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15/11/1999 | FRANCE | N°JURITEXT000006935369

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15 novembre 1999, JURITEXT000006935369


FAITS ET PROCEDURE

La société RJ REYNOLDS INTERNATIONAL BV, responsable de la commercialisation de différents produits du tabac, a confié à la société RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE, filiale française du Groupe REYNOLDS, le soin de passer des commandes afférentes à l'achat de 370.000 tee-shirts sérigraphiés et emballés, au prix unitaire approximatif de 11 francs. Les motifs à sérigraphier consistaient dans des dessins d'animaux décoratifs.

Le 10 janvier 1996, la société RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE a envoyé à la société SODINA, ayant pour activité la publicité

par objet, trois bons de commande correspondant à 20.000 tee-shirts à livrer pour ...

FAITS ET PROCEDURE

La société RJ REYNOLDS INTERNATIONAL BV, responsable de la commercialisation de différents produits du tabac, a confié à la société RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE, filiale française du Groupe REYNOLDS, le soin de passer des commandes afférentes à l'achat de 370.000 tee-shirts sérigraphiés et emballés, au prix unitaire approximatif de 11 francs. Les motifs à sérigraphier consistaient dans des dessins d'animaux décoratifs.

Le 10 janvier 1996, la société RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE a envoyé à la société SODINA, ayant pour activité la publicité par objet, trois bons de commande correspondant à 20.000 tee-shirts à livrer pour partie le 15 février 1996, et pour partie le 15 mars 1996.

La société SODINA a sous-traité ce marché à la SARL FRANCE DISTRIBUTION ; un acompte de 68.400 francs correspondant à 30 % de la commande a été réglé par la société REYNOLDS TOBACCO FRANCE à la société SODINA, laquelle a reversé le montant de cet acompte à la société FRANCE DISTRIBUTION.

Considérant que la demande de mise hors de cause formulée par la société RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE doit donc être rejetée ;

[* Sur la nullité du marché

*] Sur la nullité du marché

Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 10 janvier 1991, relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, toute propagande ou publicité directe ou indirecte, en faveur du tabac ou des produits du tabac ainsi que toute distribution gratuite sont interdites ;

Les 25 et 29 janvier 1996, la société REYNOLDS TOBACCO FRANCE a fait parvenir directement à la société FRANCE DISTRIBUTION, des bons de commande correspondant à un nombre total de 300.000 tee-shirts, dont les livraisons devaient s'échelonner entre le 03 mai et le 08 juillet 1996 ; un acompte de 1.248.752,70 francs était versé en février 1996 à la société FRANCE DISTRIBUTION.

Après que, le 06 février 1996, la société SODINA lui eût faxé les motifs à reproduire sur les tee-shirts, la société FRANCE DISTRIBUTION a, à la mi-février 1996, tiré des échantillons sur toutes les séries ayant fait l'objet des bons de commande, ainsi que 4.500 tee-shirts blancs imprimés quatre couleurs recevant, sur fond bleu, le logo du pingouin ou de l'autruche.

Au motif que divers éléments d'information lui laissaient craindre l'existence d'un plan stratégique destiné à tourner la loi EVIN du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme, la SARL FRANCE DISTRIBUTION a, par acte d'huissier du 11 mars 1996, assigné en référé devant le Président du Tribunal de Commerce de NANTERRE, d'abord la SA RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE, puis les sociétés SODINA et RJ REYNOLDS INTERNATIONAL, afin de se voir autoriser à ne pas honorer

Considérant que l'article 4 de cette loi dispose que "est considérée comme propagande ou publicité indirecte toute propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac ou un produit du tabac, lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou de tout autre signe distinctif, elle rappelle le tabac ou un produit du tabac" ;

Considérant en premier lieu, que les sociétés RJ REYNOLDS INTERNATIONAL B.V. et RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE contestent que les tee-shirts remis à la société FRANCE DISTRIBUTION puissent s'analyser en des supports publicitaires illicites au sens de la loi susvisée ; Considérant qu'elles expliquent que les motifs à sérigraphier consistaient en des dessins d'animaux décoratifs sans la moindre reproduction d'une des marques de tabac commercialisées par le groupe REYNOLDS ;

les commandes qui lui avaient été passées.

