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20/04/2000 | FRANCE | N°1995-7462

France | France, Cour d'appel de Versailles, 20 avril 2000, 1995-7462


Le 21 mars 1989, la société RICHARD GREEN, galerie de peinture londonienne, a acquis en vente publique, par le ministère de la SCP Jacques MARTIN et Olivier DESBENOIT, commissaires-priseurs associés à VERSAILLES, un pastel intitulé "ELEGANTE DEVANT LA CHEMINÉE" signé "HELLEU" (70 x 45.5), pour le prix de 309.340 francs. Les commissaires-priseurs s'étaient fait assister pour cette vente de Monsieur Jean-Pierre X..., expert. Ce pastel, attribué à Paul-César HELLEU, était reproduit en couleur sur la couverture du catalogue de la vente et également dans la gazette de l'Hôtel DROUOT.

S'étant vu refuser l'exposition de cette oeuvre à la BIENNALE...

Le 21 mars 1989, la société RICHARD GREEN, galerie de peinture londonienne, a acquis en vente publique, par le ministère de la SCP Jacques MARTIN et Olivier DESBENOIT, commissaires-priseurs associés à VERSAILLES, un pastel intitulé "ELEGANTE DEVANT LA CHEMINÉE" signé "HELLEU" (70 x 45.5), pour le prix de 309.340 francs. Les commissaires-priseurs s'étaient fait assister pour cette vente de Monsieur Jean-Pierre X..., expert. Ce pastel, attribué à Paul-César HELLEU, était reproduit en couleur sur la couverture du catalogue de la vente et également dans la gazette de l'Hôtel DROUOT. S'étant vu refuser l'exposition de cette oeuvre à la BIENNALE INTERNATIONALE DES ANTIQUAIRES DE PARIS, en septembre 1990, après examen des experts spécialistes désignés, la société RICHARD GREEN, après avoir sollicité l'avis de Monsieur Y... (expert de la Galerie SOTHEBY'S) et de Madame Z... (fille du peintre), a considéré qu'il s'agissait d'un faux et a souhaité restituer l'oeuvre contre remboursement du prix. Se heurtant au refus des commissaires-priseurs, la société RICHARD GREEN a, le 1er juillet 1991, assigné la SCP Jacques MARTIN et Olivier DESBENOIT, ainsi que l'expert X..., pour voir, à titre principal, annuler la vente sur le fondement de l'article 1110 du Code civil et condamner Monsieur X... à lui payer la somme de 70.000 francs à titre de dommages-intérêts. La SCP Jacques MARTIN et Olivier DESBENOIT a assigné la venderesse, Madame A..., en déclaration de jugement commun. Après jonction des deux procédures, le tribunal de grande instance de VERSAILLES, par jugement du 1er février 1993, a désigné Monsieur B... en qualité d'expert, lequel a déposé son rapport le 17 janvier 1994. Par jugement en date du 6 juin 1995, le tribunal a prononcé la nullité de la vente avec restitution du pastel à la venderesse et de la somme de 309.304 francs augmentée des intérêts au taux légal à compter du 21 mai 1989 à la société RICHARD GREEN, dit

que l'expert avait commis une faute engageant sa responsabilité, mis hors de cause les commissaires-priseurs et rejeté le surplus des demandes de la société RICHARD GREEN. Le même jugement a condamné Monsieur X... à payer à Madame A... la somme de 40.000 francs à titre de dommages-intérêts et a rejeté le surplus des demandes de cette dernière. Madame A... a interjeté appel de cette décision et à titre principal a sollicité la nullité de l'expertise. Monsieur X... a formé appel incident. Par arrêt en date du 20 novembre 1997, la présente Cour a considéré que l'expert, Monsieur B..., n'avait pas respecté le principe du contradictoire et a annulé ladite expertise. Le même arrêt a désigné, à nouveau, Monsieur B..., avec la mission d'origine. Monsieur B... a repris l'intégralité de ses opérations initiales au terme d'une expertise conduite contradictoirement et présentement non contestée. L'expert conclut à l'évidence d'un faux "assez habilement fait pour pouvoir tromper momentanément un professionnel surtout si l'on tient compte que ce pastel devait être, au moment de sa vente, soigneusement encadré sous verre. Il ne saurait y avoir place au doute. Il faut souligner que la technique de contre-collage des deux feuilles pour créer un vieillissement artificiel a été faite dans le but de tromper. Certaines couleurs de ce pastel ne sauraient être antérieures à 1950". Concluant après expertise, Madame A... demande à la Cour, après avoir infirmé le jugement, de : - constater que la société RICHARD GREEN ne rapporte pas la preuve que le pastel litigieux est le même que celui qui a été vendu, - dire et juger que la société RICHARD GREEN n'a pu établir l'absence d'authenticité du pastel au jour de la vente publique, - constater que l'acheteur est un professionnel averti de l'oeuvre de HELLEU et qu'il a commis une faute inexcusable, - rejeter toutes les demandes formées contre elle. A titre subsidiaire, elle demande à la Cour, sur le fondement des

