La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/03/2000 | FRANCE | N°JURITEXT000006935869

France | France, Cour d'appel de Versailles, 16 mars 2000, JURITEXT000006935869


Madame Geneviève X..., exerçant la profession d'orthophoniste, 46 rue de Gisors à PONTOISE, a signé, le 18 mai 1994, un "contrat d'assistant collaborateur" avec Madame Gina Y..., lequel prévoyait, notamment, en son article 13, la clause de non concurrence suivante : "A l'expiration du contrat ou lors de sa résiliation par l'une des parties, en application des articles 9 et 11, Madame Gina Y... s'interdira d'exercer pendant trois ans dans un rayon de dix kilomètres". L'article 14 du même contrat précisait : "En cas de violation de l'article 13, Madame Gina Y... versera à Madame X... u

ne indemnité correspondant au quart du prix de cession du...

Madame Geneviève X..., exerçant la profession d'orthophoniste, 46 rue de Gisors à PONTOISE, a signé, le 18 mai 1994, un "contrat d'assistant collaborateur" avec Madame Gina Y..., lequel prévoyait, notamment, en son article 13, la clause de non concurrence suivante : "A l'expiration du contrat ou lors de sa résiliation par l'une des parties, en application des articles 9 et 11, Madame Gina Y... s'interdira d'exercer pendant trois ans dans un rayon de dix kilomètres". L'article 14 du même contrat précisait : "En cas de violation de l'article 13, Madame Gina Y... versera à Madame X... une indemnité correspondant au quart du prix de cession du cabinet de Madame X..., établi selon les règles de la profession. Pour l'évaluation de ce prix, il pourra être fait appel à un expert désigné par la FÉDÉRATION DES ORTHOPHONISTES DE FRANCE". Le 8 mars 1995, Madame Y... a adressé un courrier à Madame X... par lequel elle l'informait de sa décision de mettre fin au contrat d'assistant collaborateur, à effet du 31 juillet 1995, compte-tenu du préavis contractuel. Postérieurement au départ de Madame Y..., Madame X... a fait constater par géomètre que le nouveau cabinet de Madame Y... était situé, à vol d'oiseau, à 6 kilomètres 3 de son cabinet et, invoquant un non respect de la clause de non concurrence elle a, par acte du 12 mars 1996, fait assigner Madame Y... devant le juge des référés du tribunal de grande instance de PONTOISE. Par ordonnance en date du 10 avril 1996, le juge des référés a ordonné à Madame Y... de faire cesser immédiatement toute activité professionnelle au 30 boulevard de l'Evasion à CERGY et d'une façon générale dans un rayon de dix kilomètres à vol d'oiseau et désignait un expert aux fins d'établir le montant de l'indemnité due. Par arrêt en date du 6 mai 1998, la présente Cour a infirmé cette décision au motif de l'existence d'une contestation sérieuse. Madame Y... a saisi à son tour la juridiction de PONTOISE, au fond, pour entendre

dire qu'elle n'avait commis aucune violation contractuelle et que la distance de dix kilomètres prévue par la clause contractuelle devait être calculée non pas à vol d'oiseau mais en prenant en considération le trajet routier le plus court qui est en l'espèce de 10 kilomètres 200. Elle ajoutait en outre qu'il ne saurait y avoir concurrence déloyale dans la mesure où Madame X..., à raison de ses diplômes, est limitée à certaines spécialités différentes de celles exercées par Madame Y.... Par jugement contradictoire en date du 14 janvier 1997, le tribunal de grande instance de PONTOISE a retenu que la notion de rayon contenue dans la convention était très claire et devait s'entendre de la notion géométrique et non de la notion floue et fluctuante du trajet routier. Le tribunal a dit, en conséquence, que les prétentions de Madame Y... étaient dénuées de fondement et, sur la demande reconventionnelle de Madame X... tendant à l'allocation de dommages-intérêts, le tribunal a rappelé le contenu de l'article 14 fixant les critères de l'indemnisation forfaitaire et conventionnelle ; il a en conséquence rejeté la demande reconventionnelle. Madame Y... a interjeté appel de cette décision. La FÉDÉRATION NATIONALE DES ORTHOPHONISTES est intervenue volontairement aux côtés de l'appelante. Par conclusions communes, elles prient la Cour : - d'infirmer le jugement et d'annuler les dispositions conventionnelles figurant aux articles 13 et 14 du contrat de collaboration, - subsidiairement, de dire que Madame Y... est fondée à interpréter la clause de non concurrence à partir du trajet routier le plus court, - plus subsidiairement encore, de dire que ladite clause de non-concurrence ne peut s'appliquer qu'aux actes permis à Madame X... personnellement, et en tout état de cause de réduire la clause pénale à la somme de 1 franc de dommages-intérêts, - de rejeter toute demande de dommages-intérêts supplémentaires, - de condamner Madame X... au paiement de la

