Le magazine VSD numéro 1067, du 5 février au 11 février 1998, a publié un article illustré de plusieurs photographies, consacré à la princesse X... de MONACO et à Monsieur Y... de HANOVRE sous le titre "les mauvaises manières d'un gendre idéal" et le sous-titre "Y... Z... de HANOVRE - le prince charmant de X... GRIMALDI est issu d'une des plus vieilles familles d'Europe. Mais ses actes ne sont pas toujours ceux d'un aristocrate". Estimant cet article attentatoire à leur vie privée et à leur droit à l'image, Madame X... de MONACO et Monsieur Y... Z... de HANOVRE ont fait assigner la SNC VSD devant le tribunal de grande instance de NANTERRE, le 27 mai 1998, sur le fondement des articles 9 et 1382 du Code civil et ont sollicité respectivement la somme de 150.000 francs et de 300.000 francs en réparation de leur préjudice, outre la publication de la décision à intervenir. Par jugement en date du 2 décembre 1998, le tribunal de grande instance de NANTERRE a estimé que "sous prétexte d'obtenir réparation d'une atteinte à sa vie privée, Y... de HANOVRE se plaint en réalité d'une atteinte à son honneur et à sa considération" et a retenu que l'action était "en réalité une action en diffamation relevant du régime de la loi de 1881" comme telle soumise aux exigences posées par l'article 53 de cette loi, lesquelles n'ont pas été respectées. Le tribunal, en conséquence, a annulé l'exploit introductif d'instance délivré à la requête de Monsieur Y... Z... de HANOVRE alors qu'il a retenu les fautes commises à l'endroit de la princesse X... de MONACO et lui a alloué la somme de 40.000 francs à titre de dommages-intérêts. Monsieur Y... Z... de HANOVRE a interjeté appel de cette décision. Au soutien de son appel, après rappel des principes juridiques applicables, savoir les articles 9 et 1382 du Code civil, l'appelant fait valoir que l'article litigieux reproduit trois clichés visiblement pris au téléobjectif en des scènes totalement privées de
sa vie et à son insu alors que deux autres le présentent en présence de la princesse X... de MONACO et avec son ex-épouse. Nulle autorisation n'a été donnée et l'ensemble de ces publications constitue, à l'évidence, une atteinte au droit à l'image. En ce qui concerne le texte de l'article incriminé, l'appelant estime que par delà certains propos particuliers qui peuvent présenter un caractère diffamatoire, l'ensemble de l'article a pour seul et unique objectif de le présenter comme un homme violent, grossier, colérique, indélicat et infidèle, ce qui constitue une atteinte évidente à sa vie privée lorsque ces qualificatifs sont assortis de faits pour les illustrer. En ce qui concerne le préjudice, il sollicite la somme de 300.000 francs, estimant que cet article est odieux, injurieux et ne vise qu'à porter atteinte à sa vie privée, sentimentale, familiale et sociale. Il demande en outre la publication de la décision à intervenir et la somme de 30.000 francs au titre des frais irrépétibles. La société VSD conclut à la confirmation du jugement et à l'allocation de la somme de 15.000 francs au titre des frais irrépétibles. En droit, la société fait valoir le principe fondamental de la libre communication des pensées et des opinions et soutient que l'article 1382 du Code civil ne doit être retenu que pour sanctionner les abus auquel l'usage de ce principe a pu donner lieu. L'intimée considère que si les qualificatifs retenus par l'article paraissent outranciers et excessifs à Monsieur Y... Z... de HANOVRE, il s'agit alors d'imputation diffamatoire et seule la loi de 1881 est alors applicable. Elle considère encore que le tribunal en ne se prononçant pas expressément sur les photographies incriminées a considéré que celles-ci étaient "absorbées par la diffamation" et devaient subir le même régime. Subsidiairement, la société intimée considère qu'il n'existe nulle atteinte au droit à l'image, certains clichés ayant été pris dans des manifestations
