il y a lieu de prononcer la nullité de la vente ; -18- - SUR L'EXISTENCE D'UN DOL Considérant que madame A... a invoqué les manouvres
dolosives de monsieur B... Y..., vendeur, des commissaires-priseurs et de l'expert ; Qu'il n'est pas contesté que l'oeuvre litigieuse n'avait pas été répertoriée dans le catalogue raisonné de l'oeuvre du peintre, ni dans les nombreux travaux concernant l'artiste ; Considérant qu'il est établi, par un dossier "ANALOGIE" du Musée du Louvre, et par la communication de la Gazette de l' Hôtel DROUOT de l'époque, que le 7 décembre 1969, la vente de l'oeuvre, par le ministère de maître Paul MARTIN, déjà assisté de l'expert D..., avait été tentée, sans succès à la demande de monsieur Georges Y... ; Qu'au cours de l'été 1977, ont été organisées plusieurs expositions consacrées à E..., en commémoration du 250ème anniversaire de la naissance du peintre, et qu'a été alors diffusé le catalogue de monsieur J..., conservateur de la collection FRICK à NEW-YORK, et spécialiste mondialement reconnu de l'artiste; Que ces manifestations n'ont pu être ignorées des commissaires-priseurs et de l'expert, professionnels avertis; Que lors d'une vente aux enchères publiques effectuée en 1978 par le ministère de maîtres Paul et Jacques MARTIN, toujours assistés de monsieur D..., a été proposée une oeuvre authentique de E..., le catalogue ne manquant pas de faire -19- i expressément référence cette fois, ainsi qu'il est d'usage, à une bibliographie de 1906 et au catalogue raisonné de monsieur "K...", conservateur du musée E... à TOURNUS ; Considérant que le catalogue de la vente du 18 décembre 1977 présente l'oeuvre comme authentique, sans faire aucunement référence aux travaux concernant le peintre, en mentionnant seulement une précédente vente de l'oeuvre en 1956 par la Galerie CHARPENTIER et à une étude de l'expert Pierre G..., tandis que le certificat établi par monsieur D... quelques jours plus tard, -et très en retrait par rapport aux indications du catalogue -, qualifie l'oeuvre "comme étant" de Jean-Baptiste E... ; Considérant
que selon l'attestation de madame I..., expert, qui a été régulièrement versée aux débats, les procédés techniques utilisés par l'expert judiciaire monsieur F..., de caractère non récent, pouvaient déjà être pratiqués en 1977 ; Que tous ces éléments, joints aux constatations de l'expert judiciaire mettant en évidence dans la réalisation de la toile un manque de fini, " désinvolte et superficiel en l'espèce", devant conduire postérieurement à 1820, à une technique totalement nouvelle par rapport à celle du peintre -, mettent en évidence la faute dolosive commise par les commissaires-priseurs et monsieur D... lors de la présentation de l'oeuvre dans le catalogue préparé pour la vente du 18 décembre 1977 ; Considérant qu'il est démontré que monsieur B... Y..., -marchand d'ouvres d'art réputé -, a acquis le tableau en 1956, et qu'il a tenté sans succès de, le revendre le 7 décembre 1969, ainsi qu'il a été ci-dessus exposé -20- Qu'en sa qualité de professionnel averti; -il :ne pouvait ignorer les discussions relatives à l'authenticité de l'oeuvre, lorsqu'il a de nouveau confié en 1977, aux mêmes commissaires-priseurs, assistés du même expert, l'oeuvre contestée, proposée à la vente pour un prix relativement modique ; Qu'il y a eu d'en déduire qu'il a pris part, tout comme les commissaires-priseurs et l'expert, aux manouvres dolosives dénoncées par madame A... ; Qu'il est certain que si monsieur et madame A..., profanes en matière d'art, mais désireux d'acheter une toile de maître en vue d'un placement financier, avaient été informés du défaut d'authenticité existant, ils n'auraient pas acquis la toile mise en vente ; Que dès lors, il conviendra de prononcer la nullité de la vente pour dol ; Que le jugement sera réformé sur ce point ; -SUR LESEFFETSDE LA NULLITEDELA VENTE POUR DOL ETLA DEMANDE DE DOMMAGES-ET-INTERETS DE MADAME A... . Sur les effets de la nullité Considérant que du fait de la nullité prononcée, -ainsi que le
demande madame A... dans ses conclusions -, monsieur Georges Y... doit être condamné à rembourser le prix de -21- vente, en contrepartie de la restitution du tableau par madame A... ;