somme de 10.000 francs au titre des frais irrépétibles. Madame X... prie la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu l'existence d'une violation de la clause de non concurrence et, formant appel incident, sollicite la condamnation de Madame Y... au paiement de l'indemnité contractuellement prévue égale au quart de la valeur de son cabinet, à fixer à dire d'expert. Elle demande en outre la somme de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts complémentaires et la somme de 15.000 francs au titre des frais irrépétibles. SUR CE, Considérant que l'intervention volontaire de la FÉDÉRATION NATIONALE DES ORTHOPHONISTES n'est pas contestée en cause d'appel ; qu'au reste cet intervenant ne fait que conclure aux côtés de l'appelante et ne forme aucune demande personnelle ; SUR LA NULLITÉ DE LA CLAUSE DE NON CONCURRENCE Considérant que l'article 13 sus-cité fait la loi des parties et prévoit clairement une interdiction d'exercer pendant trois ans "dans un rayon de dix kilomètres" ; que le litige portait initialement, à la requête de Madame Y..., sur la seule interprétation du terme "rayon de", celui-ci devant, selon Madame X..., avoir pour référence une distance calculée à vol d'oiseau alors que Madame Y... entend faire prendre en considération une distance calculée à partir du trajet routier le plus court ; Qu'en cause d'appel, Madame Y... conclut à titre principal à la nullité de la clause de non concurrence en rappelant qu'une telle clause est licite si "elle ne porte pas atteinte à la liberté du travail en raison de son étendue dans le temps et dans l'espace, compte-tenu de l'activité du salarié et n'est illicite que dans la mesure où elle le fait" ; Qu'elle invoque la "jurisprudence récente" selon laquelle la clause, pour être valable, ne doit pas seulement être limitée dans le temps et dans l'espace, mais doit avant tout résulter d'un intérêt légitime pour l'entreprise ou la personne à protéger et laisser au salarié la possibilité

d'exercer une activité conforme à son expérience et à sa formation, ladite clause devant être appréciée à partir de l'activité réelle et non seulement de sa définition statutaire ; Que selon Madame Y..., et l'intervenante, il y a défaut d'intérêt légitime à protéger "du point de vue de l'espace", dans la mesure où la clientèle des orthophonistes est une clientèle essentiellement composée de jeunes enfants pour lesquels les parents recherchent un praticien situé à proximité de leur domicile, compte tenu de la durée dans le temps des soins prodigués et de leur volonté de limiter les déplacements ; Qu'elle fait encore valoir que Madame X... ne saurait demander la protection d'activités qu'elle ne peut elle-même pratiquer, faute pour elle de détenir tous les diplômes nécessaires pour la pratique de certains actes ; Considérant que Madame X... n'a pas expressément conclu sur la demande de nullité mais fait valoir que le contrat ne comporte nulle référence aux actes pratiqués par les parties et qu'avec ses collaboratrices, elle effectue l'ensemble des actes de la profession, le cabinet ayant vocation au plein exercice de son activité ; Mais considérant que la clause de non concurrence est licite lorsqu'elle est limitée dans le temps et dans l'espace et qu'elle ne conduit pas à porter une atteinte non justifiée par la protection de son bénéficiaire, à la liberté d'exercice de celui qui la souscrit ; Qu'en l'espèce, la clause est limitée à trois années, aujourd'hui écoulées, et à un rayon de trois kilomètres ; que ni cette durée ni cette distance ne constituent des termes excessifs ; Que peu importe la durée courante des traitements subis par les clients ; que pareillement Madame Y... fait vainement valoir que Madame X... n'a pas les diplômes nécessaires pour pratiquer tous les actes de sa profession, ce qui, d'une part n'est pas établi avec certitude et qui, d'autre part, est sans conséquence dès lors qu'il n'est pas contesté qu'avec des collaborateurs, le cabinet assure

l'intégralité des actes de la profession ; Que la clause litigieuse présente bien un caractère légitime pour Madame X... dans la mesure où à peine une année après la signature du contrat de collaboration, Madame Y... a décidé de mettre un terme à cet engagement pour se livrer à une pratique individuelle de la profession ; qu'elle ne saurait soutenir que la clause a été ou est de nature à porter atteinte à sa liberté d'exercice dès lors que depuis son départ elle a toujours exercé sa profession et qu'en mars 1997, elle s'est installée au-delà du rayon litigieux ; Que Madame Y... n'est pas fondée à invoquer la nullité de la clause par elle souscrite ; SUR LE CONTENU DE LA CLAUSE DE NON CONCURRENCE Considérant que la convention fait référence à "un rayon de dix kilomètres" ; que le terme rayon est généralement et couramment défini comme étant la distance déterminée à partir d'un centre ; que ce rayon ne peut être calculé que d'une manière unique, géométrique et linéaire, selon l'expression couramment utilisée de "vol d'oiseau" ; que vainement Madame Y... fait valoir que la distance à retenir est celle du trajet routier le plus court, celui-ci n'étant pas une référence fixe dans le temps ni l'espace ; Que la Cour présentement n'est pas tenue par les motifs d'un arrêt rendu sur appel d'une ordonnance de référé ; Que vainement Madame Y... invoque les usages de la professions qui, selon elle, retiennent une clause limitée à la zone d'influence du praticien ; que la zone de dix kilomètres n'est pas excessive et qu'aucun élément ne permet d'établir avec pertinence et certitude la prétendue zone d'influence d'un orthophoniste ; Que l'argumentation tirée par Madame Y... de la limite des actes pouvant être pratiqués par Madame X... n'est pas plus fondée ; que d'une part, cette limitation n'est pas expressément établie en la personne de Madame X... ; que d'autre part, Madame Y... ne conteste pas, qu'avec des collaboratrices, Madame X... réalise

