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27/05/1999 | FRANCE | N°1997-4700

France | France, Cour d'appel de Versailles, 27 mai 1999, 1997-4700


FAITS ET PROCEDURE

La SOCIETE DE DISTRIBUTION ET DE PRODUITS DE LOISIRS (société SDPL), devenue société EXTRAPOLE, puis société HACHETTE DISTRIBUTION SERVICES FRANCE, est une société holding qui détient la totalité des actions de cinq sociétés exploitant des surfaces de distribution spécialisées dans les produits culturels, à l'enseigne "EXTRAPOLE".

La première des surfaces de vente a été ouverte en septembre 1993 à THIAIS (Val de Marne). Dans le cadre de ce premier magasin la société SDPL a élaboré un nouveau concept économique dénommé "IMAGINE", fond

é sur la connaissance du marché de la distribution de produits culturels et destiné à...

FAITS ET PROCEDURE

La SOCIETE DE DISTRIBUTION ET DE PRODUITS DE LOISIRS (société SDPL), devenue société EXTRAPOLE, puis société HACHETTE DISTRIBUTION SERVICES FRANCE, est une société holding qui détient la totalité des actions de cinq sociétés exploitant des surfaces de distribution spécialisées dans les produits culturels, à l'enseigne "EXTRAPOLE".

La première des surfaces de vente a été ouverte en septembre 1993 à THIAIS (Val de Marne). Dans le cadre de ce premier magasin la société SDPL a élaboré un nouveau concept économique dénommé "IMAGINE", fondé sur la connaissance du marché de la distribution de produits culturels et destiné à fournir le cadre de nouvelles surfaces de vente de CD, livres, logiciels, vidéos, papeterie ...

Afin de réaliser ce projet, une consultation a été ouverte et la société ATELIER JEAN-LUC X... a été désignée comme architecte pour réaliser le magasin de THIAIS. Monsieur X... a été désigné en qualité de maître d'oeuvre et il fit intervenir le bureau d'études AGETEC CONSULTANTS, lequel devait intervenir en qualité de maître d'ouvrage délégué et en qualité d'assistant du maître d'oeuvre au titre d'une "CONVENTION D'ETUDES ET DE REALISATION", à laquelle la société SDPL était étrangère et qui liait la société AGETEC CONSULTANTS et la société ATELIER JEAN-LUC X....

Un contrat est intervenu entre la société SDPL et la société AGETEC CONSULTANTS le 23 avril 1993, confiant à cette dernière la qualité de maîtrise d'ouvrage délégué.

Postérieurement à la signature du contrat de maîtrise d'ouvrage délégué, la société SDPL a signé deux autres contrats avec la société ATELIER JEAN-LUC X... :

o

le 24 juin 1993, un contrat de cahier des clauses particulières de contrat d'architecte d'intérieur, lequel contrat fait expressément

référence à Monsieur Y..., ingénieur et représentant légal de la société AGETEC CONSULTANTS en indiquant que la société ATELIER JEAN-LUC X... "propose au maître de l'ouvrage, qui l'accepte, la désignation de Monsieur Y..., ingénieur, pour son remplacement en cas d'indisponibilité",

o

le 25 juin 1993, un contrat de mission d'architecte d'intérieur prévoyant notamment que "l'architecte d'intérieur conserve l'entière propriété intellectuelle et artistique de ses plans, études, avants-projets, ainsi que l'exclusivité de ses droits de reproduction et de représentation."

Le contrat du 23 avril 1993 prévoyait une clause d'arbitrage ainsi rédigée aux termes de l'article 15 : "Le maître de l'ouvrage et AGETEC s'engagent à régler à l'amiable les difficultés auxquelles pourrait donner lieu l'exécution du présent contrat. "Au cas où cet accord ne pourrait se faire, il est convenu que les parties auront recours à un arbitrage, chaque partie désignant son arbitre, et à défaut, par ordonnance sur requête de Monsieur le Président du tribunal de commerce des Hauts-de-Seine. "Les arbitres en désigneront un troisième, à défaut par ordonnance sur requête de la partie la plus diligente par Monsieur le Président du tribunal de commerce des Hauts-de-Seine. "Le collège arbitral statuera sans avoir à suivre les règles de la procédure en droit, par une sentence motivée rendue à la majorité des voix dans les trois mois de la première réunion. "L'application du présent article n'est pas subordonnée à la durée effective du contrat."

