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23/09/1999 | FRANCE | N°1997-308

France | France, Cour d'appel de Versailles, 23 septembre 1999, 1997-308


FAITS ET PROCEDURE

La société d'ETUDE ET DE DEVELOPPEMENT DE LA PRESSE PERIODIQUE (ci-après désignée S.E.D.P.P.) aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société EDI 7, nouvellement dénommée HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIÉS, édite le magazine Première, mensuel spécialisé dans l'actualité cinématographique.

Pour l'illustration de ce magazine, elle utilise des photographies qui proviennent notamment d'agences de presse photographique telles que SYGMA.

Faisant grief à la S.E.D.P.P. d'avoir abusivement utilisé à des fins de promotion, sous la forme d'a

ffiches publicitaires placardées sur les kiosques à journaux, cinq photographies qu'...

FAITS ET PROCEDURE

La société d'ETUDE ET DE DEVELOPPEMENT DE LA PRESSE PERIODIQUE (ci-après désignée S.E.D.P.P.) aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société EDI 7, nouvellement dénommée HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIÉS, édite le magazine Première, mensuel spécialisé dans l'actualité cinématographique.

Pour l'illustration de ce magazine, elle utilise des photographies qui proviennent notamment d'agences de presse photographique telles que SYGMA.

Faisant grief à la S.E.D.P.P. d'avoir abusivement utilisé à des fins de promotion, sous la forme d'affiches publicitaires placardées sur les kiosques à journaux, cinq photographies qu'elle lui avait cédées pour publication en page de couverture du magazine Première et d'avoir refusé de payer la facture afférente à cette utilisation, la société SYGMA a saisi le Tribunal de Commerce de NANTERRE pour obtenir en réparation, sur le fondement de la contrefaçon, des dommages et intérêts ainsi que la publication de la décision à intervenir dans divers organes de presse.

Par jugement en date du 11 octobre 1996 auquel il est renvoyé pour plus ample exposé des éléments de la cause, la première chambre de la juridiction précitée a débouté la société SYGMA de l'ensemble de ses prétentions et l'a condamnée à payer à la société EDI 7, venant aux droits de la société S.E.D.P.P. une indemnité de 8.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Appelante de cette décision, la société SYGMA fait grief au premier juge d'avoir mal apprécié les données du litige en retenant, pour rejeter ses prétentions, qu'il n'y avait pas eu d'utilisation distincte ou nouvelle des photographies qui n'avaient pas été extraites de leur contexte de couverture de magazine pour lesquels des droits avaient été régulièrement acquittés et que ses propres tarifs ne font aucune mention de droits supplémentaires pour la reproduction sur des affiches de photographies publiées en couverture. Elle prétend au contraire, que les parties se sont accordées sur des tarifs différents selon le format des photographies publiées dans le magazine et leur localisation et que cet accord tarifaire n'autorisait aucunement le magazine Première à exploiter à des fins publicitaires des photographies dont il avait acquis les droits pour la seule publication par voie de presse en page de couverture.

Elle déduit de là que l'utilisation à des fins publicitaires des photographies dont s'agit est contraire aux accords intervenus. Elle voit aussi dans ces agissements une atteinte à la protection qui lui est reconnu par le code de la propriété intellectuelle et estime que lesdits agissements constituent un acte de contrefaçon.

Enfin, elle soutient qu'aucun usage ne peut lui être valablement opposé et notamment pas les accords passés par d'autres organismes professionnels auxquels elle n'a jamais adhéré. Elle demande en conséquence à la Cour de :

- dire que l'utilisation par la société EDI 7 et le magazine Première de photographies à d'autres fins et sans d'autre support que ceux autorisés par elle, et notamment pour placardage publicitaire de la "une" du magazine constitue une contrefaçon ;

- dire que ces actes de contrefaçons réalisés par la société EDI 7 et le magazine Première s'élèvent pour les seuls numéros 190 et 191 au

nombre minimum de 2334 ;

- faute pour la société EDI 7 d'avoir accepté de régulariser ces exploitations illicites par le paiement des factures émises par elle, la condamner à lui payer la somme de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts ;

- dire que la déclaration commune A.P.E..P.F.F./O.P.E.P. est inapplicable au présent litige ;

- condamner la société EDI 7 à lui payer la somme de 15.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir aux frais de la société EDI 7, dans une limite totale de 50.000 francs dans les quatre périodiques suivants : "Première", "Télé 7 jours", "Le Nouvel Observateur" et "Photo" ;

- condamner la société EDI 7 aux entiers dépens.

