Par acte en date du 8 septembre 1988, signé par-devant Maître JOB, notaire à CHALONS-SUR-MARNE, Monsieur et Madame X... ont promis de vendre à Monsieur Y... Z..., un appartement composé de deux pièces, cuisine, terrasse et salle de bains, meublé et équipé, sis à IBIZA (Baléares) Marina San José, moyennant le prix principal de 220.000 francs, dont 50.000 francs au titre du mobilier.
Il était convenu que les conditions suspensives devaient être levées au plus tard le 15 décembre 1988, les conditions essentielles consistant en l'obtention d'un prêt d'un montant maximum de 176.000 francs et la délivrance d'un certificat d'urbanisme ne faisant apparaître aucune servitude d'urbanisme et autres limitations administratives. La vente devait être réalisées en l'étude de Maître JOB.
Par lettre en date du 20 juin 1989, Maître JOB a écrit en ces termes à l'acquéreur :
"Je vous prie de trouver, sous ce pli, une procuration que je vous serais très obligé de bien vouloir me retourner, accompagnée du montant du prix de vente. Dès que mon confrère espagnol m'aura indiqué le montant des frais, je ne manquerai pas de vous le préciser".
Par règlement bancaire en date du 5 juillet 1989, Monsieur Z... a adressé à Maître JOB le solde du prix de la vente, soit la somme de 198.000 francs.
Aucune suite n'a été donnée à ces premières diligences et aucun acte authentique n'a été régularisé. Monsieur Z... a, ultérieurement, souhaité vendre son bien et n'a pu donner suite à ce projet, faute pour lui de détenir le titre de propriété qui lui était alors demandé.
C'est dans ce contexte que, le 17 juillet 1996, Monsieur Y...
Z... a fait assigner à jour fixe Maître Hubert JOB afin de voir constater sa faute professionnelle dans la mesure où ce dernier s'est dessaisi du prix de la vente avant toute régularisation de l'acte authentique et sans informer Monsieur Z... des difficultés éventuellement rencontrées. Il a demandé la somme de 150.000 francs en réparation de son préjudice outre celle de 15.000 francs au titre des frais irrépétibles.
Par le jugement déféré, rendu le 27 novembre 1996, le tribunal de grande instance de VERSAILLES a retenu la faute professionnelle commise par Maître JOB qui s'est dessaisi du prix de la vente sans l'accord écrit des parties et alors qu'il ne pouvait ignorer, au vu de la correspondance échangée avec son confrère espagnol, que l'établissement de l'acte authentique présenterait un minimum de difficultés. Le tribunal a retenu que le préjudice était constitué par le fait que, si la vente était parfaite entre les parties, elle demeurait inopposable aux tiers et que, par voie de conséquence, Monsieur Z... ne pouvait procéder à aucune vente de son bien.
Le tribunal a condamné Maître JOB au paiement de la somme de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, outre la somme de 3.000 francs au titre des frais irrépétibles.
Appelant de ce jugement, Maître JOB fait valoir que dès la signature de la promesse, il a pris contact avec différents notaires espagnols en vue de régulariser l'acte de vente mais n'a pu obtenir leur concours, alors, en outre, qu'il ne s'est dessaisi du prix de la vente que pour parvenir à la prise de possession du bien, demandée par Monsieur Z....
Il précise que les parties étaient parfaitement au courant des difficultés rencontrées pour l'établissement d'un acte publiable en Espagne et qu'au reste il n'a jamais versé de provision à valoir sur
les frais de la vente, ceux-ci étant inconnus.
Il fait encore valoir que la situation n'est pas préjudiciable pour Monsieur Z... qui a pu jouir des lieux normalement depuis 1989 et, éventuellement en retirer les fruits par sa mise en location. Il relève encore que Monsieur Z... ne justifie pas de la perte de chance allèguée à raison de l'impossibilité de vendre l'immeuble. Selon l'appelant, le défaut de transcription en Espagne n'empêchait pas la vente.
Formant appel incident, Monsieur Z... demande, comme en première instance, la somme de 150.000 francs à titre de dommages-intérêts, outre celle de 20.000 francs au titre des frais irrépétibles.