Le premier magasin de THIAIS a été livré le 3 septembre 1993.

Depuis lors d'autres magasins, sous enseigne "EXTRAPOLE", ont été mis en chantier : à LA DEFENSE, à PARIS NORD, MONTMARTRE et IVRY.

Pour la réalisation de ces magasins, la mission de maîtrise d'oeuvre

générale a été confiée à nouveau à la société ATELIER JEAN-LUC X... agissant cette fois en son nom propre, tandis qu'il n'était plus fait appel à la société AGETEC CONSULTANTS.

La société ATELIER JEAN-LUC X... a été mise en liquidation judiciaire par jugement en date du 19 janvier 1995.

La société AGETEC CONSULTANTS, estimant que ces magasins avaient été réalisés en utilisant son savoir-faire alors qu'elle avait été exclue depuis l'achèvement du premier magasin, a sollicité de la société SDPL le paiement d'une somme de 64.088 francs correspondant à la quote-part due par la société SDPL dans le cadre du contrat d'assurance couvrant la réalisation du magasin de THIAIS, puis a sollicité la somme de vingt-quatre millions de francs à valoir sur la réalisation des magasins en cours de construction et de ceux en projet, la société SDPL envisageant d'ouvrir une vingtaine de magasins sur le même principe et selon la même conception.

Face au refus opposé par la société SDPL, la société AGETEC CONSULTANTS a décidé de recourir à l'arbitrage.

Le tribunal arbitral fut composé par le Président du tribunal de commerce, faute pour la société SDPL d'avoir procédé à la désignation d'un arbitre comme le prévoyait la convention.

Devant cette juridiction, la société AGETEC CONSULTANTS a fait valoir d'une part "le plagiat" de son oeuvre et d'autre part le fait qu'elle aurait dû participer à la réalisation des magasins alors en chantier, comme à ceux encore en projet. A ce titre, elle a sollicité la somme de vingt-quatre millions de francs au titre des honoraires dont elle a été illégitimement privée.

Le tribunal arbitral a rendu sa sentence le 9 avril 1997.

La sentence rappelle les demandes formées par la société AGETEC CONSULTANTS :

o

1.320.000 francs représentant le montant des honoraires dus au titre du magasin de THIAIS,

o

64.088 francs au titre de la quote-part d'assurance incombant à la société SDPL dans le cadre du chantier de THIAIS,

o

24.000.000 francs représentant les honoraires conventionnels de vingt magasins,

o

les frais irrépétibles, o

la restitution des plans, dessins et réalisations.

Devant le tribunal arbitral, la société SDPL a reconventionnellement demandé la somme de 3.503.088 francs à titre de dommages-intérêts, la somme de 200.000 francs pour procédure abusive et pareille somme au titre des frais irrépétibles.

Le tribunal arbitral a :

- rejeté toutes demandes de sursis à statuer,

- débouté la société AGETEC CONSULTANTS de sa demande en paiement d'honoraires,

- condamné la société SDPL au paiement de sa quote-part d'assurance, soit la somme de 64.088 francs,

- débouté la société AGETEC CONSULTANTS de sa demande en paiement de la somme de vingt-quatre millions de francs,

- dit n'y avoir lieu à restitution des plans et dessins qui pourraient être détenus par la société SDPL,

- rejeté les demandes reconventionnelles de la société SDPL,

- dit fondée la demande formée par la société AGETEC CONSULTANTS au titre du plagiat et alloué à cette société la somme de 3.700.000 francs à titre de dommages-intérêts,

- fixé les honoraires d'arbitrage à la somme de 390.000 francs HT,

lesquels seront supportés pour un tiers par la société AGETEC CONSULTANTS et pour deux tiers par la société SDPL.

