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12/05/1999 | FRANCE | N°1997-21581

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12 mai 1999, 1997-21581


Madame X... a travaillé pour le compte de la SOCIÉTÉ CENTRALE IMMOBILIERE DE LA CAISSE DES DEPOTS du 25 octobre 1960 au 30 juin 1990.

A partir du 1er janvier 1987, la SCIC REGIONS lui a confié la direction de l'équipe chargée de la gestion de la société SELEC laquelle, ayant pour objet l'édification de logements économiques, avait confié ladite gestion à la SCIC.

Madame X... a été convoquée à un entretien préalable à un licenciement, entretien fixé au 11 janvier 1990.

Le 23 janvier 1990, elle a signé une transaction avec la SCIC REGIONS aux termes de

laquelle elle devait être licenciée courant juin 1990 avec effet au 1er juillet 1990...

Madame X... a travaillé pour le compte de la SOCIÉTÉ CENTRALE IMMOBILIERE DE LA CAISSE DES DEPOTS du 25 octobre 1960 au 30 juin 1990.

A partir du 1er janvier 1987, la SCIC REGIONS lui a confié la direction de l'équipe chargée de la gestion de la société SELEC laquelle, ayant pour objet l'édification de logements économiques, avait confié ladite gestion à la SCIC.

Madame X... a été convoquée à un entretien préalable à un licenciement, entretien fixé au 11 janvier 1990.

Le 23 janvier 1990, elle a signé une transaction avec la SCIC REGIONS aux termes de laquelle elle devait être licenciée courant juin 1990 avec effet au 1er juillet 1990, avec un préavis de six mois prenant fin le 31 décembre 1990, et percevoir, lors de son départ, avec inscription à son solde de tout compte : - une indemnité de licenciement calculée en application de l'article 11 de l'accord collectif du 4 décembre 1986, - une indemnité de congés payés au titre de l'exercice 90/91, - la somme due au titre du treizième mois. Il était également prévu que dans les quinze jours suivant la notification de son licenciement, la SCIC REGIONS lui verserait, en réparation de son préjudice moral, une somme transactionnelle, globale et forfaitaire de 290 000 F à titre de dommages et intérêts, avec cette précision que le montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement et l'indemnité transactionnelle ne serait pas inférieur à 832 000 F.

Il était précisé, en outre, que le solde du au titre du prêt personnel dont elle était bénéficiaire serait recouvré sur son solde de tout compte, ce qu'elle acceptait expressément.

En exécution de cette transaction, Madame X... aurait du percevoir les sommes de : - 141 666 F à titre d'indemnité

compensatrice de préavis, - 11 797,20 F au titre du treizième mois, - 23 594 F à titre de congés payés, - 290 000 F à titre d'indemnité transactionnelle, - 542 000 à titre d'indemnité de licenciement.

Le 24 avril 1990, elle a été remplacée dans son poste.

Par lettre du 7 juin 1990, elle a été licenciée à compter du 1er juillet 1990 avec un préavis de six mois qu'elle a été dispensée d'exécuter pour divergences de vue avec la direction de l'entreprise. Par lettre du 13 juillet 1990, la SCIC REGIONS lui a indiqué que, venant d'avoir connaissance de faits "d'une extrême gravité", elle suspendait tout paiement en sa faveur jusqu'à ce qu'elle ait recueilli ses explications.

Par lettre du 23 juillet 1990, la SCIC REGIONS l'a convoquée à un nouvel entretien préalable fixé au 26 juillet 1990 au motif qu'elle avait découvert des "faits extrêmement graves qui nous amènent à envisager l'interruption immédiate, pour faute lourde, de votre préavis".

Par lettre du 27 juillet 1990, elle a rompu son contrat de travail et donc son préavis en raison des agissements frauduleux dont elle s'était rendue coupable et qu'elle avait découverts début juillet, après son départ.

Le 25 avril 1991, la société SELEC a déposé plainte avec constitution de partie civile contre X pour escroquerie et faux en écritures et usage de faux.

Les 13 juin 1991, 15 et 17 octobre 1991, elle a déposé plainte contre X pour escroquerie, abus de confiance, faux en écritures et usage.

