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27/05/1999 | FRANCE | N°1999-2720

France | France, Cour d'appel de Versailles, 27 mai 1999, 1999-2720


FAITS ET PROCEDURE

Dans le numéro 440 en date des 15/21 avril 1996 de l'hebdomadaire "VOICI", édité par la société PRISMA PRESSE et dont le directeur de la publication est Monsieur Axel X..., un article illustré de plusieurs photographies a été publié, annoncé en première page de couverture sous le titre "PPDA VICTIME DE L'ENTARTEUR. ET VOUS TROUVEZ OEA DROLE ä"

Monsieur Patrick POIVRE Y..., par acte d'huissier en date du 17 juin 1996, a fait assigner la société PRISMA PRESSE et Monsieur X... en rappelant que le 3 avril 1996, alors qu'il faisait son footing à NEU

ILLY SUR SEINE, à proximité de son domicile, il a été victime des agisseme...

FAITS ET PROCEDURE

Dans le numéro 440 en date des 15/21 avril 1996 de l'hebdomadaire "VOICI", édité par la société PRISMA PRESSE et dont le directeur de la publication est Monsieur Axel X..., un article illustré de plusieurs photographies a été publié, annoncé en première page de couverture sous le titre "PPDA VICTIME DE L'ENTARTEUR. ET VOUS TROUVEZ OEA DROLE ä"

Monsieur Patrick POIVRE Y..., par acte d'huissier en date du 17 juin 1996, a fait assigner la société PRISMA PRESSE et Monsieur X... en rappelant que le 3 avril 1996, alors qu'il faisait son footing à NEUILLY SUR SEINE, à proximité de son domicile, il a été victime des agissements de celui que les médias désignent sous le nom de "l'entarteur", lequel, avec l'aide de complices, a jeté sur lui des tartes à la crème, alors que la scène était filmée par un certain nombre de photographes professionnels se trouvant sur place. Il reproche à la société PRISMA PRESSE d'avoir publié sans son autorisation des photographies prises à son insu et dont la réalisation démontre le véritable espionnage et l'embuscade dont il a fait l'objet. Il a encore soutenu que la publication des photographies constituait l'infraction prévue à l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 et que le texte de l'article contient des propos désobligeants et méchants à son égard, l'auteur prenant visiblement parti pour son agresseur.

Par le jugement déféré en date du 12 février 1997, le tribunal de grande instance de NANTERRE a :

- dit que l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 ne saurait recevoir application dès lors que rien n'établissait que les faits en cause soient susceptibles d'être qualifiés de délit et que Monsieur Patrick POIVRE Y... lui-même n'avait pas estimé utile d'exercer

des poursuites pénales contre leur auteur,

- dit que les clichés reproduits constituaient une atteinte certaine à l'image,

- retenu que les commentaires, titres et légendes qui accompagnent les clichés sont ouvertement moqueurs et malveillants à l'égard de Monsieur Patrick POIVRE Y..., leur auteur manifestant visiblement plus de complaisance envers l'entarteur que de compassion pour sa victime et dit que l'atteinte aux droits de la personnalité était constituée,

- alloué à Monsieur Patrick POIVRE Y..., en réparation de son préjudice, la somme de 200.000 francs et la somme de 10.000 francs au titre des frais irrépétibles,

- ordonné la publication de la décision.

Appelante de cette décision, la société PRISMA PRESSE, pour conclure à l'infirmation totale du jugement et au rejet de toutes les demandes de Monsieur Patrick POIVRE Y..., développe les moyens et arguments suivants :

- on ne saurait reprocher à un article de presse de rendre compte d'une information réelle qui, si elle peut paraître dérisoire et contestable, n'en est pas pour autant fautive,

- les photographies qui illustrent ce fait divers peuvent dès lors être publiées sans qu'il soit au préalable besoin de recueillir l'accord de la personne concernée, et ce d'autant plus que l'événement s'est déroulé en pleine rue,