Appelante de cette décision, la société HACHETTE DISTRIBUTION SERVICES FRANCE venant aux droits de la société SDPL demande à la Cour :

- l'annulation de la sentence arbitrale pour violation du principe du contradictoire, les arbitres s'étant rendus dans ses magasins sans convoquer au préalable les parties et leurs conseils et en leur absence et ayant en outre remis leurs conclusions le 18 février 1997, jour des débats,

- l'incompétence de la juridiction arbitrale qui ne pouvait connaître que des "difficultés auxquelles pourrait donner lieu l'exécution du présent contrat" (celui du 23 avril 1993),

- subsidiairement, l'infirmation de la sentence arbitrale en ce qu'elle a retenu que la société SDPL s'était rendue coupable d'un "plagiat" et l'a condamnée à payer la somme de 3.700.000 francs à titre de dommages-intérêts, alors qu'il n'existe en l'espèce aucun droit de propriété intellectuelle,

- le rejet de toute demande formée au titre de l'assurance décennale dans la mesure où la société AGETEC CONSULTANTS, par geste commercial, avait accepté de prendre en charge la part incombant à la société SDPL.

Reprenant ses demandes reconventionnelles, la société HACHETTE DISTRIBUTION SERVICES FRANCE prie la Cour de l'indemniser à hauteur de 3.503.088 francs du préjudice subi par elle à raison d'une mauvaise exécution du contrat concernant le chantier de THIAIS, la société AGETEC CONSULTANTS ayant manqué à son obligation de conseil en laissant réaliser un chantier au coût de 5.129 francs le mètre carré, alors que pour réaliser les autres magasins les coûts au mètre carré ont pu être limités à 3.550 francs en moyenne.

Elle demande encore :

o

la somme de 200.000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

o

la somme de 250.000 francs au titre des frais irrépétibles,

o

la somme de 195.000 francs HT représentant les frais et honoraires d'arbitrage.

En réplique, la société AGETEC CONSULTANTS demande à la Cour de rejeter toute demande d'annulation de la sentence et de dire le tribunal arbitral parfaitement compétent. Elle demande encore la confirmation de la sentence en ce qu'elle a condamné la société SDPL à payer sa quote-part de la prime assurance décennale et en ce qu'elle a retenu l'existence d'un plagiat.

En réparation du préjudice subi, aux termes de son appel incident, elle sollicite la somme de 9.000.000 francs pour "plagiat de la propriété intellectuelle."

Elle conclut enfin au rejet de toutes les demandes de la société SDPL et sollicite la somme de 50.000 francs au titre des frais irrépétibles.

DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION SUR LA COMPETENCE DU TRIBUNAL ARBITRAL

Considérant que l'appelante fait valoir qu'elle a contesté la compétence de la juridiction arbitrale et qu'elle maintient cette contestation dès lors que l'article 15 du contrat liant les parties ne prévoit la compétence arbitrale que pour "les difficultés auxquelles pourrait donner lieu l'exécution du présent contrat", alors que ledit contrat ne confiait à la société AGETEC CONSULTANTS qu'une mission de réalisation des travaux et non une mission de

conception, mission invoquée à tort par la société AGETEC CONSULTANTS pour fonder ses demandes ;

Considérant que la société AGETEC CONSULTANTS fait valoir que ses demandes découlent et dérivent du contrat du 23 avril 1993 et que le tribunal arbitral était parfaitement compétent, ce qu'en tout état de cause, l'appelante n'a pas contesté en première instance ;

Considérant que contrairement à ses affirmations, l'appelante n'a pas soulevé expressément l'incompétence de la juridiction arbitrale devant cette dernière ; que la sentence fait un rappel précis des différents incidents et demandes, et ne contient nulle mention, ni discussion relative à la compétence, exception qui, conformément aux dispositions de l'article 74 du nouveau code de procédure civile, doivent être soulevées avant toute défense au fond ;

Considérant, en outre, qu'il n'est pas contestable que la demande relative au paiement de la quote-part de l'assurance décennale résulte bien directement de l'exécution du contrat tout comme la demande reconventionnelle formée par l'appelante au titre d'un prétendu solde d'honoraires et celle pareillement formée par elle tendant à l'allocation de dommages-intérêts pour non-respect du contrat ; qu'enfin, la demande principale de la société AGETEC CONSULTANTS concernant l'usage fait de ses prestations initiales, dans le cadre de la réalisation d'autres magasins, résultent de la portée et du contenu qu'il convient de donner au contrat initial et en constitue la suite et la conséquence éventuelle ;

Considérant que pour l'ensemble de ces motifs, l'exception d'incompétence ne saurait présentement prospérer ; SUR LA DEMANDE D'ANNULATION DE LA SENTENCE POUR NON-RESPECT DU PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE

Considérant que selon la société HACHETTE DISTRIBUTION SERVICES FRANCE les arbitres n'ont pas respecté le principe du contradictoire

auquel cependant ils étaient tenus en vertu des dispositions de l'article 1460 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile ; que pour consacrer un prétendu "plagiat", les arbitres ont retenu l'unité existant entre les quatre magasins ouverts sous l'enseigne "EXTRAPOLE", alors qu'ils n'ont pu fonder ainsi leur décision qu'à la suite d'une visite des différents magasins, pratiquée le 24 janvier 1997, sans convocation, ni avis préalables des parties ;

Que si un procès-verbal de cette visite très succinct a été établi en date du 17 février 1997, il n'a été remis aux parties que le 18 février, date des débats devant la juridiction arbitrale ;

Qu'enfin, la décision est clairement fondée sur les constatations faites lors de cette visite, contrairement à ce qu'affirme l'intimée, contre la lettre même de la sentence ;

En réplique, la société AGETEC CONSULTANTS fait valoir que l'arbitre a la liberté de fixer le régime de l'instruction du litige et ce conformément aux dispositions de l'article 1460 alinéa 1er du nouveau code de procédure civile et que par application de l'article 10 du même code, il peut organiser toute mesure d'instruction ;

Qu'en l'espèce, la présence des parties lors de la visite des magasins n'était pas indispensable dès lors que celles-ci ont eu les conclusions et le rapport des arbitres et ont pu les contester éventuellement ; qu'enfin, les juges n'ont pas fondé leur décision sur les résultats de leurs investigations, que l'appelante n'a jamais contesté les éléments retenus par le tribunal arbitral et notamment le procès-verbal de visite sur les lieux, aucune demande de renvoi n'ayant été faite lors de la remise du rapport de visite et l'appelante n'invoquant, ni ne démontrant un quelconque préjudice ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1460 du nouveau code de procédure civile : "les principes directeurs du procès énoncés aux articles 4 à 10, 11 (alinéa 1) et 13 à 21 sont toujours applicables à

l'instance arbitrale" ; que le principe du contradictoire énoncé à l'article 16 s'impose en conséquence ; que si l'article 10 du code précité autorise le juge à ordonner "d'office toutes les mesures d'instruction légalement admissibles", cette liberté doit s'exercer dans le cadre du respect du principe du contradictoire qui s'impose au juge "en toutes circonstances" ; qu'il est de droit constant que le juge ne peut fonder sa décision sur des faits dont il a eu connaissance par des investigations personnelles sans les soumettre au débat des parties et qu'il ne peut procéder à des constatations par transport sur les lieux, sans débat contradictoire, après exécution de cette mesure ;

Considérant qu'il est constant que deux des arbitres se sont rendus dans divers magasins de la société appelante le 24 janvier 1997, sans convocation ni avis donnés aux parties ; qu'ils ont dressé un bref constat de leurs diligences et observations le 17 février 1997, lequel a été remis aux parties le 18 février 1997 à l'issue des débats devant la juridiction arbitrale ;

Considérant que la sentence arbitrale se fonde expressément sur "la visite qui a été conduite au cours de l'arbitrage" qui "confirme que le projet "IMAGINE" a été reproduit selon la même économie dans trois autres magasins aujourd'hui achevés" ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la mesure d'instruction n'a pas eu lieu contradictoirement, que les constatations consignées par les arbitres n'ont été remises aux parties qu'à l'issue de l'audience sans qu'un débat contradictoire ait pu avoir lieu, ni qu'aucune demande de renvoi ne soit plus possible ; que les arbitres ont méconnu le principe fondamental du contradictoire et que la sentence déférée doit, en conséquence, être annulée ;

Considérant que les parties, dans l'hypothèse d'une annulation,

demandent expressément à la Cour de statuer au fond ; SUR LE FOND

Considérant que présentement la Cour est saisie des demandes suivantes : par la société AGETEC CONSULTANTS :

o

paiement de la quote-part d'assurance pour 64.088 francs,

o

paiement de la somme de neuf millions de francs pour plagiat,

o

paiement de la somme de 50.000 francs au titre des frais irrépétibles, par la société HACHETTE DISTRIBUTION SERVICES FRANCE :

o

paiement de la somme de 3.503.088 francs à titre de dommages-intérêts pour réparation du préjudice subi,

o

paiement de la somme de 200.000 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

o

paiement de la somme de 250.000 francs au titre des frais irrépétibles,

o

remboursement des honoraires d'arbitrage à concurrence de 195.000 francs ; 1°/ SUR LA DEMANDE RELATIVE AU PAIEMENT DE LA PRIME D'ASSURANCE DECENNALE

