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20/05/1999 | FRANCE | N°1996-6238

France | France, Cour d'appel de Versailles, 20 mai 1999, 1996-6238


FAITS ET PROCEDURE

Le 18 janvier 1995, le MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DE LA REPUBLIQUE DU LIBAN a lancé un appel d'offre pour l'achat de 100.000 tonnes de blé, plus ou moins 10 % dont 20.000 de blé tendre européen au prix de 168.50 USD la tonne, livrables en une seule fois entre le 16 et le 20 mars 1985 et 80.000 de blé dur, au prix de 178 USD la tonne en provenance de YOUGOSLAVIE, de TURQUIE et d'AFRIQUE DU SUD livrables en 3 fois soit 25.000 tonnes entre le 04 et le 07 mars 1989, 25.000 tonnes entre le 02 et le 06 avril 1989 et 30.000 tonnes entre le 5 et le 20 avril

1989, selon des conditions fixées dans un cahier des charg...

FAITS ET PROCEDURE

Le 18 janvier 1995, le MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DE LA REPUBLIQUE DU LIBAN a lancé un appel d'offre pour l'achat de 100.000 tonnes de blé, plus ou moins 10 % dont 20.000 de blé tendre européen au prix de 168.50 USD la tonne, livrables en une seule fois entre le 16 et le 20 mars 1985 et 80.000 de blé dur, au prix de 178 USD la tonne en provenance de YOUGOSLAVIE, de TURQUIE et d'AFRIQUE DU SUD livrables en 3 fois soit 25.000 tonnes entre le 04 et le 07 mars 1989, 25.000 tonnes entre le 02 et le 06 avril 1989 et 30.000 tonnes entre le 5 et le 20 avril 1989, selon des conditions fixées dans un cahier des charges.

Par télex du 1er février 1989, la S.A. de droit suisse ROMAK, agissant pour le compte de la S.A. ROMAK FRANCE a présenté une offre qui a été acceptée le 02 février 1989 et suivie d'une commande en date du 06 février 1989 émanant du MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN.

Une première cargaison de 21.997,70 tonnes de blé tendre d'origine C.E.E. a été chargée à bord du navire PROSPERITY X à GAND (BELGIQUE) qui est arrivé à BEYROUTH le 09 mars 1989 après avoir subi au cours de la traversée une tempête ayant provoqué des infiltrations d'eau de mer dans deux cales.

Le déchargement de 10.000 tonnes a été effectué du 11 au 13 mars 1989 date à laquelle le MINISTERE LIBANAIS invoquant des avaries l'a arrêté et refusé le reste de la marchandise.

L'état de guerre ayant, en outre, été déclaré au LIBAN le 13 mars 1989, le navire PROSPERITY X, sur décision de ses armateurs, a quitté le port de BEYROUTH pour se rendre en GRECE où la quantité de blé restante a été vendue et le prix consigné, par voie judiciaire au profit de qui il appartiendra.

Une expédition de 25.310 tonnes de blé dur d'origine turque a été chargée à MERSIN sur le navire "JAG VISHNU" qui est arrivé à BEYROUTH le 06 mars 1989.

Arguant de la non réception, à cette date, du connaissement et de la non conformité des céréales aux spécifications contractuelles, le MINISTERE LIBANAIS a refusé d'en prendre livraison, en sorte que le bateau est reparti et le blé a été revendu en INDONESIE.

Une seconde cargaison de 26.000 tonnes de blé dur, d'origine YOUGOSLAVE a été chargée à SPLIT sur le navire "MARIA D" qui a pris la mer le 20 mars 1989, mais n'ayant pu pénétrer dans le port de BEYROUTH en raison des évènements, a été dérouté sur CHYPRE.

Ce blé a été finalement vendu en YOUGOSLAVIE et aurait été racheté ensuite par le MINISTERE LIBANAIS à un prix majoré et rapatrié par ses soins au LIBAN.

Le solde de blé dur de 38.000 tonnes n'a pas été livré en l'absence d'instructions du MINISTERE LIBANAIS malgré mises en demeure.

Le 07 avril 1989, l'ETAT LIBANAIS a engagé une action en responsabilité à l'encontre de la société ROMAK FRANCE devant le Tribunal de première instance de BEYROUTH demandant sa condamnation à lui restituer 1.000.000 USD ainsi qu'à lui verser des dommages et intérêts de même montant.

