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09/12/1999 | FRANCE | N°1998-9403

France | France, Cour d'appel de Versailles, 09 décembre 1999, 1998-9403


Selon acte authentique passé le 15 janvier 1994 devant Maître FINET, notaire associé de la SCP "CHRISTIAN FINET ET GUY DESMARS", titulaire d'un office notarial à CHTEAUNEUF EN THYMERAIS (28), Madame BUISSON veuve de BREANT Rémy et son fils X... Bernard ont vendu à Monsieur AYATS et Madame BERGOUNIOUX un ancien corps de ferme et un terrain attenant, le tout cadastré E 41 et E 325 sis à CLEVILLIERS (28) pour le prix de 800.000 francs, en ce compris la commission de négociation de l'agence immobilière pour 50.000 francs.

Il était stipulé que l'entrée en jouissance se ferait l

e 19 février 1994 et une astreinte était fixée pour le cas où les ...

Selon acte authentique passé le 15 janvier 1994 devant Maître FINET, notaire associé de la SCP "CHRISTIAN FINET ET GUY DESMARS", titulaire d'un office notarial à CHTEAUNEUF EN THYMERAIS (28), Madame BUISSON veuve de BREANT Rémy et son fils X... Bernard ont vendu à Monsieur AYATS et Madame BERGOUNIOUX un ancien corps de ferme et un terrain attenant, le tout cadastré E 41 et E 325 sis à CLEVILLIERS (28) pour le prix de 800.000 francs, en ce compris la commission de négociation de l'agence immobilière pour 50.000 francs.

Il était stipulé que l'entrée en jouissance se ferait le 19 février 1994 et une astreinte était fixée pour le cas où les lieux ne seraient pas libérés à cette date.

Par jugement du 10 octobre 1996, le tribunal paritaire des baux ruraux de CHARTRES, après avoir constaté que Madame LAHAYE, à laquelle les consorts X... avaient le 16 janvier 1991 donné à bail à ferme divers terrains dont la parcelle E 325, bénéficiait d'un droit de préemption sur cette parcelle qui n'a pas été respecté, a prononcé l'annulation de la vente intervenue le 15 janvier 1994 au profit de Monsieur AYATS et Madame BERGOUNIOUX, mais seulement en ce qu'elle portait sur la parcelle E 325.

C'est dans ces conditions que Monsieur AYATS et Madame BERGOUNIOUX ont fait assigner les consorts X... et Maître FINET devant le tribunal de grande instance de CHARTRES, sollicitant la résolution de la vente reçue le 15 janvier 1994 par Maître FINET et la condamnation in solidum des vendeurs et du notaire à leur payer la somme de 400.000 francs à titre de dommages- intérêts, outre celle de 15.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par acte du 20 décembre 1995, les consorts X... ont fait assigner la SCP FINET, venant aux droits de la SCP FINET ET DESMARS, en

garantie de toutes condamnations qui pourraient être prononcées contre eux et demandé que, dans l'hypothèse où la vente serait annulée, le notaire soit déclaré tenu à restituer le prix, étant précisé qu'ils lui donnaient d'ores et déjà un nouveau mandat de vente et qu'il serait subrogé à hauteur de 750.000 francs dans leurs droits.

Ils sollicitent en outre de celui-ci le paiement de la somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La SCP FINET s'est opposée aux demandes et subsidiairement a sollicité la garantie du vendeur pour toute condamnation qu'elle serait amenée à supporter.