La société EDI 7, devenue HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES, sollicite tout d'abord la mise hors de cause de la société S.E.D.P.P. visée dans l'acte d'appel et aux droits de laquelle elle se trouve aujourd'hui. Pour le surplus, elle réfute point par point l'argumentation adverse et conclut à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive et elle réclame à ce titre, dans le cadre d'un appel incident, la somme de 10.000 francs. Elle sollicite également une indemnité complémentaire de 15.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

*

MOTIFS DE LA DECISION

[* Sur la mise hors de cause de la société S.E.D.P.P.

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société EDI 7, devenue HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES, est venu aux droits en cours de procédure de la société S.E.D.P.P., laquelle a placardé sur des kiosques à journaux la reproduction de la première page du magazine Première qu'elle éditait alors ; que, au cours des débats de première instance, la société EDI 7 (HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES) est intervenue volontairement pour se substituer à la société S.E.D.P.P. ; que le maintien en cause de cette dernière devant la Cour ne se justifie plus ; qu'elle sera dès lors mise hors de cause ;

*] Sur le fond

Considérant que, ainsi qu'en dispose l'article l.112.2, du Code de la Propriété Intellectuelle, les photographies sont considérées comme des ouvres de l'esprit sur lesquelles l'auteur jouit, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ; qu'il en résulte que toute utilisation d'une

photographie est subordonnée à une autorisation émanant de son auteur ou d'un mandataire de celui-ci, autorisation qui peut être concédée soit à titre gratuit soit à titre onéreux ;

Considérant en l'espèce qu'il est constant et non contesté que, après échange de correspondance ayant valeur contractuelle, les parties ont trouvé un accord consistant, pour l'Agence SYGMA à mettre à disposition de la société éditant le magazine "Première" un certain nombre de photographies intéressant l'actualité cinématographique et, pour la société d'édition, à pouvoir choisir ensuite librement les photographies qu'elle souhaite publier ainsi que le format de celles-ci, le prix de cession de droit d'utilisation étant ensuite fixée selon un barème convenu variant selon le format et la page retenue dans le magazine et étant facturée après publication du magazine ; qu'il suit de là que les droits contractuellement cédés se limitent strictement à la reproduction de photographies dans le magazine Première et que, contrairement à ce qu'a estimé le Tribunal, toute exploitation de l'ouvre cédée au-delà des termes de la cession intervenue s'analyse en une atteinte aux droits de l'auteur ; que cela est d'autant moins contestable en la cause que chaque facture adressée pour accord à la société d'édition rappelle, en caractères apparents, avant le "bon pour accord après avoir pris connaissance des conditions ci-dessus et ci-contre" que "aucune de nos photos ne peut être utilisée à des fins publicitaires sans notre autorisation écrite" ;

Or considérant que, sans avoir sollicité l'accord de l'auteur ou de son mandataire et sans pouvoir établir l'existence d'un usage professionnel, étant observé que l'agence Sygma n'est pas liée par les accords passés entre l'Association Professionnelle des Editeurs de Presse Féminine et Familiale (A.P.E.P.F.F.) et l'Organisation des Photographes d'Editions et de Publicité (O.P.E.P.) lesquels ne visent de surcroît que les photographies de commande, force est de constater que la société S.E.D.P.P. a reproduit sous forme d'affiches publicitaires et à des fins promotionnelles la "une" de son magazine comprenant des photographies fournies par l'agence SYGMA ;

Que le fait que les affiches ne reproduisent pas la photographie en tant que telle mais la couverture du magazine dans son entier, sans aucun déroutage ni cadrage particulier et sans qu'aucun élément de la photographie ne soit isolé ou mis en avant, n'enlève rien à l'atteinte portée aux droits de l'auteur ; qu'en effet, contrairement à ce que prétend la société d'édition, la couverture du magazine ainsi reproduite ne saurait être considérée comme une ouvre collective sur laquelle l'éditeur dispose d'un droit propre dans

