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20/05/1999 | FRANCE | N°1997-6080

France | France, Cour d'appel de Versailles, 20 mai 1999, 1997-6080


FAITS ET PROCEDURE

Le CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL (ci-après désigné CIC) a, par acte authentique en date du 12 mars 1990, consenti à la Société en Nom Collectif BFP, un prêt de 1.600.000 francs au taux de 10,75 % l'an, afin de financer l'acquisition d'un ensemble immobilier à CHAVILLE, destiné à la location.

Par suite des difficultés économiques qu'elle a rencontrées, la SNC BFP n'a plus été en mesure de faire face à ses engagements, ce qui a conduit la banque à dénoncer son concours le 23 août 1994 et à mettre en demeure à la même date tant la SNC que

les trois associés de celle-ci, Monsieur X... Y..., Monsieur Z... A... et Monsie...

FAITS ET PROCEDURE

Le CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL (ci-après désigné CIC) a, par acte authentique en date du 12 mars 1990, consenti à la Société en Nom Collectif BFP, un prêt de 1.600.000 francs au taux de 10,75 % l'an, afin de financer l'acquisition d'un ensemble immobilier à CHAVILLE, destiné à la location.

Par suite des difficultés économiques qu'elle a rencontrées, la SNC BFP n'a plus été en mesure de faire face à ses engagements, ce qui a conduit la banque à dénoncer son concours le 23 août 1994 et à mettre en demeure à la même date tant la SNC que les trois associés de celle-ci, Monsieur X... Y..., Monsieur Z... A... et Monsieur B... C..., d'avoir à lui régler la somme de 1.584.700,92 francs, représentant le principal et les arriérés sur le prêt à la date de la mise en demeure.

Aucun accord n'ayant pu être trouvé, la banque, après avoir mis en oeuvre, les garanties qu'elle détenait sur le bien acquis au moyen du prêt, a engagé une action contre la SNC BFP et ses trois associés susdésignés.

Ces derniers ont, pour s'opposer aux prétentions émises à leur encontre, dénoncé le soutien abusif apporté par la banque, Monsieur C... contestant, en outre, l'exigibilité des soldes demeurés débiteurs après son retrait de la société et réclamant, à titre subsidiaire, en vertu d'un accord intervenu entre eux, la garantie de ses anciens associés au titre de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.

Par jugement en date du 21 mai 1997, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé des éléments de la cause, le Tribunal de Commerce de NANTERRE a statué dans les termes ci-après :

Condamne la société BFP, Messieurs Z... A..., X... Y..., B... C..., solidairement, à payer au CREDIT

INDUSTRIEL ET COMMERCIAL DE PARIS la somme de 1.621.954,60 francs avec intérêts contractuels au taux de 10,75 % à compter du 26 décembre 1996.

Condamne Messieurs A... et Y... à relever Monsieur C... de toute condamnation.

Ordonne l'exécution provisoire sans garantie.

Condamne solidairement la société BFP et Messieurs A... et Y... à régler au CIC la somme de 15.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

[*

Appel de cette décision a été relevé d'une part, par Monsieur C... B... et d'autre part, par la SNC BFP, Monsieur Y... X... et Monsieur A... Z....

Pour une bonne administration de la justice, il y a lieu de joindre les procédures issues de ces actes d'appel séparés et de statuer par une seule et même décision.

*]

Au soutien de leur recours, la SNC BFP, Monsieur Y... et Monsieur A... persistent à soutenir que la banque a commis une faute en accordant à la société un crédit excessif qui excédait largement son assise financière et ses capacités de remboursement.

Pour étayer leur argumentation, ils se livrent à une analyse de la situation économique de la société ainsi que de la leur propre. Ils analysent également les risques, selon eux inconsidérés, pris par la banque, et en déduisent que celle-ci a manqué, à l'occasion de l'opération dont s'agit, au devoir de discernement qui pesait sur elle.

Ils lui reproche également des manquements accessoires qui seront ultérieurement analysés.

Ils demandent, en conséquence, que la banque soit condamnée à indemniser le préjudice par eux subi, lequel préjudice devra être évalué à hauteur des sommes réclamées par la banque, de sorte qu'après compensation, ils ne soient tenus d'aucune obligation envers le CIC. Ils réclament également à ce dernier une indemnité globale de 30.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

[*

Monsieur C... conteste, pour sa part, comme il l'avait fait en première instance, l'exigibilité des soldes provisoires et l'opposabilité à son égard des soldes postérieurs à son retrait et il en déduit qu'il doit être mis hors de cause.

Subsidiairement, il fait sienne l'argumentation de ses anciens associés relative à l'octroi fautif du crédit et il demande, comme ces derniers, que la banque soit condamnée à des dommages et intérêts équivalents aux sommes auxquelles elle pouvait prétendre au titre d'échéances impayées.

Plus subsidiairement, il sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a dit Messieurs A... et Y... tenus de le garantir de toutes les condamnations prononcées à son encontre.