articles 1137, 1147 et 1382 du code civil, de constater la faute de l'expert X... engageant sa responsabilité ainsi que l'absence de précautions d'usage imputable aux commissaires-priseurs et, en conséquence, de condamner solidairement Monsieur X... et la SCP Jacques MARTIN et Olivier DESBENOIT à lui payer la somme de 309.340 francs augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation, si la Cour venait à la condamner à la restitution du prix. Elle prie la Cour de dire que les intérêts ne pourront courir qu'au jour de la vente et de rejeter toute demande de dommages-intérêts. Enfin elle sollicite la somme de 30.000 francs au titre des frais irrépétibles et que les frais de l'expertise ne soient pas mis à sa charge. La SCP Jacques MARTIN et Olivier DESBENOIT conclut à l'absence de toute faute ou négligence qui pourrait lui être imputable et au rejet de toutes les demandes formées contre elle. Monsieur X... fait également valoir que la société RICHARD GREEN ne rapporte pas la preuve de l'identité du pastel litigieux et de celui qui a été vendu. Il conclut encore à l'erreur inexcusable de la société RICHARD GREEN et à l'absence de faute ou de négligence qui lui soit imputable et au rejet de toutes demandes formées contre lui. A titre subsidiaire il conclut à un partage de responsabilité avec l'acheteur et au partage de l'indemnisation qui sera éventuellement prononcée. Il sollicite enfin la somme de 30.000 francs au titre des frais irrépétibles. La société RICHARD GREEN demande à la Cour de : - rejeter toutes les demandes de Madame A... et de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente avec restitution du prix augmenté des intérêts à compter du 21 mai 1989 "ou à tout le moins du 5 octobre 1990, date de la première mise en demeure", - condamner in solidum avec Madame A..., Monsieur X..., expert, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, - condamner in solidum Madame A... et Monsieur

X... au paiement de la somme de 60.000 francs ainsi qu'aux entiers dépens comprenant le coût de l'expertise. SUR CE, SUR L'IDENTITÉ DU TABLEAU VENDU ET DU TABLEAU PROPOSE A L'EXPOSITION DE LA BIENNALE DES ANTIQUAIRES ET SOUMIS A L'EXPERTISE Considérant que Madame A... fait valoir qu'il appartient à l'acquéreur de rapporter la preuve de l'existence d'un vice du consentement au jour de la vente ; Qu'elle rappelle que le pastel litigieux a été acquis par sa famille dans une vente aux enchères publiques, dans le Finistère, à RIEC-SUR-BELON, en 1951, ce qui postule l'authenticité de l'oeuvre ; que ce n'est que seize mois après l'acquisition qu'à l'occasion de la Biennale des antiquaires, l'authenticité de l'oeuvre a été mise en cause ; que l'appelante s'étonne qu'en 1989 le tableau reproduit en première page du catalogue de la vente et dans la Gazette de l'Hôtel DROUOT du 12 mai 1989 ne donne lieu à aucune contestation pour qu'en septembre 1990, à l'issue d'une analyse rapide, les experts de la biennale et la fille de l'artiste puissent affirmer qu'il s'agissait d'un faux ; Qu'elle expose encore que le pastel reproduit sur les publications sus-visées concernait un tableau intitulé "L'élégante devant la cheminée" alors que lors de la Biennale il s'agissait de présenter un pastel titré "le chapeau de Lancret" ; que la société RICHARD GREEN, professionnel averti et amateur de l'oeuvre de HELLEU a exposé le pastel litigieux le 9 mai 1991, à LONDRES, sous le nom de "Elégante devant la cheminée" comme étant le "chapeau de Lancret" ; qu'une telle exposition est douteuse dès lors que la société venderesse avait été alertée en 1990, par les experts de la biennale, Monsieur Y... et la fille du peintre, de l'origine douteuse du pastel ; Considérant que Monsieur X..., reprenant ce premier chef de contestation, fait encore valoir que la société RICHARD GREEN a montré son intérêt et sa connaissance de HELLEU en participant à des ventes contenant des oeuvres du peintre, que lors de l'exportation de

