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01/03/2001 | FRANCE | N°1998-1574

France | France, Cour d'appel de Versailles, 01 mars 2001, 1998-1574


L, estimant attentatoire à sa vie privée et à son droit à l'image trois articles illustrés de photographies parus dans les numéros 7 du 9 février, 8 du 15 février et 10 du 29 février 1996 du magazine en langue allemande a fait assigner la société de droit allemand BUNTE VERLAG Gmbh, éditrice et monsieur X..., journaliste, pour obtenir, outre la publication du jugement, paiement de la somme de 500.000 francs à titre de dommages et intérêts et celle de 30.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Par jugement en date du 26 novembre 1997 , l

e tribunal de grande instance de NANTERRE a : - rejeté les exce...

L, estimant attentatoire à sa vie privée et à son droit à l'image trois articles illustrés de photographies parus dans les numéros 7 du 9 février, 8 du 15 février et 10 du 29 février 1996 du magazine en langue allemande a fait assigner la société de droit allemand BUNTE VERLAG Gmbh, éditrice et monsieur X..., journaliste, pour obtenir, outre la publication du jugement, paiement de la somme de 500.000 francs à titre de dommages et intérêts et celle de 30.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Par jugement en date du 26 novembre 1997 , le tribunal de grande instance de NANTERRE a : - rejeté les exceptions d'incompétence territoriale et matérielle et s'est déclaré compétent pour connaître des demandes, - dit que la société BUNTE VERLAG Gmbh a porté atteinte à la vie privée et au droit à l'image de L par ces trois publications intitulés respectivement "L et le prince ...la jet set captivée par une nouvelle intrigue" "L et le prince ..La suite" et "neige royale et amateurs d'Asie", - condamné la société BUNTE VERLAG Gmbh à payer à L la somme de 75.000 francs à titre de dommages et intérêts, - ordonné l'exécution provisoire, - condamné la société BUNTE VERLAG Gmbh à payer la somme de 10.000 francs par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, - rejeté toute autre demande dont celle relative à la publication du jugement. Monsieur X... et la société BUNTE VERLAG Gmbh ont interjeté appel du jugement et concluent aux termes de leurs dernières écritures en date du 15 décembre 2000 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé : - à la nullité du jugement rendu en violation des dispositions de l'article 76 du nouveau code de procédure civile, - à titre subsidiaire, à l'irrecevabilité de la demande, faute de preuve de la diffusion des magazines incriminés dans le ressort de cette juridiction, - à titre plus subsidiaire, à l'incompétence du tribunal de grande instance de NANTERRE au profit du tribunal de première

instance de MUNICH seul compétent pour réparer l'entier dommage consécutif au prétendu préjudice subi à raison de ces trois articles, - à la condamnation de L à lui payer la somme de 50.000 francs de dommages et intérêts pour préjudice abusif outre une indemnité de 30.000 francs par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. L épouse Y..., intimée, conclut aux termes de ses dernières écritures en date du 7 novembre 2000 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé : - à l'irrecevabilité de l'appel de monsieur X... pour défaut d'intérêt à agir, - au mal fondé de leur appel, - à l'irrecevabilité des exceptions d'incompétence soulevées après leur défense au fond par application de l'article 74 du nouveau code de procédure civile, - subsidiairement, à leur rejet et à la confirmation du jugement, - au débouté de leurs prétentions au fond, - à la confirmation du jugement en ce qu'il a consacré le principe des atteintes à la vie privée et au droit à l'image, et réformant pour le surplus, - à la condamnation de la société BUNTE VERLAG Gmbh à lui payer la somme de 500 000 francs à titre de dommages et intérêts, - à la condamnation de la société BUNTE VERLAG Gmbh à la publication dans les conditions qu'elle définit du présent arrêt, - à la condamnation de la société BUNTE VERLAG Gmbh à lui payer la somme de 30.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, - à la condamnation des appelants aux entiers dépens. SUR CE Considérant qu'il convient de constater qu'aucune condamnation n'a été prononcée en première instance contre monsieur X... lequel avait cependant été assigné par L laquelle ne formule dans son appel incident aucune demande à son encontre, que son appel n'est pas pour autant irrecevable ; Considérant que les appelants font grief aux premiers juges d'avoir au mépris des dispositions de l'article 76 du nouveau code de procédure civile, rejeté l'exception d'incompétence qui était soulevée et statué au fond sans les inviter