publiques et d'autres ne faisant qu'illustrer ce qui était connu de tout le monde, à savoir les relations existant entre l'appelant et la princesse X... de MONACO. Elle estime pareillement qu'il n'y a aucune atteinte à la vie privée qui soit constituée et que l'énonciation des "défauts" de Monsieur Y... Z... de HANOVRE n'est pas de nature à constituer une atteinte à sa vie privée. Enfin, la société VSD considère qu'il n'existe nul préjudice réparable dans la mesure où rien n'établit que les clichés aient été pris au téléobjectif, que l'argument selon lequel l'article serait de nature à porter atteinte à l'image paternelle présentée à ses enfants n'est pas sérieux et que le prétendu préjudice est si peu important qu'un délai de quatre mois s'est écoulé entre la parution et l'action. SUR CE, SUR LA RECEVABILITÉ DE L'ACTION Considérant que la diffamation, strictement réglementée par la loi de 1881, suppose l'imputation d'un fait déterminé portant atteinte à l'honneur et à la considération de la personne visée et susceptible de faire l'objet d'une preuve de sa réalité pouvant être soumise à un débat contradictoire ; Que l'article 9 du Code civil énonce que "chacun a droit au respect de sa vie privée", lequel emporte droit au respect de son image ; Considérant que l'article incriminé, composé de trois pages accompagnées de clichés photographiques, n'a pas pour thème l'information du public sur un fait d'actualité mais vise à présenter au public une personne jusque là peu médiatisée mais désormais souvent vue aux côtés de la princesse X... de MONACO, personnage particulièrement médiatisé ; Que l'article ne cherche pas à imputer à Monsieur Y... Z... de HANOVRE un fait déterminé, outre l'agression d'un cameraman, mais à faire connaître au public ses prétendus caractères et attitudes comportementales, dans la sphère de sa vie personnelle et privée ; Que le tribunal a retenu que "sous prétexte d'obtenir réparation d'une atteinte à sa vie privée, Y... de HANOVRE
se plaint en réalité d'une atteinte à son honneur et à sa considération" ; que toutefois la diffamation présuppose l'imputation d'un fait dont la conséquence est l'atteinte à l'honneur et à la considération, fait en l'espèce non caractérisé par le tribunal alors que, conformément à l'article 9 du Code civil précité, Monsieur Y... Z... de HANOVRE, par la présente action, vise, à partir d'un ensemble de propos et de clichés, à démontrer et faire sanctionner une atteinte à sa vie privée, fut-elle aggravée par des qualificatifs pouvant l'atteindre dans sa dignité et dans son honneur d'homme privé ; Qu'en conséquence l'action introduite par Monsieur Y... Z... de HANOVRE a été jugée à tort comme irrecevable par les premiers juges ; SUR LES ATTEINTES A LA VIE PRIVÉE Considérant que l'ensemble de l'article vise, selon l'intimée, à informer les lecteurs sur la personnalité du Prince en le présentant comme un personnage de haute lignée à la fois dynamique, volontaire, diversifié et cossu et cite plusieurs passages de l'article évoquant son ascendance et estime que nombre de considérations retenues comme fautives sont en réalité particulièrement flatteuses telles que "amateurs de jolies femmes", "amateurs de sensations fortes", "il a déjà noué une tendre complicité avec les enfants de la Princesse" ; Mais considérant que si l'article rappelle effectivement la noble ascendance de Monsieur Y... Z... de HANOVRE, ce que nul ne lui reproche, il a pris le parti délibéré de donner une image négative du Prince par l'attribution de comportements et de traits de caractère précisément peu en harmonie avec son ascendance et l'attitude habituellement attendue des personnes de son rang, ce que le texte de l'article ne manque pas d'insinuer à plusieurs reprises ; Que les titres et sous-titres de l'article suffisent à montrer le parti-pris par l'auteur de l'article lorsqu'ils sont ainsi rédigés "les mauvaises manières d'un gendre idéal" et "Y... Z... de HANOVRE - le prince