l'oeuvre litigieuse, les Musées nationaux n'ont émis aucune réserve ; qu'il fait encore valoir que le refus des experts de la biennale n'est pas motivé et ne permet de tirer aucune conclusion en ce qui concerne l'authenticité de l'oeuvre, les critères desdits experts relevant aussi et surtout de la rareté et de l'importance de l'oeuvre proposée ; Qu'il rappelle encore que l'oeuvre intitulée "le chapeau de Lancret" est connue et ne peut se confondre avec le pastel litigieux ; que dès lors il est difficile d'expliquer la confusion faite par la société RICHARD GREEN qui a exposé l'oeuvre à LONDRES, en 1991, comme étant le "Chapeau de Lancret" ; Qu'en réplique, la société RICHARD GREEN souligne que cette contestation n'a été soulevée que lors de la seconde expertise et dans les dernières conclusions d'appel, soit après huit années de procédure ; que l'expert, Monsieur B..., a qualifié ce doute de "pas raisonnable" ; Considérant que dans son second rapport Monsieur B... précise : "il ne me semble pas raisonnable de retenir l'idée d'une substitution de l'oeuvre litigieuse après l'acquisition faite par la société Richard GREEN le 21 mai 1989" ; Qu'il est important de relever sur ce point, comme le fait justement la société RICHARD GREEN, que pendant huit années de procédure cette contestation n'a jamais été élevée ni par Monsieur X... ni par Madame A..., ni par les personnes qui les assistaient ou représentaient aux différentes réunions d'expertise ; que pas plus, Madame HOWARD C... n'a émis un quelconque doute, si comme Monsieur X... le soutient, il a consulté celle-ci lors de son expertise, antérieure à la vente ; Que la mise en cause de l'authenticité par l'acquéreur, seize mois après la vente, lors des démarches effectuées pour l'exposition de l'oeuvre à la Biennale des antiquaires de PARIS n'est pas un argument déterminant puisque c'est à cette occasion seulement que la contestation sur l'authenticité a pris naissance à raison de

l'intervention d'experts et de la fille de l'artiste ; Que pareillement Madame A... invoque vainement l'origine antérieure du tableau dès lors que l'expert note expressément que ses recherches ne lui ont pas permis de situer cette vente ; Qu'en outre, le fait que la société RICHARD GREEN ait eu l'intention d'exposer l'oeuvre non plus sous le titre de son acquisition et de sa publication, lors de la vente, "Elégante devant la cheminée", mais sous le titre "Le chapeau de Lancret", oeuvre connue du peintre, n'établit pas la réalité d'une substitution ; Qu'aucun élément résultant de l'analyse du tableau n'est invoqué dans les conclusions à l'exception de ses dimensions, relevées dans les conclusions de Monsieur X..., qui fait valoir que l'oeuvre litigieuse mesure 70 centimètres sur 45,4 centimètres alors que la gravure exposée en mai 1991 par la galerie RICHARD GREEN, sous le titre "le chapeau de Lancret" mesure 29,5 sur 27 centimètres ; que si les dimensions de l'oeuvre litigieuse sont établies par l'expertise et les catalogues de la vente, les dimensions de l'oeuvre exposée en 1991 ne sont pas établies avec certitude ; que tout au plus cet argument peut-il conduire à la conclusion que l'oeuvre exposée en 1991 n'est pas l'oeuvre acquise, alors que Monsieur X... soutient le contraire, mais aucunement que l'oeuvre acquise n'est pas l'oeuvre soumise aux experts de la Biennale et l'oeuvre présentée à l'expert ; que la société RICHARD GREEN confirme dans ses écritures que le pastel litigieux est entre les mains de Monsieur X... depuis le 25 septembre 1990 et ne peut être confondu avec celui exposé à LONDRES en mai 1991 ; Qu'il ressort de ce qui précède et des pièces produites, que Madame A... et Monsieur X... ne rapportent pas la preuve de ce que l'oeuvre acquise n'est pas l'oeuvre présentée à la Biennale des Antiquaires ni l'oeuvre soumise à Monsieur B... et n'établissent pas même un doute crédible à l'appui de cet argument, jamais invoqué avant les

