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12/10/2000 | FRANCE | N°1997-8830

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12 octobre 2000, 1997-8830


FAITS ET PROCEDURE Au cours des années 1994 et 1995, la société de droit espagnol ES MOLI D'OR a distribué des produits de la SA HEDIARD. Se prévalant du non règlement d'un solde de factures en dépit d'une mise en demeure en date du 25 avril 1996, la société HEDIARD a assigné la société ES MOLI D'OR en paiement devant le Tribunal de Commerce de NANTERRE et cette dernière a soulevé l'incompétence de la juridiction saisie et allégué subsidiairement des manquements à des engagements contractés de la part de la société HEDIARD. Par jugement rendu le 23 mai 1997, le Tribunal s'

est déclaré compétent, a condamné la société ES MOLI D'OR à verser à...

FAITS ET PROCEDURE Au cours des années 1994 et 1995, la société de droit espagnol ES MOLI D'OR a distribué des produits de la SA HEDIARD. Se prévalant du non règlement d'un solde de factures en dépit d'une mise en demeure en date du 25 avril 1996, la société HEDIARD a assigné la société ES MOLI D'OR en paiement devant le Tribunal de Commerce de NANTERRE et cette dernière a soulevé l'incompétence de la juridiction saisie et allégué subsidiairement des manquements à des engagements contractés de la part de la société HEDIARD. Par jugement rendu le 23 mai 1997, le Tribunal s'est déclaré compétent, a condamné la société ES MOLI D'OR à verser à la société HEDIARD la somme de 134.800,22 francs avec intérêts légaux à compter du 25 avril 1996 et le bénéfice de l'exécution provisoire, outre une indemnité de 10.000 francs en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux dépens. Appelante de cette décision, la société ES MOLI D'OR soutient que tant les lieux de son siège social et de livraison des marchandises situés à IBIZA que le caractère quérable de l'obligation de payer invoquée par la société HEDIARD confèrent compétence à la juridiction espagnole d'IBIZA en vertu des articles 42 et 46 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile et 5 de la convention de BRUXELLES du 27 septembre 1968 en soulignant que la simple désignation du pays en première instance suffisait à rendre recevable son exécution d'incompétence. Elle ajoute que si elle devait en être déboutée, il y aurait lieu de déclarer le Tribunal de Commerce de PARIS compétent. Elle fait valoir au fond que la société HEDIARD entendait à l'origine promouvoir sa marque en ESPAGNE par son intermédiaire et lui a imposé des conditions spécifiques sans respecter ses propres engagements souscrits lors des négociations précontractuelles en sorte qu'elle n'a pas signé son contrat type de franchise. Elle reproche à la société HEDIARD de ne pas lui avoir apporté le soutien convenu comme

l'aide promise et de lui avoir fourni des produits de qualité défectueuse au regard de leur provenance, des dates limites de vente et des étiquetages. Elle affirme avoir subi un préjudice résultant des investissements lourds en matériel pour réaménager ses magasins selon les exigences de la société HEDIARD et de commandes trop importantes et sans rapport avec les réalités du marché imposées par cette société. Elle se prévaut des articles 565 et 566 du nouveau code de procédure civile pour estimer recevable sa demande indemnitaire et précise avoir régularisé la procédure au sujet de la mention des pièces communiquées. Elle revendique, en conséquence, la compétence de la juridiction commerciale espagnole et le renvoi des parties à mieux se pourvoir devant le Tribunal espagnol d'IBIZA. Subsidiairement, elle demande à la Cour de ne la déclarer redevable qu'à hauteur d'une somme de 121.320,20 francs envers la société HEDIARD après retenue de 10 % du montant des factures poursuivies le temps nécessaire à l'établissement des comptes entre les parties, au besoin par voie d'expertise et sous réserve de la compensation avec les dommages et intérêts qu'elle sollicite à concurrence de 266.356,28 francs ou très subsidiairement d'une somme forfaitaire de 100.000 francs. Elle réclame, en outre, une indemnité de 20.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. La société HEDIARD fait grief aux premiers juges d'avoir estimé recevable l'exception d'incompétence présentée par la société ES MOLI D'OR sans indication sur la nature et le siège de la juridiction espagnole recherchée. Elle considère que le Tribunal de Commerce de NANTERRE était bien compétent en application de l'article 5.1 de la Convention de BRUXELLES en raison du caractère portable du paiement selon le contrat type de franchise. Elle observe que la société ES MOLI D'OR reconnaît lui devoir la somme de 121.320,20 francs sans l'avoir honorée et que sa demande indemnitaire portée à 266.356,28

