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20/05/1999 | FRANCE | N°1997-2791

France | France, Cour d'appel de Versailles, 20 mai 1999, 1997-2791


FAITS ET PROCEDURE

Par acte du 19 janvier 1996, Maître Richard X..., administrateur judiciaire, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administrateur au redressement judiciaire de la société SOPARCOS, et Maître A... GRAVE, mandataire de justice, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de liquidateur de la société SOPARCOS, ont fait assigner la société APACO afin de la voir condamner à leur payer, chacun, la somme de 50.000 francs à titre de dommages-intérêts pour propos diffamatoires et injurieux contenus à leur égard dans des écritures prise

s par la société APACO devant le Président du tribunal de commerce de ...

FAITS ET PROCEDURE

Par acte du 19 janvier 1996, Maître Richard X..., administrateur judiciaire, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administrateur au redressement judiciaire de la société SOPARCOS, et Maître A... GRAVE, mandataire de justice, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de liquidateur de la société SOPARCOS, ont fait assigner la société APACO afin de la voir condamner à leur payer, chacun, la somme de 50.000 francs à titre de dommages-intérêts pour propos diffamatoires et injurieux contenus à leur égard dans des écritures prises par la société APACO devant le Président du tribunal de commerce de SAINT QUENTIN, statuant en référé, dans un litige les opposant, es-qualités, à cette société.

La société APACO s'est opposée à cette action en soutenant que l'action exercée était interdite aux mandataires de justice par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 dès lors qu'il n'a pas été fait réserve de cette action par le juge des référés, lors de l'audience.

Elle a demandé la somme de 30.000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 100.000 francs en réparation du préjudice subi, aggravé selon elle, par la position prise par les mandataires de justice devant le juge chargé d'une demande de restitution de matériel qui n'a été libéré qu'après six mois de procédure.

Pour s'opposer à cette demande reconventionnelle, les mandataires de justice ont fait valoir qu'elle relevait de la compétence du tribunal de grande instance de PERONNE et qu'elle ne présentait aucune connexité avec leur propre demande, pouvant justifier sa recevabilité.

Par le jugement déféré en date du 18 décembre 1996, le tribunal de grande instance de NANTERRE a :

- déclaré l'action en diffamation irrecevable, dès lors que contrairement aux dispositions de l'alinéa 5 de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, cette action n'a pas été réservée par les demandeurs devant le juge saisi des écrits qualifiés de diffamatoires,

- l'action de la société APACO résulte du préjudice subi, non pas à raison du défaut de restitution d'un matériel, mais est fondée sur le caractère abusif et téméraire de l'action, ce qui lui confère un évident lien de connexité.

En conséquence, le tribunal a rejeté la demande formée par les mandataires de justice et les a condamnés à payer à la société APACO, avec exécution provisoire, la somme de 20.000 francs à titre de dommages-intérêts et celle de 15.000 francs au titre des frais irrépétibles. Maître X... a en outre été condamné au paiement de la somme de 5.000 francs à titre d'amende civile.

Au soutien de leur appel, Maîtres X... et GRAVE font valoir que la société APACO n'avait pas hésité à introduire une action en revendication devant le juge des référés de SAINT QUENTIN, lequel était incompétent tant ratione loci que ratione materiae et qu'elle avait utilisé des moyens déplaisants et déloyaux, n'hésitant pas à soutenir les propos suivants : "Il (l'abus de confiance) est l'oeuvre en l'espèce de la société SOPARCOS et il perdure en raison tout à la fois de la carence et de la mauvaise foi des mandataires de justice, lesquels, pourtant dûment sommés de faire cesser l'infraction, croient devoir se réfugier derrière des arguties insupportables au cas d'espèce, mais démonstratives de la volonté - pénalement répréhensible - de nuire." "Pour ce qu'il est curieux, mais justifié de voir des mandataires de justice tenter de couvrir un délit, qui perdure en raison du refus d'une restitution pourtant sollicitée amiablement, il sera de plus fort fait droit aux demandes de

réparation. "Les organes de la procédure puisqu'il semblerait qu'il fallut les appeler ainsi, se moquent des juges ..."