dernières conclusions prises à l'issue de la seconde expertise, devant la Cour ; Que ce premier moyen doit être rejeté ; SUR L'AUTHENTICITÉ DE L'OEUVRE Considérant que les conclusions de l'expert, Monsieur B..., sont claires "il est évident que nous nous trouvons devant un faux" ; Que l'expert indique notamment "l'oeuvre litigieuse est un pastel sur papier Japon. Ce pastel a été exécuté d'après une gravure de Paul HELLEU, "Le chapeau de Lancret". Cette gravure est reproduite dans le livre consacré à HELLEU par Robert de Montesquiou, éditions H.Floury, Paris 1913, planche LIII ; j'avais été fortement intrigué par l'épaisseur du papier et le sentiment qu'il pouvait avoir été doublé, indiquant que, peut-être, il aurait été exécuté par transparence au dos d'une estampe. C'est la raison pour laquelle je me suis fait aider par Monsieur D... .... Ce tableau a été exécuté avec une certaine fidélité mais sans grande habileté, d'après la gravure de Paul HELLEU, "Le chapeau de Lancret", vue en transparence. Les traits sont pesants, sans délicatesse. Le bord inférieur du chapeau presque rectiligne n'indique à aucun moment la courbe gracieuse du chapeau de l'estampe. Le noeud de velours est hâtivement posé et la partie avant du velours qui tourne sur la gravure se limite à une simple touche sur le pastel litigieux. La chevelure est raide, sommaire, les ombres systématiques. La partie supérieure de la coiffure, juste sous le chapeau, n'est pas un chignon délicatement fait mais un rouleau bêtement et hâtivement brossé. Le visage n'est pas la plus mauvaise partie de ce pastel, par contre l'épaule et le bras sont sans consistance, sans souplesse. Contrairement à la gravure, la cheminée est grossièrement esquissée, la pendule a disparu, ainsi que le pied de la jeune femme, charmant, gainé d'une mule délicate. Le sol est indiqué en grands traits brutaux qui, sur la droite, semblent monter sur le mur. La signature est appuyée et lourde" ; Que l'expert note

encore "c'est au cours de cette réunion (le 29 juin 1993) que la fille de Madame A..., sur les conseils de son avocat, nous apprenait que sa mère avait confié le pastel à un encadreur restaurateur, "TERRE DE SIENNE", ... à PARIS. Lorsque le pastel avait été restitué à Madame A..., son fils avait fait part de son étonnement en ne reconnaissant pas le pastel" ; Que la société "TERRE DE SIENNE", interrogée par l'expert, n'a jamais répondu à ses demandes ; Que Monsieur X... reproche à l'expert, d'avoir conduit toute son expertise à partir d'une comparaison du pastel litigieux avec le pastel intitulé "le chapeau de Lancret"; Que toutefois il ne conteste pas la pertinence des constatations de Monsieur E..., sapiteur que s'est adjoint Monsieur B..., qui a procédé à une analyse technique de l'oeuvre et a retenu que le pastel litigieux "signé HELLEU a été réalisé sur un montage constitué de deux morceaux de papier japon provenant d'une même feuille, et dont les faces internes ont été vieillies artificiellement par un procédé aussi habile qu'élaboré ... cette opération de vieillissement avait pour but de faire croire que le support papier du pastel était réellement ancien, tentant ainsi de dissimuler la supercherie à des personnes non averties .... Sous réserve de l'expertise stylistique, il est évident pour nous, que ce luxe de dissimulation est la marque d'une opération frauduleuse concernant la totalité de l'oeuvre" ; Considérant que l'ensemble des constatations et conclusions résultant tant des opérations conduites par Monsieur E... que de l'analyse faites par Monsieur B... suffisent à établir la certitude de l'absence d'authenticité de l'oeuvre ; que le support a été manipulé pour faire croire à un vieillissement, que la signature n'est manifestement pas celle du peintre pas plus que le style ; SUR LES CONSÉQUENCES DU DÉFAUT D'AUTHENTICITÉ ET LA DEMANDE DE NULLITÉ Considérant que Madame A..., pour s'opposer à la nullité pour

