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17/11/1999 | FRANCE | N°1999-976P

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17 novembre 1999, 1999-976P


DECISION

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement, a rendu l'arrêt suivant: RAPPEL DES FAITS

Le 8 février 1995, vers 14 heures 20, les sapeurs pompiers de GARGES LES GONESSE et de VILLIERS LE BEL intervenaient pour circonscrire l'incendie d'un pavillon sis à GARGES.

Le sinistre était maîtrisé à 16 heures 50 mais les pompiers ne parvenaient pas à ranimer une enfant âgée de 2 ans, Samira K, grièvement brûlée et que sa mère avait réussi à extraire du logement en flammes.

Transférée à l'Hôpital TROUSSEAU,

la fillette décédait le 16 février 1995.

Les causes du sinistre ne pouvaient être déterminées:...

DECISION

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement, a rendu l'arrêt suivant: RAPPEL DES FAITS

Le 8 février 1995, vers 14 heures 20, les sapeurs pompiers de GARGES LES GONESSE et de VILLIERS LE BEL intervenaient pour circonscrire l'incendie d'un pavillon sis à GARGES.

Le sinistre était maîtrisé à 16 heures 50 mais les pompiers ne parvenaient pas à ranimer une enfant âgée de 2 ans, Samira K, grièvement brûlée et que sa mère avait réussi à extraire du logement en flammes.

Transférée à l'Hôpital TROUSSEAU, la fillette décédait le 16 février 1995.

Les causes du sinistre ne pouvaient être déterminées: l'expert chargé de leur recherche indiquait que le feu semblait avoir pris dans la zone située derrière le réfrigérateur et avait été canalisé par l'angle du mur et le réfrigérateur.

Il soulignait, en décrivant l'évolution du feu, que la fusion de l'imposte de la porte du salon et de la partie "vitrée" de la porte d'entrée, toute deux en matériau plastique, ainsi que la non-étanchéité à l'air de la toiture avaient assuré un effet de tirage.

Il indiquait qu'en l'absence d'une quelconque énergie au lieu d'origine du feu, il avait fallu l'apporter volontairement ou accidentellement.

Les analyses n'avaient pas mis en évidence la présence d'hydrocarbure ou de produits susceptibles d'accélérer la combustion.

Il résultait de l'enquête que les occupants du local, les époux K, étaient en litige avec le propriétaire des lieux, M S, depuis le mois de juillet 1994 à la suite d'une augmentation de loyer.

M S avait à plusieurs reprises, en manière de rétorsion, coupé le

courant ainsi que l'eau. Ainsi, le jour du sinistre, le local était dépourvu d'électricité et les pompiers avaient pu constater la présence de bassines d'eau. Cet état de fait était par ailleurs confirmé par un locataire d'un des locaux attenant, M.F.

Pour faire face à cette situation, la famille K avait eu recours à divers moyens de fortune plus ou moins dangereux, notamment pour se chauffer. C'est ainsi que le 31 janvier 1995, Mme K et la petite Samira avaient été hospitalisées pour une intoxication à l'oxyde de carbone consécutive à la combustion de charbon dans leur logement.

Il apparaissait que, le 8 février 1995 vers 13 heures, Madame K s'était brièvement absentée de son domicile pour répondre à un appel téléphonique de son conjoint au domicile des époux F. Elle avait laissée la petite Samira seule, couchée sur un matelas. Elle avait fermé la porte à clef mais une fenêtre était, selon elle, restée ouverte. C'est environ une heure plus tard que de la fumée avait été aperçue, s'échappant du logement de la famille K.

*

C'est dans ces conditions que, le 6 juin 1996, I K déposait plainte avec constitution de partie civile, précisant que, dans ce contexte extrêmement conflictuel, il avait la conviction que l'incendie était volontaire. Une information était alors ouverte pour destruction d'un bien appartenant à autrui, par l'effet d'un incendie, ayant entraîné la mort de l'enfant Samira K.

