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16/12/1999 | FRANCE | N°1997-3379

France | France, Cour d'appel de Versailles, 16 décembre 1999, 1997-3379


Le 26 juillet 1988, la SCI HARMONIE 85 a donné à bail à la société en formation AUTO STOP, un bâtiment à usage commercial sis à CHATILLON SOUS BAGNEUX (92).

Les loyers ayant cessé d'être réglés, la SCI HARMONIE 85 a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire, le 16 novembre 1994 et, par ordonnance de référé en date du 28 février 1995, a sollicité et obtenu la condamnation de la société AUTO STOP au paiement d'un montant arriéré de 126.189 francs. Le tribunal a accordé à la société AUTO STOP un délai pour apurer sa dette, au moyen de

quatre versements, et la clause résolutoire a été suspendue en ses effets sous la...

Le 26 juillet 1988, la SCI HARMONIE 85 a donné à bail à la société en formation AUTO STOP, un bâtiment à usage commercial sis à CHATILLON SOUS BAGNEUX (92).

Les loyers ayant cessé d'être réglés, la SCI HARMONIE 85 a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire, le 16 novembre 1994 et, par ordonnance de référé en date du 28 février 1995, a sollicité et obtenu la condamnation de la société AUTO STOP au paiement d'un montant arriéré de 126.189 francs. Le tribunal a accordé à la société AUTO STOP un délai pour apurer sa dette, au moyen de quatre versements, et la clause résolutoire a été suspendue en ses effets sous la condition expresse du paiement des échéances fixées et du loyer courant.

Cette ordonnance a été signifiée le 17 mars 1995. Elle a acquis l'autorité de la chose jugée et est devenue définitive le 1er avril 1995.

Par jugement en date du 5 avril 1994, la liquidation judiciaire de la société AUTO STOP a été prononcée.

Un commandement de quitter les lieux a été signifié les 24 et 26 avril 1995 et par courrier du 11 mai 1995, le retour des clés était demandé à Maître X....

Par courrier du 17 mai 1995, Maître X... a avisé la bailleresse de son intention de poursuivre le contrat, conformément à l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985, en vue d'une cession globale des actifs de la société.

Le 23 mai 1995, le conseil de la société HARMONIE 85 a rappelé la situation juridique à Maître X..., l'absence de tout règlement et, en conséquence, l'acquisition de la clause résolutoire.

Par ordonnance de référé en date du 7 juillet 1995, le président du tribunal de grande instance de NANTERRE, saisi d'une demande

d'expulsion formée par la SCI HARMONIE 85, a renvoyé celle-ci a saisir le juge de l'exécution.

Par décision en date du 3 octobre 1995, le juge de l'exécution a constaté le non paiement des acomptes et dit que la clause résolutoire était acquise au 28 mars 1995.

Un commandement de quitter les lieux a été délivré le 5 décembre 1995 et les clés ont été restituées le 19 décembre 1995.

la SCI HARMONIE 85 a fait assigner Maître X..., en son nom personnel, et a demandé sa condamnation au paiement de la somme de 300.000 francs à titre de dommages-intérêts.

Par jugement en date du 21 février 1997, le tribunal de grande instance de NANTERRE a retenu que Maître X... n'avait pas respecté les termes de la décision judiciaire définitive prévoyant un règlement échelonné de l'arriéré et que, de ce fait, il avait engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

Maître X... a interjeté appel de cette décision. Il soulève l'irrecevabilité et, subsidiairement, le mal fondé de la demande à laquelle il a été fait droit par le jugement déféré. Selon ses écritures, la demande formée personnellement contre lui, sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil, est irrecevable dans la mesure où les opérations de la liquidation ne sont pas clôturées et où le préjudice allègué n'est qu'éventuel. Au surplus, la prétendue perte de loyers relève de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 et sera donc règlée par priorité. Enfin, en l'absence de préjudice certain, réel et actuel, la demande est irrecevable.