charmant de X... GRIMALDI est issu d'une des plus vieilles familles d'Europe. Mais ses actes ne sont pas toujours ceux d'un aristocrate" ou bien encore "amateur de jolies femmes et buveur de bière, Y... Z... mérite le titre d'enfant terrible du gotha" ; Considérant en outre que l'article, à l'évidence, cherche à retenir l'attention du public, par delà une quelconque nécessité d'information sur un fait d'actualité, en évoquant la relation de Monsieur Y... de HANOVRE et de la Princesse X... de MONACO et en révélant des faits purement privés de sa vie ; qu'ainsi il est écrit "... délaissant femme et enfants pour passer le plus clair de son temps en Provence, dans les bras de l'aînée des GRIMALDI " ou encore "A noùl dernier, dans les Cara'bes, Y... Z... a passé quelques jours de vacances en compagnie du clan GRIMALDI. Il a déjà noué une tendre complicité avec les enfants de la princesse" ; que l'article révèle encore que "au cours des deux années qui ont précédé son divorce, son altesse royale ne séjournait que très rarement à son domicile à LONDRES" ; Que ces affirmations concernent particulièrement des faits relevant de la stricte vie privée ; Considérant que pour le surplus, l'ensemble de l'article dépeint Monsieur Y... Z... de HANOVRE de manière moins flatteuse que ne l'affirme la société intimée lorsqu'il est dépeint comme "impulsif et incontrôlable", "cigarette toujours au bec, son altesse royale sait manier l'argot à la perfection" ; Que l'ensemble de l'article révèle un parti-pris évident visant à donner au public, à partir de la révélation de faits de la vie privée, ou de traits de caractère vrais ou affirmés, une image négative de celui auquel l'auteur de l'article ne porte intérêt qu'à raison d'événements relevant de sa stricte vie personnelle : ses relations avec la Princesse X... de MONACO ; que si ces relations, lors de la parution de l'article, tendaient à devenir connues, il n'en demeure pas moins que l'article ne se limite
pas à la présentation de ce simple fait, mais a pour but premier de présenter fort négativement Monsieur Y... Z... de HANOVRE ; Que l'ensemble de ces éléments suffisent à caractériser l'atteinte à la vie privée de l'appelant ; SUR L'ATTEINTE AU DROIT A L'IMAGE Considérant que l'article comporte cinq clichés présentant Monsieur Y... Z... de HANOVRE, l'un visiblement en public, aux côtés de la Princesse de MONACO, l'autre en compagnie de sa femme et de la Princesse de MONACO ; que les trois autres clichés, qu'ils soient ou non pris au télé-objectif, présentent l'appelant à la sortie d'un immeuble, dans la rue ou encore en tenue de bains avec la Princesse X... et un de ses enfants ; que ces images ont été publiées sans l'accord de l'intéressé et le présentent dans des instants étrangers à toute vie publique ; que la société intimée ne peut se borner à faire valoir que les limites de l'intimité n'ont pas été franchies ; que ces photographies reproduites sans accord constituent une atteinte certaine au droit à l'image ; SUR LE PRÉJUDICE Considérant que l'appelant sollicite la somme de 300.000 francs et la publication de la décision à intervenir ; Que l'intimée ne saurait sérieusement soutenir que le délai de quatre mois qui s'est écoulé entre la parution de l'article et l'action judiciaire démontre le peu de préjudice ressenti par l'intéressé ; que le temps de la réflexion ne saurait être retenu comme fautif, tout particulièrement de la part d'une personne que l'on qualifie d'impulsive alors, en outre, que le délai de quatre mois ne présente aucun caractère anormal ; Qu'il existe un évident préjudice moral à être présenté à partir de traits de caractère et de comportement, réels ou supposés, plus raillés qu'objectivement relatés ; que tout aussi pertinemment l'appelant invoque le préjudice moral que cet article a pu lui causer en sa qualité de père ; que ce préjudice n'est nullement atténué, comme le soutient l'intimée, par le caractère officiel de l'événement relaté,