Par ordonnance en date du 10 avril 1996, confirmée par la Cour de ce siège le 18 septembre 1996, le Président du Tribunal de Commerce de NANTERRE statuant en référé, à :

- dit que la société FRANCE DISTRIBUTION peut surseoir à la poursuite de la livraison des tee-shirts jusqu'à ce que la juridiction compétente au fond se soit prononcée définitivement sur la compatibilité du marché avec les dispositions de la loi du 10 janvier 1991 ;

- donné acte à la société RJ REYNOLDS INTERNATIONAL BV de ce qu'elle est disposée à résilier amiablement ledit marché, sous réserve du compte à faire avec la société FRANCE DISTRIBUTION en fonction des produits déjà livrés ;

- donné acte à la société FRANCE DISTRIBUTION de ce qu'elle s'engage à restituer à la société SODINA les trois lettres de change acceptées par celle-ci pour un montant global de 177.624 francs ;

Considérant qu'elles précisent qu'il s'agissait uniquement de réaliser, conformément aux usages de la profession, des cadeaux revêtus d'un décor personnalisé destinés à être offerts avant l'été 1996 à des distributeurs européens de cigarettes ;

Mais considérant que les logos sérigraphiés apposés sur les tee-shirts commandés auprès de la société FRANCE DISTRIBUTION ont les particularités suivantes :

- sur les tee-shirts sable est représenté un chameau brun sur fond de désert, qui correspond à la couleur choisie pour recevoir le chameau du paquet de cigarettes ;

- sur les tee-shirts blancs pour WINSTON est mis en évidence le W rouge surchargé d'un aigle correspondant au logo de la marque WINSTON figurant sur les paquets de cigarettes ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes respectives.

A la suite de l'échec des pourparlers transactionnels, la société FRANCE DISTRIBUTION a, par acte du 06 juin 1996, assigné à jour fixe à l'audience du 13 juin 1996, les sociétés REYNOLDS TOBACCO FRANCE, RJ REYNOLDS INTERNATIONAL et SODINA à l'effet de voir annuler le marché conclu avec ces sociétés, et de voir condamner les sociétés REYNOLDS TOBACCO FRANCE et REYNOLDS INTERNATIONAL au paiement de la somme de 672.656,76 francs, tant au titre de l'exécution partielle du marché déjà intervenue qu'à titre de dommages intérêts.

*

Par jugement du 11 octobre 1996, le Tribunal de Commerce de NANTERRE a :

- annulé le marché conclu entre, d'une part la SARL FRANCE DISTRIBUTION, et d'autre part la SA RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE et la SA REYNOLDS INTERNATIONAL, aux torts de ces dernières ;

- sur les tee-shirts blancs pour CAMEL se détachent une autruche ou un pingouin sur fond bleu représentés à l'identique sur les affiches et jeux publicitaires ayant accompagné au même moment, soit début mars 1996, le lancement du nouveau paquet CAMEL LIGHTS ;

Considérant qu'eu égard au choix retenu pour les couleurs, le graphisme et certains éléments du décor, les motifs sérigraphiés sur les tee-shirts évoquent incontestablement dans l'esprit du consommateur moyen les paquets de cigarettes des marques CAMEL et WINSTON commercialisés à la même époque par les sociétés du groupe REYNOLDS ;

Considérant que les très légères différences pouvant être relevées entre les logos représentés par les tee-shirts et ceux figurant sur les paquets de cigarettes (particulièrement en ce qui concerne la position du chameau) ne sont pas de nature à modifier pour un observateur moyennement attentif l'impression d'ensemble qui se

dégage de ces tee-shirts, porteurs de motifs rappelant suffisamment - condamné celles-ci solidairement au paiement de la somme de 405.456,76 francs ;