Cette affaire serait toujours pendante devant les juridictions libanaises.

Se prévalant du manquement du MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN à ses obligations contractuelles, la société ROMAK FRANCE l'a assigné le 12 avril 1989 devant le Tribunal de Commerce de VERSAILLES en réparation du préjudice prétendument subi et la société ROMAK SUISSE est intervenue volontairement à l'instance.

Parallèlement, le MINISTERE LIBANAIS a appelé les deux lettres de garantie à première demande de 185.350 USD et de 783.200 USD émises par l'UNITED OVERSEAS BANK de GENEVE (U.O.B.) par la société ROMAK SUISSE au profit de la Banque du LIBAN pour le Commerce.

Par arrêt du 1er mars 1990, la Cour de Justice de GENEVE, réformant l'ordonnance rendue le 30 mai 1989 par le Président du Tribunal de Première Instance de GENEVE, a limité la défense d'exécution des garanties à la somme de 391.600 USD, le solde de 576.950 USD ayant été payé à la Banque Libanaise le 20 août 1990.

Dans le cadre de l'action indemnitaire, le Tribunal, par jugement du 03 novembre 1994, s'est déclaré incompétent.

Sur contredit formé contre cette décision par la société ROMAK FRANCE, la Cour d'Appel de ce siège, par arrêt du 23 mai 1995 a déclaré celui-ci fondé, irrecevables et de surcroît, mal fondées les exceptions d'incompétence soulevées par le MINISTERE LIBANAIS et retenu la compétence du Tribunal de Commerce de VERSAILLES pour connaître du litige.

Par une seconde décision rendue le 1er mars 1996, cette juridiction a rejeté les exceptions de nullité et de litispendance et la fin de non recevoir du MINISTERE LIBANAIS, déclaré la société ROMAK SUISSE recevable et fondée, en son intervention volontaire, constaté que la société ROMAK FRANCE a respecté les clauses du contrat du 06 février 1989 la liant au MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DE LA REPUBLIQUE DU LIBAN et répondu aux obligations de moyens, le manquement de ce Ministère aux dispositions de l'article 14 au Cahier des Charges ainsi que l'impossibilité de déchargement et le déchargement incomplet des cargaisons lui étaient imputables et l'obligation dans laquelle s'était trouvée la société ROMAK FRANCE de prendre à ses frais avancés toutes les mesures utiles à la sauvegarde des marchandises périssables, condamné le Ministère à verser à la société ROMAK FRANCE les sommes de 1.436.510 USD ou leur équivalent en francs français au cours du jour du règlement et de 185.000 francs français avec intérêts au taux légal français à compter du 12 avril 1989 et à la société de droit suisse ROMAK celle de 576.950 USD ou l'équivalent en francs suisses au cours du jour du règlement, débouté la société ROMAK FRANCE de sa prétention en dommages et intérêts et le MINISTERE LIBANAIS de toutes ses demandes reconventionnelles, ordonné l'exécution provisoire, alloué aux société ROMAK FRANCE et ROMAK SUISSE respectivement de la somme de 150.000 francs français et de celle de 30.000 francs français ou son équivalent en francs suisses au cours du jour du paiement au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens.

Le MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN et l'ETAT LIBANAIS

représentés tous deux par le Chef du Service du Contentieux ont relevé appel de ce jugement, puis l'ETAT LIBANAIS a déclaré, en réalité, intervenir volontairement en cause d'appel.

Ils soutiennent que le contrat litigieux ayant été conclu dans le cadre d'un marché public et dans l'intérêt du service public en vue d'assurer le ravitaillement du LIBAN en blé dans une période de guerre, l'ETAT LIBANAIS est en droit de se prévaloir de son immunité de juridiction tant pour lui-même que pour les organismes dépendant de lui sans que la qualification commerciale donnée par la Cour à l'opération de manière surabondante dans son arrêt du 23 mai 1995, n'ait force de chose jugée à son égard, ni d'incidence en l'espèce.