Considérant que le contrat de maîtrise d'ouvrage délégué du 23 avril 1993, liant les parties, organise la souscription d'assurances et prévoit expressément que "le montant des primes sera pris en charge comme suit : "1/3 par le maître de l'ouvrage, "2/3 par le maître de l'ouvrage délégué et les entrepreneurs intervenants sous sa direction " ;

Considérant que la souscription du contrat pas plus que le montant des primes réglées ne font l'objet de discussion ; que la société appelante refuse de régler la quote-part à laquelle elle est contractuellement tenue en faisant valoir que par geste commercial, la société AGETEC CONSULTANTS a accepté de supporter l'intégralité des primes alors que cette dernière rappelle qu'elle a établi une facture, certes deux années après les faits, mais accompagnée d'un courrier selon lequel elle rappelait qu'elle aurait pu faire un geste commercial en un temps, mais que compte-tenu des événements postérieurs, elle s'y refusait ;

Considérant que l'engagement contractuel de la société appelante, sur ce point, est clair, précis et non contesté ; qu'il lui appartient de prouver contre ledit écrit conformément aux dispositions de l'article 1341 du code civil, en produisant un autre écrit, des termes duquel il ressortirait que la société AGETEC CONSULTANTS a, modifiant les engagements initiaux, décidé de prendre en charge le paiement de l'intégralité des primes ; que pareille preuve n'est pas rapportée et que la société appelante doit être condamnée au paiement de la quote-part des primes lui incombant, soit la somme de 64.088 francs ; 2°/ SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES-INTERETS FORMEE PAR LA SOCIETE HACHETTE DISTRIBUTION SERVICES FRANCE A HAUTEUR DE 3.503.088 FRANCS

Considérant que l'appelante rappelle que le coût du magasin réalisé à THIAIS avec le concours de l'intimée a été exorbitant, puisque s'élevant à 5.129 francs le mètre carré, alors que le coût moyen de la réalisation des autres magasins a été de 3.550 francs le mètre carré, soit une différence de 1.579 francs de laquelle l'appelante accepte de déduire 10 % au titre de "l'expérience du premier magasin et à la meilleure maîtrise du concept" ; qu'elle considère donc être en droit de réclamer à la société AGETEC CONSULTANTS la somme de 1.431 francs par mètre carré, soit pour le magasin de THIAIS de 2.448

mètres carrés une somme de 3.503.088 francs ;

Considérant qu'en réplique la société AGETEC CONSULTANTS rappelle que le cahier des charges prévoyait un coût de 5.000 francs le mètre carré hors honoraires et hors informatique et que seul cet élément doit être pris en considération ;

Considérant que le cahier des charges s'impose indiscutablement à la société appelante qui a expressément fixé, et accepté, un prix hors frais de 5.000 francs le mètre carré ; que la rémunération de la société AGETEC CONSULTANTS a été fixée à un "montant global et forfaitaire de 12.000.000 francs" ; que dès lors, sa demande de dommages-intérêts est radicalement dénuée de fondement, alors au surplus que le moindre coût obtenu pour la construction des autres magasins, résulte notamment de l'absence de prestations réglées à la société AGETEC CONSULTANTS, laquelle était partie prenante de la réalisation du magasin de THIAIS ;

Que ce chef de demande doit être écarté ; 3°/ SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT FORMEE PAR LA SOCIETE AGETEC CONSULTANTS A HAUTEUR DE NEUF MILLIONS DE FRANCS AU TITRE DU PLAGIAT

Considérant que la société AGETEC CONSULTANTS fait valoir que son rôle, dans la construction du magasin de THIAIS, a dépassé la seule notion de réalisation des travaux et qu'elle est intervenue au niveau de la conception, notamment par l'élaboration, en concours avec la société ATELIER JEAN-LUC X..., des plans et notices techniques ; qu'elle a la qualité de co-auteur des plans et concepts mis en place et peut prétendre bénéficier des dispositions de l'article L.113-3 du code de la propriété intellectuelle, relatives à l'oeuvre de collaboration ;