Enfin, il réclame au CIC une indemnité de 10.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

*]

Le CIC réfute point par point l'argumentation développée par l'ensemble des appelants et conclut à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris, sauf à se voir autoriser à

capitaliser les intérêts de retard, conformément à l'article 1154 du Code Civil, et à se voir allouer une indemnité complémentaire de 5.000 francs en couverture des frais qu'il a été contraint d'exposer devant la Cour. MOTIFS DE LA DECISION

* Sur la demande de mise hors de cause formée par Monsieur C...

Considérant que Monsieur C... expose que les sommes dont le CIC sollicite le remboursement "semblent" constituer trois sous-comptes d'un même compte entre lesquels elle a opéré compensation, que dans l'un de ces sous-comptes ont été isolées les mensualités impayées ; que cette inscription d'une créance en compte courant vaut paiement de cette créance et création d'une nouvelle créance ; que celle-ci étant née postérieurement à son désengagement de la société BFP, il ne saurait être tenu au paiement d'une quelconque somme, ce qui justifie selon lui sa demande de mise hors de cause.

Mais considérant que ce raisonnement ne saurait être suivi ; qu'en effet, la demande formée par le CIC repose, comme le montre les pièces des débats, sur l'acte de prêt consenti le 12 mars 1990 ; que le fait que la banque ait, pour des raisons strictement comptables, isolé les impayés du prêt dans un ou des comptes spéciaux, ne saurait conférer à ceux-ci la nature d'un compte courant qui n'a jamais été envisagé par les parties, de sorte que les créances individualisées dans ces comptes n'ont pas perdu leur individualité, comme cela serait le cas s'il était agit d'un compte courant, et que la banque est en droit, sur un fondement contractuel, d'en poursuivre le recouvrement.

Considérant, par ailleurs, que le fait que Monsieur C... ait démissionné de ses fonctions le 11 octobre 1991 et qu'il ait signé un protocole d'accord avec ses associés afin de régler les conditions financières de son départ, ne saurait être valablement opposé à la banque qui n'a jamais été partie à cet accord et qui n'y a pas

consenti ; que la demande de mise hors de cause formée par Monsieur C... sera rejetée.

* Sur le concours abusif imputé à la banque et sur l'ensemble des manquements allégués

Considérant que les appelants imputent à la banque un certain nombre de fautes qui, selon eux, engagerait sa responsabilité.

Considérant qu'ils reprochent tout d'abord au CIC d'avoir accordé à la SNC un concours financier excessif, eu égard à sa situation financière, et d'avoir ainsi manqué de discernement.

Considérant cependant que l'octroi d'un crédit inadapté et excessif doit s'apprécier à la date à laquelle il a été consenti et en fonction des perspectives de développement et de succès de l'opération financée et non au regard des difficultés constatées plusieurs années après et relevant d'un retournement de conjoncture qui n'était pas prévisible ; qu'en effet, le banquier, à la condition de ne pas prendre ab initio des risques inconsidérés, ne saurait être le garant du succès d'une entreprise commerciale .

Considérant qu'en l'espèce, il sera rappelé que la société BFP a été créée en août 1988 sous forme d'une SNC, ce qui a pour effet de rendre, en raison même de la nature de la société, les associés solidairement et responsables des dettes sociales ; que le CIC a donné son accord sur le prêt le 12 mars 1990 ; que, pour octroyer son concours, le CIC s'est fondé sur les informations et les précisions de rentabilité qui lui ont été donné par les associés, et dont il a vérifié la vraisemblance eu égard à la situation du marché ; qu'à cet égard et plus particulièrement, il apparaît des pièces produites aux débats que le revenu provenant de la location du bien financé et l'apport personnel des associés devaient couvrir les échéances du prêt qui s'élevaient à 17.686 francs, comme il ressort d'une étude prévisionnelle fondée sur les données du marché locatif de l'époque ;

que le bien fondé de cette analyse ne saurait être remis en cause par une étude théorique de ratios à laquelle se livre les appelants en se fondant sur des documents comptables et fiscaux non encore connus à la date du prêt ; que cette méthode, dont la fiabilité n'est pas de surcroît avérée, est d'autant plus contestable que, pendant plus de deux ans, la SNC a pu faire face aux échéances du prêt et que ce n'est qu'ultérieurement que ladite société, qui ne parvenait plus à louer le bien financé situé à CHAVILLE ainsi qu'un autre bien financé par un emprunt souscrit un an plus tôt auprès de la BARCLAYS BANK, a connu les premières difficultés dues essentiellement à un retournement de la conjoncture économique ; qu'il suit de là qu'il n'est pas démontré en l'espèce que la banque ait agi sans discernement et avec légèreté au moment de l'octroi du prêt.