lequel se fondent les contributions qui la composent, mais comme une ouvre composite dans la mesure où elle incorpore l'ouvre préexistante, ce qui a pour effet de laisser subsister les droits de l'auteur de cette ouvre, étant observé qu'aucune convention, au sens de l'article 131.3 du Code de la Propriété Intellectuelle, n'a été passé en vu de permettre à la société d'édition d'exploiter les photographies de l'agence SYGMA à des fins promotionnelles ou publicitaires de son magazine ; que, en outre et contrairement encore à ce que prétend la société d'édition, le tarif appliqué pour une page de couverture, qui tient compte du fort impact commercial donné à la photographie qui l'illustre et qui explique ce tarif, n'est d'aucune influence, pas plus que la courte durée de la campagne publicitaire, sur l'abus de droit commis en l'espèce, constitutif, dès lors que l'ouvre a été exploitée au-delà des droits cédés, d'une contrefaçon ;

Considérant que, en ce qui concerne la réparation, il ressort de l'examen des pièces produites que la couverture du magazine "Première" sous forme de placards agrandis, a fait l'objet pour le numéro 190 de 1167 affichages et d'un nombre équivalent pour le numéro 191 ; que l'importance de ces actes de contrefaçon justifie l'allocation d'une somme de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts à l'agence SYGMA ; que, toutefois, il n'apparaît pas que la société édition ait été animée de l'intention délibérée de porter atteinte aux droits de sa cocontractante ; qu'elle a pu, de bonne

foi, se méprendre, notamment au regard des accords intervenus dans des branches professionnelles voisines, sur l'étendue de ses droits ; que, dans ces conditions la publication de la décision intervenue, qui s'analyse en une sanction complémentaire, ne s'impose pas en la cause ;

Considérant en revanche, qu'il serait inéquitable de laisser à la société SYGMA la charge des frais qu'elle a été contrainte d'exposer ; que la société HACHETTE FILIPPACHI ASSOCIES, anciennement dénommée EDI 7, sera condamné à lui payer une indemnité de 10.000 francs à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant enfin que la société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES qui succombe supportera les entiers dépens exposés à ce jour ;

* PAR CES MOTIFS

La Cour statuant, publiquement contradictoirement et en dernier ressort,

- REOEOIT la société SYGMA en son appel principal et la société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES anciennement dénommée EDI 7 en son appel incident ;

- MET hors de cause la société d'ETUDE ET DE DEVELOPPEMENT DE LA PRESSE PERIODIQUE ;

Faisant droit pour l'essentiel à l'appel principal et rejetant l'appel incident,

- INFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau,

- DIT que l'utilisation par la société ETUDE ET DE DEVELOPPEMENT DE LA PRESSE PERIODIQUE, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES anciennement dénommée EDI 7, des photographies sur d'autres supports que ceux autorisés par l'agence SYGMA et notamment, par placardage publicitaire en kiosque, s'analyse en une contrefaçon ;

- CONDAMNE la société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES, faute pour elle d'avoir accepté de régulariser ces exploitations illicites par le règlement de factures complémentaires émises par l'agence SYGMA, à payer à ladite société la somme de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts ;

- DIT n'y avoir lieu à publication de la présente décision ;

- CONDAMNE la société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES à payer en outre à la société SYGMA une indemnité de 10.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- REJETTE les autres prétentions des parties ;

- CONDAMNE la société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES aux entiers dépens de première instance et d'appel et AUTORISE la SCP d'Avoués JUPIN etamp; ALGRIN, à en poursuivre directement le recouvrement, comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

ARRET PRONONCE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET

LE GREFFIER

LE PRESIDENT

M. Thérèse X...

F. ASSIÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1997-308
Date de la décision : 23/09/1999

Analyses

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE - Droits d'auteur - Droit de propriété incorporelle exclusif

En application des dispositions de l'article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle les photographies sont considérées comme des oeuvres de l'esprit sur lesquelles l'auteur jouit, du seul fait de leur création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Il en résulte que toute utilisation d'une photographie est subordonnée à une autorisation concédée, à titre gratuit ou onéreux, par son auteur ou un mandataire de celui-ci. Constitue une contrefaçon l'utilisation d'une photographie à des fins publicitaires par l'éditeur d'un journal dès lors que ce mode d'exploitation n'était pas convenu dans le contrat passé avec le photographe


Références :

Code de la propriété intellectuelle, article L 112-2

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-09-23;1997.308 ?
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