- débouté la société FRANCE DISTRIBUTION du surplus de sa demande ;

- dit que cette somme se compensera à due concurrence avec l'acompte reçu par la SARL FRANCE DISTRIBUTION, et dit que celle-ci versera la différence à la SA RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE ;

- ordonné l'exécution provisoire sous réserve qu'en cas d'appel, la société FRANCE DISTRIBUTION fournisse une caution bancaire ;

- condamné les sociétés REYNOLDS TOBACCO FRANCE et RJ REYNOLDS INTERNATIONAL solidairement à payer à la SARL FRANCE DISTRIBUTION la somme de 40.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- condamné lesdites sociétés solidairement aux dépens.

le tabac ou un produit du tabac ;

Considérant que les sociétés appelantes soutiennent vainement que les tee-shirts litigieux, destinés non aux consommateurs mais aux débitants de tabac, n'étaient nullement destinés à une opération publicitaire, alors que le port par les distributeurs de produits REYNOLDS, à l'intérieur ou en dehors des lieux de vente, de logos et d'emblèmes reproduisant pour une large part ceux des paquets de cigarettes est susceptible d'avoir un effet incitateur auprès du consommateur de tabac, voire de constituer une force attractive pour les personnes jusque-là non consommatrices ;

Considérant, au surplus, que l'affirmation suivant laquelle les tee-shirts ainsi sérigraphiés étaient destinés pour une grande partie d'entre eux à l'étranger se trouve contredite d'une part, par le fait

que les bons de commande prévoyaient tous une livraison dans la région parisienne, d'autre part, par le fait que, d'après les consignes écrites adressées à la société FRANCE DISTRIBUTION, chaque tee-shirt devait être emballé dans un sachet plastique individuel portant une mention en langue française : "offert par RJR" ;

*

Par jugement du 02 décembre 1996, le Tribunal de Commerce de LILLE a prononcé le redressement judiciaire de la SARL FRANCE DISTRIBUTION, converti par jugement du 22 janvier 1998 en liquidation judiciaire, maître Yvon PERRIN a été désigné en qualité de liquidateur de cette société.

La société RJ REYNOLDS INTERNATIONAL SA, a, le 16 janvier 1997, interjeté appel du jugement rendu le 11 octobre 1996 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE.

Tout en faisant observer que les tee-shirts litigieux étaient destinés à être remis uniquement à leurs partenaires commerciaux, la société RJ REYNOLDS INTERNATIONAL BV et la société RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE, qui est incidemment appelante dudit jugement,

expliquent que ces tee-shirts ne constituent pas des publicités dès lors que :

Considérant, en second lieu, que, pour s'opposer à la prétention adverse, les sociétés du groupe REYNOLDS font valoir que la société FRANCE DISTRIBUTION avait antérieurement accepté, sans la moindre réticence, l'exécution de commandes revêtues des logos litigieux ;

Considérant toutefois, qu'il doit être observé que la livraison en 1995 par la société FRANCE DISTRIBUTION de 140.000 tee-shirts du Groupe REYNOLDS avec un logo représentant un édifice difficilement déterminable (palais oriental ä) ne revêtait pas en soi un caractère illicite, en l'absence d'une quelconque similitude avec des paquets de cigarettes ;

Considérant également que, si la société FRANCE DISTRIBUTION a tiré à la mi-février 1996 4.500 tee-shirts blancs imprimés quatre couleurs comportant sur fond bleu le logo du pingouin ou de l'autruche, l'intimé indique, sans être contredit sur ce point, qu'à cette date les logos du pingouin et de l'autruche sur fond bleu ne correspondaient nullement à ceux d'un paquet de cigarettes ;