erreur sollicitée par la société RICHARD GREEN, fait valoir que l'erreur ne peut être cause de nullité que si elle est inexcusable alors qu'en l'espèce, la société RICHARD GREEN est un professionnel de l'art, amateur du peintre HELLEU puisqu'elle lui a consacré une exposition à LONDRES, le 9 mai 1991, et qu'elle a participé à l'exposition HELLEU organisée à HONFLEUR de juillet à octobre 1993 ; Qu'elle rappelle que la société RICHARD GREEN a disposé, comme tout amateur, des journées des 19 et 20 mai 1989, pour examiner le tableau, avant la vente publique ; Qu'en réplique la société RICHARD GREEN expose qu'en sa qualité de galieriste, Richard GREEN organise des expositions et "il se trouve que depuis quelques années une des activités de la Galerie RICHARD GREEN est l'acquisition d'oeuvres de HELLEU, "le maître de la Belle époque, que l'acquisition du pastel litigieux est à situer dans ce contexte : un pastel fort inspiré d'une gravure connue "le chapeau de Lancret" certifié par un expert, vendu en vente publique en France est une opportunité" ; Qu'elle fait encore valoir que la qualité d'amateur ne se confond pas avec celle de professionnel averti et que l'attestation de Monsieur X... sur l'authenticité de l'oeuvre avait précisément pour but de donner toutes assurances aux candidats acquéreurs ; Mais considérant qu'il convient de rappeler que l'expert a retenu qu'il s'agissait d'un "faux habilement fait pour pouvoir tromper momentanément un professionnel" ; que la société RICHARD GREEN est certes un professionnel de l'art et amateur de l'oeuvre de HELLEU ; que toutefois il est important de rappeler que l'oeuvre litigieuse avait été authentifiée avant la vente, qu'elle figurait en première page du catalogue de la vente ainsi que dans la Gazette de l'Hôtel DROUOT ; que l'on ne saurait tenir pour inexcusable le fait, pour un amateur, de ne pas avoir découvert, lors d'un simple examen au cours d'une exposition précédant une vente, le défaut d'authenticité d'une oeuvre

alors que celle-ci était au surplus authentifiée par expert et figurait en première page du catalogue de la vente et de la Gazette de l'Hôtel DROUOT ; Que vainement Madame A... invoque à l'encontre de la société RICHARD GREEN, le caractère inexcusable de son erreur ; qu'en l'espèce il y a erreur sur la qualité substantielle de la chose vendue, erreur excusable et déterminante du consentement de l'acquéreur ; que la nullité doit être prononcée sur le fondement de l'article 1110 du Code civil, ainsi que le tribunal l'a justement retenu ; Qu'en conséquence de cette nullité, Madame A... doit être condamnée à restituer à l'acquéreur la somme de 309.304 francs représentant le montant de la vente, outre les intérêts au taux légal calculés sur ladite somme à compter du 1er juillet 1991, date de l'assignation introductive d'instance, à titre de dommages-intérêts complémentaires ; SUR LES ACTIONS DIRIGÉES CONTRE MONSIEUR X... ET LES COMMISSAIRES PRISEURS Considérant que Madame A..., dans ses écritures subsidiaires, prie la Cour de condamner solidairement Monsieur X... et la SCP Jacques MARTIN et Olivier DESBENOIT au paiement de la somme de 309.340 francs augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation à raison des fautes par eux commises sur le terrain délictuel ; Que la société RICHARD GREEN "pour préserver l'exercice de ses droits ... demande que Monsieur X... soit condamné in solidum avec Madame A... à réparer le montant de son préjudice" ; Considérant que pour caractériser le comportement fautif de Monsieur X... Madame A... forme à son encontre les reproches suivants : - Monsieur X... a négligé l'examen de la signature du tableau, - il n'a pas tiré les conséquences des traits du pastel trop pesants et appuyés attribués à HELLEU, - il n'a pas utilisé les moyens techniques à sa disposition pour constater un montage révélant le caractère apocryphe du pastel, - il n'a pas procédé au décadrage du tableau, - il a omis