Par jugement rendu le 21 avril 1992 confirmé par arrêt devenu définitif de la Cour d'Appel de PARIS du 12 juillet 1993, Madame X... a été condamnée à deux ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant trois ans et à 80 000 F d'amende pour usage

de faux. Elle a, par ailleurs, été condamnée solidairement avec Madame Y... et Madame PEPIN Z... à verser à la société SELEC la somme de 849 650 F et solidairement avec Monsieur A... et Monsieur B... celle de 393 871 F à titre de dommages et intérêts.

Par jugement rendu le 20 novembre 1992 confirmé par arrêt de la Cour d'Appel de VERSAILLES du 20 janvier 1994, Madame X... a été condamnée à une peine de 10 000 F d'amende pour complicité de faux en écriture privée, d'usage de faux et d'escroquerie au préjudice de la société SELEC, délit commis en avril 1989. Elle avait, par ailleurs, dans ce jugement du 20 novembre, été condamnée, avec Monsieur C..., à payer à la société SELEC, à titre de compensation, une somme de 18 127 F. La société SELEC s'est désistée en cause d'appel de sa demande de condamnation.

Par jugement du 4 juillet 1995 confirmé par arrêt de la Cour d'appel de PARIS du 5 avril 1996 devenu définitif, Madame X... a été condamnée à une peine de deux ans d'emprisonnement avec sursis avec mise à l'épreuve pendant trois ans et à 100 000 F d'amende pour avoir, courant 1988 et 1989, fait des faux, fait usage de faux et sciemment recélé des fonds d'origine délictueuse. Elle a, par ailleurs, par ledit arrêt, été condamnée à verser à la société SELEC la somme de 1 348 325 F, solidairement avec Monsieur D... celle de 237 200 F, solidairement avec Monsieur E... et Monsieur F... celle de 150 000 F et solidairement avec Monsieur E... celle de 11 951 F.

Le 6 août 1992, la SOCIÉTÉ CENTRALE IMMOBILIERE DE LA CAISSE DES DÉPÈTS AMO dite SCIC AMO, anciennement dénommée SCIC REGIONS, avait saisi le Conseil des Prud'hommes de BOULOGNE-BILLANCOURT pour voir annuler la transaction conclue avec Madame X... au motif que ladite transaction avait été conclue avant que le licenciement ait été prononcé et voir débouter Madame X... de ses demandes.

Elle lui avait demandé, à titre subsidiaire, de prononcer la nullité

de la transaction pour défaut de concessions réciproques et vice du consentement en raison du dol commis par Madame X... à son préjudice et de débouter celle-ci de ses demandes.

Elle lui avait demandé, en tout état de cause, de débouter Madame X... de sa demande d'indemnité de licenciement, de lui donner acte de ce qu'elle se réservait le droit de saisir la juridiction prud'homale en remboursement des sommes versées à la société SELEC au titre des condamnations pénales prononcées à l'encontre de Madame X... et non payées par celle-ci, et de condamner Madame X... à lui payer une somme de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Madame X... s'était opposée à ses demandes et avait sollicité reconventionnellement le paiement des sommes suivantes : - 1 000 000 F en exécution du protocole d'accord du 23 janvier 1990 et ce, avec les intérêts légaux à compter du 31 juillet 1992, - 12 000 F HT au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle avait demandé, subsidiairement, au Conseil des Prud'hommes, pour le cas où il estimerait qu'elle avait droit à sa seule indemnité de licenciement, de condamner la SCIC REGIONS à lui verser les sommes suivantes :

- 542 000 F à titre d'indemnité de licenciement,

- 12 000 F HT au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par jugement rendu le 24 octobre 1996, le Conseil des Prud'hommes a dit que la transaction conclue entre les parties devait recevoir application à l'exception de ses dispositions sur le préavis et a débouté les parties de leurs autres demandes.

Pour se déterminer, le Conseil des Prud'hommes a retenu que la SCIC AMO n'apportait pas la preuve du vice du consentement allégué mais que c'était à bon droit qu'ayant découvert les agissements de Madame

X... elle avait mis fin au préavis de celle-ci le 27 juillet 1990 pour faute lourde.

Il a retenu, par ailleurs, qu'il appartenait à la SCIC AMO de saisir la juridiction qu'elle estimerait compétente pour se faire rembourser les sommes dont la SELEC exigerait le paiement.