Subsidiairement, Maître X... estime que les conditions nécessaires à la mise en oeuvre de sa responsabilité personnelle ne sont pas réunies. Il reproche au tribunal d'avoir retenu une jurisprudence constante selon laquelle lorsque la résiliation

définitive du bail est intervenue antérieurement au jugement de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, en vertu d'une décision passée en force de chose jugée, dès avant ce jugement, la procédure d'expulsion pouvait être menée à son terme malgré l'ouverture de la procédure collective. Il rappelle que le mandataire de justice agit dans l'intérêt de tous les créanciers et doit préserver les éléments d'actif de son administré, ce qu'il a fait en l'espèce puisqu'une offre de reprise des éléments du fonds de commerce, au prix de 290.000 francs, lui a été faite quinze jours après le jugement d'ouverture, dans des conditions très intéressantes. Il rappelle encore que dès le 15 juin 1995, il a reçu l'autorisation du juge commissaire de procèder à la cession du fonds de commerce en tous ses éléments et soutient que la jurisprudence allèguée est, en l'espèce, inopérante dès lors que la résiliation du bail n'avait pas été constatée par une décision de justice ayant autorité de la chose jugée.

Maître X... invoque encore le droit de transiger qui appartient au liquidateur sur le fondement de l'article 158 de la loi du 25 janvier 1985 et souligne que dans son courrier du 17 mai 1995, il faisait offre à la SCI HARMONIE 85 d'une proposition transactionnelle, offre qu'il a invité le repreneur à formuler personnellement auprès du bailleur et la SCI HARMONIE 85 a laissé à penser qu'elle entendait y donner suite, en ne poursuivant que plusieurs mois après l'exécution des décisions judiciaires.

Maître X... fait encore valoir qu'aucun lien de causalité n'est établi entre sa prétendue faute et le préjudice allègué dès lors que l'intimée est à l'origine de son préjudice en ayant eu un comportement de nature à faire échec à la réalisation de la transaction projetée, susceptible de désintéresser les créanciers.

A titre subsidiaire, il conteste les sommes demandées et rappelle que

les clés ont été restituées le 8 novembre 1995 et non le 19 décembre 1995, que le mandataire liquidateur ne peut être personnellement tenu du paiement des loyers et indemnités d'occupation courus jusqu'à la restitution mais seulement à la perte de la chance de relouer les locaux à un repreneur potentiel aux mêmes conditions financières. Or, en l'espèce, l'intimée ne démontre pas l'existence d'un potentiel repreneur pas plus qu'elle n'établit que l'absence de nouvelle location soit le résultat d'un mauvais état des lieux imputable au locataire évincé.

Maître X... conclut à l'infirmation de la décision et à l'allocation de la somme de 15.000 francs au titre des frais irrépétibles.

la SCI HARMONIE 85 prie la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a estimé que le comportement de Maître X... était fautif et en ce qu'il lui a alloué la somme de 6.000 francs au titre des frais irrépétibles exposés en première instance. Formant appel incident pour le surplus, elle demande la condamnation de Maître X... au paiement de la somme de 300.000 francs à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondus, et l'allocation de la somme de 30.000 francs au titre des frais irrépétibles.

Sur l'irrecevabilité de la demande, l'intimée rappelle qu'elle a agi à l'encontre de Maître X..., pris à titre personnel, en ce qu'il a tenté de vendre un élément incorporel d'un fonds de commerce, à savoir le droit au bail, dont il n'avait plus la disposition, eu égard au caractère définitif de l'ordonnance de référé ayant constaté la résiliation du bail. Elle souligne que si sa demande de réparation prend en considération le montant des indemnités d'occupation courues du 5 avril au 19 décembre 1995, il ne s'agit que d'un élément de référence et il importe peu, dès lors, de savoir si elle sera ou non désintéressée dans le cadre de la procédure collective.

L'intimée fait encore valoir que l'existence d'un préjudice réel et actuel n'est pas une condition de recevabilité au regard des dispositions de l'article 1382 du Code civil, mais une condition de fond.