Ils précisent qu'il ne saurait être déduit une prétendue renonciation à ce privilège de la part de l'ETAT LIBANAIS, de la prévision du règlement du prix du blé acheté au moyen d'une lettre de crédit, ni de l'attitude du MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN qui, seul à avoir été attrait devant les premiers juges, n'avait pas capacité pour y procéder et n'a conclu au fond qu'à titre très subsidiaire après avoir soulevé l'incompétence internationale des juridictions françaises.

Ils se réfèrent aux articles 117, 118, 119 à 121 du Nouveau Code de Procédure Civile et 60, 61 du Code de procédure civile libanais ainsi que 16 et 18 du décret-loi libanais du 16 septembre 1983 pour faire valoir que l'assignation délivrée à l'encontre du MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN est nulle pour défaut de capacité et de qualité de ce dernier d'ester en justice à défaut de personnalité morale, ni pour représenter l'ETAT LIBANAIS en justice dont seul le chef du service du contentieux est chargé.

Ils considèrent en tout état de cause que le contrat liant le MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN à la société ROMAK est une vente au débarquement en se fondant sur les articles 16, 14 et 15 du Cahier des Charges et qu'à supposer même qu'il se fût agi d'une vente à l'embarquement, la clause d'agréage arrivée stipulée à l'article 14 de ce document avait pour conséquence de laisser les risques à la charge du vendeur jusqu'à la réception de la cargaison à destination au port de BEYROUTH, en soulignant que même si cette disposition n'était pas une clause d'agréage, l'émission par l'organisme de surveillance d'un certificat de conformité des marchandises au port d'embarquement aurait pour unique effet de créer une présomption simple de conformité susceptible d'être combattue par le destinataire par la preuve d'un vice antérieur à l'embarquement ou étant la conséquence d'un défaut d'exécution des obligations contractuelles du vendeur comme tel est le cas selon eux, en la cause.

Ils allèguent la responsabilité exclusive de la société ROMAK FRANCE dans l'inexécution du contrat du 06 février 1989.

Ils font état, à cet effet, de ce que la société ROMAK n'a pas respecté les exigences du cahier des charges imposant un navire de moins de 15 ans d'âge, de classe A, apte au grain et au transport en vrac, caractéristiques que ne présentait pas le bateau "PROSPERITY X" sur lequel a été embarqué la première cargaison de blé tendre laquelle ne répondait pas non plus aux spécifications contractuelles et s'est révélée avariée, comme en font foi le rapport de Monsieur X..., expert désigné par l'organisme de surveillance choisi par cette société et son représentant et le constat opéré par l'agent du LLOYDS en GRECE sans qu'il ne puisse leur être opposé l'absence de preuve du défaut de conformité au motif que la procédure d'expertise prévue à l'article 14 du Cahier des Charges n'aurait pas été suivie à la lettre, ni une prétendue acceptation du MINISTERE LIBANAIS de la marchandise débarquée en GRECE en raison de sa demande de retour du navire au LIBAN celle-ci ayant été effectué sous toutes réserves.

Ils en déduisent que le MINISTERE était fondé à refuser le déchargement du blé restant dans les cales du navire et que la

société ROMAK FRANCE ne peut obtenir le remboursement de ce qu'elle a dû payer aux armateurs en exécution d'une sentence arbitrale alors que cette procédure concernant l'armateur et l'affrêteur lui est inopposable.

Ils ajoutent que le premier lot de blé dur chargé à bord du navire "JAG VISHNU" comportait, au vu des prélèvements effectués de manière contradictoire, des taux de protéines et de sédimentation ne correspondant pas aux normes concernées autorisant le MINISTERE à refuser la totalité de la cargaison en application de l'article 16 b du Cahier des Charges.

Ils prétendent que la société ROMAK FRANCE qui était parfaitement informée de l'état de guerre civile au LIBAN et avisée dès le 30 mars 1989 d'ajourner l'expédition a néanmoins, embarqué la seconde cargaison de blé dur sur le navire "MARIA D" qui n'a pu parvenir à destination et à dû se détourner, doit supporter les conséquences de sa propre incurie alors que l'impossibilité de débarquer la marchandise au port de BEYROUTH était prévisible et totalement connue et honorer le coût de réexpédition de la cargaison assumé par le MINISTERE.

Ils affirment qu'il n'a plus été donné suite au contrat en raison du manquement de la société ROMAK à toutes ses obligations relatives aux trois premières livraisons justifiant la résiliation du contrat à ses torts, en relevant qu'en tout cas, le préjudice invoqué ne serait pas établi.

