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22/02/2001 | FRANCE | N°JURITEXT000006937549

France | France, Cour d'appel de Versailles, 22 février 2001, JURITEXT000006937549


Madame X... a fait assigner devant le tribunal de grande instance de NANTERRE par acte en date du 22 septembre 1999 les SA T.F.1 et GLEM ainsi que Messieurs LE Y... et Z... sur le fondement des articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 aux fins de voir constater le caractère diffamatoire et mensonger des propos incriminés au regard de ces mêmes dispositions et condamner en vertu des articles 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle conservés par l'effet de l'article 110 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée sur la liberté

de communication, la SA T.F.1 pris en la personne de s...

Madame X... a fait assigner devant le tribunal de grande instance de NANTERRE par acte en date du 22 septembre 1999 les SA T.F.1 et GLEM ainsi que Messieurs LE Y... et Z... sur le fondement des articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 aux fins de voir constater le caractère diffamatoire et mensonger des propos incriminés au regard de ces mêmes dispositions et condamner en vertu des articles 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle conservés par l'effet de l'article 110 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée sur la liberté de communication, la SA T.F.1 pris en la personne de ses représentants légaux, Patrick LE Y... en sa qualité de directeur de la publication, la SA GLEM et William Z..., au paiement de la somme de 500.000 francs à titre de dommages et intérêts, outre la diffusion dans les conditions d'audience équivalente du jugement à intervenir et 15.000 francs par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Par le jugement entrepris prononcé le 8 décembre 1999, le tribunal de grande instance de NANTERRE a fait droit à l'exception de nullité de l'assignation soulevée par les défendeurs et a, au visa de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 déclaré nulle l'action ainsi engagée aux motifs que l'assignation du 15 septembre 1999 a été notifiée à un fonctionnaire du Parquet le 22 septembre 1999, lequel n'est pas membre du ministère public, de telle sorte que la notification est entachée de nullité, et rejeté les demandes fondées sur l'article 700 du nouveau code procédure civile. Appelante, madame X... conclut aux termes de ses dernières écritures signifiées le 12 décembre 2000 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, à l'infirmation du jugement, et statuant à nouveau, demande à la cour : - de dire n'y avoir lieu à annulation de l'action engagée, - de constater le caractère diffamatoire et mensonger des propos incriminés au regard des articles 29 alinéa 1er , 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet

1881 sur la liberté de la presse applicable aux activités audiovisuelles, - de condamner en conséquence les intimés dans les termes de son exploit introductif d'instance, - de condamner la SA T.F.1 prise en la personne de ses représentants légaux à diffuser dans des conditions d'audience équivalente l'arrêt à intervenir. Patrick LE Y... en sa qualité de Directeur de Publication de la société T.F.1, William Z..., la SA T.F.1 et la SA GLEM, intimés concluent aux termes de leurs dernières écritures en date du 11 octobre 2000 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé à : - la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré nulle et de nul effet les actes introductifs d'instance en date du 15 septembre 1999 en application de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, - Subsidiairement, - à la nullité de l'exploit introductif d'instance visant la SA T.F.1 et à la mise hors de cause de cette dernière, - Très subsidiairement, - à l'irrecevabilité des prétentions de l'appelante, à défaut à leur mal fondé, - à la condamnation de l'appelante à leur payer la somme de 20.000 francs par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. SUR CE Considérant que madame X... qui conclut à la parfaite régularité de son action au regard de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, fait valoir qu'il a été procédé à la notification de l'assignation au MINISTÈRE PUBLIC dans les conditions requises par la loi, que l'huissier instrumentaire a, selon les énonciations de son exploit, constaté ce jour là l'absence de magistrat du Parquet pouvant recevoir l'acte, que l'huissier, afin de marquer son passage, a remis l'acte à madame Sandrine A... qui s'est présentée en sa qualité d'agent, que conformément à l'article 658 du nouveau code de procédure civile, le ministère public a été avisé par lettre du 23 septembre 1999, qu'aucune nullité ne saurait être encourue, qu'au surplus la nullité ne pouvait être prononcée en l'absence de grief, lequel n'a pas été