Les investigations n'ayant pas permis de déterminer l'origine du sinistre, l'information s'orientait dans une autre direction, notamment au vu d'un arrêté préfectoral en date du 3 février 1995, qui avait déclaré le bâtiment totalement insalubre et interdit à l'habitat. Cet arrêté avait été notifié à M S le 7 février, soit la veille du sinistre, mais l'intéressé contestait, par la suite, avoir signé l'accusé de réception. Quoi qu'il en soit, dès le mois d'août

1994, les services de police avaient constaté, en présence de son épouse, F D, les lamentables conditions d'hébergement des occupants. A la date de l'incendie, plusieurs procédures opposaient d'ailleurs les locataires aux bailleurs, et cela depuis de nombreux mois.

A l'issue de l'information, les prévenus étaient renvoyés devant le Tribunal pour avoir à GARGES LES GONESSE, courant 1994, 1995 et en tout cas le 8 février 1995, directement exposé autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.

C'est dans ces conditions qu'a été rendu le jugement frappé d'appel. A l'audience de la Cour, les prévenus ne se présentent pas. Il n'est pas établi que M S ait eu connaissance de la date de l'audience. F D épouse S a eu connaissance de la citation, délivrée à Mairie selon acte d'huissier en date du 27 avril 1999, comme en fait foi l'accusé de réception signé le 29 avril 1999.

Les consorts K, parties civiles, font plaider que les éléments constitutifs du délit de mise en danger sont réunis en l'espèce en raison de la violation délibérée, d'une part des obligations légales du bailleur, d'autre part de l'arrêté préfectoral en date du 3 février 1995 déclarant insalubre le logement à eux loué par M S. Par conclusions déposées le 15 septembre 1999, ils demandent : - de voir infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, - de faire application au prévenu de la loi pénale, Y faisant droit, - de déclarer recevable la constitution de partie civile des époux K et de leurs deux filles, - de déclarer les époux S entièrement responsables de l'incendie survenu le 8 février 1995, - de condamner conjointement et solidairement les époux S à verser aux époux K la somme de 100.000

francs à titre de dommages intérêts en réparation de leur préjudice économique avec intérêts au taux légal depuis le 8 février 1995 date de l'incendie, - de condamner conjointement et solidairement les époux S à verser à Madame K la somme de 80.000 francs à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral avec intérêts au taux légal depuis le 8 février 1995 date de l'incendie, - de condamner conjointement et solidairement les époux S à verser à Monsieur K la somme de 80.000 francs, en réparation de son préjudice moral avec intérêts au taux légal depuis le 8 février 1995 date de l'incendie, - de condamner conjointement et solidairement les époux S à verser à M K la somme de 25.000 francs, à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral avec intérêts au taux légal depuis le 8 février 1995 date de l'incendie, - de condamner conjointement et solidairement les époux S à verser à N K la somme de 25.000 francs, à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral avec intérêts au taux légal depuis le 8 février 1995 date de l'incendie, - de condamner conjointement et solidairement les époux S à verser à la famille K la somme de 40.000 francs à titre de dommages intérêts en réparation du pretium doloris de l'enfant S K avec intérêts au taux légal depuis le 8 février 1995 date de l'incendie, - de condamner conjointement et solidairement les époux S à verser aux époux K la somme de 4.000 francs et à Marita et Nemata le somme de 2.500 francs chacune, en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

Le Ministère Public requiert la confirmation du jugement.