- l'appréciation du tribunal selon laquelle l'envoi de tartes à la crème "n'est pas de nature, lorsqu'il se produit aux dépens d'un individu célèbre ou non, à légitimer une large couverture médiatique et l'exposition publique des images auxquelles il a pu donner lieu", est purement subjective et particulièrement contestable dès lors que la plus ou moins grande valeur d'une information échappe par nature à

l'appréciation du juge,

- cette information a été jugée légitime par d'autres organes de presse qui en ont rendu compte sans être inquiétés,

- le tribunal a encore retenu à tort le fait que le journal "VOICI" "a de fait favorisé le succès de l'opération montée contre Patrick POIVRE Y... en acceptant d'en publier très largement et complaisamment la relation photographique" alors que le succès de l'opération "d'entartage" n'est pas dû à la société PRISMA PRESSE qui n'a jamais été désignée comme étant le commanditaire de l'opération, - le tribunal a retenu une atteinte aux droits de la personnalité, notion imprécise et vague ne pouvant constituer en matière de presse une source de responsabilité spécifique, le tribunal, en outre, soulignant que cette atteinte est distincte de l'atteinte au droit à l'image, pour ensuite revenir une nouvelle fois sur les clichés litigieux,

- pareille atteinte n'a pas été invoquée dans les conclusions du demandeur,

- la réparation accordée n'est pas justifiée et le journal ne saurait réparer le préjudice résultant de l'acte dont il s'est contenté de rendre compte.

La société PRISMA PRESSE demande la somme de 10.000 francs au titre des frais irrépétibles.

Monsieur Patrick POIVRE Y... conclut à la confirmation du jugement, sauf en ce qui concerne la réparation accordée au titre de laquelle il demande la somme de 600.000 francs, outre celle de 25.000 francs au titre des frais irrépétibles.

Il développe pour l'essentiel, l'argumentation qui suit :

- son droit à l'image, comme celui de toute personne, est absolu et il a été manifestement violé en l'espèce, tous les clichés ayant été

pris à son insu et à l'issue d'une embuscade préparée et annoncée,

- la représentation des photographies ne répond nullement à une nécessité d'information et le tribunal s'est, à juste titre, interrogé sur le but légitime de l'information,

- l'article incriminé ne constitue pas un reportage d'actualité et l'agression en cause ne constituait pas un "fait divers" qui méritait l'attention du public,

- il est évident que les photographes accompagnaient l'agresseur et la société PRISMA PRESSE ne saurait prétendre que l'intervention de Noùl GODIN dit "l'entarteur" ait été indépendante de sa relation dans "VOICI",

- le tribunal a retenu justement l'atteinte distincte aux droits de la personnalité dès lors que le contenu des clichés montrent le concluant dans une attitude humiliante et que l'article contient des propos désobligeants et délibérément méchants,

- l'attitude de la société lui a nui gravement tant personnellement que dans son environnement familial, sa fillette alors présente dans la rue ayant vu les agresseurs de son père.

DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION

Considérant que l'article incriminé est annoncé en première page de la revue "VOICI" avec deux clichés photographiques pris lors de l'événement ; que l'article est essentiellement le commentaire de plusieurs photographies retraçant l'incident dont a été victime Monsieur Patrick POIVRE Y... accompagnés de commentaires et propos de "l'entarteur" ;

Considérant que le tribunal a retenu à bon droit que l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 ne pouvait recevoir application en l'espèce, les faits n'ayant donné lieu à aucune poursuite pénale ;