invoqué ni établi ; Considérant que les intimés qui relèvent les difficultés rencontrées en première instance, pour obtenir de l'appelante, la communication de l'acte de notification, et la nécessité de délivrer sommation en appel pour obtenir la pièce, font valoir, qu'à titre liminaire on pourrait s'interroger sur la réalité des diligences entreprises par l'huissier, dont la nature et le contenu ne sont pas précisés, pour justifier de l'impossibilité de la remise à un membre du Parquet, que selon une jurisprudence constante, la notification faite à un fonctionnaire du parquet qui n'est pas magistrat et donc membre du ministère public, n'est pas valable, qu'enfin s'agissant d'une irrégularité de fond, la nullité pouvait être prononcée sans nécessité de preuve d'un grief ; Considérant que les dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 assujettissent la citation à des règles particulières prévues à peine de nullité, que parmi celles-ci figure l'obligation de notification au ministère Public, que l'inobservation de cette formalité constitue une irrégularité de fond sanctionnée par la nullité sans nécessité de grief ; Considérant qu'en l'espèce l'huissier a procédé à la notification par exploit en date du 22 septembre 1999 qui constate, selon ces énonciations : "que les circonstances rendant impossible la signification à personne ,n'ayant pu avoir de précisions suffisantes sur le lieu où se trouvait le destinataire et vérifications faites que ce dernier demeure bien à l'adresse indiquée, la copie de l'acte a été remise à Sandrine A... :qualité:

Agent qui a accepté de recevoir l'acte" ; Considérant que le respect des formalités édictées par l'article 53 s'apprécie de la même façon dans les instances pénales comme civiles ; Considérant que selon la jurisprudence récente aux termes de l'arrêt de la chambre criminelle de la cour de cassation en date du 7 mars 2000, la remise de l'acte à un fonctionnaire du greffe habilité à recevoir les assignations

délivrées à parquet constitue la notification au ministère public requise à peine de nullité au sens de l'article 53, ce qui conduit à rendre sans nécessité la recherche des diligences de l'huissier instrumentaire pour tenter de remettre l'acte à un membre du parquet, qu'au surplus, l'acte délivré par l'huissier instrumentaire le 22 septembre 1999 retrace, en tant que de besoin, les raisons de la remise à un fonctionnaire qui l'a accepté en l'absence d'un magistrat du parquet ; Considérant qu'il convient en conséquence de débouter les intimés de leur exception de nullité et, infirmant le jugement de ce chef, de déclarer l'action engagée par madame X... recevable ; Considérant que les intimés soulèvent l'irrégularité de l'acte d'assignation de la société T.F.1 et le fait qu'il est impossible de savoir dans quelles conditions l'acte a été remis, et demandent à la cour de constater son inexistence ou à tout le moins sa nullité conformément aux articles 112 à 116 et 649 du nouveau code de procédure civile, ajoutant, pour preuve du grief, qu'il n'est pas démontré que la société T.F.1 ait été en mesure de se défendre ; Considérant cependant que l'acte a été remis, s'agissant d'une personne morale, à monsieur DERRIPE B..., secrétaire général, lequel s'est déclaré habilité à recevoir l'acte, qu'il n'existe, contrairement à ce que prétendent les intimés, aucune incertitude sur les modalités de délivrance de l'acte, qu'au surplus la SA T.F.1 qui a constitué avocat en première instance et pu se défendre sur l'action contre elle engagée, ne démontre pas le grief que l'irrégularité alléguée lui aurait occasionné, condition nécessaire à la nullité de l'acte ; Considérant que les intimés soulèvent l'irrecevabilité des prétentions de madame X... qui ne rapporterait pas la preuve de ses liens avec N ; Considérant que madame X... verse aux débats la copie du livret de famille justifiant avoir eu de ses relations avec N, au moins un enfant reconnu par ce dernier, ainsi