à conclure au fond ; Considérant que tant l'examen des pièces de la procédure de première instance que le constat fait par les premiers juges suffisent à consacrer la violation de l'obligation de mettre les parties en demeure de conclure au fond si elles ne l'ont fait lorsque comme en l'espèce il n'a pas été fait droit à l'exception d'incompétence, édictée par l'article 76 du nouveau code de procédure civile, qu'il y a eu violation du principe du contradictoire et atteinte aux droits de la défense, que le jugement doit être annulé ; Considérant que les appelants ont conclu en appel au soutien de leurs autres moyens et subsidiairement au fond, qu' il sera fait application des dispositions de l'article 562 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile et l'affaire jugée en son entier, la dévolution s'opérant pour le tout ; Considérant, en réponse au moyen soulevé par L qui argue de l'irrecevabilité des exceptions soulevées par les appelants pour ne pas avoir été évoquées avant la demande de nullité du jugement, soit avant toute défense au fond ou fin de non recevoir, que l'article 74 du nouveau code de procédure civile n'impose aucun ordre dans la présentation des exceptions et fins de non recevoir, sa seule exigence ici satisfaite, étant que les premières soient évoquées avant toute défense au fond ; Considérant que la société BUNTE VERLAG fait valoir que le magazine BUNTE n'est distribué en France que de façon limitée et qu'il n'est pas justifié qu'il le soit dans le ressort du tribunal de grande instance de NANTERRE, qu'en effet L ne rapporte pas la preuve de la diffusion du magazine incriminé dans le ressort de la juridiction saisie, qu'elle ajoute subsidiairement que la demande ne pouvait pas plus être présentée devant le tribunal de grande instance de NANTERRE, qu'elle invoque l'article 5-3 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et la jurisprudence spécifique en matière d'atteinte à la vie privée par voie de presse qui distingue entre le lieu de l'événement

causal que constitue le lieu de l'édition du support de presse et le lieu de diffusion qui est le lieu du dommage, conclut qu'en l'espèce le juge français n'a pas vocation à réparer l'entier dommage causé principalement en Allemagne et qu'il y a détournement de procédure de la part de la demanderesse qui réclame la réparation de son entier préjudice, notamment par l'exigence d'une publication dans un magazine de langue allemande principalement diffusé en Allemagne ; Considérant que l'intimée conclut au rejet de ces exceptions et soutient rapporter la preuve suffisante de la diffusion du magazine incriminé dans le ressort de la juridiction saisie, et précise qu'elle a circonscrit la réparation de son préjudice à celui subi en France à raison de la seule publication du magazine sur le territoire national ; Considérant que l'exception d'incompétence matérielle doit être, bien que formulée subsidiairement, écartée d'emblée dès lors, s'agissant de litiges concernant des revues d'origine étrangère, que la règle de compétence en matière civile et commerciale fixée par l'article 5-3 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 qui donne compétence à la juridiction du lieu d'édition, ne fait pas obstacle à ce que le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant soit attrait dans un autre Etat contractant en matière délictuelle ou quasi-délictulle devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit, qu'en cette matière le dommage est consommé par la diffusion de l'article portant atteinte aux droits protégés, que L précisant ne poursuivre que la réparation du préjudice subi à raison de la publication sur le territoire national, sous l'arbitrage du juge saisi, les tribunaux français sont compétents ; Considérant en revanche que la société BUNTE conteste avec pertinence la recevabilité de la demande telle que portée devant le tribunal de grande instance de NANTERRE ; Considérant qu'il incombe en effet à L de prouver la diffusion qui constitue l'acte