Ils rappellent que le juge des référés avait relevé le caractère outrancier des propos tenus dans son ordonnance du 12 octobre 1995.

En droit, les appelants développent les moyens suivants :

- les premiers juges ont, à tort, retenu que les dispositions de la loi de 1881 étaient exclusives d'une action en responsabilité pour faute sur le fondement de l'article 1382 du code civil alors que la doctrine retient qu'il existe "une autre action, absolument distincte, qui peut être engagée sur la base des articles 1382 du code civil, lorsque la publication d'un discours, d'un écrit, d'un dessin ou de toute autre expression de la pensée, apparaît comme constitutive d'une faute causant un dommage à autrui ... L'action en responsabilité fondée sur l'article 1382, est, en principe, totalement affranchie des règles de forme et de fond édictées par la loi du 29 juillet 1881 et par celle du 11 juin 1887 concernant les diffamations et injures commises par des correspondances postales ou télégraphiques circulant à découvert ...",

- les dispositions de l'article 41 de la loi de 1881 ne visent que les actions de nature pénale,

- il a été jugé que la loi du 29 juillet 1881 est une loi pénale sans incidence sur l'action en dommages et intérêts, exercée devant une juridiction civile,

- à supposer applicables les dispositions de l'article 41 sus-visé, l'action a été expressément réservée lors de l'audience, les concluants ayant demandé acte de leur réserve en ce qui concerne une action en réparation de leur préjudice,

- la demande de dommages-intérêts retenue par le tribunal au profit de la société APACO n'est pas fondée dès lors que, d'une part, la restitution amiable pouvait être obtenue si la société avait eu un

comportement normal envers les mandataires et, d'autre part, en l'absence de préjudice réel démontré,

- l'amende civile ne saurait être maintenue sans renverser les rôles et responsabilités.

Les appelants prient en conséquence la Cour d'infirmer le jugement et de les dire recevables et bien fondés en leur appel, de leur allouer chacun la somme de 50.000 francs à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en première instance ; ils sollicitent encore la somme de 6.000 francs au titre des frais irrépétibles et le rejet de toute demande de dommages-intérêts formée par la société APACO.

La société APACO conclut à la confirmation de la décision déférée, sauf en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts alloués ; à ce titre elle sollicite la somme de 100.000 francs, outre la somme de 50.000 francs au titre des frais irrépétibles.

Elle rappelle que tout le litige est né à raison d'un détournement de matériel dont la société SOPARCOS s'est rendue coupable à son endroit, matériel que les mandataires de justice refusaient de lui restituer amiablement.

Elle reconnaît que si les mandataires de justice ont bien demandé que l'action en dommages-intérêts pour diffamation leur soit réservée, le juge ne donna pas suite à cette demande ainsi que cela ressort de sa décision et maintient sa position constante selon laquelle la présente action est soumise aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 et à elles seules.

Enfin, elle insiste sur le fait que le juge des référés a pris soin de retenir la mauvaise volonté de la société SOPARCOS "assistée puis représentée."

DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION

Considérant que la Cour d'appel d'AMIENS saisie de l'appel formé à

l'encontre de l'ordonnance de référé du 12 octobre 1995, limité aux dépens et frais irrépétibles, a infirmé ladite ordonnance en ce qu'elle a mis à la charge de la société APACO la somme de 5.000 francs au titre des frais irrépétibles et a rejeté ce chef de demande après avoir relevé "qu'il ne peut être ici retenu avec l'appelante qu'il a été satisfait à sa demande mais bien plutôt que SOPARCOS assistée puis représentée, a fait preuve d'une véritable mauvaise volonté puisque dès le 26 avril 1995 le CAT écrivait au CABINET MARREC "tenir à la dispositions de la société SOPARCOS ... le matériel de convoyage l'opposant à la société APACO ..." ... "que par conséquent la persévérance d'APACO légitime dans son but sinon obligatoirement dans ses moyens - si diabolique qu'elle ait pu apparaître aux yeux de ses adversaires - a ou aurait ainsi été récompensée" ; SUR l'ARTICLE 41 DE LA LOI DU 24 JUILLET 1881