- Considérant que madame A... conclut à la restitution du prix réactualisé ; Que la restitution du prix de vente consécutive à la nullité s'analyse comme le paiement d'un indu, de sorte que cette somme ne peut produire que les intérêts légaux à compter du jour de la demande en nullité ou de la perception des fonds, selon la bonne foi ou la mauvaise foi du vendeur, et qu'il ne saurait faire l'objet d'une quelconque ré actualisation ; Que ladite demande de ré actualisation sera rejetée; Qu'en raison de la mauvaise foi de monsieur Y..., les intérêts, en ce qui concerne le remboursement du prix, courront à compter de la perception des fonds, le 18 décembre 1977 ; Considérant que l'article 23 du décret du 21 novembre 1956, en vigueur lors de la vente concernée, précise que les indications portées au catalogue engagent la responsabilité solidaire de l'expert et du commissaire-priseur; Qu'en conséquence, du fait de l'existence de manouvres dolosives imputables à monsieur Y..., aux commissaires-priseurs et à l'expert, tous trois seront condamnés solidairement au remboursement des frais de la vente engagés par madame A... (soit la somme de 4.570,00 francs "696,69 euros"), assorti des -22- intérêts au taux légal à,69 euros"), assorti des -22- intérêts au taux légal à compter du jour de la perception des fonds, le 18 décembre 1977 ; Que, par ailleurs, compte tenu des manouvres commises, monsieur Y... est, pour sa part, mal fondé à solliciter, auprès de la S.C.P. MARTIN CHAUSSELAT, la restitution des frais mis à la charge du vendeur ; . Sur la demande de dommages-intérêts Considérant que la faute dolosive commise par la présentation sans réserve du portrait litigieux comme une oeuvre authentique dans le catalogue de la vente du 18 décembre 1977, alors
que les commissaires-priseurs et l'expert disposaient d'études diverses qui auraient dû les inciter à n'en rien faire, engage leur responsabilité solidaire, en application de l'article 23 du décret du 21 novembre 1956 précité ; Que monsieur B... Y... s'est associé à ces manouvres; Considérant qu'en réparation du préjudice causé par ces agissements, madame A... invoque la perte de la plus value qu'elle était en droit d'espérer, compte tenu des prix actuels des ouvres du peintre, ainsi que l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de revendre la toile pour faire face à des difficultés financières et familiales imprévues, et l'obligation lui ayant été imposée de contracter divers emprunts, de même que les multiples tracas auxquels elle a été confrontée ; -23- J Considérant que madame A... peut prétendre à une indemnisation pour la réparation de son préjudice matériel, et pour la réparation de son préjudice moral, en raison de la croyance qui était la sienne du fait qu'elle détenait une oeuvre originale d'un peintre dont la notoriété et la cote ont évalué favorablement, et qu'elle pouvait revendre, en cas de nécessité, pour subvenir à ses besoins ; Que la cour dispose d'éléments lui permettant de réparer le préjudice subi, toutes causes confondues, par l'allocation de 150.000,00 francs (22.867,35 euros) ; Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, sauf en faveur de madame A... qui se verra allouer la somme de 50.000,00 francs (7.622,45 euros) pour l'ensemble de la procédure; - SUR LA REPARTITIONA OPERER ENTRE LES CO-DEBITEURS Considérant que le commissaire-priseur et l'expert contribuent tous deux à l'élaboration de la vente, et sont des professionnels avertis ; Qu'il convient de prendre en compte le rôle particulier qui est celui de l'expert dans l'authentification des ouvres, et le rôle joué en l'espèce par le vendeur de l'oeuvre; Que ces circonstances conduisent la cour à faire
supporter l'indemnisation de madame A... par monsieur -4 Y..., parla S.C.P.MARTIN-CHAUSSELAT et par M. D..., à raison d'un tiers chacun ;