Par jugement du 9 septembre 1998, le tribunal de grande instance de CHARTRES a :

- prononcé la résolution dans son intégralité de la vente intervenue le 15 janvier 1994 aux torts des vendeurs avec toutes conséquences de droits quant à la restitution du bien et au prix versé,

- condamné in solidum Monsieur X... et la SCP FINET à payer à Monsieur AYATS et Madame BERGOUNIOUX la somme de 60.000 francs,

- condamné la SCP FINET à garantir Bernard X... du montant de cette condamnation à concurrence de 40.000 francs, et Bernard X... à garantir la SCP FINET à concurrence de 20.000 francs,

- débouté les parties de toute autre demande,

- condamné Bernard X... et la SCP FINET in solidum aux dépens qui seront partagés par moitié entre eux et à payer à Monsieur AYATS et Madame BERGOUNIOUX la somme de 8.000 francs en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Monsieur X... Bernard qui vient seul aux droits des consorts X..., sa mère étant décédée en cours d'instance, a interjeté appel de cette décision mais dans ses seules dispositions concernant ses

rapports avec la SCP FINET, seule intimée.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives signifiées le 10 août 1999 auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses moyens, Monsieur X... conclut à l'infirmation de la décision entreprise en ses dispositions lui faisant grief et demande à la Cour, en statuant à nouveau, de :

- dire que la SCP FINET est, de par ses obligations professionnelles, seule à l'origine de l'inefficacité de l'acte de vente du 15 janvier 1994,

- la dire en conséquence tenue à l'indemniser de l'intégralité du préjudice résultant pour lui de la résolution de cet acte,

- à titre provisionnel, sauf à parfaire, la condamner à lui payer une somme de 1.200.000 francs,

- dire que lors de la revente du bien immobilier, le prix qui sera perçu sera restitué à la SCP FINET, ou à son assureur, dûment subrogé dans ses droits,

- renvoyer les parties à conclure sur son préjudice définitif après revente du bien litigieux,

- la condamner à lui verser la somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

Par conclusions signifiées le 1er juillet 1999 aux termes desquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses moyens, la SCP FINET conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a dit que seul Monsieur X... est tenu à la restitution du prix de la vente annulée et à son infirmation en ce qu'il l'a condamnée à garantir Monsieur X... à concurrence de 40.000 francs de la condamnation au paiement de la somme de 60.000 francs à titre

de dommages-intérêts prononcée in solidum au profit de Monsieur AYATS et de Madame BERGOUNIOUX.

Elle demande à la Cour, en statuant à nouveau de ce chef, de condamner Monsieur X... à la garantir intégralement de cette condamnation in solidum et de déclarer le surplus des demandes de Monsieur X... irrecevables en vertu des dispositions de l'article 564 du nouveau code de procédure civile, subsidiairement de l'en débouter.

Elle sollicite enfin de Monsieur X... le paiement d'une somme de 15.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et la condamnation de celui-ci aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile. SUR CE, SUR LES RESPONSABILITES

Considérant que la SCP FINET fait grief aux premiers juges de l'avoir condamnée à garantir Monsieur X... à hauteur de 40.000 francs de la condamnation prononcée in solidum contre elle-même et Monsieur X... au profit des acquéreurs à concurrence de 60.000 francs alors qu'il est établi que Monsieur X..., qui a signé la vente en parfaite connaissance de la violation des droits du preneur, Madame LAHAYE, est de mauvaise foi ;

Considérant toutefois que le notaire est tenu d'assurer l'efficacité des actes qu'il reçoit et qu'il peut refuser d'instrumenter lorsque l'acte requis lui parait être dressé en fraude des droits des tiers ; Qu'en tout état de cause il est tenu d'avertir les co-contractants lorsque l'acte risque d'être annulé ;

Considérant qu'en l'espèce, la SCP FINET, manifestement le notaire de famille des consorts X..., ne pouvait ignorer pour avoir personnellement reçu l'acte le 16 janvier 1991, le bail à ferme

consenti par les consorts X... à Madame LAHAYE, notamment sur la parcelle cadastrée E 39 de la division, de laquelle provient la parcelle litigieuse E 325 ;

Qu'elle ne pouvait ignorer non plus les tractations en cours entre Madame LAHAYE et Monsieur X... en vue de la résiliation partielle du bail contre paiement d'une indemnité pour y avoir personnellement participé, notamment en 1992, ni ignorer que ces tractations n'avaient pas encore abouti à la date à laquelle elle a reçu l'acte de vente ;