francs est nouvelle tandis que son bordereau joint à ses conclusions ne lui permet pas de connaître la nature des 22 premières pièces dont celle-ci entend faire état. Elle oppose que la société ES MOLI D'OR ne justifie nullement de ses allégations quant au rapprochement commercial des parties, aux engagements qui lui sont imputés ainsi qu'aux livraisons défectueuses. Elle sollicite donc, par voie d'infirmation du jugement déféré, l'irrecevabilité de l'exception d'incompétence de la société ES MOLI D'OR sur le fondement de l'article 75 du nouveau code de procédure civile et subsidiairement, sa confirmation du chef de son rejet. Elle conclut à l'irrecevabilité de la demande en dommages et intérêts de 266.356,28 francs du 19 avril 2000 en vertu de l'article 564 du nouveau code de procédure civile, au rejet des débats des pièces de l'appelante autres que celles n° 23 à 29 répertoriées dans le bordereau de communication joint aux écritures de même date conformément à l'article 954 du nouveau code de procédure civile et à la constatation au vu de l'article 1356 du code civil de l'aveu par la société ES MOLI D'OR d'une dette de 121.320,20 francs à son égard. Elle réclame la confirmation pour le surplus de la décision entreprise sauf à y ajouter la capitalisation des intérêts et une indemnité de 20.000 francs en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. L'ordonnance de clôture a été rendue le 08 juin 2000. " MOTIFS DE L'ARRET Considérant que la société ES MOLI D'OR a régularisé le bordereau récapitulatif de ses pièces annexées à ses écritures en date des 15 mai et 08 juin 2000 en spécifiant la nature des 22 premières dont elle entendait faire état au cours de la présente instance conformément à l'article 954 du nouveau code de procédure civile ; Qu'il n'y a pas lieu de les rejeter des débats ; " SUR LA RECEVABILITE DE L'EXCEPTION D'INCOMPETENCE Considérant que si ce n'est qu'en cause d'appel que la société ES MOLI D'OR a désigné avec

précision le Tribunal compétent, selon elle, pour connaître du litige comme étant celui d'IBIZA, elle a revendiqué devant les premiers juges avant tout défense au fond et de manière motivée la compétence des juridictions espagnoles ; Or considérant qu'il est de jurisprudence désormais constante que lorsqu'à l'occasion d'une exception d'incompétence, il est prétendu qu'une juridiction étrangère est compétente, il suffit au défendeur de désigner l'Etat dans lequel se trouve cette juridiction, sans avoir à préciser ni sa nature, ni sa localisation exacte ; Considérant que l'exception d'incompétence soulevée par la société ES MOLI D'OR qui satisfait donc, en l'espèce, aux exigences de l'article 75 du nouveau code de procédure civile doit être déclarée recevable ; " SUR LE BIEN FONDE DE L'EXCEPTION D'INCOMPETENCE Considérant qu'il n'est pas contesté que les règles de compétence applicables au présent litige sont celles qui résultent de la convention de BRUXELLES du 27 septembre 1968 ; Considérant que si les parties ont mené des pourparlers pendant un certain temps aux fins de conclure un "contrat type de détaillant agréé HEDIARD" comportant une soumission au droit français et une clause attributive de juridiction au Tribunal de Commerce de NANTERRE, il est constant qu'elles ne l'ont jamais signé, la société ES MOLI D'OR l'ayant retourné à la société HEDIARD en en modifiant la teneur dans le dessein de réouvrir des négociations sur d'autres bases qui ne sont pas intervenues et qu'il n'est pas démontré qu'elles aient entendu régir leurs relations commerciales en vertu de certaines de ses dispositions, notamment quant à la détermination conventionnelle de compétence y figurant ; Qu'il n'est pas, par ailleurs justifié, ni invoqué en cause d'appel l'existence d'une autre clause attributive de compétence ; Qu'il suit de là que l'article 17 de la Convention de BRUXELLES n'a pas vocation à recevoir application en l'espèce ; Considérant que l'article 2 de

