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13/04/1999 | FRANCE | N°1998-4522

France | France, Cour d'appel de Versailles, 13 avril 1999, 1998-4522


FAITS ET PROCEDURE

Les EDITIONS DU SEUIL ont saisi le tribunal de commerce de PONTOISE en exposant que par contrat en date du 2 mars 1995, la société QUARTO CHILDREN'S BOOKS (QUARTO) lui avait cédé le droit de publier, en langue française et dans le monde entier, la traduction d'un ouvrage des droits duquel elle était propriétaire et intitulé "My first activity book".

Cette cession était consentie à titre exclusif pour une durée de 5 années à compter de la signature du contrat (article 7) et pouvait être renouvelée par tacite reconduction.

En contrepartie

de cette cession de droits, les EDITIONS DU SEUIL s'étaient engagées à verser à...

FAITS ET PROCEDURE

Les EDITIONS DU SEUIL ont saisi le tribunal de commerce de PONTOISE en exposant que par contrat en date du 2 mars 1995, la société QUARTO CHILDREN'S BOOKS (QUARTO) lui avait cédé le droit de publier, en langue française et dans le monde entier, la traduction d'un ouvrage des droits duquel elle était propriétaire et intitulé "My first activity book".

Cette cession était consentie à titre exclusif pour une durée de 5 années à compter de la signature du contrat (article 7) et pouvait être renouvelée par tacite reconduction.

En contrepartie de cette cession de droits, les EDITIONS DU SEUIL s'étaient engagées à verser à QUARTO 5,50 $ par exemplaire fabriqué par QUARTO, soit au total 55.000 $ pour 10.000 exemplaires acquis par les EDITIONS DU SEUIL, somme comprenant la fabrication et les droits d'auteur.

La traduction de l'anglais en français avait été effectuée par les EDITIONS DU SEUIL, lesquelles ont publié et mis en vente au 4ème trimestre 1995, l'ouvrage traduit sous le titre "Mon premier livre d'activités".

Les EDITIONS DU SEUIL ont ultérieurement constaté qu'un ouvrage quasi identique, constitutif selon elles d'une contrefaçon, était offert à la vente dans des grandes surfaces exploitées par la société SAMADOC. Elles ont alors procédé à l'acquisition d'un exemplaire de l'ouvrage, notamment dans le magasin à l'enseigne AUCHAN, exploité par la société SAMADOC, sis Centre Commercial, Les Trois Fontaines - 95000 CERGY.

Cet ouvrage avait été édité par la société EDITIONS PHIDAL dont le siège social est à MONTREAL - CANADA.

Les ÉDITIONS DU SEUIL ont estimé que cet ouvrage, publié sous le même titre "Mon premier livre d'activités" constituait la copie quasi servile du premier et par conséquent, une contrefaçon prévue et réprimée par les articles L.335.2 et suivants du code de la propriété intellectuelle et par les articles 425 et suivants du code pénal.

Immédiatement, elles ont protesté auprès de leur cocontractant, la société QUARTO, qui a nié la réalité de la contrefaçon, tout en reconnaissant avoir autorisé les EDITIONS PHIDAL à publier l'ouvrage incriminé.

Sur la compétence du tribunal de commerce de PONTOISE, les EDITIONS DU SEUIL ont précisé devant les premiers juges que, selon les termes de l'article 46 du nouveau code de procédure civile "le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur :

- en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou le lieu de l'exécution de la prestation de service,

- en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi".

L'article 46 du nouveau code de procédure civile s'applique devant toutes les juridictions de l'ordre judiciaire ainsi qu'à toutes les demandes fondées sur une obligation contractuelle ou délictuelle.

L'un des actes contrefaisants avait été réalisé dans un magasin situé à CERGY (ressort du tribunal de commerce de PONTOISE).

La responsabilité de la société QUARTO CHILDREN'S BOOKS à l'égard des EDITIONS DU SEUIL est de nature contractuelle, par application de la convention en date du 2 mars 1995.

Dès lors, le tribunal compétent pour en juger est celui du lieu de l'exécution du contrat (article 46 al. 2 du nouveau code de procédure civile) par analogie à celui où pouvait s'exécuter la prestation mentionnée par le texte susvisé. Or, le lieu d'exécution du contrat

du 2 mars 1995 est le monde entier, ce qui comprend CERGY.

