La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/06/2000 | FRANCE | N°1999-7799

France | France, Cour d'appel de Versailles, 22 juin 2000, 1999-7799


Le 22 janvier 1997, Monsieur et Madame X..., agissant en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur Enzo Fernand Egidio X..., né le 2 juillet 1995, ont déposé une requête en changement des prénoms de leur fils, pour voir conférer à l'enfant les prénoms suivants : Victoria, Anne, Maryse. Cette requête a été requalifiée en demande de rectification d'état civil dès lors qu'elle résultait de l'hermaphrodisme constaté chez l'enfant et d'une intervention pratiquée en 1996, sur conseils médicaux, afin de "le féminiser". Le 7 octobre 1997, le tribunal de grande instanc

e de NANTERRE a ordonné, avant-dire droit, une mesure d'expertise. Pa...

Le 22 janvier 1997, Monsieur et Madame X..., agissant en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur Enzo Fernand Egidio X..., né le 2 juillet 1995, ont déposé une requête en changement des prénoms de leur fils, pour voir conférer à l'enfant les prénoms suivants : Victoria, Anne, Maryse. Cette requête a été requalifiée en demande de rectification d'état civil dès lors qu'elle résultait de l'hermaphrodisme constaté chez l'enfant et d'une intervention pratiquée en 1996, sur conseils médicaux, afin de "le féminiser". Le 7 octobre 1997, le tribunal de grande instance de NANTERRE a ordonné, avant-dire droit, une mesure d'expertise. Par jugement en date du 1er juin 1999, le tribunal de grande instance de NANTERRE a rejeté la demande de Monsieur et Madame X... aux motifs que "l'opération castratrice à laquelle il a été recourue ... ne peut permettre à l'enfant de devenir une femme à part entière, que rien ne permet d'affirmer que l'enfant devenu majeur et libre de ses choix, présentera une apparence physique et un comportement social à dominante féminine en accord avec l'intervention chirurgicale qu'il a subie et l'éducation qu'il aura reçue et qu'enfin l'état civil ne saurait être modifié dans un sens, puis le cas échéant dans l'autre, en fonction des évolutions successives de l'organisme et du psychisme de son titulaire". Aux termes de leurs conclusions d'infirmation, Monsieur et Madame X... rappellent le rapport d'expertise du 5 juin 1998, dont il ressort que l'enfant est porteur d'une anomalie du gène récepteur aux androgènes et qu'il existait un précédent dans la famille maternelle, lequel présente une mutation génétique qui a empêché le développement normal de l'appareil génital masculin. Ils invoquent les conclusions expertales aux termes desquelles "il apparaît indispensable et nécessaire de déclarer cet enfant comme étant de sexe féminin". Ils critiquent le jugement dans la mesure où, selon eux, la question posée n'est pas "de rechercher le sexe d'un

enfant par rapport à l'apparence physique qu'il choisira à sa majorité ou le comportement social qu'il adoptera" mais de déterminer si le droit français, pour définir le sexe physiologique d'un enfant, se limite à l'analyse du caryotype, c'est-à-dire à l'analyse chromosomique, ou s'il prend en compte les mutations génétiques médicalement constatées par une analyse de biologie moléculaire qui induisent une féminisation du sujet. Ils insistent sur le précédent familial concernant Gilles P. souffrant du même problème génétique que l'enfant X..., qui au fil des années a connu d'importantes poussées mammaires, a eu une voix de femme avec totale absence de pilosité. Le MINISTÈRE PUBLIC ne s'oppose pas à la demande en insistant sur le fait qu'il s'agit, dans le cas d'espèce, d'une situation d'intersexualité et que les conditions de la féminisation réalisée ne paraissent pas de nature à faire obstacle à un changement d'état civil en raison du pseudo-hermaphrodisme unanimement diagnostiqué par le corps médical et des nombreux avis médicaux sollicités. Il expose encore, qu'en droit, le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes ne fait désormais plus obstacle à un changement d'état civil "lorsque, à la suite d'un traitement médico-chirurgical subi dans un but thérapeutique, une personne présentant un syndrome de transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d'origine et a pris une apparence physique le rapprochant de l'autre sexe auquel correspond un comportement social". SUR CE Considérant qu'il ressort clairement des conclusions médicales que l'enfant concerné a présenté, dès la naissance, des organes sexuels masculins particulièrement insuffisants et que les médecins s'en sont promptement préoccupés et ont préconisé un traitement destiné à stimuler les hormones masculines ; que devant l'échec de ce traitement le corps médical, réunissant alors cinq professeurs, a préconisé, au surplus en