de solliciter l'avis de spécialistes du peintre, - il n'a émis aucune réserve quant à l'authenticité du pastel ; Qu'à l'encontre des commissaires-priseurs, l'appelante reproche aux commissaires-priseurs leur manque de précaution et leur négligence en n'émettant aucune réserve sur l'authenticité et en publiant l'oeuvre en première page du catalogue et dans la Gazette de l'Hôtel DROUOT ; Considérant que Monsieur X... fait valoir qu'on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir procédé au décadrage du tableau alors, ainsi que le note l'expert B..., le temps est un facteur non négligeable ; qu'on ne peut lui reprocher de n'avoir pas procédé aux analyses techniques réalisées par Monsieur E... qui a bien indiqué qu'il n'y procédait que parce qu'il était judiciairement requis ; que l'analyse stylistique de Monsieur B... est essentiellement faite en référence avec l'oeuvre intitulée "le chapeau de Lancret" ; Mais considérant que l'expert, Monsieur X..., a été spécialement requis par les commissaires-priseurs dès avant la vente et qu'il a accepté d'expertiser l'oeuvre en cause afin de l'authentifier ou de ne pas l'authentifier en vue d'une vente publique aux enchères ; qu'une oeuvre d'art ne peut pas être authentifiée, dans un pareil contexte, sans diligences suffisantes et sérieuses ; que Monsieur X... n'est donc pas fondé à invoquer le manque de temps, qui, s'il était avéré, devait le conduire à refuser sa mission ou à émettre des réserves ; que de la même manière, si le décadrage ne s'imposait pas comme première démarche, le doute qu'une analyse stylistique aurait dû lui inspirer, pouvait et devait justifier des opérations plus approfondies, notamment sur le plan technique, après éventuel décadrage ; que compte-tenu de la notoriété de l'auteur allégué, et donc du prix de l'oeuvre, il est certain que toutes diligences devaient être accomplies, étant relevé que le décadrage d'un pastel, s'il est bien opéré, n'est pas une opération de nature à porter

atteinte à l'oeuvre ; Que Monsieur X... ne peut, pour dénier toute pertinence à l'analyse stylistique faite par Monsieur B..., se contenter de faire reproche à l'expert d'avoir fait une étude à partir de l'oeuvre connue du peinte, "le chapeau de Lancret" ; que l'expert a forcément été conduit à faire l'évocation de cette dernière oeuvre dans la mesure où elle est fort connue et fort proche de l'oeuvre litigieuse ; que cependant il fait une analyse du style de l'auteur particulièrement poussée et détaillée pour conclure qu'il ne peut s'agir du style de l'artiste HELLEU, notamment dans son oeuvre "le chapeau de Lancret" ; qu'en outre la signature n'est pas celle de l'artiste, ce qui selon l'expert était particulièrement décelable ; Considérant que Monsieur X..., expert notoirement connu, a commis des fautes incontestables alors qu'il s'agissait d'authentifier ou non une oeuvre susceptible d'atteindre un prix important, dans une vente publique, et qu'il ne pouvait que renforcer sa vigilance dans la mesure où l'oeuvre concernée présentait des ressemblances évidentes avec une oeuvre parfaitement authentifiée et bien connue de l'artiste ; Que Monsieur X... a engagé sa responsabilité délictuelle envers Madame A..., venderesse, en lui donnant la certitude qu'elle pouvait en toute sécurité mettre en vente une oeuvre authentique et en retirer un prix important, alors qu'après avoir eu la libre disposition de cette somme, elle en doit aujourd'hui restitution augmentée des intérêts ; que toutefois Madame A... n'est pas fondée à solliciter la condamnation de l'expert à la relever et garantir des condamnations prononcées contre elle ; que celles-ci sont la conséquence de l'annulation de la vente avec remise des choses en l'état antérieur ; que Madame A... ne peut soutenir qu'elle a subi une perte égale au prix de la vente, par la faute de l'expert, dans la mesure où elle n'avait pas et n'a toujours pas dans son patrimoine une oeuvre originale de HELLEU, représentant un prix