Considérant que la SARL FRANCE DISTRIBUTION n'a donc pas agi de mauvaise foi en prenant l'initiative de se faire autoriser - d'une part, ils ne comportent aucun argumentaire en faveur des cigarettes, qui ne sont ni représentées, ni évoquées ;

- d'autre part, ils ne reproduisent nullement les marques "Camel" ou "Winston", et ils ne comportent, sur leur étiquette, que la marque de fabrication des tee-shirts laquelle n'a aucun rapport avec le tabac. Dans ces conditions, elles considèrent que ces tee-shirts, revêtus, non pas de marques de tabac, mais de motifs personnalisés discrets, ne peuvent être assimilés à des publicités en faveur des cigarettes "Camel" ou "Winston", pas plus qu'en faveur d'un produit autre que le tabac mais rappelant le tabac au sens des articles L.355-25 et suivants du Code de la Santé Publique.

Elles relèvent que la société FRANCE DISTRIBUTION est mal fondée à contester la licéité du marché litigieux, alors que, connaissant nécessairement les logos à sérigraphier au moment où elle a imprimé la première série de 4.500 tee-shirts, elle a exécuté sans la moindre difficulté cette première commande.

judiciairement à surseoir à la poursuite de la livraison des tee-shirts litigieux dans l'attente d'une décision au fond sur la compatibilité du marché avec les dispositions de la loi du 10 janvier 1991 ;

Considérant que, dès lors qu'en fonction de ce qui précède, la diffusion, dans les conditions qui viennent d'être rappelées, de tee-shirts revêtus de logos rappelant le tabac ou un produit du tabac était constitutive d'une publicité indirecte prohibée par les articles 3 et 4 de la loi susvisée, la société FRANCE DISTRIBUTION a, à bon droit, refusé de donner suite à une commande dont l'exécution l'aurait exposée à enfreindre la législation applicable ;

Considérant que, dès lors que le contrat liant les parties était contraire à l'ordre public de protection de l'intérêt général, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a, par application de l'article 1133 du Code Civil, annulé le marché conclu entre d'une part la société FRANCE DISTRIBUTION, d'autre part les sociétés REYNOLDS TOBACCO FRANCE et RJ REYNOLDS INTERNATIONAL aux torts de celles-ci ;

Aussi les appelantes demandent-elles à la Cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de :

- mettre la société RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE hors de cause ;

- constater la caducité du marché liant la société RJ REYNOLDS INTERNATIONAL BV à la société FRANCE DISTRIBUTION ;

- débouter la société FRANCE DISTRIBUTION de toutes ses réclamations. Les sociétés appelantes ajoutent, qu'en tout état de cause, la demande de dommages-intérêts, présentée par la société FRANCE DISTRIBUTION en vue d'obtenir le remboursement des divers frais de mission et d'investissement qu'elle a engagés pour l'exécution des commandes litigieuses, est en réalité révélatrice de l'incapacité de la partie adverse à assumer un marché accepté par elle avec la plus grande légèreté.

* Sur l'indemnisation du préjudice de la SARL FRANCE DISTRIBUTION

Considérant que la SARL FRANCE DISTRIBUTION, représentée par Maître PERRIN, en sa qualité de liquidateur de cette société en liquidation judiciaire, est bien fondée à solliciter la réparation du préjudice qui a résulté pour elle de la souscription d'un marché déclaré nul à raison de la faute directement imputable aux sociétés du Groupe REYNOLDS ;

Considérant que ce préjudice est en premier lieu constitué par les frais que ladite société a engagés inutilement du fait de l'annulation du marché ;

Considérant qu'à l'examen des documents produits aux débats, la société FRANCE DISTRIBUTION est fondée à prétendre au remboursement des frais suivants ;

De plus, elles stigmatisent la mauvaise foi de la société FRANCE DISTRIBUTION laquelle, bien que disposant depuis février 1996 d'un acompte supérieur à 1.200.000 francs pour un marché non exécuté, soutient fallacieusement que les difficultés rencontrées avec les sociétés REYNOLDS l'auraient acculée au redressement judiciaire.

