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16/09/1999 | FRANCE | N°1997-7510

France | France, Cour d'appel de Versailles, 16 septembre 1999, 1997-7510


FAITS ET PROCEDURE

La société VEGOTEX INTERNATIONAL ("VEGOTEX"), société belge, a acheté à la société indienne, Prithivi Exports ("PRITHIVI") des articles de confection, pour une valeur totale de 1.059.198 francs.

Le paiement de l'ensemble des factures a eu lieu au moyen d'un crédit documentaire irrévocable n° 1167069559, réalisable par négociation, émis le 11 septembre 1996 par la KREDIET BANK ("KREDIET"), banque belge, pour le compte de VEGOTEX au bénéfice de PRITHIVI couvrant le prix de la marchandise à concurrence de la somme de 1.205.109,60 francs.
>La notification de l'ouverture du crédit documentaire a été faite par la INDIAN O...

FAITS ET PROCEDURE

La société VEGOTEX INTERNATIONAL ("VEGOTEX"), société belge, a acheté à la société indienne, Prithivi Exports ("PRITHIVI") des articles de confection, pour une valeur totale de 1.059.198 francs.

Le paiement de l'ensemble des factures a eu lieu au moyen d'un crédit documentaire irrévocable n° 1167069559, réalisable par négociation, émis le 11 septembre 1996 par la KREDIET BANK ("KREDIET"), banque belge, pour le compte de VEGOTEX au bénéfice de PRITHIVI couvrant le prix de la marchandise à concurrence de la somme de 1.205.109,60 francs.

La notification de l'ouverture du crédit documentaire a été faite par la INDIAN OVERSEAS BANK, banque indienne notificatrice, chargée de communiquer les instructions reçues par télétransmission de KREDIET au bénéficiaire.

Le crédit documentaire est soumis aux règles et usances uniformes relatives aux crédits documentaires ("les Règles et Usances) établies par la Chambre de Commerce International, dans leur version issue de la révision en date du 1993 (publication Chambre de Commerce International, n° 500).

Le crédit documentaire pouvait être négocié par n'importe quelle banque en Inde, sur présentation des factures, des connaissements maritimes et de divers certificats et attestations relatifs aux poids des marchandises, aux analyses sanitaires.

KREDIET, banque émettrice, devait rembourser à l'échéance au 05 janvier 1997 la banque négociatrice et sur réception des documents susmentionnés.

La STATE BANK OF TRAVANCORE (la "SBOT") a procédé à la négociation et à la réalisation des documents les 6, 18, 19 novembre et les 3, 20 et 23 décembre 1996.

Elle a notifié aux mêmes dates à la KREDIET le paiement des documents à PRITHIVI.

Ce n'est qu'après le paiement des documents par la SBOT selon la procédure qui vient d'être décrite, et le crédit documentaire étant arrivé à échéance le 05 janvier 1997, que le paiement a été effectué par KREDIET le 10 janvier 1997, et que le compte de la SBOT au CREDIT LYONNAIS a été crédité d'un montant de 1.059.198 francs le 14 janvier 1997.

Le 15 janvier 1997, KREDIET a envoyé une télécopie à la SBOT précisant que, aux dires de VEGOTEX, les marchandises auraient été viciées par une fraude manifeste. Elle a donné instruction à la SBOT de ne pas négocier, et de ne pas payer le crédit documentaire au bénéficiaire.

La SBOT a alors répondu, par télex du 18 janvier 1997, que le crédit documentaire avait déjà été négocié et payé par elle à PRITHIVI, et

qu'en conséquence, elle ne pouvait en bloquer ni la négociation, ni le paiement.

Par requête en date du 16 janvier 1997, VEGOTEX a sollicité du président du tribunal de commerce de NANTERRE l'autorisation de pratiquer une saisie conservatoire entre les mains du CREDIT LYONNAIS au préjudice de la SBOT, pour garantir le paiement d'une créance de 1.300.000 francs en principal, intérêts, frais et accessoire.

Il a été fait droit à cette requête par ordonnance du même jour qui a autorisé à pratiquer une saisie conservatoire entre les mains du CREDIT LYONNAIS au préjudice de la SBOT.