L'ETAT LIBANAIS et le MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN demandent donc à la Cour de déclarer irrecevable l'action de la société ROMAK FRANCE et l'intervention volontaire de la société ROMAK SUISSE en application du principe de l'immunité de juridiction dont jouit l'ETAT LIBANAIS et les services et organes qui en dépendent, à défaut de dire que l'assignation délivrée contre le MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN, dépourvu de personnalité morale et n'ayant ni la capacité, ni la qualité d'ester en justice, est atteinte d'une irrégularité en affectant la validité et d'annuler l'acte introductif d'instance ainsi que toute la procédure subséquente y compris le jugement dont appel conformément à l'article 117 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Ils sollicitent, à titre très subsidiaire, l'entier débouté des sociétés ROMAK FRANCE et ROMAK SUISSE, la résiliation de la convention aux torts et griefs de la société ROMAK FRANCE, la condamnation de cette dernière au règlement à l'ETAT LIBANAIS des

sommes de 6.526.552,50 USD, en remboursement de la marchandise payée, mais non livrée avec les intérêts au taux légal à compter du 18 mars 1985 et de 1.900.000 USD à titre de dommages et intérêts.

Ils réclament, en tout état de cause, une indemnité de 200.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société ROMAK FRANCE oppose que le contrat en cause ne comportant aucune clause exorbitante du droit commun et ayant été définitivement qualifié de commercial par l'arrêt de la Cour sur contredit du 23 mai 1995, les conditions de mise en ouvre du principe de l'immunité de juridiction ne sont pas réunies en prétendant qu'en toute hypothèse, l'ETAT LIBANAIS ou son émanation le MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN ont renoncé à s'en prévaloir dès lors que le paiement de la valeur de la cargaison a été effectué par lettre de crédit représentant 100 % du prix, confirmée par une BANQUE DE L'EUROPE DE L'OUEST de premier rang et que ce moyen n'a jamais été soulevé auparavant.

Après avoir indiqué que l'appel formé par l'ETAT LIBANAIS non présent en première instance était irrecevable et ne pouvait s'interpréter

que comme une intervention volontaire, elle a soutenu que l'ETAT LIBANAIS et le MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN ne constituant qu'une seule et même partie, celui-ci ne pouvait être intervenu en cause d'appel qu'en qualité exclusive d'appelant, et en a déduit que tous les actes de procédure antérieure et notamment l'arrêt précité lui étaient opposables.

Elle se réfère aux motifs du jugement, à une procédure introduite par le MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN devant les tribunaux libanais et à deux décisions rendues le 17 avril 1972 et 20 novembre 1968 respectivement par la Cour de Cassation et le Conseil d'Etat du LIBAN ayant statué sur la portée des articles 16 et 18 invoqués par les appelants pour arguer de la validité de l'exploit introductif d'instance en prétendant que l'intervention volontaire de l'ETAT LIBANAIS devant le Cour couvre, s'il en était besoin l'irrégularité tirée de la "fin de non recevoir" conformément à l'article 126 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle fait valoir que tous les documents produits visent expressément une vente au départ conclue "CIF Free Out" et que l'article 14 ne peut être considéré comme une "clause d'agréage arrivée" susceptible d'en modifier la nature.

Elle affirme avoir parfaitement exécuté le contrat de vente en livrant aux ports de chargement une marchandise certifiée saine et loyale répondant rigoureusement aux spécificités du Cahier des Charges.

Elle estime que la vétusté arguée du navire PROSPERITY X est inopérante dans la mesure où l'âge de 15 ans a été stipulé au titre de l'assurance et que ses prétendues absences de classe et inaptitude au transport du grain ne sont nullement démontrées.

Elle ajoute que le Cahier des Charges n'autorisait en aucune façon le MINISTERE à refuser de réceptionner la marchandise pour une non conformité alléguée des taux d'humidité et d'impureté mais qu'il lui appartenait au contraire, agissant en bon père de famille de réceptionner les quantité de blé sain et de blé avarié pour en ordonner le tri et le sauvetage.