Par voie de conséquence, elles concluent au débouté de l'intimée de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour remboursement de frais et pour trouble commercial.

Alléguant n'avoir toujours pas obtenu la restitution de l'acompte versé à la société FRANCE DISTRIBUTION en rémunération des 315.500

tee-shirts qui n'ont jamais été livrés, la société RJ REYNOLDS INTERNATIONAL BV demande à la Cour qu'elle fixe comme suit sa créance à l'égard de la société FRANCE DISTRIBUTION :

- montant de la facture payée à un intermédiaire, la SARL

TEECOM, pour recherche de fournisseurs susceptibles

de livrer 370.000 tee-shirts dans les délais du marché

59.094,00 francs

- acomptes versés au sérigraphe, la société

SERIFRANCE

234.511,20 francs

- coût d'acquisition d'un tunnel destiné au séchage des

tee-shirts

52.051,56 francs

- frais de déplacement et de téléphone pour recherche de

fabricants de cartons et de fabricants de matières

plastiques, susceptibles de réaliser l'envoi des divers tee-shirts

suivant les instructions reçues, frais de déplacement

- 1.248.752,70 francs, au titre du remboursement de l'acompte,

augmenté des intérêts de retard à compter du 03 avril 1996, date de ses conclusions de référé, arrêtés au 1er décembre 1996,

et augmenté de la somme de 1.295.435 francs à titre de pénalités contractuelles de retard au 04 juillet 1996 ;

- 17.100 francs, correspondant au trop perçu par la société FRANCE DISTRIBUTION sur le premier acompte versé à celle-ci à concurrence de 68.400 francs en janvier 1996,

sans préjudice des droits des appelantes à initier toutes voies de droit à l'encontre des responsables de la campagne de presse subie par elles ;

Enfin, elles concluent à la condamnation de l'intimée, à leur payer la somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, et à supporter les entiers dépens.

et de téléphone pour le pliage des tee-shirts dans les

sachets plastiques toutes causes confondues

50.000,00 francs

-------------------------

TOTAL

395.656,76 francs

Considérant que le préjudice subi par la SARL FRANCE DISTRIBUTION du fait de l'annulation du marché recouvre en second lieu le trouble commercial engendré par cette annulation ;

Considérant que, devant la Cour, Maître PERRIN, mandataire liquidateur de cette société, sollicite de ce chef la condamnation des sociétés appelantes au paiement de la somme de 8.481.000 francs,

Maître Yvon PERRIN, agissant en sa qualité de liquidateur de la SARL FRANCE DISTRIBUTION, en liquidation judiciaire, répond que les logos, dont le groupe REYNOLDS a exigé qu'ils soient sérigraphiés sur les 370.000 tee-shirts, évoquent incontestablement les paquets de cigarettes de marque "Camel" et "Winston".

Il fait observer que les légères différences existant entre les logos litigieux et les paquets de cigarettes sont sans incidence sur la réalité de l'opération de publicité illicite reprochée aux sociétés appelantes.

Il soutient également qu'il importe peu que, ainsi que le prétendent les sociétés du groupe REYNOLDS, les tee-shirts aient été destinés à n'être remis qu'aux débitants de tabac, dans la mesure où constitue une opération publicitaire, le fait de faire porter par plusieurs centaines de milliers de personnes des tee-shirts sérigraphiés de logos et de couleurs qui sont ceux de la marque.

correspondant à la différence entre le chiffre d'affaires réalisé en 1995

par la société FRANCE DISTRIBUTION

11.861.492,00 francs

et le chiffre d'affaires atteint en 1996

3.380.492,00 francs

Considérant qu'au soutien de sa réclamation l'intimé expose que les négociations concernant le marché REYNOLDS ont totalement accaparé pendant plusieurs mois la société FRANCE DISTRIBUTION laquelle a dû suspendre ses livraisons et dont le carnet de commande s'est trouvé totalement dégarni pour la saison de l'été 1996, de telle sorte que cette société s'est trouvée en situation de cessation de paiement ;