La responsabilité de la société EDITIONS PHIDAL est de nature délictuelle, la société EDITIONS PHIDAL s'étant rendue coupable de l'édition d'une contrefaçon.

En matière délictuelle, le tribunal compétent est celui dans le ressort duquel le dommage est subi (article 46 du nouveau code de procédure civile).

En l'espèce, les exemplaires contrefaisants ayant été distribués sur le territoire national et notamment à CERGY, il y a lieu de déclarer le tribunal de PONTOISE compétent.

De son côté la société QUARTO CHILDREN'S BOOKS a soulevé l'incompétence de la juridiction saisie. Elle faisait tout d'abord valoir que les EDITIONS DU SEUIL se fondaient sur les dispositions de l'article 46 du nouveau code de procédure civile, selon lesquelles le

demandeur peut, en matière contractuelle, saisir la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou le lieu de l'exécution de la prestation de service. Mais aux termes de l'article 46 précité la livraison de la chose comme l'exécution de la prestation ne peuvent s'entendre que de celles qui sont l'objet du contrat. En réalité, le litige ne porte nullement sur le livre visé par le contrat du 2 mars 1995, mais sur un autre livre argué de contrefaçon. Dans ces conditions, le fait que ce dernier ouvrage aurait été commercialisé dans le ressort du tribunal de commerce de PONTOISE est sans incidence pour rendre ce dernier compétent à l'égard de la société QUARTO CHILDREN'S BOOKS.

La société QUARTO CHILDREN'S BOOKS ajoutait que Les EDITIONS DU SEUIL exposaient que sa responsabilité était de nature contractuelle par application de la convention signée entre les parties le 2 mars 1995. Or, cette convention stipule en son article 16 que :

"Tout différend qui viendrait à opposer le propriétaire et l'éditeur sur l'interprétation du présent contrat ou qui porterait sur les droits et obligations des parties, devra être soumis à deux arbitres (chacune des parties désignant un arbitre) ou à un surarbitre désigné par accord entre lesdits arbitres conformément aux prescriptions de la loi de 1950 relative à l'arbitrage ou de toute loi modificative ou de remplacement en vigueur au moment considéré".

Le différend opposant les EDITIONS DU SEUIL à la société QUARTO CHILDREN'S BOOKS porte non seulement sur l'interprétation du contrat, mais aussi sur les droits et obligations de de chacune des parties.

Le différend ne pourra donc, selon la société QUARTO CHILDREN'S BOOKS être autrement réglé que par la voie de l'arbitrage.

Par le jugement déféré, le tribunal s'est déclaré incompétent sur les demandes formées par les EDITIONS DU SEUIL à l'encontre de la société QUARTO CHILDREN'S BOOKS et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir. Sur la demande formée par les EDITIONS DU SEUIL contre les EDITIONS

PHIDAL, il a sursis à statuer dans l'attente de la décision arbitrale.

Au soutien du contredit qu'elles ont formé contre cette décision, les EDITIONS DU SEUIL font valoir que c'est à tort que les premiers juges ont énoncé que la demande formée à l'encontre de la société QUARTO CHILDREN'S BOOKS ne présentait pas de caractère d'indivisibilité, n'étant pas de même nature, l'une ayant un fondement contractuel et l'autre un fondement délictuel.

Point n'est besoin en effet que le fondement juridique de demandes ou le titre invoqué soient identiques, dès lors que les obligations des divers défendeurs ont le même objet.

Plus généralement, la jurisprudence considère qu'il peut être fait échec à une clause d'arbitrage en cas de pluralité de défendeurs lorsqu'il existe une indivisibilité entre les demandes formées contre les divers défendeurs.

Au demeurant, l'indivisibilité est implicitement reconnue par le tribunal qui, sur la demande dirigée contre la société PHIDAL, a sursis à statuer jusqu'à ce qu'ait statué le tribunal arbitral.

Les EDITIONS DU SEUIL demandent en conséquence à la cour d'infirmer la décision déférée et de dire compétent le tribunal de commerce de PONTOISE.