que des documents administratifs et autres de nature à établir la réalité de sa qualité de compagne de N décédé en sa présence, qu'elle justifie ainsi suffisamment de son intérêt à agir pour être la personne visée par les propos litigieux ; Considérant, sur le fond, que les propos qualifiés de diffamatoires ont été prononcés lors d'une émission télévisée intitulée "SUCCES " diffusée le 16 juin 1999 sur T.F.1, en première partie de soirée et présentée par Julien COURBET, par William Z... qui après avoir relaté les incarcérations des boxeurs Carlos MANZON et Myke TYSON, a évoqué le destin de N en ces termes : "On reste dans le glauque pour vous parler de N qui est un français beaucoup plus connu pour ses frasques vestimentaires. voyez, il était toujours habillé en léopard. Donc, il était plus connu pour ça que pour ses réels talents de boxeur. Et bien lui pareil, en rentrant à la maison, il avait la fâcheuse tendance à continuer à boxer, mais sur sa femme. Et un soir, curieusement, ils se sont battus et puis c'est lui qui en est mort .Donc c'est assez curieux .Donc, méfiez-vous!", Puis question d'un intervenant : "C'est pas vrai, sa femme l'a frappéä", Réponse de William Z... : "Ouais ouais, sa femme l'a frappé, c'est lui qui y est resté. Donc voyez, méfiez-vous ..." ; Considérant que l'appelante qui rappelle le décès de son mari, N le 25 décembre 1995 à la suite d'une violente hémorragie survenue après qu'il ait frappé brutalement de son poing droit une porte vitrée se sectionnant l'artère humérale, relève le caractère mensonger et diffamatoire de ces propos ; Considérant que les intimés, sans discuter le relation des propos tenus lors de l'émission, telle qu'expressément rapportée par madame X... dans son assignation et reprise ci-dessus, font valoir que madame X... n'est pas nommément citée lors de l'émission, qu'il y a difficulté sur son identification à travers les propos incriminés lesquels s'inscrivent dans un programme de divertissement et non une émission

d'information, en direct ce qui explique l'utilisation du langage parlé, au cours d'un échange spontané , que dans un tel contexte les téléspectateurs n'ont pu se méprendre sur la portée de ces paroles, que William Z... n'impute pas à l'appelante la responsabilité du décès de N mais se borne à évoquer son caractère notoirement violent et colérique et le fait que le décès soit précisément survenu à l'occasion d'un accès de colère, qu'il y a eu simplement information sur une succession d'événements sans aucune connotation diffamatoire, que les intimés se retranchent enfin derrière le cercle restreint des proches susceptibles d'avoir pu identifier l'appelante ; Considérant , toutefois, que madame X... a démontré par les pièces produites aux débats (pièces 7 à 15) pour justifier son intérêt à agir et la recevabilité de ses prétentions, qu'elle était, de notoriété publique, la compagne, voir la femme, reconnue de N, et à ce titre parfaitement identifiable comme étant la personne mise en cause par les propos litigieux tenus lors de l'émission "SUCCES" par William Z..., que l'omission de son nom n'est dès lors pas exonératoire ; Considérant que les propos sont diffamatoires en ce qu'ils comportent l'allégation mensongère de ce que madame X... serait l'auteur de coups échangés avec son mari, le boxeur N, lequel en serait décédé,(ils se sont battus et puis c'est lui qui en est mort), que l'imputation se trouve renforcée par l'emploi répété des termes "curieux" et "méfiez-vous", ainsi que par la réponse affirmative en termes familiers (ouais, ouais, c'est lui qui y est resté ) à la question "sa femme l'a frappé" ; Considérant que la portée diffamatoire de ces propos est d'autant plus grave qu'ils ont été proférés dans le cadre d'une émission de grande écoute, dite selon les intimés, de divertissement, drainant compte tenu du sujet qui y était traité, de nombreux auditeurs amateurs de boxe qui ont pu , contrairement à ce que les intimés soutiennent, se méprendre sur la portée de ces