Mais considérant que cette analyse, qui repose sur la seule comparaison entre le chiffre d'affaires des deux exercices 1995 et 1996, ne rend pas compte des autres données comptables, lesquelles font apparaître qu'au 31 décembre 1995, la situation économique de l'entreprise était déjà largement obérée, ainsi que le démontre l'importance de ses pertes à cette date, soit : 1.903.513 francs ;

Il ajoute qu'il est indifférent que les commandes litigieuses aient, pour une partie d'entre elles, été destinées à l'étranger dès lors que l'essentiel des tee-shirts devait être écoulé en France, et dès lors au surplus que, pour qu'il y ait infraction à la loi EVIN, il n'est nullement exigé que les 370.000 tee-shirts soient écoulés exclusivement sur le territoire français.

Alléguant qu'elle était en droit de se dégager d'un engagement contractuel contraire à l'ordre public en se prévalant de l'intérêt général, la société FRANCE DISTRIBUTION demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé le marché conclu par elle avec les sociétés SODINA, REYNOLDS TOBACCO FRANCE et/ou REYNOLDS INTERNATIONAL.

Maître Yvon PERRIN, liquidateur de la SARL FRANCE DISTRIBUTION, fait également valoir qu'il est bien fondé à solliciter la réparation du préjudice subi par cette société à raison des frais qu'elle a dû engager au titre d'un marché entaché de nullité, et par suite du trouble commercial qui a résulté pour cette société de l'inexécution partielle dudit marché.

Considérant, au surplus, qu'eu égard aux difficultés économiques auxquelles la société FRANCE DISTRIBUTION se trouvait déjà confrontée lors de la souscription du marché avec les sociétés du Groupe REYNOLDS, rien n'autorise à conclure qu'à défaut d'accepter ce marché finalement annulé, cette société aurait pu bénéficier d'autres opportunités commerciales, de nature à lui permettre de redresser sa situation et d'assurer sa pérennité ;

Considérant qu'en fonction de ce qui précède, le trouble commercial subi par la société FRANCE DISTRIBUTION du fait de l'annulation du contrat la liant aux sociétés du Groupe REYNOLDS doit s'analyser en une perte de chance laquelle justifie l'allocation d'une somme de :

100.000,00 francs

à titre de dommages-intérêts ;

A cet égard, il relève que les divers éléments du préjudice subi par la société FRANCE DISTRIBUTION doivent être évalués de la manière suivante :

- frais de mission au titre de la prestation confiée à la

SARL TEECOM pour recherche de fournisseurs

susceptibles de livrer les tee-shirts dans les délais

du marché

59.094,00 francs

- acomptes versés au sérigraphe, la société SERIFRANCE

234.511,20 francs

- coût d'acquisition d'un tunnel destiné au séchage des

tee-shirts

52.051,56 francs

- déplacement chez SODINA à CAGNES-SUR-MER

Considérant, en définitive, qu'il convient de réformer partiellement le jugement déféré en ce qu'il a statué sur le montant du préjudice subi par la SARL FRANCE DISTRIBUTION, et de condamner solidairement les sociétés RJ REYNOLDS INTERNATIONAL BV et RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE à payer de ce chef à Maître PERRIN, en sa qualité de mandataire-liquidateur de la société FRANCE DISTRIBUTION la somme totale de