Considérant qu'en n'indiquant pas dans l'acte de vente l'existence d'un bail rural portant sur l'une des parcelles objet de la vente et en ne mettant pas le preneur en mesure d'exercer son droit de préemption, la SCP FINET a accepté de rédiger un acte qu'elle savait susceptible d'être annulé et par suite a engagé sa responsabilité à l'égard de son client qui, n'étant pas un professionnel du droit, n'était pas en mesure d'apprécier la portée de l'acte et ses conséquences même si, ainsi que le soutient la SCP FINET, celui-ci a voulu délibérément cacher aux acquéreurs les droits du preneur ;

Qu'il s'ensuit que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, le notaire doit entière garantie à Monsieur X... des condamnations prononcées à son encontre, Monsieur X..., en sa qualité de profane du droit, ne devant quant à lui aucune garantie au notaire des condamnations prononcées contre ce dernier ; SUR LE PREJUDICE INVOQUE PAR MONSIEUR X...

Considérant que dans leur assignation initiale, les consorts X... ont limité leur réclamation à l'égard du notaire à la garantie des condamnations qui seraient prononcées à leur encontre et à la prise en charge de la restitution du prix de vente jusqu'à ce qu'une nouvelle vente ait lieu ;

Que Monsieur X... ne peut, en application des dispositions de

l'article 564 du nouveau code de procédure civile, pour la première fois en appel, demander réparation d'un préjudice autre ; que notamment, sont irrecevables ses demandes tendant au paiement des sommes suivantes :

- l'indemnité de 2.000 francs fondée sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile mis à la charge des consorts X... par le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux du 10 octobre 1996,

- les dépens de cette instance,

- les frais de remise en vente (agence, publicité, etc...),

- l'éventuelle moins-value sur le prix de vente,

- les impôts et charges que Monsieur X... devra régler depuis la date à laquelle la vente a été authentifiée,

- le préjudice moral dont Monsieur X... fait état sans spécialement le chiffrer ;

Qu'étant tenu à garantir Monsieur X... de l'intégralité des condamnations mises à sa charge dans le cadre de la présente instance, la SCP FINET devra rembourser à Monsieur X... toute somme qu'il a été ou sera conduit à verser à Monsieur AYATS et à Madame BERGOUNIOUX au titre de l'indemnité de 60.000 francs allouée à ces derniers et des intérêts légaux produits par cette somme à compter de la signification du jugement ;

Qu'en revanche la SCP FINET n'est pas tenue à restituer le prix de vente en contrepartie de la restitution du bien, même à titre d'avance sur le prix que produira une nouvelle vente du bien ;

Qu'en effet, la restitution du prix ne constitue pas pour le vendeur un préjudice indemnisable puisqu'il reçoit en contrepartie restitution du bien ;

Qu'en outre, le notaire n'est pas responsable de l'usage qu'ont pu faire les consorts X... du prix reçu des acquéreurs et il appartient à ceux-ci, s'ils n'ont plus les liquidités suffisantes

pour faire face à leur obligation de restitution du prix, de solliciter un prêt auprès d'un organisme financier ou de vendre d'autres éléments de leur patrimoine ;

Que Monsieur X... soutient, par ailleurs, que l'exécution du jugement implique la restitution de la commission de négociation de 50.000 francs, les frais d'hypothèques et les frais de notaire ;

Que toutefois, les premiers juges, dont la décision n'est pas frappée d'appel sur ce point, ont prononcé la résolution de la vente avec toutes conséquences de droit quant à la restitution du bien et du prix versé, étant observé que le prix de vente est, selon l'acte notarié, de 800.000 francs, incluant la commission d'agence ; que c'est donc cette somme que devra restituer Monsieur X... ;

Que n'étant pas condamné à autre chose qu'à la restitution du prix en contrepartie de la restitution du bien et au paiement de dommages-intérêts, Monsieur X... ne peut demander au notaire de le garantir d'autres condamnations purement hypothétiques ;

