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07/10/1999 | FRANCE | N°JURITEXT000006936407

France | France, Cour d'appel de Versailles, 07 octobre 1999, JURITEXT000006936407


La SCI ALSACE LORRAINE a consenti à la société STRATUS un bail portant sur des locaux situés à LEVALLOIS-PERRET, 28 rue d'Alsace, selon acte sous seing privé du 15 janvier 1987.

Ce bail a été cédé à la Société MAGIC BUS MUSIC, suivant acte sous seing privé du 13 septembre 1994, dans le cadre du redressement judiciaire de la société STRATUS.

Reprochant au bailleur d'avoir repris possession, de sa seule autorité, d'un local à archives qui dépendait des lieux loués et d'avoir mis à la décharge des archives sonores qu'elle y avait entreposées, la Société MA

GIC BUS MUSIC a assigné la S.C.I ALSACE LORRAINE devant le tribunal d'instance de LE...

La SCI ALSACE LORRAINE a consenti à la société STRATUS un bail portant sur des locaux situés à LEVALLOIS-PERRET, 28 rue d'Alsace, selon acte sous seing privé du 15 janvier 1987.

Ce bail a été cédé à la Société MAGIC BUS MUSIC, suivant acte sous seing privé du 13 septembre 1994, dans le cadre du redressement judiciaire de la société STRATUS.

Reprochant au bailleur d'avoir repris possession, de sa seule autorité, d'un local à archives qui dépendait des lieux loués et d'avoir mis à la décharge des archives sonores qu'elle y avait entreposées, la Société MAGIC BUS MUSIC a assigné la S.C.I ALSACE LORRAINE devant le tribunal d'instance de LEVALLOIS-PERRET, en vue d'obtenir une somme de 7.480.000 francs correspondant au montant de son préjudice.

Par un premier jugement du 9 novembre 1995, le tribunal, présidé par Monsieur VIGNEAU, juge délégué, s'est déclaré compétent pour connaître du litige, retenant à cet égard que le local à archives litigieux faisait partie des lieux loués.

Le contredit formé à l'encontre de cette décision ayant été rejeté par arrêt de la Cour d'appel de VERSAILLES en date du 27 juin 1996, le tribunal, présidé cette fois par Madame X..., a, par jugement mixte du 30 janvier 1997, notamment :

- constaté que la S.C.I ALSACE LORRAINE n'a pas respecté ses obligations de bailleresse en procédant à l'enlèvement des archives de la société MAGIC BUS MUSIC,

- condamné la S.C.I ALSACE LORRAINE à réparer l'entier préjudice subi par la société MAGIC BUS MUSIC et alloué à celle-ci une provision de 50.000 francs à valoir sur la réparation de son préjudice définitif, - commis Monsieur Y... en qualité d'expert avec mission de donner un

avis sur la teneur et le montant du préjudice subi par la société MAGIC BUS MUSIC.

Au vu du pré-rapport d'expertise déposé le 24 août 1998 par Monsieur Y..., chiffrant le montant du préjudice subi par la société MAGIC BUS MUSIC, cette société a assigné en référé la S.C.I ALSACE LORRAINE devant le Président du tribunal d'instance de LEVALLOIS-PERRET, selon acte d'huissier du 1er décembre 1998, sollicitant l'allocation d'une provision de 2.000.000 francs.

Par ordonnance du 21 janvier 1999, Madame X..., siégeant en qualité de juge des référés, a accueilli partiellement cette demande, en renvoyant les parties à se pourvoir au principal mais en allouant dès à présent à la société MAGIC BUS MUSIC, vu l'urgence et en l'absence de contestation sérieuse, une provision de 1.500.000 francs à valoir sur son préjudice définitif.

Monsieur Y... ayant déposé son rapport "définitif" le 19 février 1999, la société MAGIC BUS MUSIC a pris des conclusions en ouverture de rapport, pour l'audience du 15 avril 1999, sollicitant du tribunal la condamnation de la S.C.I ALSACE LORRAINE au paiement d'une somme de 5.271.000 francs en indemnisation du préjudice matériel subi du fait de la destruction des bandes masters, ainsi que d'une somme de 1.000.000 francs au titre de l'indemnisation de son préjudice moral et de la somme de 200.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par acte daté du 26 mars 1999, La S.C.I ALSACE LORRAINE a formé à l'encontre de Madame X... une demande de récusation, en application de l'article 341 5° du nouveau code de procédure civile. Madame X... s'étant opposée à cette demande, celle-ci a été transmise à la Cour, en application des dispositions des articles 341 et suivants du nouveau code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures, la S.C.I ALSACE LORRAINE fonde sa demande en récusation sur l'application de l'article 6-1° de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales et sur l'interprétation donnée aux dispositions de ce texte par l'assemblée plénière de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 6 novembre 1998.

La S.C.I ALSACE LORRAINE fait valoir encore qu'elle est d'autant plus fondée à craindre que Madame X... soit peu encline à se déjuger, s'agissant de statuer sur le fond du litige au vu du rapport de l'expert précédemment désigné, que la provision allouée en référé par ce magistrat se heurtait à une contestation sérieuse, comme ayant été accordée au vu d'un pré-rapport d'expertise pourtant dépourvu de toute valeur juridique.