important ; que par contre, par la faute commise par l'expert elle a eu la croyance légitime de posséder une oeuvre de prix qu'elle pouvait négocier à un prix important et qu'elle pouvait disposer de ce prix alors qu'elle en doit présentement, et après emploi, la restitution, augmentée des intérêts au taux légal et qu'elle a dû assumer une longue et pénible procédure pour finalement être condamnée à restitution ; qu'en réparation de ce préjudice la somme de 300.000 francs doit lui être allouée, somme demandée dans les conclusions de première instance ; Qu'en ce qui concerne la demande formée par la société RICHARD GREEN tendant à la condamnation in solidum de Monsieur X... à la restitution du prix de la vente et des intérêts, avec Madame A..., il ne donne aucun fondement juridique à cette demande en paiement "in solidum" ; qu'il ne peut s'agir que d'une demande indemnitaire à raison de la faute délictuelle commise par l'expert et sur le fondement de laquelle, en première instance, la société RICHARD GREEN sollicitait la somme de 70.000 francs ;

Que, cependant, l'acquéreur n'a acquis l'oeuvre litigieuse, au prix atteint lors de la vente, qu'en raison de l'authentification faite par l'expert, avant la vente ; qu'amateur du peintre HELLEU et attirant une clientèle sur la possession d'oeuvres de ce peintre, la société RICHARD GREEN a subi un préjudice moral dans ses rapports avec sa clientèle comme elle doit présentement subir les aléas de la restitution du prix par la venderesse, après une longue et lourde procédure ; que la somme de 70.000 francs, sollicitée dans les conclusions de première instance, doit lui être allouée à titre de dommages-intérêts, en conséquence des fautes commises par l'expert ; Considérant, en ce qui concerne la SCP Jacques MARTIN et Olivier DESBENOIT, que celle-ci a pris le soin de s'entourer de l'avis d'un expert connu et reconnu qui a authentifié l'oeuvre sans réserve ; que

dès lors aucune négligence ne peut lui être imputée et qu'elle doit être mise hors de cause ; SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES INTÉRÊTS FORMÉE PAR LA SCP MARTIN ET DESBENOIT A L'ENCONTRE DE MADAME A... Considérant que la SCP MARTIN et DESBENOIT demande condamnation de l'appelante au paiement de la somme de 5.000 francs sans démontrer l'existence d'une faute imputable à Madame A... ni le préjudice qui en serait résulté pour elle ; que ce chef de demande doit être rejeté ; SUR LES FRAIS IRREPETIBLES Considérant que la société RICHARD GREEN demande la somme de 60.000 francs et la condamnation in solidum de Madame A... et de Monsieur X... ; Que cette demande est recevable et bien fondée à hauteur de la somme de 20.000 francs, compte-tenu des diligences assurées ; Que Madame A... sollicite la somme de 20.000 francs, à l'encontre de la société RICHARD GREEN, de la SCP MARTIN et DESBENOIT et de Monsieur X... ; qu'à raison de ce qui précède il convient de lui allouer la somme de 20.000 francs, laquelle sera supportée par Monsieur X... ; Que la SCP MARTIN et DESBENOIT demande la somme de 10.000 francs à l'encontre de Madame A... ; que l'équité ne justifie nullement cette demande qui doit être rejetée ; Que Monsieur X... succombant en ses prétentions, n'est pas recevable en ce chef de demande ; SUR LES FRAIS D'EXPERTISE Considérant que cette mesure a été rendue indispensable à raison de la faute commise par Monsieur X..., lequel doit en supporter le coût ; PAR CES MOTIFS, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, VU l'arrêt du 20 novembre 1997, CONFIRME le jugement déféré rendu par le tribunal de grande instance de VERSAILLES le 6 juin 1995 en ce qu'il a : - prononcé la nullité du contrat de vente du pastel "Elegante devant sa cheminée", réalisé le 21 mai 1989, - ordonné la restitution du pastel litigieux par la société RICHARD GREEN à Madame A..., -condamné Madame A... à restituer à la société RICHARD GREEN la somme de 309.304