Par acte en date du 9 juillet 1997, la SBOT a assigné en référé VEGOTEX devant le président du tribunal de commerce de NANTERRE, afin qu'il dise que les conditions requises pour l'autorisation d'une saisie conservatoire n'étaient pas réunies par VEGOTEX à l'encontre

de la SBOT et qu'en conséquence, il rétracte l'ordonnance rendue le 16 janvier 1997 et ordonne la mainlevée de la saisie conservatoire effectuée sur son fondement le 24 janvier 1997.

Par conclusions en date du 22 juillet 1997, VEGOTEX a demandé au président du tribunal de commerce de NANTERRE de surseoir à statuer dans l'attente qu'une décision définitive sur le fond du litige soit rendue par le tribunal de commerce d'ANVERS, faisant valoir à l'appui de cette demande la connexité entre les demandes formées en FRANCE et en BELGIQUE et l'antériorité de la saisine de la juridiction belge.

Par l'ordonnance déférée, en date du 28 juillet 1997, le président du tribunal de commerce de NANTERRE a rejeté la demande de VEGOTEX de sursis à statuer et a rejeté la demande de la SBOT fondée sur les autres 67 et 72 de la loi du 9 juillet 1991.

C'est dans ces conditions que la SBOT a interjeté appel de

l'ordonnance de référé du 28 juillet 1997.

Au soutien de son appel, la SBOT fait valoir qu'une saisie conservatoire ne peut être pratiquée que si deux conditions cumulatives sont réunies :

- le demandeur démontre qu'il est titulaire d'une créance paraissant fondée en son principe et apporte la preuve qu'il existe des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la prétendue créance.

Or, selon la SBOT, ni le fondement de la créance en son principe, ni une quelconque circonstance susceptible de menacer le recouvrement de la prétendue créance n'ont été démontrés en l'espèce.

En premier lieu, la SBOT considère que VEGOTEX ne saurait fonder l'existence de sa prétendue créance sur un quelconque non respect par elle des instructions relatives à la négociation du crédit documentaire.

En effet, le rôle de la SBOT a été celui d'une "banque désignée", c'est-à-dire autorisée à négocier et à payer les documents du crédit documentaire. Il a consisté à négocier les documents du crédit documentaire irrévocable et à escompter ce crédit documentaire, conformément aux instructions reçues et aux Règles et Usances.

Dès lors que les documents présentés par PRITHIVI étaient conformes aux stipulations du crédit documentaire, la SBOT était autorisée à négocier le crédit documentaire, peu important que cette négociation ait eu lieu avant l'échéance dudit crédit.

VEGOTEX ne saurait davantage fonder l'existence de sa prétendue créance à l'encontre de la SBOT sur la fraude portant sur les marchandises, objet du contrat commercial conclu entre VEGOTEX et PRITHIVI. En effet, en raison de l'autonomie du crédit documentaire par rapport à l'opération commerciale de base, une telle fraude, fût-elle prouvée, serait inopérante à faire obstacle au mécanisme du crédit documentaire.

La SBOT considère par ailleurs que VEGOTEX n'apporte aucun élément qui pourrait laisser croire qu'elle court un risque quant aux paiements de sa prétendue créance et se contente d'affirmer : "le péril et l'urgence sont manifestes".

Ni la situation financière actuelle de la SBOT (qui exclut qu'elle puisse se trouver en état d'insolvabilité) ni son comportement ne sont de nature à inquiéter VEGOTEX dans l'hypothèse où une quelconque créance lui serait reconnue.

La SBOT demande en conséquence infirmation de l'ordonnance déférée en ce qu'elle a refusé d'ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée en vertu de l'ordonnance du 16 janvier 1997 et "infirmation" de l'ordonnance du 16 janvier 1997 ayant autorisé la saisie.

Elle demande en outre 25.000 francs "H.T." sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Après avoir demandé traduction intégrale des pièces versées aux débats -ce qui a été effectué-, VEGOTEX, qui rappelle que huit importateurs français ont été victimes de la même fraude, qui porte sur 4.000.000 francs, demande à la cour confirmation de l'ordonnance défére en soulignant que la juridiction anversoise saisie est seule compétente, comme l'a exactement estimé le premier juge, pour apprécier la régularité de la négociation par la SBOT du crédit documentaire.

Cette société ne dispose, par ailleurs, d'aucun établissement sur le territoire européen.