495.656,76 francs

* Sur la demande reconventionnelle des sociétés REYNOLDS

Considérant que le marché étant annulé, la société REYNOLDS INTERNATIONAL BV est bien fondée à demander la restitution de l'acompte correspondant à l'ensemble de la marchandise non livrée,

soit

1.248.752,70 francs

5.000,00 francs

- frais de déplacement pour recherche de fabricants de

cartons et de matières plastiques, frais de déplacement et

de téléphone auprès de différents transporteurs, frais de

déplacement pour le pliage des tee-shirts dans les sachets

plastiques

60.00,00 francs

--------------------------

TOTAL

410.656,76 francs

De plus, alléguant que les négociations commencées dès novembre 1995

Considérant que, dès lors que l'annulation du marché judiciairement prononcée au terme de la présente procédure a justifié le défaut de restitution immédiate par la SARL FRANCE DISTRIBUTION de l'acompte qui lui avait été versé, la société REYNOLDS INTERNATIONAL doit être déboutée de sa demande en paiement des intérêts sur la période comprise entre le 03 avril 1996 et le 1er décembre 1996 ;

Considérant également que, le marché ayant été annulé aux torts des appelantes, la société REYNOLDS INTERNATIONAL BV ne peut davantage prétendre au paiement des pénalités contractuelles prévues aux bons de commande ;

Considérant au surplus que la société appelante réclame le paiement de la somme de 17.100 francs correspondant à un trop perçu sur l'acompte de 68.400 francs versé à l'occasion de la commande des 4.500 tee-shirts livrés le 15 février 1996 ;

relativement au marché REYNOLDS ont totalement accaparé la société FRANCE DISTRIBUTION pendant six mois, et ajoutant que, les livraisons ayant été suspendues, le carnet de commandes de cette société s'est trouvé totalement dégarni pour l'été 1996, ce qui devait rendre inéluctable son redressement judiciaire, l'intimé demande à la Cour de juger que la société FRANCE DISTRIBUTION a subi un préjudice commercial correspondant à la chute du chiffre d'affaires enregistré par elle en 1996 par rapport à celui atteint au cours de l'exercice précédent.

En conséquence, Maître Yvon PERRIN en sa qualité de liquidateur de la SARL FRANCE DISTRIBUTION sollicite la réformation du jugement entrepris en ce qu'il a statué sur le montant des dommages-intérêts et il conclut à la condamnation solidaire des sociétés REYNOLDS TOBACCO FRANCE etamp; REYNOLDS INTERNATIONAL au paiement de ce chef de la somme suivante :

- frais divers

410.656,76 francs

- trouble commercial

8.481.000,00 francs

Mais considérant que cette demande se heurte au fait que la société FRANCE DISTRIBUTION n'avait alors de lien de droit qu'avec la société SODINA laquelle lui avait versé le montant de cet acompte ;

Considérant, en conséquence, que la prétention de la société REYNOLDS INTERNATIONAL BV en tant qu'elle est dirigée contre la société FRANCE DISTRIBUTION doit être rejetée ;

Considérant que, s'agissant de créances connexes, il convient d'ordonner la compensation entre les sommes respectivement dues par chacune des parties ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société FRANCE DISTRIBUTION représentée par Maître PERRIN une indemnité égale à 50.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, en remboursement des frais non compris dans les dépens exposés par elle tant en première instance qu'en appel ;

----------------------------

TOTAL

8.891.656,00 francs

ladite somme étant augmentée des intérêts judiciaires au taux légal à compter du 06 juin 1996, date de l'assignation.

Par ailleurs, tout en admettant que la demande de restitution de l'acompte de 1.248.752,70 francs formulée par la société REYNOLDS INTERNATIONAL est justifiée par le fait qu'en raison de l'annulation du marché, la marchandise correspondant à ce marché annulé n'a pu être livrée, l'intimé conclut au débouté de l'appelante du surplus de sa demande reconventionnelle, en faisant valoir que :

- les intérêts au taux légal à compter du 03 avril 1996 n'ont pas couru, eu égard à la nécessité de l'établissement d'un compte entre les parties ;

Considérant qu'il n'est pas inéquitable que les sociétés du groupe REYNOLDS conservent la charge de l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'elles ont dû engager pour assurer leur défense ;

Considérant que les sociétés appelantes, qui succombent dans l'exercice de leur recours, doivent supporter les entiers dépens, en ce compris ceux relatifs à la procédure de référé ;

* PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, et en dernier ressort,

- des pénalités contractuelles de retard ne sont pas dues, dès lors que le marché étant annulé, ses clauses ne peuvent plus recevoir application ;

- la somme de 17.100 francs à titre de remboursement d'un trop perçu ne pourrait être valablement réclamée que par la société SODINA.