francs, - dit que Monsieur X... a engagé sa responsabilité, - mis hors de cause la SCP Jacques MARTIN et Olivier DESBENOIT, - condamné Monsieur X... à payer à Madame A... et à la société RICHARD GREEN, chacun, la somme de 8.000 francs au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, L'INFIRME pour le surplus, STATUANT A NOUVEAU, CONDAMNE Madame A... aux intérêts au taux légal calculés sur le prix de la vente à compter du 5 juillet 1991, DÉBOUTE Madame A... de son "appel en garantie" formé à l'encontre de Monsieur X..., CONDAMNE Monsieur X..., en réparation du préjudice causé à Madame A..., au paiement de la somme de 300.000 francs (TROIS CENTS MILLE FRANCS), à titre de dommages-intérêts, DÉBOUTE la société RICHARD GREEN de sa demande de condamnation "in solidum" formée à l'encontre de Monsieur X..., CONDAMNE Monsieur X... à lui payer la somme de 70.000 francs (SOIXANTE DIX MILLE FRANCS) à titre de dommages-intérêts, DÉBOUTE la SCP MARTIN et DESBENOIT de ses demandes formées à l'encontre de Madame A..., CONDAMNE Monsieur X... à payer la somme de 20.000 francs (VINGT MILLE FRANCS), à Madame A... et à la société RICHARD GREEN, chacune, au titre des frais irrépétibles,

LE DIT IRRECEVABLE en sa demande formée au même titre, CONDAMNE Monsieur X... aux dépens de l'appel et dit que les SCP MERLE-CARENA-DORON, KEIME etamp; GUTTIN et BOMMART etamp; MINAULT pourront recouvrer directement contre lui les frais exposés, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile. ET ONT SIGNE LE PRÉSENT ARRÊT : Le Greffier ayant

Le Président, assisté au prononcé, Catherine CONNAN

Colette GABET-SABATIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1995-7462
Date de la décision : 20/04/2000

Analyses

CONTRATS ET OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES - Consentement - Erreur.

L'erreur ne peut être cause de nullité lorsqu'elle est inexcusable. En matière d'achat de peintures, on ne peut retenir une telle erreur à l'encontre d'un professionnel de l'art et amateur de l'oeuvre achetée dès lors qu'une expertise considère qu'il s'agissait d'un "faux habilement fait pour pouvoir tromper momentanément un professionnel", que l'oeuvre litigieuse avait été authentifiée avant la vente et qu'elle figurait en première page du catalogue de la vente ainsi que dans la Gazette de l'Hôtel DROUOT

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Faute - Expertise - Expert.

L'authentification ou le refus d'authentification d'une oeuvre d'art dans la perspective d'une vente publique aux enchères implique des diligences suffisantes et sérieuses de la part de l'expert qui accepte cette mission, a fortiori s'agissant d'une oeuvre présentant des ressemblances évidentes avec une oeuvre parfaitement authentifiée du même artiste et dont la notoriété était susceptible d'induire un prix important. Il s'ensuit qu'un expert, de surcroît notoirement connu, qui s'est abstenu de telles diligences engage sa responsabilité envers le propriétaire de l'oeuvre, en lui ayant donné la certitude qu'il pouvait en toute sécurité mettre en vente une oeuvre authentique et en retirer un prix important qu'il est aujourd'hui contraint de restituer augmenté des intérêts au taux légal

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Dommage - Réparation - Indemnité - Montant - Fixation.

Le vendeur qui exerce une action délictuelle à l'encontre de l'expert ne peut demander condamnation de ce dernier à le relever et garantir des conséquences de l'annulation de la vente. La faute de l'expert n'a pas généré la perte du prix de la vente, valeur que le tableau litigieux n'a jamais eu, mais la seule croyance de posséder une oeuvre de valeur négociable à un prix important dont le vendeur a cru pouvoir librement et définitivement disposer alors qu'il est tenu à restitution


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2000-04-20;1995.7462 ?
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