Considérant qu'elle fait encore valoir que l'ingénieur-conseil, comme l'architecte, a droit à la protection de ses oeuvres, notamment réalisées en collaboration, et peut prétendre bénéficier des

dispositions de la loi du 11 mars 1957 alors qu'il est certain et établi que les autres magasins construits après le magasin de THIAIS l'ont été selon les mêmes méthodes et concepts que celui-ci ;

Considérant que pour justifier la somme demandée, la société AGETEC CONSULTANTS rappelle que les honoraires fixés pour le magasin de THIAIS étaient de 1.200.000 francs à partager entre la société ATELIER JEAN-LUC X... et elle-même, que cinq magasins ont été réalisés à ce jour et que l'appelante envisageait l'ouverture d'un total de vingt magasins ;

Considérant que la société HACHETTE DISTRIBUTION SERVICES FRANCE fait en réplique valoir que la société AGETEC CONSULTANTS ne saurait invoquer un quelconque droit de propriété intellectuelle, dès lors que dans le contrat de maîtrise d'ouvrage délégué du 23 avril 1993 elle n'a reçu mission que de "réaliser l'ensemble des travaux à prix et délais garantis", qu'une telle mission est purement de réalisation et non de conception ; qu'en outre, dans le cadre du contrat passé entre la société AGETEC CONSULTANTS et la société ATELIER JEAN-LUC X..., la société AGETEC CONSULTANTS n'a reçu le soin de réaliser qu'"une partie des études et du contrôle des travaux" ; qu'enfin, seul le maître-d'oeuvre et architecte détient des droits de propriété littéraire et artistique ;

Considérant que selon l'appelante les articles L.421-1 et 811-1 du code de la propriété intellectuelle ne sauraient recevoir application alors qu'ils ont été vainement retenus par les arbitres ;

Considérant que la société HACHETTE DISTRIBUTION SERVICES FRANCE fait encore valoir que la société AGETEC CONSULTANTS est irrecevable à invoquer une prétendue oeuvre de collaboration dans la mesure où elle n'a pas mis en cause la société ATELIER JEAN-LUC X..., laquelle en liquidation judiciaire est représentée par son liquidateur, Maître RIFFIER ;

Qu'elle rappelle encore qu'une personne morale ne peut revendiquer des droits d'auteur que si elle est investie desdits droits, ab initio, au titre d'une oeuvre collective, par application de l'article L.113-5 du code de la propriété intellectuelle, soit qu'elle est titulaire d'un droit résultant d'une cession faite par le créateur ou ses ayants droit ;

Considérant enfin que la société appelante retient que la société AGETEC CONSULTANTS n'a fait preuve d'aucune activité créatrice et n'a fait que choisir et retenir des solutions techniques, lesquelles échappent totalement à la protection reconnue aux oeuvres littéraires et artistiques ;

Considérant que le contrat de maîtrise d'ouvrage délégué du 23 avril 1993, qui fait la loi des parties, prévoit sous le titre "OBJET DU CONTRAT" : "La mission de maîtrise d'oeuvre générale a été confiée à l'ATELIER JL X... SA ... qui a sous-traité une partie des études et du contrôle des travaux au bureau d'études AGETEC CONSULTANTS. Par le présent contrat, le maître d'ouvrage confie à AGETEC CONSULTANTS la mission de réaliser l'ensemble des travaux à prix et délais garantis" ... "AGETEC CONSULTANTS sera seul habilité, en collaboration avec l'ATELIER JL X..., à donner des instructions aux entreprises réalisant les travaux sur le site" ;

Que l'article 2 sous le titre " PIECES CONTRACTUELLES" stipule que :

"Les travaux seront exécutés conformément aux stipulations du présent document et aux pièces contractuelles suivantes : "- le devis descriptif, "- les plans établis par l'ATELIER JL X... et le bureau d'études AGETEC CONSULTANTS, "- le planning des travaux, "- les documents confiés par le maître de l'ouvrage et notamment le cahier des charges de la société bailleresse" ;

Considérant que le contrat sous le titre "PROGRAMME DE REALISATION" donne une liste précise des travaux confiés à la société AGETEC