La SCIC DEVELOPPEMENT, anciennement dénommée SCIC REGIONS puis SCIC AMO, demande à la Cour de réformer le jugement et de prononcer la nullité de la transaction signée le 23 janvier 1990 pour avoir été conclue à une période où le licenciement de Madame X... n'avait pas été prononcé et, en conséquence, de débouter celle-ci de l'ensemble de ses demandes.

Elle lui demande, subsidiairement, de prononcer la nullité de la transaction conclue le 23 janvier 1990 pour défaut de concessions réciproques et vice du consentement, par application des dispositions des articles 1116 et 2053 du code civil, en raison du dol commis par Madame X... à son préjudice et, en conséquence, de débouter celle-ci de ses demandes.

Elle lui demande, très subsidiairement, pour le cas où la transaction ne serait pas annulée, d'ordonner la compensation entre les sommes dues par elle à Madame X... et celles dues par elle à SELEC du fait des agissements de celle-là.

Elle conclut, en tout état de cause, au rejet de la demande de Madame X... visant à obtenir le paiement de son indemnité de licenciement d'un montant de 542 000 F et sollicite la somme de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Madame X... réplique que son employeur et elle, en signant la protocole le 23 janvier 1990, se sont faits des concessions réciproques et qu'elle seule aurait pu se prévaloir du fait que la

transaction a été signée avant la notification du licenciement. Elle soutient qu'elle ne s'est livrée à aucune manoeuvre destinée à faire signer à la SCIC REGIONS une transaction mettant fin à son contrat de travail, que ladite société ne démontre pas avoir signé la transaction litigieuse par suite de ses manoeuvres au mois de janvier 1990 pour la faire contracter et que son silence ne peut être assimilé à un dol parce qu'elle n'avait pas conscience d'avoir commis des faits délictueux.

Elle prétend, par ailleurs, avoir droit à son indemnité de licenciement, ce droit étant né à la date de la rupture de son contrat.

Elle fait observer que les condamnations pénales évoquées ne concernent pas son employeur et qu'aucune précision juridique n'est donnée sur les relations de celui-ci avec la société SELEC.

Elle demande donc à la Cour de confirmer en ses dispositions principales le jugement, de rejeter la demande en nullité de la transaction, de condamner la société SCIC AMO à lui verser la somme de 1 000 000 F au titre du protocole d'accord en date du 23 janvier 1990 et ce, avec les intérêts légaux depuis le 31 juillet 1992, outre la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et d'ordonner la capitalisation des intérêts.

Elle lui demande, à titre subsidiaire, pour le cas où la transaction serait annulée, de condamner la SCIC REGIONS à lui verser la somme de 542 000 F à titre d'indemnité de licenciement et ce, avec les intérêts de droit depuis le 31 juillet et leur capitalisation, et 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. SUR CE

Sur la transaction :

Considérant qu'il résulte de l'acte signé le 23 janvier 1990, intitulé TRANSACTION, que ledit acte n'était pas destiné à mettre fin

au contrat de travail de Madame X... mais "à mettre un terme à l'amiable au litige" qui avait été créé par le refus de celle-ci de se voir décharger de ses fonctions de direction de l'équipe chargée de SELEC pour se voir confier d'autres fonctions et au fait que, compte tenu de ce refus, le licenciement de Madame X... était envisagé, celle-ci ayant été convoquée à un entretien préalable à un licenciement, entretien fixé au 11 janvier 1990;

Considérant qu'aux termes de l'article 2 044 du code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître, ce qui implique que lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, elle a pour objet de mettre fin à un litige né d'un licenciement, ou à naître, elle soit conclue après que la rupture ait été consommée, c'est à dire après la notification de la décision de licenciement qui est la cause du litige et permettra seule d'apprécier si, dans le cadre de la transaction conclue ultérieurement, les parties se sont ou non fait des concessions réciproques;

Considérant que la transaction ayant été signée le 23 janvier 1990 et le licenciement étant prononcé le 7 juin 1990, la transaction n'est pas valable;

Considérant que chacune des parties peut invoquer cette nullité;

Considérant, par ailleurs, que l'article 1116 du code civil dispose que le dol, qui ne se présume pas mais doit être prouvé, est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté;

