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12/10/1999 | FRANCE | N°1998-24300

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12 octobre 1999, 1998-24300


Le Conseil des Prud'hommes de POISSY ayant par jugement du 20 février 1998 débouté l'appelant de sa demande en payement d'une prime de maternité accordée par la Société RENAULT à son personnel féminin, celui-ci expose devant la Cour qu'aux termes de l'article 18 d'un accord du 5 Juillet 1991, lors du départ en congé de maternité il est alloué à la femme enceinte une somme de 7.500 F,

Que cette mesure est contraire aux dispositions des articles L. 123-2 et L. 140-4 du Code du Travail car elle contrevient au principe d'égalité de rémunération,

Que l'article 119

du Traité de ROME impose lui aussi l'égalité des rémunérations versées à un t...

Le Conseil des Prud'hommes de POISSY ayant par jugement du 20 février 1998 débouté l'appelant de sa demande en payement d'une prime de maternité accordée par la Société RENAULT à son personnel féminin, celui-ci expose devant la Cour qu'aux termes de l'article 18 d'un accord du 5 Juillet 1991, lors du départ en congé de maternité il est alloué à la femme enceinte une somme de 7.500 F,

Que cette mesure est contraire aux dispositions des articles L. 123-2 et L. 140-4 du Code du Travail car elle contrevient au principe d'égalité de rémunération,

Que l'article 119 du Traité de ROME impose lui aussi l'égalité des rémunérations versées à un travailleur masculin et à un travailleur féminin.

Il soutient que les termes mêmes de la lettre de la Société RENAULT du 3 mars 1997 confirment qu'elle même considérait qu'il s'agissait bien d'un complément de rémunération et il fait état de ce que dans l'annexe 1-1991-241 la prime de maternité figure dans le chapitre "avantages se rapportant aux enfants" ce qui démontre bien qu'il s'agit d'un avantage se rapportant aux enfants et est lié à l'arrivée d'un enfant au foyer.

Il déclare que toutes les mesures destinées à protéger l'emploi et à maintenir le salaire de la femme enceinte sont énumérées dans les paragraphes 1 à 7 de l'article 18 précité.

Que la prime, supplément de rémunération afin de faire face à des dépenses liées à l'arrivée d'un enfant, ne peut donc être considérée comme une mesure de discrimination positive et il conclut à l'infirmation du jugement déféré, sollicitant l'octroi d'une somme de 500 F en application de l' Article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

La Société RENAULT observe que la première décision dont elle demande confirmation a justement constaté que la prime de maternité constituait une discrimination protectrice de la femme enceinte en ce qu'elle compensait les inégalités subies par la femme qui travaille et qui doit accoucher, discrimination conforme à la directive 207 du 9 février 1976 et à l'article L 123-3 du Code du Travail.

Elle soutient que les réalités physiologiques appellent des mesures particulières pour réaliser l'égalité des conditions.

Que, compte tenu de cette situation, est reconnue légitime la protection de la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse et à la suite de celle-ci et qu'en vue de cette protection des mesures financières, ou concernant les conditions du travail, peuvent légitimement être prises à son bénéfice,

Elle soutient que la clause critiquée de l'article 18 est manifestement protectrice de la femme et non de l'enfant et est d'ailleurs due que l'enfant naisse viable ou non.

Qu'elle est fondamentalement différente des règles anciennes qui prévoyaient l'allocation de primes à l'occasion d'une naissance ainsi

que de frais de garde pour jeunes enfants,

Elle ajoute que l'engagement qu'elle a pris ne concerne que son effectif féminin et ne pourrait être aggravé par son extension aux hommes et elle estime que les prétentions de l'appelant devront être rejetées.

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Considérant que le 5 juillet 1991 la Régie Nationale des Usines RENAULT et six organisations syndicales ont signé un accord relatif à la couverture sociale des salariés de la société ;

Que l'article 18 de cet accord définit les conditions particulières dont bénéficient les salariées en état de grossesse, aménagement des

temps de travail, changements de poste, remboursement des temps non travaillés pour consultations prénatales obligatoires, allocation d'une somme de 7.500 F à la femme enceinte lors de son départ en congé de maternité ;

Considérant qu'en application de l'article L 123-2 aucune clause réservant le bénéfice d'une mesure quelconque à un ou des salariés en considération du sexe ne peut, à peine de nullité, être insérée dans une convention collective ou un contrat de travail à moins que ladite clause n'ait pour objet l'application des dispositions du même code relatives à la protection de la maternité ;

Que dans la mesure ou les différentes clauses de l'article 18 de la convention serait irrégulière comme liées à une discrimination en raison du sexe, pour des raisons autres que la protection de la maternité, la conséquence serait la nullité de la clause, nullité qui n'est pas demandée,

Considérant que l'appelant prétend que l'avantage accordé à la femme enceinte est un supplément de rémunération, et invoque les dispositions de l'article L 140.2 du Code du Travail,

Que ce texte prescrit que tout employeur est tenu d'assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes,

Qu'il précise, en son alinéa 2 que, par rémunération, il faut entendre le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et

tous les autres avantages et accessoires payés directement ou indirectement en espèces ou en nature par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier, puis précise ce qu'il convient de considérer comme travaux égaux,