Considérant qu'il n'est pas davantage démontré, si ce n'est par voie d'affirmation, que les associés n'avaient pas les capacités requises pour assurer une bonne gestion de l'opération ; qu'il apparaît au contraire qu'il s'agissait de gestionnaires expérimentés puisqu'ils étaient déjà engagés de la gestion d'une société GESPLUS ; que le fait qu'ils se soient portés caution de cette société, étant observé que les engagements de cette société vis à vis du CIC ont pu être tenu sans le concours desdites cautions, n'est, dès lors qu'il s'agit que d'une garantie d'usage que prend habituellement une banque lorsqu'elle prête son concours à une société, d'aucune influence en la cause ;

Qu'il ne saurait être davantage reproché au CIC d'avoir pris des garanties lors de l'octroi du prêt et d'avoir mis en oeuvre une procédure de vente immobilière en exécution de ces garanties, procédure dont la Cour n'a pas à se faire juge de la validité dans le cadre de sa saisine, et alors et surtout que les engagements pris tant par la société que par les associés n'ont pas été tenus ; qu'il

ne saurait pas plus être fait grief à la banque d'avoir refusé tout arrangement amiable alors qu'il n'est pas rapporté la preuve d'une proposition sérieuse de règlement.

Considérant que dans ces conditions, aucune faute n'étant prouvée à l'encontre de la banque, c'est à bon droit que le premier juge a condamné la SNC et ses associés, y compris Monsieur C..., à payer le solde restant dû au titre du prêt, outre les intérêts conventionnels de retard.

Considérant que la CIC est par ailleurs fondé à réclamer le bénéfice de la capitalisation des intérêts de retard, conformément à l'article 1154 du Code Civil, et ce, à compter du 17 février 1998, date de la première demande formée par voie de conclusions.

Considérant enfin qu'il serait inéquitable de laisser à la banque, la charge des frais qu'elle a été contrainte d'exposer devant la Cour ; que les appelants seront solidairement condamnés à lui payer une indemnité complémentaire de 5.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

* Sur l'appel en garantie formée par Monsieur C... à l'encontre de ses anciens associés et la SNC

Considérant que, par de justes motifs non remis en cause, les premiers juges ont condamné Messieurs A... et Y... ainsi que la SNC à garantir, comme ils s'y étaient engagés, Monsieur C... de toutes les condamnations prononcées à son encontre ; que le jugement dont appel sera encore confirmé de ce chef par adoption de motifs. PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- JOINT les procédures issues des appels séparés formés d'une part, par la SNC BFP, Monsieur X... Y... et Monsieur Z...

A... et d'autre part, par Monsieur B... C...,

- STATUANT par une seule et même décision, DIT ces appels recevables mais mal fondés,

- CONFIRME, en conséquence, en toutes ses dispositions, mais par adoption partielle de motifs, le jugement déféré,

Y ajoutant,

- AUTORISE le CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL DE PARIS "CIC" SA à capitaliser les intérêts de retard, conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code Civil, à compter du 17 février 1998,

- CONDAMNE solidairement les appelants à payer au CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL DE PARIS "CIC" SA une indemnité complémentaire de 5.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, et ce, sous réserve de la garantie bénéficiant à Monsieur B... C...,

- CONDAMNE également la SNC BFP, Messieurs Z... A... et X... Y... aux entiers dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés directement par les avoués en cause concernés, conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. ARRET REDIGE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT PRONONCE PAR MONSIEUR MARON, CONSEILLER ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER

LE CONSEILLER

Pour le Président Empêché M.T. GENISSEL

A. MARON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1997-6080
Date de la décision : 20/05/1999

Analyses

BANQUE - Compte courant - Fonctionnement.

La circonstance qu'une banque, pour des raisons strictement comptables, isole les impayés d'un prêt dans un ou plusieurs comptes spéciaux, ne saurait conférer à ceux-ci la nature d'un compte courant non envisagé par les parties ; il en résulte que les créances ainsi individualisées dans ces comptes ne perdent pas leur individualité, comme cela serait le cas s'agissant d'un compte courant, et qu'en conséquence la banque est en droit, sur le fondement contractuel du prêt consenti, de poursuivre le recouvrement des échéances impayées de ce prêt

BANQUE - Responsabilité - Ouverture de crédit - Entreprise ultérieurement en difficulté.

Un banquier, sous réserve de ne pas prendre ab initio des risques inconsi- dérés, ne saurait être garant du succès d'une entreprise commerciale. L'appréciation du caractère inadapté et excessif de l'octroi d'un concours bancaire doit donc s'apprécier à la date auquel il a été consenti et en fonction des perspectives de développement et de succès de l'opération financée, et non au regard des difficultés constatées plusieurs années plus tard au gré d'une évolution de la conjoncture imprévisible. Lorsque pour octroyer son concours à une société en nom collectif, une banque s'est fondée, après vérification de leur vraisemblance au regard de la situation du marché, sur les informations et précisions de rentabilité données par les associés et qu'il ressort des pièces versées aux débats que le revenu provenant du bien dont l'acquisition était financé et l'apport personnel des associés devaient couvrir les échéances du prêt, comme en atteste une étude prévisionnelle fondée sur les données du marché locatif de l'époque, dont la viabilité a pu être vérifiée puisque pendant deux années la SNC a fait face à ses engagements jusqu'à ce qu'elle connaisse ses premières difficultés en raison du retournement de la conjoncture économique, il suit de là que n'est pas démontré que la banque ait agit sans discernement et avec légèreté au moment de l'octroi du prêt


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-05-20;1997.6080 ?
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