Elle soutient qu'en ce qui concerne la cargaison embarquée sur le navire JAC VISHNU, le MINISTERE ne peut s'en prendre qu'à ses propres

carences pour expliquer le défaut de réception des marchandises à leur arrivée à BEYROUTH en précisant que celui-ci n'a aucunement visé une éventuelle différence dans les valeurs de taux de condensation qui seule lui aurait permis, le cas échéant, de rebuter les céréales et qu'il ne peut se prévaloir de la prise d'échantillons laquelle n'a pas été opérée contradictoirement, ni au moment du déchargement.

Elle considère qu'il incombait au MINISTERE de donner toutes instructions utiles afin de modifier les dates de réception du blé dur mis à bord du navire MARIA D s'il connaissait un empêchement à l'exécution du contrat litigieux, ce à quoi il n'a pas procédé.

Elle observe que s'agissant du solde de la cargaison, son préjudice résulte bien du manque à gagner généré par la chute du cours du blé dur lors de sa revente à la suite de la résolution abusive du contrat outre des frais de stockage de la marchandise.

Elle indique avoir dû également honorer aux armateurs les surestaries engendrées par le retard apporté aux opérations de déchargement.

La société ROMAK FRANCE sollicite, en conséquence, la confirmation du jugement déféré sauf à voir déclarer l'ETAT LIBANAIS tenu solidairement avec le MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN de toutes les condamnations intervenues, constater que le MINISTERE n'a pas respecté les dispositions de l'article 16 du Cahier des Charges et ordonner la capitalisation de tous intérêts à compter du 13 avril 1989.

Elle réclame, en outre, une indemnité de 180.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société ROMAK SUISSE conclut aussi à la confirmation des condamnations prononcées en sa faveur et demande de surcroît, celle solidaire de l'ETAT LIBANAIS et du MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN au paiement des intérêts échus sur la somme de 576.950 USD depuis le 20 Août 1990 et leur capitalisation ainsi qu'une indemnité de 30.000 francs pour frais irrépétibles.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 janvier 1999.

MOTIFS DE L'ARRET

Considérant qu'aux termes des dispositions des articles 546 et 554 du Nouveau Code de Procédure Civile, il faut avoir été partie au procès devant les premiers juges pour pouvoir interjeter appel, et que les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance, ou qui y ont figuré en une autre qualité peuvent intervenir en cause d'appel ;

Considérant qu'il est constant que la procédure devant le Tribunal

ayant abouti au jugement attaqué a été initiée par la société ROMAK FRANCE à l'encontre du seul MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN et poursuivie en sa présence et en celle de la société de droit suisse ROMAK, sans que l'ETAT LIBANAIS n'ait été attrait à l'instance ;

Que, par conséquent, l'ETAT LIBANAIS ne pouvait relever appel de cette décision comme il y a procédé à tort selon déclaration du 24 juin 1996 irrecevable en ce qui le concerne tandis que les premiers jeux de conclusions qu'il a déposés et signifiés conjointement avec le MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN constituent, en réalité, une intervention volontaire à son égard ainsi qu'il l'a admis en régularisant ultérieurement sa procédure en sorte qu'elle n'est désormais plus sujette à grief sur ce point ;

Considérant que la société ROMAK FRANCE qui a reconnu dans ses écritures du 24 novembre 1998 (page 15) cette intervention volontaire et s'en prévaut pour estimer qu'elle est de nature à couvrir les nullités invoquées par l'ETAT LIBANAIS et le MINISTERE, ne saurait prétendre le contraire de manière contradictoire pour s'opposer concomitamment au moyen tiré de l'immunité de juridiction soulevé par ces derniers, en arguant que l'ETAT LIBANAIS et le MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN ne formeraient qu'une seule et même partie alors que si ce MINISTERE fait, en tant que division administrative de l'ETAT, partie intégrante de l'ETAT LIBANAIS qui le représente, en revanche, le MINISTERE dépourvu de personnalité morale

et seul mis en cause en première instance, ne peut être considéré comme étant l'ETAT ou le représenter ;

Que la société ROMAK ne saurait davantage pouvoir déduire du fait, pour l'ETAT LIBANAIS de n'avoir demandé dans ses conclusions devant le Tribunal de première instance de BEYROUTH, que le rejet de l'exception de litispendance par elle soulevée, pour absence d'identité d'objet et de cause, constituerait une reconnaissance de sa part d'une identité des parties dans les deux procédures française et libanaise, dans la mesure où une telle reconnaissance ne se présume pas, et où, en toute hypothèse, cet argument serait inopérant, s'agissant d'une question de droit et non pas de fait ;