Sur les trois points développés sur le fond, la SCI HARMONIE 85 fait valoir les éléments suivants :

- Maître X... ne peut contester avoir commis une faute, ce que le tribunal a justement retenu, en tentant de céder un élément d'actif dont il ne disposait plus, en vertu d'une ordonnance de référé ayant acquis l'autorité de la chose jugée et que nulle partie n'a remise en cause devant le juge du fond,

- l'ordonnance de référé constatant la résiliation du bail est devenue définitive le 1er avril 1995 alors que le jugement prononçant la mise en redressement judiciaire est intervenu le 5 avril 1995 et que le commandement de quitter les lieux est en date des 24 et 26 avril 1995,

- la SCI HARMONIE 85 n'a jamais été consultée quant à une éventuelle cession du droit au bail et aucun élément sérieux n'est produit sur ce point.

Pour fonder son appel incident quant au montant de la réparation sollicitée, la société HARMONIE 85 rappelle qu'elle a perdu des revenus locatifs à hauteur de 157.895,85 francs entre le 5 avril et le 19 décembre 1995, outre pour la période du 1er janvier au 1er juillet 1996, à raison du délabrement des lieux, soit la somme de 90.000 francs, et qu'elle a dû subir de nombreuses contraintes judiciaires qui doivent être réparées par l'allocation de la somme de 10.000 francs ; elle demande encore la somme de 50.000 francs à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral. SUR CE, SUR LA RECEVABILITE DE LA DEMANDE

Considérant que Maître X... fait valoir que la demande dirigée

personnellement contre lui est irrecevable dès lors que la procédure collective n'est pas encore clôturée et que nul ne sait les sommes qui pourront revenir à la bailleresse ;

Mais considérant que le tribunal a retenu justement que la demande formée à l'encontre de Maître X... était fondée sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil et que les conséquences de la faute - éventuellement commise par ce dernier- étaient distinctes du non-paiement des loyers pour insolvabilité de la société preneuse ; SUR LA RESPONSABILITE DE MAITRE X...

Considérant qu'il ressort des éléments de fait et des pièces produites, qu'à la date du 1er avril 1995, l'ordonnance de référé en constatant l'acquisition de la clause résolutoire et en suspendant les effets sous condition de paiement des arrierés et du loyer courant, avait acquis force de chose jugée dès lors que les échéances prévues par ladite ordonnance étaient et sont demeurées impayées ;

Qu'au jour de l'ouverture de la procédure collective, le 5 avril 1995, Maître X... était déchu de tout droit pour solliciter et obtenir le maintien dans les lieux, en dehors de l'accord du propriétaire, accord qu'il a sollicité et qu'il n'a pas obtenu ; qu'en outre, il ne démontre nul engagement sérieux éventuellement pris par un tiers pouvant accréditer la position qu'il soutient dans la procédure ;

Que vainement Maître X... fait valoir que la clause résolutoire n'était pas acquise de manière définitive, comme résultant d'une seule ordonnance de référé dès lors que celle-ci n'a fait l'objet d'aucun appel ni d'aucune contestation devant le juge du fond ;

Que Maître X... est tout aussi infondé à invoquer le fait que le mandataire de justice agit, dans le contexte des procédures collectives, dans l'intérêt des créanciers, dans la mesure où cet intérêt ne peut porter atteinte aux droits antérieurement et