Par conclusions parvenues à la Cour le 17 août 1999, la CPAM du Val d'Oise demande : - d'infirmer le jugement entrepris et de déclarer les époux S responsables des faits reprochés, - de les condamner solidairement à rembourser à la CPAM du Val d'Oise la somme de 78.543 francs avec intérêts au taux légal. MOTIFS DE LA DECISION

Considérant que les appels, interjetés dans les formes et délais légaux, sont recevables;

Considérant que l'article 223-1 du Code pénal réprime le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures graves par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement; qu'aux termes de l'article 111.4 du même Code, la loi pénale est d'interprétation stricte;

Considérant que les articles 1719 à 1721 du Code civil définissent les obligations générales du bailleur et non une obligation particulière de sécurité imposant un modèle de conduite circonstanciée, telle qu'elle est légalement requise pour servir de base aux poursuites du chef de mise en danger d'autrui;

Considérant que les articles L.26 à L.32 du Code de la santé publique définissent la procédure applicable en cas d'insalubrité d'un immeuble mais n'imposent pas une obligation particulière de sécurité ou de prudence; que l'arrêté pris par le préfet pour déclarer un immeuble insalubre ne constitue pas un règlement, à savoir un acte à portée générale émanant de l'autorité administrative, imposant une obligation particulière de sécurité ou de prudence, mais une simple décision individuelle de cette autorité, prescrivant une interdiction d'habiter; qu'en outre, dans une telle hypothèse, le préfet doit, aux termes de l'article L.28 de ce Code, préciser si l'interdiction d'habiter est immédiate ou applicable au départ des habitants; qu'en l'espèce, l'arrêté du 3 février 1995 déclarant insalubre le logement loué par M S à la famille K précise que l'interdiction d'habiter n'est pas immédiate mais seulement applicable au départ des occupants, sans que soit fixé un délai particulier;

Considérant, en conséquence, que les éléments constitutifs du délit de mise en danger d'autrui ne sont pas réunis en l'espèce; qu'il est

sans doute regrettable que l'information n'ait pas recherché si une négligence imputable à M S ne pouvait être à l'origine du décès de la petite Samira K; que, toutefois, à ce stade de la procédure, une disqualification ne peut reposer sur des faits étrangers à la poursuite; que, saisie de la prévention de mise en danger d'autrui, la Cour ne saurait, sans ajouter à cette prévention, à moins que le prévenu n'ait formellement accepté le débat, ce qui équivaudrait à une comparution volontaire saisissant la juridiction de jugement de faits nouveaux, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, retenir la qualification d'homicide involontaire comportant des éléments constitutifs distincts et susceptible de poursuites séparées;

Considérant que le jugement ne peut donc qu'être confirmé en ce qu'il a renvoyé les prévenus des fins de la poursuite, avec toutes les conséquences de droit que cela emporte; PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement et par arrêt de défaut à l'égard de M S, par arrêt contradictoire à signifier à l'égard de F D épouse S, contradictoirement à l'égard des parties civiles, EN LA FORME

- déclare les appels recevables; AU FOND

- confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Et ont signé le présent arrêt Monsieur LEMONDE, Président et Madame DANTONEL, F.F Greffier.

LE GREFFIER,

LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1999-976P
Date de la décision : 17/11/1999

Analyses

MISE EN DANGER DE LA PERSONNE - Risques causés à autrui - Eléments constitutifs - Violation délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence (non) - /

En matière de mise en danger d'autrui, l'article 223-1 du Code pénal réprime le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures graves par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. A ce titre, les éléments constitutifs du délit de mise en danger ne sont pas réunis à l'encontre d'un bailleur dont l'incendie de l'immeuble insalubre a causé la mort d'un enfant, dès lors que les obligations du bailleur définies par les articles 1719 à 1721 du Code civil ne sont pas constitutives d'une obligation particulière de sécurité, qu'en cas d'insalubrité d'un immeuble, les articles L. 26 à L. 32 du Code de la santé publique n'imposent pas une obligation particulière de sécurité ou de prudence, et, qu'enfin un arrêté préfectoral déclarant un immeuble insalubre constitue une décision individuelle, prescrivant une interdiction d'habiter à l'effet immédiat ou non, et non pas un acte à caractère réglementaire imposant une obligation particulière de sécurité ou de prudence


Références :

Code pénal, article 223-1, Code civil, articles 1719 à 1721, Code de la santé publique, articles L 26 à L 32

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-11-17;1999.976p ?
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