Considérant que le dol peut être constitué par le silence d'une des parties dissimulant à son cocontractant un fait, qui s'il avait été connu de celui-ci, l'aurait empêché de contracter;

Considérant qu'il est établi par les condamnations pénales prononcées

à l'encontre de Madame X... qu'avant la signature de la transaction conclue le 23 janvier 1990, celle-ci avait commis des délits de faux, complicité de faux en écriture privée, usage de faux et d'escroquerie au préjudice de la société SELEC laquelle avait confié à son employeur la gestion de ses logements, délits dont elle ne pouvait pas ne pas avoir conscience et qu'elle a volontairement dissimulés à son employeur lequel ne les a découverts qu'après son départ de l'entreprise;

Considérant qu'il est évident que si la société SCIC REGIONS avait eu connaissance de ces faits délictueux, elle n'aurait pas conclu avec sa salariée la transaction du 23 janvier 1990;

Considérant que l'article 2053 du code civil dispose qu'une transaction peut être rescindée lorsqu'il y a erreur sur la personne ou sur l'objet de la contestation et qu'elle peut l'être dans tous les cas où il y a dol ou violence;

Considérant que le dol étant constitué par le silence de Madame X..., la transaction doit être annulée et ce, même si celle-ci n'a pas eu l'initiative de ladite transaction;

Sur le licenciement :

Considérant que le motif de son licenciement a été exposé en ces termes à Madame X... dans la lettre de rupture du 7 juin 1990 : "Ce licenciement est motivé par les divergences irréductibles de vue qui sont apparues entre nous, lorsque la société vous a fait part de son intention de vous décharger de la direction de la SELEC, compte-tenu des évolutions du groupe";

Considérant que le motif allégué dans cette lettre, laquelle fixe les limites du litige, ne constitue pas une faute grave;

Considérant que l'indemnité de licenciement étant acquise à la date de la rupture, c'est à juste titre que Madame X... sollicite la

somme de 542 000 F;

Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :

Considérant que l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

Considérant que les parties seront donc déboutées de la demande présentée à ce titre; PAR CES MOTIFS

La COUR,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Réforme le jugement;

Prononce la nullité de la transaction signée le 23 janvier 1990;

Condamne la SCIC DEVELOPPEMENT, anciennement dénommée SCIC REGIONS puis SCIC AMO, à payer à Madame Danièle X... une somme de 542 000 F (CINQ CENT QUARANTE-DEUX MILLE FRANCS) à titre d'indemnité de licenciement et ce, avec intérêts au taux légal depuis le 6 août 1992;

Dit que ces intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil;

Déboute les parties de toute autre demande;

Condamne Madame Danièle X... aux dépens.

Et ont signé le présent arrêt, Madame BELLAMY, Président de Chambre, et Madame G..., Greffier.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1997-21581
Date de la décision : 12/05/1999

Analyses

TRANSACTION - Définition - Accord mettant fin à une contestation déjà née ou à naître.

Aux termes de l'article 2044 du code civil " la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une conte- station à naître. ". Lorsque l'objet d'une transaction tend à mettre fin à un litige né d'un licenciement, ou à naître, l'article précité implique que la conclusion de celle-ci intervienne après que la rupture a été consommée, c'est à dire après notification de la décision de licenciement, cause du litige. En l'occurrence, une transaction dont il est établi qu'elle a été conclue antérieurement au licenciement n'est pas valable et chacune des parties peut en invoquer la nullité

TRANSACTION - Nullité - Causes - Dol.

Selon l'article 1116 du code civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsqu'il est établi que les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.Le dol peut être constitué par le silence d'une des parties dissimulant à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de celui-ci, l'aurait empêché de contracter. Lorsque, comme en l'espèce, un salarié signe une transaction avec son employeur en dissimulant volontairement des faits délictueux commis au préjudice de celui-ci, comme l'établissent plusieurs condamnations pénales prononcées postérieurement, il est évident que, sans ces manoeuvres, en l'occurrence le silence du salarié, l'employeur n'aurait pas transigé et qu'en conséquence, le dol est constitué et que la transaction doit être annulée


Références :

N1 Code civil, article 2044
N2 Code civil, article 1116

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-05-12;1997.21581 ?
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