L'ordonnance doit, dès lors, être confirmée et la SBOT condamnée à payer à VEGOTEX la somme de 25.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

*

SUR CE LA COUR,

Attendu que selon l'article 67 de la loi du 9 juillet 1991, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ;

Attendu qu'il n'est pas contesté qu'à l'occasion d'un contrat passé entre VEGOTEX et PRITHIVI, un crédit documentaire irrévocable soumis aux Règles et Usances Uniformes de la chambre de commerce internationale, version issue de la révision de 1993, a été émis par la KREDIET, banque émettrice; que la SBOT était banque négociatrice et réalisatrice ;

Attendu que VEGOTEX n'allègue aucune faute à l'encontre de la SBOT dans la négociation ou la réalisation du crédit documentaire; que VEGOTEX se borne à souligner qu'elle aurait été victime d'une fraude de la part de son cocontractant, PRITHIVI ;

Attendu cependant que selon l'article 9 des Règles et usances Uniformes "un crédit documentaire irrévocable constitue pour la banque émettrice, pour autant que les documents stipulés soient remis à la banque désignée ou à la banque émettrice et que les conditions du crédit soient respectées, un engagement ferme, si le crédit est réalisable par négociation, de payer sans recours aux tireurs et/ou aux porteurs de bonne foi les traites tirées par le bénéficiaire et/ou le(s) document(s) présenté(s) conformément aux termes et conditions du crédit" ;

Attendu dans ces conditions que le moyen invoqué par VEGOTEX pour faire valoir qu'elle aurait une créance fondée en son principe se heurte à la règle de l'autonomie de ce crédit par rapport à l'opération commerciale de base ; que cette règle constitue le fondement même du crédit documentaire ;

Attendu dans ces conditions que la requête de VEGOTEX tendant à obtenir l'autorisation de pratiquer une saisie conservatoire manquait de fondement ; que dès lors la SBOT est bien fondée, sans qu'elle ait à justifier de circonstances nouvelles, à demander la rétractation de l'ordonnance qui y a fait droit ; qu'à cet égard la circonstance qu'une juridiction ait été saisie pour se prononcer sur la fraude éventuelle ou la bonne foi de la SBOT et indifférente ;

Attendu, surabondamment, que le simple fait que la SBOT n'ait pas d'établissement en Europe n'est pas de nature à constituer, à soi seul, des circonstances à mettre en péril le recouvrement de la créance simplement alléguée ;

Attendu que l'équité conduit à condamnation de VEGOTEX à payer à la

SBOT la somme de 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; que, compte tenu de la formulation de la demande il échet de préciser que si les frais irrépétibles engagés sont soumis à la T.V.A., les sommes allouées sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ne sont, elles pas passibles de cette taxe ; qu'elles ne sauraient, dès lors, être allouées ni "H.T." ni "T.T.C." ;

* PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

- INFIRME l'ordonnance déférée et statuant à nouveau ;

- RÉTRACTE l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de NANTERRE le 16 janvier 1997 ;

- ORDONNE la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée en

exécution de l'autorisation donnée par cette décision ;

- CONDAMNE VEGOTEX à payer à la SBOT la somme de 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

- LA CONDAMNE aux dépens ;

- ADMET la SCP JULLIEN-LECHARNY-ROL, avoués, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

ARRET REDIGE PAR MONSIEUR MARON, CONSEILLER PRONONCE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET

LE GREFFIER

LE PRESIDENT

M. Thérèse X...

F. ASS.É


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1997-7510
Date de la décision : 16/09/1999

Analyses

BANQUE - Crédit documentaire - Caractère - Caractère irrévocable - Portée

En vertu de l'article 67 de la loi 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, et de l'article 9 des " Règles et usances uniformes ", selon lequel "un crédit documentaire irrévocable constitue pour la banque émettrice, pour autant que les documents stipulés soient remis à la banque désignée ou à la banque émettrice et que les conditions du crédit soi- ent respectées, un engagement ferme (..) de payer sans recours aux tireurs et/ou aux porteurs de bonne foi les traites tirées par le bénéficiaire et/ou les documents présentés conformément aux termes et conditions du crédit ", la cir- constance qu'une partie aurait une créance fondée en son principe se heurte à la règle de l'autonomie du crédit documentaire par rapport à l'opération com- merciale de base, ladite règle constituant le fondement même du crédit docu- mentaire. Il suit de là qu'une fraude du cocontractant ne saurait fonder utilem- ent une demande tendant à obtenir l'autorisation d'une saisie conservatoire entre les mains de la banque négociatrice du crédit documentaire afférent à l'op


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-09-16;1997.7510 ?
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