Créée en 1968 par Monsieur X... pour l'exploitation d'un supermarché à MARSEILLE à l'enseigne "LECLERC", la société MARSEILLE DISTRIBUTION (ci-après société MADI) a assigné l'ASSOCIATION DES CENTRES DISTRIBUTEURS EDOUARD LECLERC (ci-après association ACD LEC) et la société LECASUD devant le tribunal de grande instance de NANTERRE, selon acte du 26 août 1997, à l'effet de les entendre condamner solidairement à lui payer :
1°
la somme de 5.000.000 francs à titre de dommages-intérêts pour la perte du panonceau "LECLERC",
2°
une somme équivalente à celle à laquelle elle sera condamnée dans l'instance pendante devant le tribunal de commerce de MARSEILLE,
3°
la somme de 3.000.000 francs représentant les ristournes dues par la société LECASUD,
4°
la somme de 50.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elle sollicitait en outre l'annulation de l'assemblée générale de la société LECASUD du 29 juin 1991.
Elle exposait à l'appui de ses prétentions que le mouvement LECLERC a été créé en 1964, sous la forme d'une association (l'ACD LEC) à laquelle adhèrent les sociétés propriétaires d'un centre LECLERC et leurs dirigeants, cette association attribuant ou retirant l'usage du panonceau "LECLERC" ; que l'adhésion à l'association ACD LEC induit obligatoirement la participation à diverses sociétés dont la SC GALEE, Centrale nationale de référencement et de négociations des fournisseurs et la SA LECASUD, coopérative d'achat regroupant les
adhérents du sud de la France ; que le 20 mars 1995, la société MADI avait été exclue du mouvement LECLERC en raison de dissension lors de la signature du pacte de préférence, cette exclusion constituant selon elle un abus de droit.
La société LECASUD ayant soulevé l'incompétence du tribunal au profit du tribunal arbitral prévu à l'article 21 de ses statuts, et Monsieur X... étant personnellement intervenu dans la cause, au vu des écritures de l'association ACD LEC qui soutenaient que la société MADI n'avait pas été exclue de l'association ACD LEC, seul Monsieur X... ayant un rapport juridique avec elle, le tribunal de grande instance de NANTERRE a, par jugement du 5 janvier 1999 :
- déclaré nulle la clause compromissoire contenue dans l'article 21 des statuts de la société LECASUD,
- en conséquence, retenu sa compétence pour connaître du litige opposant la société MADI à la société LECASUD,
- réservé les dépens.
La société LECASUD a régulièrement formé contredit à l'encontre de cette décision et demande à la Cour, en infirmant le jugement entrepris, de renvoyer la société MADI, concernant les demandes dirigées contre elle, à se pourvoir devant le tribunal arbitral prévu à l'article 21 des statuts de la société LECASUD.
La société MADI et Monsieur X..., défendeurs au contredit, concluent au rejet de celui-ci et sollicitent une somme de 20.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. 5
SUR CE,
Considérant qu'à l'appui de son contredit, la société LECASUD conclut tout d'abord à la licéité de la clause d'arbitrage prévue à l'article 21 de ses statuts, et reproche au tribunal d'avoir annulé ladite clause, ainsi libellée : "ARTICLE 21 - CONTESTATIONS "Toutes
contestations qui peuvent s'élever pendant le cours de la société ou de sa liquidation, soit entre les actionnaires et la société, soit entre les actionnaires eux-mêmes, au sujet ou à raison des affaires sociales, sont soumises à la juridiction d'un tribunal arbitral. "A cet effet, chaque partie ayant un intérêt distinct désignera un arbitre et avisera les actionnaires adversaires dans la contestation survenue, ou n'ayant pas pris parti, qu'il leur appartiendra de désigner également un arbitre. A défaut de cette désignation, il y sera suppléé par ordonnance de Monsieur le Président du tribunal du lieu du siège social, statuant sur simple requête de la partie la plus diligente. "Les arbitres ainsi nommés, après avoir entendu les parties ou les avoir vainement convoquées, arrêteront les termes du compromis d'arbitrage qui posera les questions à résoudre ; à défaut par les parties de signer ce document sous réserves ou en y joignant un dire de réserves, la partie dont la carence constituera une obstruction aux opérations d'arbitrage sera tenue à une astreinte de 5.000 francs par jour de retard dès à compter de la sommation qui lui sera faite de passer le compromis d'arbitrage. "Les arbitres statueront en qualité d'amiables compositeurs sans être tenus de suivre les règles de procédure civile ; ils statueront dans le mois de leur saisine effective ; en cas de partage, ils s'adjoindront un tiers arbitre qui se joindra à leurs délibérations. Le tiers arbitre sera désigné d'un commun accord par les arbitres, ou à défaut, par ordonnance de Monsieur le Président du tribunal de grande instance du lieu du siège social, rendue sur simple requête. "La sentence arbitrale ne sera pas sujette à voies de recours ; elle statuera sur toutes astreintes et sur les dépens."