Considérant qu'aux termes de cet article pris en son cinquième alinéa, les faits diffamatoires prononcés ou les écrits produits à l'audience peuvent donner lieu soit à l'action publique soit à l'action civile, à la double condition qu'il s'agisse de faits étrangers à la cause et que l'action ait été réservée par le tribunal saisi ;

Considérant que si les appelants ont, par conclusions déposées dans le cadre de la procédure de référé, demandé qu'il leur soit donné acte de leur réserve et de ce qu'ils entendaient saisir la juridiction compétente, pour propos diffamatoires, l'ordonnance de référé ne leur a pas donné acte desdites réserves alors qu'il est de droit constant que si le juge saisi ne donne pas acte desdites réserves, il existe alors une fin de non-recevoir portant sur le principe même de la poursuite, pour diffamation ;

Considérant que les premiers juges ont, à bon droit, écarté l'action en diffamation comme étant irrecevable ; SUR L'ACTION FONDEE SUR LES

DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL

Considérant que les appelants font grief aux premiers juges d'avoir cru devoir considérer que les dispositions de l'article 41 de la loi de 1881 étaient exclusives d'une action en responsabilité pour faute sur le fondement de l'article 1382 du code civil ;

Considérant que le tribunal relève que "l'action des demandeurs, à laquelle ceux-ci se gardent bien d'assigner un fondement juridique précis, s'analyse en une action en réparation de faits injurieux ou diffamatoires selon la qualification qu'attribuent eux-mêmes et avec raison, Maîtres X... et GRAVE aux faits qu'ils dénoncent" ... que "l'existence de dispositions spécifiques prévoyant le principe d'une immunité des écrits produits devant les tribunaux, sauf en matière de diffamation, est exclusive de l'application du droit commun et interdit aux demandeurs de placer leur action sur le fondement général de la responsabilité civile pour faute dès lors que les faits dénoncés répondent aux caractéristiques de la diffamation ou de l'injure" ;

Considérant que selon les appelants, une action fondée exclusivement sur les dispositions de l'article 1382 du code civil est parfaitement recevable et étrangère à l'application des textes restrictifs concernant la diffamation ;

Considérant que s'il est admis qu'une action en responsabilité fondée sur les dispositions de l'article 1382 du code civil est recevable lorsque la publication d'un discours, d'un écrit, d'un dessin ou de toute autre expression de la pensée apparaît comme constitutive d'une faute causant un dommage à autrui, action distincte de celle régie par la loi de 1881, il appartient à celui qui invoque un tel principe de rapporter la preuve de la faute commise et du dommage qui en est résulté ;

Considérant que les écritures des appelants se bornent à faire le

rappel de principe sans définir ni caractériser la faute distincte de la diffamation qu'ils imputent à l'intimée pas plus qu'ils ne caractérisent, ni ne démontrent l'existence de leur préjudice ;

Considérant qu'ainsi la demande doit être rejetée ; SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES-INTERETS FORMEE PAR LA SOCIETE APACO

Considérant que les premiers juges, pour allouer à la société APACO la somme de 20.000 francs à titre de dommages-intérêts, ont clairement retenu que la demande de cette société ne tendait pas à obtenir réparation du préjudice subi par l'absence de restitution d'un matériel, mais reposait expressément sur le caractère abusif et téméraire de l'action des demandeurs ;

Que vainement en cause d'appel, les appelants font valoir que la société pouvait parfaitement obtenir la restitution du matériel à l'amiable ; que là n'est point le débat ;