CONSULTANTS tels que "création d'une mezzanine, installation d'un monte-charge, installation des bureaux et sanitaires, les centrales et le réseau de climatisation, les installations de plomberie, les installations électriques, le réseau de sprinkers, l'aménagement complet du magasin de vente compris l'installation du mobilier et les installations de sécurité" et "d'une manière générale, l'ensemble des travaux et équipements divers, tel que défini sur les plans et devis descriptif et permettant d'assurer l'exécution complète du programme suivant les règles de l'art, les normes et le DTU en vigueur au moment de l'offre" ;

Considérant qu'aux termes de l'article L.112-2 du code de la propriété intellectuelle : "Sont considérées notamment comme oeuvres de l'esprit au sens du présent code : ... 7°- les oeuvres de dessin, de peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie, 8°- les oeuvres graphiques et typographiques, ... 12°- les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture ou aux sciences ..." ;

Considérant qu'aux termes de l'article L.113-2 du code précité, dont l'application est revendiquée par la société AGETEC CONSULTANTS, "est dite oeuvre de collaboration, l'oeuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques" ;

Considérant enfin qu'il est de droit constant que "le co-auteur d'une oeuvre de collaboration qui prend l'initiative d'agir en justice pour la défense de ses droits patrimoniaux est tenu, à peine d'irrecevabilité de sa demande, de mettre en cause les autres auteurs de cette oeuvre" ;

Considérant qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments contractuels et de droit, que la société AGETEC CONSULTANTS est irrecevable à agir pour contrefaçon d'une prétendue oeuvre de collaboration, faute pour

elle d'avoir mis en cause le co-auteur ; que vainement, elle fait valoir que celle-ci aurait été de pure forme puisque ce dernier est en liquidation judiciaire alors que si la société ATELIER JEAN-LUC X... est en liquidation - ce qui ne la prive pas d'une existence juridique - l'auteur est une personne physique, en l'espèce Monsieur Jean-Luc X..., non visé par la procédure collective et non appelé en la cause ;

Considérant en outre que les textes sus-visés réservent la propriété littéraire et artistique à une personne physique, en qualité d'auteur ;

Considérant enfin qu'il ne ressort nullement des documents contractuels sus-rappelés que la société AGETEC CONSULTANTS, ou l'un de ses membres, ait reçu une mission de création et de conception au sens de la loi régissant la propriété littéraire et artistique et que la société AGETEC CONSULTANTS - par-delà des affirmations générales - se garde bien de définir précisément quelle a été sa participation créative ou celle de l'un de ses membres et d'en rapporter une quelconque preuve alors que tous les plans, croquis et études sont signés "JLC" (Jean-Luc X...) ;

Considérant que dans ce contexte, la société AGETEC CONSULTANTS n'est ni recevable ni fondée à invoquer l'existence d'une contrefaçon ou d'un "plagiat" et que par voie de conséquence sa demande d'indemnisation est infondée ; SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES-INTERETS POUR RESISTANCE ABUSIVE FORMEE PAR LA SOCIETE HACHETTE DISTRIBUTION SERVICES FRANCE

Considérant que la somme de 200.000 francs est demandée ; que l'appelante rappelle que la société AGETEC CONSULTANTS n'a pas hésité à affirmer que la sentence n'était pas frappée d'appel et à l'assigner en redressement judiciaire ;

Considérant que la société AGETEC CONSULTANTS n'était pas assistée

par avocat en première instance et qu'elle a pu se méprendre sur la réalité et l'étendue de ses droits ; que nulle faute caractérisée ne lui est imputable justifiant l'allocation de dommages-intérêts au profit de l'appelante ; SUR LES FRAIS IRREPETIBLES ET LES DEPENS

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société appelante les frais irrépétibles exposés ; que la somme de 50.000 francs doit lui être allouée ;

Considérant que les dépens, en ce compris le coût de la sentence arbitrale, devront être intégralement supportés par la société AGETEC CONSULTANTS ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

DONNE ACTE à la société HACHETTE DISTRIBUTION SERVICES FRANCE de ce qu'elle intervient aux lieu et place de la société EXTRAPOLE, elle-même intervenant aux droits de la SOCIETE DE DISTRIBUTION ET DE PRODUITS DE LOISIRS (société SDPL) ;