connaissance de cause d'un précédent familial, de faire pratiquer sur l'enfant une intervention susceptible de favoriser l'orientation du sexe de l'enfant vers une féminisation prévisible tant à raison de l'insensibilité au gène récepteur aux androgènes que du fait de l'existence d'une cavité vaginale ; Que les parents de l'enfant ont accepté de suivre les avis médicaux et de faire procéder à l'intervention ; Qu'il ressort de l'expertise judiciairement ordonnée, la confirmation de l'anomalie génétique constatée par l'ensemble du corps médical précédemment consulté et, qu'en outre, il était de l'intérêt de l'enfant qu'il soit considéré comme étant de sexe féminin ; Considérant, en droit, que l'état civil est intangible et ne saurait, par voie de conséquence, être modifié au gré de son titulaire et de ses représentants ; Que cette affirmation de principe ne pose ni ne résoud tout problème posé par l'intersexualisme d'un enfant, médicalement constaté en l'état présent des données de la science ; Qu'il ressort de l'ensemble des éléments et pièces du dossier, qu'en l'espèce, la demande des parents de l'enfant ne résulte pas d'une quelconque démarche volontaire et prédéterminée mais constitue l'aboutissement juridique d'une situation médicalement constatée et conseillée, en l'état des données scientifiques et des précédents familiaux ; Que confrontés aux échecs de toute intervention susceptible de conférer à leur enfant une masculinité certaine, les parents ont accepté, entourés médicalement, de favoriser l'évolution de l'enfant, à partir des éléments physiologiquement constatés de caractère féminins et de leur évolution potentielle scientiquement assurée, sinon absolue, que la féminisation de leur enfant soit médicalement réalisée ; Qu'il ressort du rapport d'expertise que, depuis lors, les parents ont accepté de donner à l'enfant un "sexe d'élevage" féminin ; que depuis plusieurs années l'enfant est considéré par sa famille et toutes les

personnes qui l'entourent comme étant de sexe féminin ; que toute son évolution sociale, psychologique et affective est assurée dans le contexte de sa féminité ; Qu'il n'est pas envisageable de maintenir dans la vie de l'enfant, le seul élément masculin que constitue son prénom, maintien qui serait susceptible de faire échouer toute la démarche médicale et psychologique soutenue depuis plusieurs années et plus imposée que choisie par les parents, à partir de la réalité physique de l'enfant et des antécédents familiaux ; Qu'il convient en conséquence de faire droit à la demande et de dire que l'enfant sera désormais prénommée Victoria, Anne, Maryse, enfant de sexe féminin ; PAR CES MOTIFS, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, RECOIT Monsieur et Madame X... en leur appel, LE DIT BIEN FONDE, INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions, STATUANT A NOUVEAU, DIT que l'enfant X..., né le 2 juillet 1995 à COURBEVOIE (92) déclaré à l'état civil sous les prénoms de Enzo, Fernand, Egidio, de sexe masculin, doit être prénommé Victoria, Anne, Maryse, de sexe féminin, DIT qu'à la diligence du MINISTÈRE PUBLIC, le présent arrêt sera transcrit en marge de l'acte de naissance de l'enfant, DIT que chaque partie conservera la charge de ses dépens. ET ONT SIGNE LE PRÉSENT ARRÊT :

Le Greffier

Le Président, Catherine CONNAN

Colette GABET-SABATIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1999-7799
Date de la décision : 22/06/2000

Analyses

ETAT CIVILIndisponibilité de l'état des personnes - Sexe - Modification justifiée par un traitement médico-chirurgical à but thérapeutique - Atteinte (non)

Si en droit l'état civil est intangible et n'est, par conséquent, pas susceptible d'être modifié au gré de son titulaire et de ses représentants, ce principe ne saurait faire méconnaître la situation résultant d'un cas d'intersexualité médicalement constaté en l'état présent des données de la science. Tel est le cas de la demande de changement de prénom d'un enfant, ayant présenté dès la naissance des organes sexuels masculins particulièrement insuffisants, formée par ses parents qui ont, suite aux échecs de toute intervention médicale susceptible de conférer à leur enfant une masculinité certaine, accepté, conformément à des avis médicaux autorisés et à partir d'éléments psychologiquement constatés de caractère féminin et de leur évolution potentielle scientifiquement assurée, que la féminisation de leur enfant soit médicalement réalisée. Dès lors qu'il résulte des éléments des débats, notamment du rapport d'expertise, que l'enfant est considéré depuis plusieurs années par sa famille et toutes les personnes de son entourage comme étant de sexe féminin, que toute son évolution sociale, psychologique et affective est assurée dans le contexte de sa féminité et qu'il n'est pas envisageable de maintenir le seul élément masculin que constitue son prénom, sauf à risquer de faire échouer toute la démarche médicale et psychologique soutenue depuis plusieurs années, il convient, en conséquence, de faire droit à la demande des parents tendant à faire substituer un prénom féminin au prénom masculin initialement donné à leur enfant


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2000-06-22;1999.7799 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award