- Considérant que le DIRECTEURDES SERVICES FISCAUX, chargé de la Direction Nationale des Interventions Domaniales, ès qualités de curateur à la succession vacante de monsieur D..., sera donc dans cette proportion, tenu solidairement avec la S.C.P. MARTIN CHAUSSELAT et monsieur Y..., au paiement des sommes accordées à madame A..., dans la limite de l'actif successoral recueilli; Qu'il y aura lieu de condamner solidairement monsieur Y..., la S.C.P. MARTIN CHAUSSELAT, et le Directeur des Services Fiscaux, chargé de la Direction Nationale des Interventions Domaniales, ès qualités de curateur à la succession vacante de monsieur D..., dans les proportions susvisées et dans la limite de l'actif successoral recueilli, aux dépens de première instance, incluant les frais d'expertise, et aux dépens d'appel, selon les modalités visées au dispositif ci-après ; Que la compagnie A.G.F. IART, qui ne conteste pas le principe de la mise en oeuvre de sa garantie, doit, dans les mêmes proportions, relever et garantir la S.C.P. MARTIN CHAUSSELAT, des condamnations mises à sa charge; Que les autres demandes seront écartées, comme non fondées; -25- PAR CES MOTIFS Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Rejette lies débats la pièce n° 43 produite par madame Z... veuve A..., Réformant le jugement déféré et statuant à nouveau: Prononce la nullité pour dol de la vente aux époux A... de l'oeuvre intitulée "Portrait de madame E..." présentée lors de la vente aux enchères publiques le 18 décembre 1977, par le ministère de maîtres Paul et Jacques MARTIN, commissaires-priseurs associés, Condamne monsieur Georges Y..., venant aux droits de monsieur B...
Y..., à rembourser à madame Z... veuve A... la somme de 40.000,00 francs (6.097,96 euros), assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la vente, le 18 décembre 1977, Dit que madame A... devra restituer l'oeuvre litigieuse à monsieur Georges Y..., Vu le décret du 21 novembre 1956, Vu les articles 802 alinéa 1 er et 814 du code civil, -26- Rejette la demande présentée par M. Georges Y... aux fins de remboursement des frais mis à la charge de son auteur, monsieur B... Y..., lors de la vente du 18 décembre 1977, Condamne solidairement monsieur Georges Y..., la S.C.P. MARTIN CHAUSSELAT, et le DIRECTEUR DES SERVICES FISCAUX, ès qualités de curateur à la succession vacante de monsieur D..., dans la limite de l'actif successoral recueilli, à verser à madame A... la somme de 4.570,00 francs (696,69 euros), avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 1977, Dit que monsieur B... Y..., les commissaires-priseurs maîtres Paul et Jacques MARTIN, et monsieur 'ANANOFF ont commis une faute ouvrant droit à réparation pour madame A..., Condamne solidairement monsieur Y..., la S.C.P. MARTIN CHAUSSELAT, venue aux droits de la S.C.P. MARTIN DESBENOIT, et de maîtres Paul et Jacques MARTIN, commissaires-priseurs associés, et le DIRECTEUR DES SERVICES FISCAUX, chargé de la Direction Nationale des Interventions Domaniales, ès qualités de curateur à la succession vacante de monsieur D..., dans la limite de l'actif successoral recueilli, à verser à madame Z... veuve A... la somme de 150.000,00 francs (22.867,35 euros) à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel et moral, et la somme de 50.000,00 francs (7.622,45 euros) sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, pour l'ensemble de la procédure, Rejette les autres demandes, -27- Condamne solidairement monsieur Y..., la S.C.P. MARTIN CHAUSSELAT, et le DIRECTEUR DES SERVICES FISCAUX, chargé de la
Direction Nationale des Interventions Domaniales, ès-qualités de curateur à la succession vacante de monsieur D..., dans la limite de l'actif successoral recueilli, aux dépens de première instance, incluant les fiais d'expertise, et aux dépens d'appel, et dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés directement par la SCP JULLIEN LECHARNY ROL, titulaire d'un office avoué, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile, Dit que le paiement desdites sommes sera mis à la charge de monsieur Y..., de la S.C.P. MARTIN-CHAUSSELAT et du DIRECTEUR DES SERVICES FISCAUX, chargé de la Direction des Interventions Domaniales, ès qualités de curateur à la succession vacante de monsieur D..., à raison d'un tiers chacun, Dit que la compagnie A.G.F. IART relèvera et garantira la S.C.P. MARTIN CHAUSSELAT des condamnations mises à sa charge. Arrêt prononcé par madame GUIRIMAND, président, Assisté de madame MOREAU, greffier, Et ont signé le présent arrêt, Madame GUIRIMAND, président, Madame MOREAU, greffier. -28-