Considérant que s'il ne peut être retenu que la société PRISMA PRESSE a été le commandite de l'action "d'entartage" et si ce fait, survenu

sur la voie publique, pouvait être relaté dans la presse, le tribunal a retenu à bon droit que l'atteinte au droit à l'image était constituée ; qu'en effet, l'article reproduit plusieurs clichés de Monsieur Patrick POIVRE Y... lors de la survenance de l'incident et constituant le reportage de celui-ci, montrant Monsieur Patrick POIVRE Y... "entarté" et essayant de fuir ses agresseurs, alors qu'aucune autorisation n'a été donnée pour la publication de pareilles photographies par Monsieur Patrick POIVRE Y... et que leur reproduction, dans des dimensions importantes, et pour servir de support à des commentaires dépassant la simple relation des faits, ne saurait être rendue nécessaire ni légitime par un but d'information ; Considérant par contre que le tribunal a retenu à tort des faits distincts d'atteinte aux droits de la personnalité en se bornant à fonder cette atteinte sur la reproduction des clichés photographiques montrant l'intimé dans des attitudes particulièrement humiliantes et désobligeantes, accompagnées de titres et légendes visiblement malveillantes pour Monsieur Patrick POIVRE Y... ;

Considérant que si la société PRISMA PRESSE pouvait donner l'information selon laquelle Monsieur Patrick POIVRE Y... avait été, sur la voie publique, victime des agissements de l'entarteur, elle s'est rendue coupable d'atteinte sérieuse à l'image de ce dernier en reproduisant les clichés litigieux sans l'accord de Monsieur Patrick POIVRE Y... ;

Considérant que sur ce strict fondement, le préjudice de Monsieur Patrick POIVRE Y... est justement réparé par l'allocation de la somme de 100.000 francs de dommages-intérêts, outre la publication ordonnée par les premiers juges, qu'il convient de confirmer ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimé les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ; que la

somme de 10.000 francs doit lui être allouée ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

RECOIT la société PRISMA PRESSE en son appel principal et Monsieur Patrick POIVRE Y... en son appel incident ;

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a retenu que la société PRISMA PRESSE s'était rendue coupable d'atteintes au droit à l'image de Monsieur Patrick POIVRE Y... dans le numéro 440 du journal "VOICI" en date des 15-21 avril 1996 ;

L'INFIRME en ce qu'il a retenu une atteinte aux droits de la personnalité distincte de l'atteinte au droit à l'image ;

L'EMENDANT sur la réparation ;

CONDAMNE la société PRISMA PRESSE à payer à Monsieur Patrick POIVRE Y... la somme de CENT MILLE FRANCS (100.000 francs) à titre de dommages-intérêts ;

CONFIRME la mesure de publication ordonnée par le jugement déféré et les dispositions relatives aux frais irrépétibles ;

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la société PRISMA PRESSE à payer à Monsieur Patrick POIVRE Y... la somme de DIX MILLE FRANCS (10.000 francs) au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

LA CONDAMNE aux dépens et dit que la SCP LISSARRAGUE DUPUIS etamp; ASSOCIES pourra recouvrer directement contre elle les frais exposés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

ARRET REDIGE PAR :

Madame Lysiane LIAUZUN, Conseiller,

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Le Greffier qui

Le Président,

a assisté au prononcé,

Catherine CONNAN

Colette GABET-SABATIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1999-2720
Date de la décision : 27/05/1999

Analyses

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE - Respect de la vie privée - Droit à l'image - Atteinte - Photographies - Publication

Une action d'" entartage " sur la voie publique, dont il n'a pas été retenu qu'elle ait été commanditée par une société de presse, peut être relatée dans la presse.En revanche, lorsqu'un article de presse reproduit, comme dans un reportage, plusieurs clichés de l'action montrant une célébrité du petit écran " entartée " et essayant de fuir ses agresseurs, alors que la victime n'a pas autorisé la publication de pareilles photographies et qu'enfin un but d'information ne rend ni nécessaire, ni légitime la reproduction desdites photos dans des dimensions importantes pour servir de supports à des commentaires dépassant la simple relation des faits, l'atteinte au droit à l'image est constituée, sans que puissent être retenus des faits distincts d'atteinte aux droits de la personnalité


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-05-27;1999.2720 ?
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