LA RECOIT en son appel principal et reçoit la société AGETEC CONSULTANTS en son appel incident ;

DECLARE la société HACHETTE DISTRIBUTION SERVICES FRANCE irrecevable en son moyen d'incompétence ;

LA DIT RECEVABLE ET BIEN FONDEE en sa demande d'annulation ;

ANNULE la sentence arbitrale rendue le 9 avril 1997 ;

STATUANT SUR LE FOND,

CONDAMNE la société HACHETTE DISTRIBUTION SERVICES FRANCE à payer à la société AGETEC CONSULTANTS la somme de SOIXANTE QUATRE MILLE QUATRE VINGT HUIT FRANCS (64.088 francs) représentant la quote-part de la prime assurance décennale ;

DEBOUTE la même société de ses demandes de dommages-intérêts ;

DECLARE la société AGETEC CONSULTANTS irrecevable et non fondée en sa

demande QUATRE VINGT HUIT FRANCS (64.088 francs) représentant la quote-part de la prime assurance décennale ;

DEBOUTE la même société de ses demandes de dommages-intérêts ;

DECLARE la société AGETEC CONSULTANTS irrecevable et non fondée en sa demande formée au titre de contrefaçon et "plagiat" ;

CONDAMNE la société AGETEC CONSULTANTS à payer à la société HACHETTE DISTRIBUTION SERVICES FRANCE la somme de CINQUANTE MILLE FRANCS (50.000 francs) au titre des frais irrépétibles ;

LA CONDAMNE à payer la somme de CENT QUATRE VINGT QUINZE MILLE FRANCS HT (195.000 francs) au titre des frais d'arbitrage exposés par l'appelante ;

CONDAMNE la société AGETEC CONSULTANTS aux entiers dépens et dit que la SCP JUPIN etamp; ALGRIN pourra recouvrer directement contre elle les frais exposés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

ARRET REDIGE PAR :

Madame Colette GABET-SABATIER, Président,

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Le Greffier,

Le Président,

Catherine CONNAN

Colette GABET-SABATIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1997-4700
Date de la décision : 27/05/1999

Analyses

COMPETENCE - Exception d'incompétence - Recevabilité - Conditions.

Lorsqu'un appelant n'a pas expressément soulevé l'incompétence de la juridiction arbitrale devant celle-ci, comme en atteste la sentence déférée -laquelle ne contient nulle mention d'une discussion relative à la compétence, exception qui, conformément aux dispositions de l'article 74 du nouveau Code de procédure civile, doit être soulevée avant toute défense au fond-, alors qu'il n'est pas contesté que la demande principale soumise au tribunal arbitral relevait de la portée et du contenu à donner au contrat initial, lequel renvoyait à l'arbitrage, l'exception d'incompétence qu'il soulève ne saurait prospérer

ARBITRAGE - Sentence - Nullité - Violation du principe de la contrad.

Dès lors qu'aux termes de l'article 146 du nouveau Code de procédure civile " les principes directeurs du procès énoncés aux articles 4 à 10, 11 alinéa 1er et 13 à 21 sont toujours applicables à l'instance arbitrale ", le principe du contradictoire énoncé à l'article 16 s'impose en conséquence ; il suit de là que si l'article 10 du Code précité autorise le juge à ordonner " d'office toutes les mesures d'instruction légalement admissibles ", cette liberté doit s'exercer dans le cadre du respect du principe contradictoire qui s'impose au juge " en toutes circonstances ". En l'espèce, deux membres d'un tribunal arbitral qui effectuent eux-mêmes des constats, sans convocation ni avis donné aux parties, pour en délivrer, ensuite, compte rendu à l'issue des débats devant la juridiction arbitrale, méconnaissent le principe fondamental du contradictoire en ce que les mesures d'instruction diligentées n'ont pas été conduites contradictoirement et que la restitution des compte rendus est intervenue sans qu'un débat contradictoire puisse avoir lieu, ni qu'aucune de demande de renvoi soit rendue possible ; en conséquence de quoi la sentence déférée doit être annulée


Références :

N1 Code de procédure civile (Nouveau), article 74
N2 Code de procédure civile (Nouveau), articles 10, 16, 146

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-05-27;1997.4700 ?
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