Elle observe en outre qu'il n'existe pas de procédure de mise en état devant le tribunal d'instance, et réfute en conséquence l'argumentation donné par Madame X... pour justifier son opposition à la demande de récusation, selon laquelle la demande de provision formée en référé au niveau du tribunal d'instance s'analyse en fait comme un incident de mise en état devant le juge d'instance. La société MAGIC BUS MUSIC, intervenante à la procédure, fait valoir que la solution dégagée par la Cour de cassation dans l'arrêt du 6 novembre 1998 n'est pas transposable à la présente espèce, étant donné que Madame X... avait d'abord connu de l'affaire en qualité de juge du fond avant de la connaître comme juge des référés. Elle conclut en conséquence au rejet de la demande de récusation. SUR CE,

Considérant qu'il résulte de l'article 6 alinéa 1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés

fondamentales que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi ;

Que dans l'arrêt du 6 novembre 1998 rendu au visa de ce texte et de l'article 873, alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile, ensemble, l'assemblée plénière de la Cour de cassation énonce que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial, précise que cette exigence doit s'apprécier objectivement, et en déduit que lorsqu'un juge a statué en référé sur une demande tendant à l'attribution d'une provision en raison du caractère non sérieusement contestable d'une obligation, il ne peut ensuite statuer sur le fond du litige afférent à cette obligation ;

Considérant que le principe ainsi posé par la haute juridiction n'interdit pas à un juge de statuer dans une affaire qu'il a préalablement connu au fond, en qualité de membre d'une formation de jugement, dans laquelle il a été statué sur le principe de la condamnation et où a été ordonnée une mesure d'instruction avant plus amplement dire-droit ;

Qu'il n'importe que postérieurement à la première décision advenue, ce magistrat ait été saisi en une autre qualité d'une demande de provision, et qu'il se soit prononcé sur cette demande, dès lors que la nouvelle décision se fonde sur des éléments d'appréciation distincts de ceux qui seront fournis à la formation de jugement après exécution de la mesure d'instruction ordonnée dans le cadre de l'instance au fond ;

Que dans le cas contraire, c'est-à-dire dans l'hypothèse où les éléments d'appréciation versés aux débats seraient les mêmes, tant dans l'instance en attribution d'une provision que dans l'instance ultérieure au fond, il existerait des raisons sérieuses et objectives de craindre que le juge se borne à reproduire alors la motivation

retenue dans le cadre de l'instance aux fins de provision ;

Qu'aussi convient-il de déterminer, avant dire-droit au fond, si les éléments d'appréciation soumis à Madame X... lors de l'instance de référé sont ou non distincts de ceux qui sont produits devant le tribunal d'instance après expertise et en conséquence d'enjoindre à la S.C.I. ALSACE LORRAINE de produire le pré-rapport et le rapport d'expertise établi par Monsieur Y..., l'affaire étant renvoyée à l'audience des plaidoiries du lundi 6 décembre 1999, et les parties étant invitées à présenter leurs observations éventuelles au plus tard dans la quinzaine précédente ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant publiquement et avant-dire droit au fond,

RECOIT la S.C.I ALSACE LORRAINE en sa demande en récusation,

ORDONNE la production du pré-rapport et du rapport d'expertise établis par Monsieur Y... ;

RENVOIE l'affaire à l'audience des plaidoiries du lundi 6 décembre 1999 à 14 heures et invite les parties à présenter leurs observations éventuelles au plus tard dans la quinzaine précédente ;

RESERVE les dépens.

ARRET REDIGE PAR :

Monsieur Gérard MARTIN, Conseiller,

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET : Le Greffier,

Le Président, Catherine CONNAN

Colette GABET-SABATIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006936407
Date de la décision : 07/10/1999

Analyses

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6 OE 1 - Tribunal - Impartialité.

Il résulte de l'article 6 alinéa 1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi. Au visa du texte précité et de l'article 873 alinéa 2 du Code civil, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a posé en principe que l'exigence d'impartialité doit s'apprécier objectivement et qu'ainsi un juge ayant statué en référé sur une demande d'allocation de provision fondée sur le caractère non sérieusement contestable d'une obligation, ne peut ensuite statuer sur le fond du litige afférent à cette même obligation. En l'occurrence, lorsqu'un juge a connu d'une affaire au fond, en qualité de membre d'une formation de jugement qui a statué sur le principe de la condamnation ou a ordonné une mesure d'instruction avant plus amplement dire droit, le principe évoqué n'interdit pas que, postérieurement à la première décision, le même juge soit saisi en une autre qualité d'une demande de provision et qu'il se prononce sur cette demande, sous réserve que la nouvelle décision se fonde sur des éléments d'appréciation distincts de ceux qui seront fournis à la formation de jugement après exécution de la mesure d'instruction ordonnée dans le cadre de l'instance au fond. Dès lors que dans l'hypothèse inverse, celle où les éléments d'appréciation versés aux débats seraient les mêmes, tant dans l'instance en attribution d'une provision que dans l'instance ultérieure au fond, il existe des raisons sérieuses et objectives de craindre que le juge se borne à reproduire la motivation retenue dans le cadre de l'instance aux fins de provision, il convient, en l'espèce, de déterminer, avant dire droit au fond, si les éléments d'appréciation qui ont été soumis à une juge d'instance statuant en référé sur une demande d'allocation de provision, sont ou non distincts de ceux qui on été ensuite produits, après expertise,

devant ce même juge composant le tribunal d'instance


Références :

Code civil, article 873 alinéa 2
Convention européenne des droits de l'homme, article 6.1

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-10-07;juritext000006936407 ?
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