Considérant que la prime de l'article 18 n'est liée à aucun travail accompli dans l'intérêt de l'entreprise, ni à aucun service direct ou indirect qui lui serait rendu ;

Que purement aléatoire et concernant indistinctement tout le personnel de l'établissement, elle ne dépend d'aucun critère relatif à la fonction exercée ni à la qualification de l'employée,

Qu'accordée seulement en raison de l'état physiologique de grossesse de la salariée elle ne dépend en rien de l'issue de la grossesse et ne vise à atténuer aucune charge financière supplémentaire, natale ou post-natale, qui pourrait être prise en considération pour l'octroi d'une aide matérielle, à l'occasion de l'arrivée d'un enfant au foyer,

Qu'elle ne constitue donc pas un supplément de rémunération ainsi que le prétend l'appelant, la notion de rémunération étant indissociable de celle de service rendu, et que les dispositions de l'article L 140-4 ne lui sont pas applicables,

Considérant que l'argument selon lequel dans un document dit bilan social la Société RENAULT aurait classé cette prime dans le chapitre

"avantages se rapportant aux enfants" est sans portée, la nature de cette prime devant être déterminée d'après ses conditions d'octroi et non d'après la façon dont elle a été présentée dans un bilan social sans valeur juridique,

Considérant que l'article 119 du Traité de ROME dispose que chaque Etat membre assure et maintient l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et féminins pour un même travail et précise que tout avantage payé par l'employeur au salarié en raison de son emploi constitue une rémunération ;

Que, néanmoins, la Directive n° 76-207 du 9 février 1976 prévoit en son article 2- Paragraphe 3° "La présente directive ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité" et en son Paragraphe 4° "La présente directive ne fait pas obstacle aux mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier, en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes dans les domaines visés à l'article 1°,"

Que les domaines visés à l'article 1° sont, notamment, l'accès à l'emploi, la promotion, la formation professionnelle, les conditions de travail,

Considérant que l'article 1 de l'accord du 15 juillet 1991 précise que les dispositions qu'il contient sont plus favorables que les dispositions légales ou conventionnelles en vigueur ;

Qu'il confère en effet aux femmes enceintes en son article 18 dont les différents alinéas ne sont pas dissociables, un certain nombre d'avantages, ainsi des facilités dans l'organisation de la journée de travail en raison de la plus grande pénibilité qu'elle présente pour une femme dans cette situation,

Qu'il stipule expressément "lors du départ en congé de maternité il est alloué à la femme enceinte une somme de 7.500 F" ;

Que cette prime est liée au fait que la salariée quitte alors son emploi,

Que c'est ce départ qui donne lieu une allocation de 7.500 F qui compense pour elles le préjudice professionnel qu'elles subissent du fait d'être dans l'impossibilité de profiter d'avantages professionnels, formation ou promotion ou progrès dans le développement de leur carrière en raison de l'obligation d'interrompre leur travail pour une période relativement longue, outre le fait qu'au cours de la période de grossesse elles ont connu, du fait de leur état, des conditions de travail difficiles,

Considérant que le droit communautaire prend en considération le fait que le principe d'égalité de traitement des salariés hommes et femmes pour être effectif doit tenir compte des différences inhérentes à la nature, et qu'il est possible de prendre des mesures destinées à compenser l'inégalité de fait lorsqu'elle existe au détriment des femmes ;

Considérant qu'il n'y a pas identité de situation entre le salarié de sexe masculin, libre de tout handicap lié à cet égard à la nature, et la salariée en état de grossesse qui, quelles que soient les aménagements et facilités qui lui sont offertes et en raison même de ces mesures, subit un préjudice professionnel du fait de sa moins grande disponibilité ainsi que du fait de son absence, plus ou moins prolongée au cours de la période natale et post-natale ;

Que la prime allouée à la femme enceinte qui part en congé de maternité présente donc le caractère d'une indemnité destinée à compenser un préjudice professionnel inhérent à une inégalité de fait, propre à la salariée enceinte, qui peut être qualifiée de mesure de discrimination positive dont le caractère est conforme aux principes définis par la Directive Européenne ci-dessus citée,

Que son principe est donc conforme à ceux définis par le droit communautaire et qu'elle ne contrevient pas au Droit National qui admet les règles protectrices de la maternité,

Que le jugement déféré qui a fait une juste application de ces principes sera donc confirmé en toutes ses dispositions.

P A R CES M O T I F X... :

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement,

DEBOUTE l'appelant de toutes ses demandes.

LE CONDAMNE aux dépens.

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Monsieur LESEIGNEUR Y..., par suite de l'empêchement de Madame Z..., faisant fonction de Président et Mademoiselle AZAMA A... Le A...,

Le PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1998-24300
Date de la décision : 12/10/1999

Analyses

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Salaire - Primes - Attribution

La prime allouée à la femme enceinte qui part en congé de maternité présente donc le caractère d'une indemnité destinée à compenser un préjudice professionnel inhérent à une inégalité de fait, propre à la salariée enceinte, qui peut être qualifiée de mesure de discrimination positive dont le caractère est conforme aux principes définis par la Directive Européenne .


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-10-12;1998.24300 ?
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