Que dans ces conditions, la présence de l'ETAT LIBANAIS devant la Cour ne peut s'analyser qu'en une intervention volontaire de sa part dans la procédure d'appel ;

Que dans ces conditions, la présence de l'ETAT LIBANAIS devant la Cour ne peut s'analyser qu'en une intervention volontaire de sa part dans la procédure d'appel ;

Considérant que la recevabilité tant de l'appel formé par le MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN que de l'intervention volontaire de l'ETAT LIBANAIS sont subordonnés à la validité de la

procédure de première instance en sorte que les exceptions de nullité par eux soulevées doivent être examinées en premier lieu ;

Considérant à cet égard, que l'assignation a été délivrée au "MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE, Direction Générale de l'Office du Blé et de la Betterave Sucrière, prise en la personne de son Ministre" ;

Qu'il n'est pas discuté que ni le MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN qui est un département administratif de l'ETAT, ni l'Office des Céréales et de la Betterave Sucrière qui est un service administratif de ce MINISTERE, n'ont la personnalité morale et donc la capacité et la qualité d'ester en justice, lesquelles n'appartiennent qu'à l'ETAT LIBANAIS, tant en demande qu'en défense, en tant que titulaire de la personnalité juridique ;

Que, par conséquent, l'exploit introductif d'instance est nul en ce qu'il est dirigé contre ces Ministères et Office dépourvus d'une telle personnalité juridique constitutif d'une irrégularité de fond qui ne peut être couverte comme tenant à l'inexistence de la personne morale attraite en justice et qui vicie toute la procédure de première instance subséquente ;

Considérant que la société ROMAK pour tenter de s'y opposer ne peut utilement prétendre que le MINISTERE pouvait être assigné directement ;

Considérant en effet, que les termes des articles 16 et 18 du décret-loi libanais du 16 septembre 1983, modifié par le décret-loi du 23 mars 1985, dont l'applicabilité n'est pas contestée, stipulent que "le Chef du Service Contentieux" représente l'ETAT au LIBAN et à l'étranger devant l'ensemble des juridictions judiciaires, administratives et arbitrales de toutes sortes et de tous degrés et devant toutes les formations à caractère juridictionnel, soit personnellement, soit par l'intermédiaire de l'un de ses assistants parmi les magistrats relevant du service ou de l'un des avocats de l'ETAT et disposent que le "service contentieux est chargé d'intenter les actions au nom de l'ETAT et de défendre ce dernier dans les actions intentées contre lui à l'intérieur comme à l'extérieur" ainsi que les opérations en découlant ;

Que ces textes confèrent ainsi au seul chef du contentieux de l'ETAT LIBANAIS qualité pour le représenter, tant en demande qu'en défense ;

Considérant que s'il apparaît que les juridictions suprêmes libanaises admettent une assignation dirigée contre l'ETAT LIBANAIS en la personne du Ministre concerné, la représentation étant par la suite assurée par le service du contentieux de l'ETAT, tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque l'action a été initiée contre le MINISTERE qui n'a aucune personnalité morale et ne peut représenter l'ETAT ;

Que cette solution ne peut être démentie par l'avis contraire émis par un avocat Libanais Maître Antoine MERHED en se fondant sur les décisions rendues respectivement les 17 avril 1972 et 20 novembre 1968 par la Cour de Cassation et le Conseil d'Etat du LIBAN ;

Qu'en effet, dans la première affaire, il s'agissait d'une action dirigée non pas directement contre le MINISTERE mais contre l'ETAT LIBANAIS en la personne du Ministre concerné ce qui corrobore la position ci-dessus évoquée tandis que l'arrêt confirme que "c'est l'ETAT LIBANAIS en tant que personne morale qui a qualité dans les litiges qui naissent entre les MINISTERES qui lui sont rattachés et les personnes privées" ;

Qu'en outre, la seconde affaire n'a pas pour objet une action en justice devant les Tribunaux Judiciaires contre un MINISTERE, mais un recours contentieux administratif contre une décision disciplinaire rendue par un organe disciplinaire ayant un pouvoir réglementaire

indépendant en sorte que les circonstances de l'espèce étant très différentes de celles du présent litige, la solution ne peut être transposable ;