le prétendu événement - rien n'étant publiquement annoncé par les intéressés - n'étant pas le seul l'objectif de l'article qui visait avant tout à peindre et dépeindre à partir d'actes totalement privés celui dont une image négative voulait être donnée ; Que la somme de 80.000 francs doit être allouée à Monsieur Y... Z... de HANOVRE en réparation des préjudices subis ; Que la publication de la décision, compte-tenu de la teneur générale de l'article, doit être ordonnée à titre de complément de réparation ; que ses conditions seront précisées au dispositif du présent arrêt ; SUR LES FRAIS IRREPETIBLES Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelant les frais irrépétibles exposés et que la somme de 10.000 francs doit lui être allouée ; PAR CES MOTIFS, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, REOEOIT Monsieur Y... Z... de HANOVRE en son appel, INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions, STATUANT A NOUVEAU, DÉCLARE l'action introduite sur le fondement des articles 9 et 1382 du Code civil recevable, CONDAMNE la société VSD à payer à Monsieur Y... Z... de HANOVRE la somme de 80.000 francs (QUATRE VINGT MILLE FRANCS) en réparation du préjudice résultant des atteintes à la vie privée et au droit à l'image contenues dans la publication du numéro 1067 du magazine VSD,
ORDONNE, aux frais de la société éditrice, la publication de la présente décision en page 2 du magazine VSD, en caractères blancs sur fond noir, de un centimètre de hauteur, dans les termes suivants :
"La première chambre première section de la Cour d'appel de VERSAILLES, par arrêt en date du 23 mars 2000, a condamné la société VSD, éditrice de l'hebdomadaire VSD, pour avoir, dans le numéro 1067, porté atteinte à la vie privée et au droit à l'image du Prince Y... Z... de HANOVRE ", DIT que cette publication devra intervenir dans le mois de la signification de l'arrêt et passé ce délai sous
astreinte journalière de 2.000 francs (DEUX MILLE FRANCS), CONDAMNE la société VSD au paiement de la somme de 10.000 francs (DIX MILLE FRANCS) au titre des frais irrépétibles, LA CONDAMNE aux entiers dépens et dit que la SCP JULLIEN-LECHARNY-ROL pourra recouvrer directement contre elle les frais avancés, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile. ET ONT SIGNE LE PRÉSENT ARRÊT : Le Greffier,
Le Président, Catherine CONNAN
Colette GABET-SABATIER 1) Diffamation et injures, Diffamation, Action en justice, Demande fondée sur l'article 1382 du code civil 2) Protection des droits de la personne, Respect de la vie privée, Atteinte, Presse, Articles : article traduisant l'unique souci de l'auteur de révéler à ses lecteurs un élément de la vie privée - parti pris de l'auteur tendant à présenter une image négative d'un personnage public à partir d'éléments de la vie privée- 1) La diffamation, telle que réglementée par la loi de 1881, implique l'imputation d'un fait déterminé, portant atteinte à l'honneur et à la considération de la personne visée, et susceptible de faire l'objet d'une preuve de sa réalité pouvant être soumise à un débat contradictoire. Lorsqu'il résulte d'un article de presse que celui-ci ne cherche pas à imputer un fait déterminé à celui qui en est le sujet, mais à faire connaître au public ses prétendus caractères et attitudes comportementales dans la sphère de sa vie personnelle et privée, dont l'atteinte est protégée en application de l'article 9 du code civil, c'est à tort que les premiers juges déclarent l'action irrecevable au motif que " sous prétexte d'obtenir réparation d'une
atteinte à sa vie privée, (l'intéressé) se plaint en réalité d'une atteinte à son honneur et à sa considération ", et ce, sans caractériser le fait qui aurait été imputé. 2) Dès lors qu'un article de presse, rappelant la noble ascendance du protagoniste, prend le parti délibéré d'en donner une image négative par l'attribution de traits de caractère, vrais ou affirmés, peu en harmonie avec son ascendance et l'attitude habituellement attendue des personnes de son rang (" les mauvaises manières d'un gendre idéal ", " mais ses actes ne sont pas toujours ceux d'un aristocrate ", " impulsif et incontrôlable " etc) et cherche à retenir l'attention du public, par delà une quelconque nécessité d'information sur un fait d'actualité, en révélant des faits relevant de sa stricte vie privée, l'ensemble de ces éléments suffisent à caractériser l'atteinte à la vie privée. * * *