propos, l'émission étant consacrée en outre à des boxeurs ayant eu maille à partie avec la justice à raison de leur comportement violent envers leur épouse ou leur compagne ; Considérant que les intimés déforment le contenu du traitement journalistique qui avait été fait du décès du boxeur, lequel se bornait à évoquer le coup de colère de ce dernier l'ayant conduit au geste violent qui lui a été fatal, sans d'autre allusion à son épouse que celle de sa présence avérée lors du décès ; Considérant que le fait que l'émission se soit déroulée en direct, ce qui peut justifier une certaine spontanéité dans les échanges, n'autorisait pas pour autant un tel manque de contrôle dans l'expression de propos dont le contenu mensonger mettant en cause l'honneur de l'appelante ne pouvait échapper aux intimés ; Considérant qu'il convient en conséquence de déclarer fondée l'action engagée par madame X... ; Considérant que les intimés minimisent le préjudice invoqué par l'appelante laquelle réclame paiement de la somme de 500.000 francs outre la diffusion de l'arrêt dans des conditions d'audience équivalente ; Considérant qu'eu égard aux conditions dans laquelle l'atteinte a été perpétrée, le préjudice subi par l'appelante sera suffisamment réparé par l'octroi d'une somme de 100.000 francs de dommages et intérêts, que le caractère particulièrement volatile de l'intérêt accordé par les téléspectateurs aux sujets traités au cours de telles émissions, rend la diffusion du présent arrêt à titre de réparation complémentaire ni nécessaire ni opportune ; Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelante la totalité des frais irrépétibles exposés ; PAR CES MOTIFS LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, INFIRME le jugement entrepris, STATUANT À NOUVEAU, VU l'article 53 , 29 alinéa 1er, 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, les articles 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, DÉCLARE l'action engagée par madame X...

recevable et fondée, CONSTATE le caractère diffamatoire et mensonger des propos tenus par William Z... lors de l'émission "SUCCES" diffusée sur TF1 le 16 juin 1999, CONDAMNE in solidum la SA T.F.1, la SA GLEM, Patrick LE Y... et William Z... à payer à madame X... la somme de 100.000 francs (CENT MILLE FRANCS) de dommages et intérêts et celle de 15.000 francs (QUINZE MILLE FRANCS) par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, REJETTE toutes autres demandes, CONDAMNE les intimés in solidum aux dépens avec faculté de recouvrement direct. ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET : Le Greffier,

Le Président, Sylvie RENOULT

Francine BARDY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006937549
Date de la décision : 22/02/2001

Analyses

PRESSE

) Presse, Procédure, Citation, Citation délivrée à Parquet, Remise à un fonctionnaire habilité, Notification au ministère public. 2) Diffamation et injures, Diffamation, Définition, Allégation portant atteinte à l'honneur et à la considération de la personne visée, Audiovisuel, Emission de télévision : propos tenus par un animateur1) Si l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 prescrit que la citation à la requête du plaignant doit, à peine de nullité, être notifiée, notamment au Ministère public, il est de principe que la remise de l'acte à un fonctionnaire du greffe habilité à recevoir les assignations délivrées à parquet constitue la notification au Ministère public requise par la loi susvisée.2) Les propos tenus par un des participants à une émission télévisée de grande écoute, à propos d'un boxeur décédé, sont diffamatoires dès lors qu'ils comportent l'allégation mensongère de ce que son épouse serait l'auteur de coups échangés avec ce boxeur qui en serait décédé, alors que le fait que l'émission se déroule en direct, s'il peut justifier une certaine spontanéité dans les échanges, n'autorise pas pour autant un tel manque de contrôle dans l'expression de propos dont le contenu mensonger met en cause l'honneur de l'épouse, ce qui ne pouvait échapper aux intimés.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2001-02-22;juritext000006937549 ?
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