cette convention réglant la question de la compétence internationale, pose le principe que les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat contractant doivent être attraites devant les juridictions de cet Etat ; Que l'article 5.1 de la même convention dérogeant à la règle générale de compétence de l'article 2, permet au demandeur, en matière contractuelle, de saisir la juridiction "du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée" ; Considérant qu'il est de principe depuis l'arrêt "De Bloos" rendu le 06 octobre 1976 par la Cour de Justice des Communautés Européennes, que l'obligation dont le lieu d'exécution permet de déterminer la compétence est celle qui sert de fondement à l'action judiciaire ; Qu'il ressort de l'examen de l'assignation délivrée à la société ES MOLI D'OR que la société HEDIARD a demandé la condamnation de celle-ci au paiement de factures émises consécutivement aux ventes de ses produits d'épicerie fine consenties à la société appelante; Or, considérant que la Cour de Justice des Communautés Européennes a dit pour droit dans l'arrêt "Tessili" du 06 octobre 1976 "que le lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée au sens de l'article 5.1 de la convention est déterminé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de lois de la juridiction saisie" et confirmé la jurisprudence Tessili dans l'arrêt GIE/Concorde du 28 septembre 1999 ; Qu'il doit dès lors en être tiré pour conséquence que le lieu d'exécution de l'obligation doit être fixé, en l'espèce, conformément à la loi qui gouverne le contrat ; Considérant à cet égard qu'en l'absence d'une clause valable opérant le choix par les parties d'une telle loi, il importe de déterminer la loi applicable du contrat selon une convention internationale en vigueur entre les deux Etats concernés et de recourir, en l'espèce, à la Convention de ROME en date du 19 juin 1980 relative aux obligations contractuelles entrée

en vigueur le 1er avril 1991 ; Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la Convention de ROME, la loi applicable au contrat à défaut de volonté exprimée par les parties, est celle du pays où le débiteur de la prestation caractéristique à sa résidence habituelle au moment de la conclusion du contrat, ou s'il s'agit d'une société son administration centrale ; Que la prestation caractéristique est identifiée dans les contrats synallagmatiques comme celle en contrepartie de laquelle le paiement est dû et correspond selon le contrat de fourniture en cause, à la livraison de la chose vendue incombant à la société HEDIARD ; Considérant qu'il n'est pas discuté que la société HEDIARD ait eu son siège social en FRANCE, tout au long des ventes intervenues avec la société ES MOLI D'OR au cours des années 1994 et 1995 en sorte que la loi française est applicable à ces conventions et qu'il importe de déterminer le lieu d'exécution de l'obligation litigieuse au regard de sa teneur ; Considérant que selon le droit français, le paiement sauf convention contraire est quérable au domicile du débiteur conformément aux dispositions de l'article 1247 alinéa 3 du code civil notamment lorsque le paiement est effectué par remise de chèque, le lieu de règlement étant celui où le chèque est payable ; Considérant que la société HEDIARD ne peut utilement invoquer une prétendue clause contraire figurant dans le contrat type de détaillant agréé HEDIARD, dans la mesure où cette convention n'a pas été signée entre les parties et où elle n'établit pas qu'elle aurait été néanmoins appliquée entre les parties pour chacune des ventes ; Considérant que l'objet de la demande en justice concernant comme il a été dit, une obligation de paiement, la société ES MOLI D'OR est bien fondée à rechercher la compétence de la juridiction espagnole ; Que les parties doivent dès lors être renvoyées à mieux se pourvoir conformément à l'article 96 du nouveau code de procédure civile par voie d'infirmation du jugement déféré ;