Considérant que la présente instance ayant pour cause l'inefficacité de l'acte rédigé par la SCP FINET, il incombe à celle-ci d'en supporter les entiers dépens, tant de première instance que d'appel ; Considérant que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application en appel des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au profit de l'une des parties ; PAR CES MOTIFS,

LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

INFIRME la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la SCP FINET à garantir Monsieur X... de la condamnation au paiement de dommages-intérêts prononcée au profit de Monsieur AYATS et de Madame BERGOUNIOUX à concurrence de 40.000 francs, en ce qu'elle a condamné au même titre Monsieur X... à garantir la SCP FINET à concurrence

de 20.000 francs et sur les dépens,

ET STATUANT A NOUVEAU DE CES CHEFS,

CONDAMNE la SCP FINET à garantir Monsieur X... de toutes les condamnations mises à sa charge au profit de Monsieur AYATS et de Madame BERGOUNIOUX par le jugement entrepris,

DEBOUTE la SCP FINET de sa demande de garantie dirigée contre Monsieur X...,

Y AJOUTANT,

DECLARE irrecevables comme présentées pour la première fois en appel les demandes formulées par Monsieur X... en réparation de son préjudice personnel,

DEBOUTE les parties de toute demande autre ou plus ample,

CONDAMNE la SCP FINET aux entiers dépens de l'appel, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

ARRET REDIGE PAR :

Madame Lysiane LIAUZUN, Conseiller

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Le Greffier,

Le Président,

Catherine CONNAN,

Colette GABET-SABATIER.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1998-9403
Date de la décision : 09/12/1999

Analyses

OFFICIERS PUBLICS OU MINISTERIELS - Notaire - Responsabilité - Faute - Vente - Immeuble.

Un notaire est tenu d'assurer l'efficacité des actes qu'il reçoit et il peut refuser d'instrumenter lorsque l'acte requis lui paraît être dressé en fraude des droits des tiers. A tout le moins, il est tenu d'avertir les cocontractants lorsque l'acte risque d'être annulé. Le notaire qui a instrumenté dans une vente, alors qu'il avait reçu antérieurement un bail à ferme portant, notamment, sur la parcelle objet de cette vente et qu' il avait personnellement participé aux négociations entre bailleur et fermier en vue d'une résiliation du bail sur la même parcelle, ne pouvait ignorer ni l'existence du bail ni le fait que les tractations en cours n'avaient pas encore abouti au moment où il a rédigé l'acte de vente. Dès lors, en n'indiquant pas dans l'acte de vente l'existence d'un bail rural grevant l'une des parcelles et en ne mettant pas le preneur en mesure d'exercer son droit de préemption, le notaire a accepté de rédiger un acte qu'il savait susceptible d'annulation et a, par suite, engagé sa responsabilité à l'égard de son client qu'il doit garantir des condamnations prononcées à son encontre. La circonstance que le client ait voulu délibérément cacher aux acquéreurs les droits du preneur ne peut, s'agissant d'un profane du droit qui n'était pas en mesure d'apprécier la portée de l'acte et ses conséquences, le rendre débiteur d'une obligation de garantie des condamnations prononcées contre l'officier ministériel

OFFICIERS PUBLICS OU MINISTERIELS - Notaire - Responsabilité - Dommage - Réparation - Restitution consécutive à l'annulation d'un contrat (non).

Suite à l'annulation d'une vente, le notaire qui a été condamné à garantir le vendeur de l'intégralité des sommes mises à sa charge ne saurait être tenu de restituer le prix de vente à l'acquéreur. En effet, la restitution du prix par le vendeur ne constitue pas pour lui un préjudice indemnisable puisqu'il reçoit en contrepartie la restitution du bien, alors que, de surcroît, le notaire ne peut être tenu pour responsable de l'usage qui a pu être fait du produit de la vente annulée


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-12-09;1998.9403 ?
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