essentiel du dommage, des magasines incriminés contenant les articles attentatoires à sa vie privée et à son droit à l'image, dans le ressort de la juridiction saisie ; Considérant que cette preuve ne saurait résulter de la justification, au vu de trois tickets caisse, de l'achat de trois exemplaires de la revue en février 1997, alors que le dommage est survenue par les publications de février 1996, qu'à cet égard il convient de relever le caractère restreint de la diffusion du magasine BUNTE sur le territoire français au seul vu des chiffres figurant dans l'attestation délivrée par la directrice de la publication pour février 1997 ; Considérant que si la très large diffusion sur l'ensemble du territoire national de certaines publications permet sans difficulté la saisine de n'importe quelle juridiction française immanquablement concernée par cette diffusion, sans nécessité de preuve du fait dommageable une telle tolérance ne peut être admise dans le cas d'une publication d'origine et de langue étrangères à diffusion nettement plus restreinte ; Considérant que l'exception opposée par la société BUNTE, même à la qualifier d'incompétence territoriale du tribunal de grande instance de NANTERRE, laquelle est recevable car désignant implicitement mais nécessairement, le tribunal de première instance de MUNICH, dans le ressort duquel se trouve le lieu d'édition du magasine litigieux, est recevable et fondée ; Considérant que l'action engagée par L doit être déclarée irrecevable en ce qu'elle ne rapporte pas la preuve de la diffusion dommageable dans le ressort de la juridiction saisie des revues contenant les atteintes dont elle poursuit la réparation ; Considérant que l'action engagée par L ne résulte que du libre exercice de son droit d'ester en justice dont il n'est pas démontré qu'il en ait été fait un usage abusif ; Considérant que les appelants ont été contraints en revanche d'exposer des frais irrépétibles qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge ; PAR CES MOTIFS LA COUR,

statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, REOEOIT la société BUNTE VERLAG Gmbh et monsieur X... en leur appel et les déclare bien fondés, ANNULE le jugement rendu le 26 novembre 1997 par le tribunal de grande instance de NANTERRE, VU l'article 562 du nouveau code de procédure civile, DÉCLARE irrecevable l'action engagée devant le tribunal de grande instance de NANTERRE par L, LA RENVOIE à mieux se pourvoir, DÉBOUTE les appelants de leur demande de dommages et intérêts, CONDAMNE L épouse Y... à payer aux appelants la somme de 20.000 francs (soit 3.048,98 euros) par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, CONDAMNE L épouse Y... aux dépens avec faculté de recouvrement direct. ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET : Le Greffier,

Le Président, Sylvie RENOULT

Francine BARDY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1998-1574
Date de la décision : 01/03/2001

Analyses

CONVENTIONS INTERNATIONALES - Accords et conventions divers - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968

Il est de principe qu'en matière d'atteinte à la vie privée commise par voie d'article de presse diffusé dans plusieurs Etats membres, l'article 5-3 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, en énonçant que le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut être attrait devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit, donne compétence, au choix du demandeur, soit à la juridiction du lieu d'édition, soit aux juridictions des Etats dans lesquels la diffusion a eu lieu, et dans ce cas chacune pour connaître des seuls dommages causés dans l'Etat d'appartenance. Si les tribunaux français ont vocation à connaître de l'action en réparation du préjudice subi en raison de la publication sur le territoire national d'un article attentatoire à la vie privée, contenu dans un magazine en langue allemande édité en Allemagne, il appartient, en revanche, au demandeur de rapporter la preuve que le dommage a eu lieu dans le ressort de la juridiction saisie, en établissant que la revue litigieuse y a été diffusée. Tel n'est pas le cas du demandeur qui, s'agissant d'une publication en langue étrangère, par conséquent de diffusion restreinte, prétend justifier de la diffusion dommageable par la preuve de l'achat de trois exemplaires effectué un an après la publication du numéro litigieux. De là, l'éditeur est fondé à soulever l'incompétence territoriale du tribunal saisi au profit de la juridiction allemande du lieu d'édition


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Composition du Tribunal
Président : Président : - Rapporteur : - Avocat général :

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2001-03-01;1998.1574 ?
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