Les EDITIONS PHIDAL s'en rapportent à justice sur le mérite du contredit.

La société QUARTO CHILDREN'S BOOKS estime que la jurisprudence -qui, d'ailleurs n'est pas constante- invoquée par les EDITIONS DU SEUIL ne saurait s'appliquer lorsque, comme en l'espèce, le demandeur a saisi non la juridiction du lieu où demeure l'un des défendeurs mais une autre juridiction. Dès lors la clause compromissoire doit recevoir application et le jugement déféré doit-être confirmé.

Elle demande en outre condamation des EDITIONS DU SEUIL à lui payer 40.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

*

SUR CE LA COUR,

Attendu que lorsque différentes actions ou demandes sont indivisibles, ce caractère fait obstacle à ce que le litige soit simultanément porté devant des juridictions différentes ; que ce caractère s'oppose aussi à ce que le même litige soit successivement porté devant des juridictions différentes, l'une décidant de surseoir à statuer en attendant la décision de l'autre ; qu'il en est particulièrement ainsi lorsque la décision dans l'attente de laquelle il serait sursis à statuer serait une décision arbitrale, ce qui aurait pour effet de rendre une clause compromissoire indirectement opposable à une partie qui n'y a pas consenti ;

Attendu qu'il résulte de ces principes qu'une des parties à un litige indivisible ne saurait se prévaloir d'une clause contractuelle pour décliner la compétence de la juridiction saisie ; qu'il en est ainsi que la juridiction saisie l'ait été par application des règles de compétence édictées par l'article 42 du nouveau code de procédure civile ou par celle des règles de compétence édictées par l'article 46 du même code ;

Attendu que le litige dont les EDITIONS DU SEUIL ont saisi le tribunal de commerce de PONTOISE, et qui les oppose d'une part à la société QUARTO CHILDREN'S BOOKS et d'autre part à la société EDITIONS PHIDAL dans la mesure où l'existence d'une contrefaçon dépend nécessairement de la consistance des droits qui ont été cédés par la société QUARTO CHILDREN'S BOOKS à EDITIONS DU SEUIL

Attendu dans ces conditions que la société QUARTO CHILDREN'S BOOKS ne saurait se prévaloir de la clause compromissoire convenue entre

EDITIONS DU SEUIL et elle même ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'infirmer la décision déférée et de dire QUARTO CHILDREN'S BOOKS mal fondée en l'exception d'incompétence qu'elle a soulevée en se fondant sur une clause compromissoire ;

* PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

- INFIRME le jugement déféré et statuant à nouveau,

- DIT que le tribunal de commerce de PONTOISE est compétent pour connaitre du litige opposant les EDITIONS DU SEUIL à la société QUARTO CHILDREN'S BOOKS, d'une part, et EDITIONS PHIDAL, d'autre part,

- CONDAMNE la société QUARTO CHILDREN'S BOOKS aux frais du présent contredit.

ARRET REDIGE PAR MONSIEUR MARON, CONSEILLER PRONONCE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET

LE GREFFIER

LE PRESIDENT

qui a assisté au prononcé

M. Thérèse X...

F. ASSIÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1998-4522
Date de la décision : 13/04/1999

Analyses

COMPETENCE - Clause attributive - Clause attributive à une juridiction - Portée

Compétence, Clause attributive, Indivisibilité, Lorsque différentes actions ou demandes sont indivisibles, ce caractère fait obstacle à ce que le litige soit simultanément porté devant des juridictions différentes.L'indivisibilité s'oppose aussi à ce que le même litige soit successivement porté devant des juridictions différentes, l'une décidant de surseoir à statuer en attendant la décision de l'autre, et ce, spécialement s'il devait être sursis à statuer en l'attente d'une décision arbitrale, puisque cela aurait pour effet de rendre opposable, indirectement, une clause compromissoire à une partie qui n'y a pas consenti.Il s'ensuit qu'une partie à un litige indivisible ne saurait se prévaloir d'une clause contractuelle pour décliner la compétence de la juridiction saisie, que celle-ci l'ait été par application des règles de compétence édictées par l'article 42 du NCPC ou en vertu de celles posées par l'article 46 du même code.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-04-13;1998.4522 ?
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