Monsieur Z... rappelle que le dernier courrier de Maître JOB remonte au 20 juin 1989 et que les quelques courriers adressés à des notaires espagnols ne sauraient suffire à établir les difficultés rencontrées ; il considère que le notaire n'a pas respecté sa mission d'information et de conseil et a commis une faute grave en remettant le prix de la vente hors toute rédaction de l'acte authentique ; en outre, il fait valoir que le notaire a manqué à son obligation de résultant en ne réalisant pas l'acte authentique et sa publicité. En ce qui concerne son préjudice, il souligne que toute vente était et est impossible. SUR CE, SUR LA RESPONSABILITE DE MAITRE JOB
Considérant que les notaires sont tenus d'une obligation d'information et de conseil ainsi que d'assurer l'efficacité de leur intervention, en leur qualité de rédacteurs d'actes ;
Qu'en l'espèce, Maître JOB ne démontre nullement avoir informé l'acquéreur des difficultés susceptibles de s'opposer à l'établissement de l'acte authentique et ne démontre pas la réalité desdites difficultés ; que les simples courriers adressés à des notaires espagnols ne sauraient établir suffisamment la réalité d'obstacles insurmontables rencontrés en ESPAGNE.
Qu'en outre Maître JOB n'a pas même tenté d'établir lui-même l'acte de vente, entre les deux parties, résidant en France, ni de publier cet acte possible à la Conservation des hypothèques espagnoles ; qu'il n'a nullement exécuté son obligation en qualité de rédacteur d'acte ;
Qu'enfin Maître JOB s'est imprudemment dessaisi du prix de la vente alors que l'acte authentique n'était pas établi et qu'il ne saurait invoquer la volonté du vendeur de prendre possession immédiate des lieux, pour excuser une attitude dénuée de toute prudence professionnelle ;
Qu'à bon droit le tribunal a retenu l'existence de manquements caractérisés imputables à Maître JOB ; SUR LE PREJUDICE
Considérant que Maître JOB ne saurait soutenir que la situation par lui créée est sans conséquence préjudiciable pour Maître Z... dès lors qu'il est incontestable que celui-ci est dans l'impossibilité de vendre le bien qu'il a acquis et que peu importe le fait qu'une vente ait été tentée ou non, dès lors qu'elle serait à l'évidence impossible, en l'absence de titre de propriété ; que Maître JOB ne peut sérieusement soutenir que Monsieur Z... pouvait réaliser la vente de son immeuble dans la mesure où nul notaire prudent n'accepterait et ne devrait accepter de procéder à l'établissement d'un acte de vente en l'absence de titre de propriété produit au nom du vendeur ;
Qu'à ce jour la situation est toujours non solutionnée alors que depuis 1989 Monsieur Z... est privé de son titre de propriété et donc de l'opportunité de réaliser le bien acquis ;
Qu'il est bien fondé en son appel incident et que le préjudice par lui subi, en rapport causal direct avec la faute commise par Maître JOB, doit être porté à la somme de 150.000 francs ; SUR LES FRAIS IRREPETIBLES
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Z... les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ; que la somme complémentaire de 10.000 francs doit lui être allouée ; PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
RECOIT Maître JOB en son appel principal et Monsieur Z... en son appel incident,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions à l'exception de celles fixant la réparation du préjudice subi par Monsieur Z... à la somme de 100.000 francs,
STATUANT A NOUVEAU SUR CE POINT,
CONDAMNE Maître JOB à payer à Monsieur Z... la somme de CENT CINQUANTE MILLE FRANCS (150.000 francs) à titre de dommages-intérêts, LE CONDAMNE à payer la somme de DIX MILLE FRANCS (10 000 francs) au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
LE CONDAMNE aux entiers dépens et dit que la SCP LISSARRAGUE-DUPUIS et Associés pourra recouvrer directement contre lui les frais avancés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
ARRET REDIGE PAR :
Madame Colette GABET-SABATIER, Président,
ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET : Le Greffier,
Le Président, Catherine CONNAN,
Colette GABET-SABATIER.