Considérant enfin que l'argument de la société ROMAK tenant à la prétendue reconnaissance de la capacité du MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DU COMMERCE DU LIBAN d'ester en justice résultant de l'action qui aurait été engagée par lui à son encontre devant le Tribunal de première instance de BEYROUTH n'est pas fondée dès lors qu'il ressort de l'examen de l'assignation délivrée pour saisir cette juridiction que c'est bien la REPUBLIQUE LIBANAISE et dont l'ETAT LIBANAIS qui est demandeur dans cette procédure nonobstant l'indication erronée fournie par son Conseil d'une action initiée par le MINISTERE ;

Considérant dans ces conditions, que l'acte introductif d'instance du 12 avril 1989 et la procédure subséquente ayant abouti au jugement entrepris, doivent être déclarés nuls sur le fondement de l'article 117 du Nouveau Code de Procédure Civile et qu'il n'y a dès lors plus lieu de statuer sur les autres moyens et demandes des parties ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à l'ETAT LIBANAIS, une indemnité de 60.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile à la charge in solidum des sociétés ROMAK ;

Que ces dernières qui succombent entièrement et supporteront les dépens des deux instances ne sont pas fondées en leurs prétentions au même titre ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- CONSTATE que l'ETAT LIBANAIS a la qualité d'intervenant volontaire en cause d'appel ;

- DECLARE nuls l'acte introductif d'instance du 12 avril 1989 sur le fondement de l'article 117 du Nouveau Code de Procédure Civile et consécutivement la procédure subséquente ayant abouti au jugement déféré ;

- CONDAMNE la S.A. ROMAK FRANCE et la S.A. de droit suisse ROMAK in solidum à verser à l'ETAT LIBANAIS une indemnité de 60.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- LES CONDAMNE sous la même solidarité aux dépens des deux instances et AUTORISE la SCP FIEVET-ROCHETTE-LAFON, Avoués, à recouvrer ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

ARRET REDIGE PAR MADAME LAPORTE, CONSEILLER PRONONCE PAR MONSIEUR MARON, CONSEILLER ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET

LE GREFFIER

LE CONSEILLER

Pour le Président Empêché

M. Thérèse Y...

A. MARON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-6238
Date de la décision : 20/05/1999

Analyses

PROCEDURE CIVILE - Intervention - Intervention volontaire - Intervention en appel.

Il résulte de la combinaison des articles 546 et 554 du nouveau Code de procédure civile qu'il faut avoir été partie au procès devant les premiers juges pour pouvoir interjeter appel, sauf la possibilité d'intervenir en cause d'appel pour les personnes qui, y ayant intérêt, n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité. Dans un litige entre une société et le Ministère relevant d'un Etat étranger, lorsque l' Etat dont relève ce Ministère n'a pas été partie en première instance, cet Etat ne peut relever appel de la décision rendue par les premiers juges.La déclaration d'appel de cet Etat s'avère donc irrecevable, en revanche, le dépôt de conclusions conjointes avec le Ministère évoqué doit s'analyser en une intervention volontaire, comme la partie intéressée l'a admis en régularisant sa procédure

PROCEDURE CIVILE - Acte de procédure - Nullité - Irrégularité de fond.

La circonstance qu'une partie, en l'espèce l'Etat étranger, soit intervenue volontairement à l'instance d'appel ne saurait avoir pour effet de couvrir les exceptions de nullités invoquées par cet Etat et le Ministère qui en relève, dès lors que la recevabilité tant de l'appel que de l'intervention volontaire est subordonnée à la validité de la procédure de première instance. En l'occurrence, étant acquis que le Ministère en cause n'a pas la personnalité morale, et par conséquent est dépourvu de la capacité et de la qualité pour ester en justice, l'exploit introductif d'instance dirigé contre ledit Ministère est nul en application de l'article 117 du nouveau Code de procédure civile et cette irrégularité de fond ne peut être couverte, ce qui a pour effet de vicier toute la procédure de première instance


Références :

N1 Code de procédure civile (Nouveau), articles 546, 554
N2 Code de procédure civile (Nouveau), article 117

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-05-20;1996.6238 ?
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