Considérant que la société MADI et Monsieur X... concluent à la nullité de ladite clause d'arbitrage, en ce qu'elle contrevient aux dispositions d'ordre public de l'article 1453 du nouveau code de
procédure civile, énonçant que le tribunal arbitral est constitué d'un seul arbitre ou de plusieurs en nombre pair, et en ce qu'elle ne prévoit la désignation d'un tiers arbitre qu'en cas de désaccord des deux arbitres désignés par les parties et après qu'ils aient délibéré ;
Qu'à l'appui de ses prétentions, elle excipe de décisions rendues par la Cour d'appel de PARIS, qui a déclaré nulle la clause compromissoire contenant des dispositions similaires ;
Considérant toutefois que l'article 1454 du nouveau code de procédure civile énonce que lorsque les parties désignent les arbitres en nombre pair, le tribunal arbitral est complété par un arbitre choisi, soit conformément aux prévisions des parties, soit, en l'absence de telles prévisions, par les arbitres désignés, soit, à défaut d'accord entre ces derniers, par le Président du tribunal de grande instance ; Que de son côté, l'article 1459 du nouveau code de procédure civile énonce que toute disposition ou convention contraire aux règles édictées par le présent chapitre (lequel comprend les articles 1451 à 1459) est réputée non écrite ;
Que s'il résulte certes de la combinaison de ces textes que la clause litigieuse, en ce qu'elle prévoit la formation d'un tribunal arbitral formé de deux arbitres, et le recours à un troisième arbitre en cas de désaccord des intéressés, doit être réputée non écrite, et suppléée par les dispositions de l'article 1454 du nouveau code de procédure civile, pour satisfaire à la règle posée par l'article 1453 du même code, il n'en demeure pas moins que les autres dispositions dudit article 21 des statuts, et en particulier la clause compromissoire proprement dite, ne sont pas affectées par la transgression des règles d'ordre public dont il s'agit, et qu'elles n'encourent donc pas la nullité ;
Que dès lors, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a annulé la clause compromissoire contenue dans l'article 21 des statuts de la société LECASUD ;
Considérant que la société MADI et Monsieur X... arguent alors de la connexité existant entre les demandes contenues dans l'assignation (les unes concernant la perte du panonceau "LECLERC", qui est la conséquence de la rupture du contrat d'enseigne entre l'association ACD LEC et Monsieur X..., les autres concernant en définitive les comptes à faire entre la société MADI, la SC GALEE et la société LECASUD) et concluent en conséquence à la compétence du tribunal de grande instance de NANTERRE pour connaître de l'intégralité du litige, en application de l'article 101 du nouveau code de procédure civile, eu égard au risque de contrariété des décisions à advenir ;
Mais considérant que la société LECASUD, à bon droit, fait valoir que la clause compromissoire emporte incompétence de la juridiction de l'Etat - s'entend s'agissant des litiges qui relèvent du champ d'application de cette clause -, peu important que d'autres litiges soient liés au litige soumis à arbitrage ;
Qu'il y a lieu de noter surabondamment que cette règle se déduit de l'article 1458 du nouveau code de procédure civile, énonçant que lorsqu'un litige dont un tribunal est saisi en vertu d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci doit se déclarer incompétente, et ajoutant que lorsque le tribunal arbitral n'est pas encore saisi, la juridiction doit également se déclarer incompétente, à moins que la convention d'arbitrage ne soit manifestement nulle ;
Considérant qu'il y a lieu dans ces conditions de dire le tribunal de grande instance incompétent s'agissant des demandes dirigées contre la société LECASUD et, en application de l'article 96 du nouveau code de procédure civile, de renvoyer les parties à cet égard à mieux se
pourvoir ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
REOEOIT la société LECASUD en son contredit ;
INFIRMANT le jugement déféré en ses dispositions contraires, déclare valable la clause compromissoire prévue à l'article 21 des statuts de la société LECASUD ;
DECLARE le tribunal de grande instance de NANTERRE incompétent, s'agissant des demandes dirigées contre la société LECASUD ;
A CET EGARD, RENVOIE les parties à mieux se pourvoir ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
CONDAMNE la société MARSEILLE DISTRIBUTION (société MADI) et Monsieur X... aux dépens du présent contredit.
ARRET REDIGE PAR :
Monsieur Gérard MARTIN, Conseiller,
ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :
Le Greffier,
Le Président,
Catherine CONNAN
Colette GABET-SABATIER