Considérant que les premiers juges ont à juste titre retenu que les auxiliaires de justice, demandeurs, ne pouvaient se méprendre sur la portée de leurs droits et qu'il ressort suffisamment de ce qui précède que leur action, quel qu'en soit le fondement, modifié au cours de la procédure, n'est pas fondée alors que vainement ils ont perduré en cause d'appel ; que cette attitude est constitutive d'une faute, laquelle cause un préjudice matériel et moral certain à l'intimée ; qu'il convient cependant d'en fixer la réparation à la somme de 10.000 francs, l'appel incident formé à ce titre par l'intimée n'étant fondé sur aucun élément précis et déterminant ; SUR LES FRAIS IRREPETIBLES

Considérant que les premiers juges ont justement alloué à l'intimée la somme de 15.000 francs pour frais irrépétibles exposés en première instance, auxquels il convient d'ajouter la somme complémentaire de 5.000 francs pour ceux exposés en cause d'appel ; SUR L'AMENDE CIVILE

Considérant que l'article 32.1 du nouveau code de procédure civile prévoit la possibilité d'infliger une amende civile à tout plaideur qui agit de "manière abusive et dilatoire" ; que la présente procédure n'a aucun caractère dilatoire et ne présente pas un abus suffisamment caractérisé pour justifier pareille mesure ; que le jugement sera, sur ce point, infirmé ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

RECOIT l'appel principal et l'appel incident ;

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de Maître X... et de Maître Z... fondée sur les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ;

Y AJOUTANT,

DEBOUTE les appelants de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 1382 du code civil ;

CONFIRME le jugement en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute imputable aux appelants dans l'exercice des voies de droit ;

L'EMENDANT en ce qui concerne la réparation allouée ;

CONDAMNE Maître X... et Maître Z..., in solidum, à payer à la société APACO, la somme de DIX MILLE FRANCS (10.000 francs) à titre de dommages-intérêts ;

CONFIRME les dispositions du jugement concernant les frais irrépétibles ;

Y AJOUTANT,

CONDAMNE Maître X... et Maître Z..., in solidum, au paiement de la somme complémentaire de CINQ MILLE FRANCS (5.000 francs) au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

LES CONDAMNE aux entiers dépens et dit que la SCP FIEVET ROCHETTE LAFON pourra recouvrer directement contre eux les frais exposés

conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

ARRET REDIGE PAR :

Madame Colette GABET-SABATIER, Président,

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Le Greffier,

Le Président,

Catherine Y...

Colette GABET-SABATIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1997-2791
Date de la décision : 20/05/1999

Analyses

PRESSE - Procédure - Action en justice.

Il résulte des dispositions de l'article 41 alinéa 5 de la loi du 29 juillet 1881 que les faits diffamatoires prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux s'ils peuvent donner lieu à l'action publique ou à l'action civile, c'est à la condition cumulative que les éléments articulés soient étrangers à la cause et que le tribunal saisi réserve l'action. Lorsque le juge des référés saisi ne donne pas acte des réserves faites par une partie, il est de droit constant qu'existe alors une fin de non recevoir au principe même de la poursuite pour diffamation.Il s'ensuit que c'est à bon droit que le juge saisi de l'action en diffamation l'écarte comme irrecevable

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Faute - Presse - Publication.

Lorsque la publication d'un discours, d'un écrit, d'un dessin ou de toute expression de la pensée apparaît comme constitutive d'une faute causant un dommage à autrui, il est admis que, nonobstant l'action spécifique régie par la loi du 29 juillet 1881, une action en responsabilité civile fondée sur l'article 1382 du code civil est recevable, sauf à prouver la faute commise et l'existence du préjudice qui en est résulté. En l'occurrence, la demande d'une partie qui se borne à rappeler le principe précité sans caractériser la faute reprochable, ni démonter l'existence du dommage, doit être rejetée


Références :

Code civil, article 1382
N1 Loi du 29 juillet 1881, article 41 alinéa 5
N2 Loi du 29 juillet 1881

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-05-20;1997.2791 ?
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