Considérant que l'équité commande d'accorder à la société ES MOLI D'OR une indemnité de 15.000 francs en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Que la société HEDIARD, qui succombe en toutes ses prétentions, supportera les dépens des deux instances. " PAR CES MOTIFS Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Ï DEBOUTE la SA HEDIARD de sa demande de rejet de pièces des débats ; Ï INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions hormis celle concernant la recevabilité de l'exception d'incompétence soulevée par la société de droit espagnol ES MOLI D'OR ; Et statuant à nouveau, Ï CONSTATE l'incompétence des juridictions françaises en application de l'article 5.1 de la Convention de BRUXELLES en date du 27 septembre 1968 ; Ï RENVOIE en conséquence les parties à mieux se pourvoir conformément à l'article 96 du nouveau code de procédure civile ; Ï CONDAMNE la SA HEDIARD à verser à la société de droit espagnol ES MOLI D'OR, une indemnité de 15.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Ï LA CONDAMNE aux dépens des deux instances et AUTORISE la SCP LEFEVRE TARDY, Avoués, à recouvrer ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile. ARRET PRONONCE PAR MADAME LAPORTE, CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER

LE CONSEILLER faisant fonction de Président M. Thérèse GENISSEL

F. X...


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1997-8830
Date de la décision : 12/10/2000

Analyses

CONVENTIONS INTERNATIONALES - Accords et conventions divers - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968.

Dans un litige opposant une société domiciliée en France à une autre ayant son siège en Espagne, en l'absence de clause conventionnelle attributive de compétence, le principe général de compétence internationale posé par l'article 2 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, implique que les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat contractant doivent être attraites devant les juridictions de cet Etat, sous réserve des dispositions dérogatoires de l'article 5-1 de la convention qui, en matière contractuelle, permettent au demandeur de saisir la juridiction "du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée". En droit communautaire, il est de principe, d'une part que l'obligation, servant de base à la demande, doit s'entendre de celle qui sert de fondement à la demande en justice (CJCE, 6 octobre 1976, "De Bloos"), en l'occurrence le paiement de factures émises consécutivement à des ventes de marchandises à une société espagnole, et d'autre part que (CJCE, 6 octobre 1976, "Tessili") "le lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée est déterminé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de lois de la juridiction saisie". Il s'ensuit que le lieu d'exécution de l'obligation doit être fixé conformément à la loi qui gouverne le contrat. A défaut de clause contractuelle sur le choix d'une telle loi, il importe de la déterminer selon une convention internationale en vigueur entre les deux Etats concernés et de recourir en la cause à la Convention de Rome du 19 juin 1980 dont l'article 4 prévoit que la loi applicable au contrat est celle du pays où le débiteur de la prestation caractéristique a sa résidence habituelle ou, pour une société, son administration centrale, au moment de la conclusion du contrat, alors que dans un contrat synallagmatique, la prestation caractéristique s'identifie à la contrepartie qui a fait naître l'obligation de paiement, en l'espèce

la livraison des marchandises vendues par la société française. Il suit de là que la loi applicable au contrat est la loi française. Dès lors qu'en vertu des dispositions de l'article 1247, alinéa 3, du Code civil, le paiement, sauf convention contraire, non utilement invoquée, est quérable au domicile du débiteur, c'est à bon droit que le cocontractant espagnol recherche la compétence de la juridiction espagnole


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Composition du Tribunal
Président : Président : - Rapporteur : - Avocat général :

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2000-10-12;1997.8830 ?
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