l'intégralité des actes relevant de sa profession et, qu'enfin, la clause de non concurrence est générale ; Qu'il n'est pas contesté que l'installation de Madame Y... a été réalisée à 6 kilomètres 3 et que cette dernière s'est rendue coupable d'une violation de ses engagements contractuels ; SUR LES CONSÉQUENCES DU MANQUEMENT IMPUTABLE A MADAME Y... Considérant que la convention prévoit une indemnisation égale au quart du prix de cession du cabinet de Madame X... ; Que l'ordonnance de référé du 6 mai 1998 avait ordonné une expertise sur ce point ; que ladite ordonnance a été entièrement réformée par la Cour ; Que Madame Y... prie la Cour de dire que l'indemnisation prévue doit être analysée comme étant une clause pénale laquelle, à raison de son caractère excessif, doit être réduite au franc symbolique ; Que Madame X... demande à la Cour, conformément à la convention, que l'indemnité soit fixée par dire d'expert désigné par la FÉDÉRATION DES ORTHOPHONISTES DE FRANCE ; qu'elle demande, en outre, la somme de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts complémentaires ; Mais considérant que la convention ne fait pas obligation aux parties de saisir un expert désigné par la FÉDÉRATION DES ORTHOPHONISTES DE FRANCE mais prévoit qu'il "pourra être fait appel à un expert désigné. .." ; Que Madame X... ne donne présentement aucun élément, aucune indication, aucune valeur pouvant permettre à la Cour de déterminer et d'analyser les conséquences de la convention ; Qu'il convient d'ordonner une mesure d'expertise judiciaire aux frais avancés de Madame X... afin de déterminer la valeur de cession de son activité au jour de la cessation de la collaboration entre les parties ; Qu'en l'attente de ces éléments la Cour sursoit à statuer sur toutes demandes relatives aux dommages-intérêts ; Que pareillement une mesure de sursis doit être prononcée en ce qui concerne les frais irrépétibles ; PAR CES MOTIFS, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en

dernier ressort, DÉBOUTE Madame Y... de sa demande de nullité de la clause de non concurrence, CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a dit que la clause conventionnelle relative à l'étendue géographique de la clause de non concurrence liant les parties devait être prise en considération à partir de la distance linéaire et géométrique de dix kilomètres, CONSTATE ET DIT que Madame Y... a manqué à cette obligation, AVANT DIRE DROIT SUR LES CONSÉQUENCES DE CETTE VIOLATION, ORDONNE une mesure d'expertise, DÉSIGNE pour y procéder : Monsieur Daniel Z... 8 rue de l'Eglise 95810 EPIAIS RHUS Tél. : 01.47.33.57.75 lequel aura pour mission, en la présence des parties ou elles dûment appelées, de proposer à la Cour une valeur de cession du cabinet de Madame X..., au jour de la cessation de la collaboration entre les parties, DIT que l'expert devra déposer son rapport dans les trois mois de sa saisine et que de toute difficulté il saisira Madame A..., magistrat chargé du contrôle de l'expertise, FIXE la provision à valoir sur la rémunération de l'expert à la somme de 5.000 francs (CINQ MILLE FRANCS) et dit que cette somme devra être consignée au Greffe de la Cour, dans le mois du présent arrêt, par Madame X..., SURSOIT à statuer sur tous autres chefs de demandes, RÉSERVE les dépens. ET ONT SIGNE LE PRÉSENT ARRÊT : Le Greffier,

Le Président, Catherine CONNAN

Colette GABET-SABATIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006935869
Date de la décision : 16/03/2000

Analyses

CONCURRENCE DELOYALE OU ILLICITE - Clause de non-concurrence - Licéité - Proportionnalité - /JDF

Une clause de non concurrence est licite lorsqu'elle est limitée dans le temps et dans l'espace et qu'elle ne conduit pas à porter une atteinte non justifiée par la protection de son bénéficiaire et à la liberté d'exercice de celui qui la souscrit. Dès lors que son application n'a, depuis la rupture, pas fait obstacle à l'exercice de sa profession par le débiteur de la clause, celui-ci n'est pas fondé à invoquer la nullité de la clause souscrite par lui


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;2000-03-16;juritext000006935869 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award