définitivement acquis par l'un d'eux ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments de fait et de droit que Maître X... ne pouvait maintenir son admnistré dans les lieux, en violation d'une décision judiciaire définitive et contre la volonté expressément manifestée par le propriétaire et que son attitude personnelle est constitutive d'une faute professionnelle ; que le jugement doit être confirmé sur ce point ; SUR LE PREJUDICE Considérant que les premiers juges ont alloué à la SCI HARMONIE 85 la somme de 70.000 francs en prenant en considération la perte de chance subie par cette société à raison de la faute personnelle de Maître X... ; qu'en cause d'appel, la SCI HARMONIE 85 demande la somme de 300.000 francs, en rappelant que les lieux n'ont été restitués que neuf mois après l'acquisition de la clause résolutoire et dans un état qui n'a pas permis leur mise en location immédiate ; que Maître X... fait, au contraire, valoir que les clés n'ont pas été restituées le 19 décembre mais le 8 novembre 1995, qu'il ne peut être tenu que de la perte d'une chance de relouer alors qu'en l'espèce un repreneur avait été retrouvé par lui et qu'il ne saurait être rendu responsable du mauvais état des lieux ;

Que les lieux ont été reloués le 1er juillet 1996 ;

Mais considérant que le défaut de restitution des lieux résultant de la faute du mandataire de justice a pour conséquence, pour le propriétaire, de générer la perte de la chance de relouer, perte qui doit être évaluée à partir des éléments concrètement produits par ce dernier ; qu'en l'espèce, ainsi que le tribunal l'a justement retenu, la SCI HARMONIE 85, si elle justifie d'un nouveau bail en date du 1er juillet 1996, ne démontre nullement que dès avant elle avait des possibilités de location et que la location tardive est le résultat de la faute commise par Maître X..., celui-ci n'ayant pas à

répondre de l'état des lieux, dès lors que la résolution a pris effet dès avant sa prise de fonction et que rien ne démontre que le prétendu mauvais état des lieux se soit réalisé durant la période irrégulière de maintien dans les lieux ;

Que la perte de loyer ne saurait être prise comme référence déterminante que si le propriétaire démontre que dès l'expiration du bail, il était en mesure de louer à nouveau, aux conditions antérieures ou à des conditions meilleures, ce que la société HARMONIE 85 ne fait nullement ;

Que la somme de 70.000 francs allouée par les premiers juges doit être confirmée ; SUR LES FRAIS IRREPETIBLES

Considérant que Maître X... succombant en son appel, est irrecevable en ce chef de demande ; qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais irrépétibles exposés ; que la somme de 5.000 francs doit lui être allouée en cause d'appel ; PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

RECOIT Maître X... en son appel principal et la société HARMONIE 85 en son appel incident,

LES DEBOUTE,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y AJOUTANT,

DECLARE Maître X... irrecevable en sa demande formée au titre des frais irrépétibles,

LE CONDAMNE à payer à la société HARMONIE 85 la somme de CINQ MILLE FRANCS (5.000 francs) au titre des frais irrépétibles et dit que Maître Z... pourra recouvrer directement contre lui les frais exposés, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

ARRET REDIGE PAR :

Madame Colette GABET-SABATIER, Président

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Le Greffier,

Le Président,

Catherine Y...,

Colette GABET-SABATIER.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1997-3379
Date de la décision : 16/12/1999

Analyses

ENTREPRISE EN DIFFICULTE - Organes - Liquidateur - Responsabilité

Dès lors qu'au jour de l'ouverture d'une procédure collective visant le bénéficiaire d'un bail, une ordonnance de référé, non frappée d'appel, avait constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail et en avait suspendu les effets sous condition de paiement des loyers arriérés et courant, à défaut de tout paiement, et à défaut d'une procédure au fond diligentée par le mandataire liquidateur, celui-ci se trouvait déchu de tout droit pour solliciter et obtenir le maintien dans les lieux, sauf accord du propriétaire.Dans ces circonstances, le mandataire liquidateur qui maintient dans les lieux un administré, en violation d'une décision judiciaire définitive et contre la volonté expressément manifestée par le bailleur, commet une faute professionnelle engageant sa responsabilité.En l'espèce, si le défaut de restitution des lieux a généré une perte de chance de relouer, cette perte ne peut être évaluée qu'au regard d'éléments tangibles produits par le bailleur, notamment la démonstration que dès l'expiration du bail il était en mesure de louer à nouveau à des conditions identiques ou meilleures


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-12-16;1997.3379 ?
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