Enfin, l'intimée sollicite la condamnation des appelantes au paiement d'une somme de 60.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris ceux du référé.

La SARL SODINA n'a pas comparu.

*

MOTIFS DE LA DECISION

- DEBOUTE la société RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE de sa demande de mise hors de cause ;

- CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a annulé le marché conclu entre, d'une part la SARL FRANCE DISTRIBUTION et, d'autre part la SA RJ REYNOLDS INTERNATIONAL et la SA RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE, aux torts de celles-ci ; LE REFORME pour le surplus ;

- CONDAMNE solidairement les sociétés REYNOLDS INTERNATIONAL et REYNOLDS TOBACCO FRANCE à payer à Maître Yvon PERRIN, en sa qualité de mandataire-liquidateur de la société FRANCE DISTRIBUTION, à titre de dommages et intérêts, la somme de 495.656,76 francs, augmentée des intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ;

- DEBOUTE Maître Yvon PERRIN, en sa qualité de mandataire-liquidateur

* Sur la demande de mise hors de cause de la société RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE

Considérant qu'il résulte des documents produits aux débats que, les 25 et 29 janvier 1996, la société RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE a établi huit bons de commande directement adressés à la société FRANCE DISTRIBUTION, et portant sur un nombre total de 300.000 tee-shirts, dont la livraison devait s'échelonner entre le 03 mai et le 08 juillet 1996 ;

Considérant que, s'ils portent la mention "d'ordre et pour le compte de R.J. REYNOLDS INTERNATIONAL B.V. Geneva Beach" ces bons de commande n'en sont pas moins établis sur des écrits à l'en-tête de la SA RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE SA ;

Considérant que la circonstance que la société FRANCE DISTRIBUTION a, après réception desdites commandes, facturé en date du 30 janvier 1996 ses demandes de paiement d'acomptes directement à la société RJ REYNOLDS INTERNATIONAL, ne saurait avoir d'incidence sur la réalité de la relation contractuelle ayant existé entre la société FRANCE DISTRIBUTION et la société RJ REYNOLDS TOBACCO FRANCE SA ;

de ladite société, du surplus de sa demande de dommages-intérêts ;

- FIXE à 1.248.752,70 francs la créance de la société RJ REYNOLDS INTERNATIONAL BV à l'égard de la SARL FRANCE DISTRIBUTION en liquidation judiciaire ;

- DEBOUTE les sociétés appelantes de leurs autres et plus amples demandes ;

- ORDONNE la compensation entre les sommes susvisées respectivement dues par l'une et l'autre parties ;

- CONDAMNE solidairement les sociétés REYNOLDS INTERNATIONAL et REYNOLDS TOBACCO FRANCE à payer à l'intimé la somme de 50.000 francs, sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, en remboursement des frais non compris dans les dépens exposés tant en première instance qu'en appel ;

- REJETTE la réclamation des appelantes au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- CONDAMNE les sociétés REYNOLDS INTERNATIONAL et REYNOLDS TOBACCO FRANCE aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais afférents à la procédure de référé, et AUTORISE la SCP LAMBERT-DEBRAY-CHEMIN, Avoués, à recouvrer directement la part la concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du

Nouveau Code de Procédure Civile.

ARRET REDIGE PAR MONSIEUR FEDOU, CONSEILLER PRONONCE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET

LE GREFFIER

LE PRESIDENT

M. Thérèse X...

F. ASSIÉ

* * *


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006935369
Date de la décision : 15/11/1999

Analyses

VENTE - Vente commerciale


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-11-15;juritext000006935369 ?
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