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02/04/1999 | FRANCE | N°1996-7412

France | France, Cour d'appel de Versailles, 02 avril 1999, 1996-7412


EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 17 février 1994, Madame Orly X... épouse Y... s'est constituée caution solidaire des engagements de la Société ART EMPREINTE envers la B.N.P. à hauteur de 2.000.000 francs en principal, plus intérêts, frais et accessoires.

Par jugement du 20 avril 1994, le redressement judiciaire de la Société ART EMPREINTE a été ouvert, la date de cessation des paiements étant fixée au 1er janvier 1994.

La B.N.P. a déclaré une créance de 3.190.092,47 francs + 1 franc à parfaire au titre du solde débiteur du compte 232.650/27 et

une créance de 525.866,29 francs au titre d'effets escomptés impayés ou de sort enco...

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 17 février 1994, Madame Orly X... épouse Y... s'est constituée caution solidaire des engagements de la Société ART EMPREINTE envers la B.N.P. à hauteur de 2.000.000 francs en principal, plus intérêts, frais et accessoires.

Par jugement du 20 avril 1994, le redressement judiciaire de la Société ART EMPREINTE a été ouvert, la date de cessation des paiements étant fixée au 1er janvier 1994.

La B.N.P. a déclaré une créance de 3.190.092,47 francs + 1 franc à parfaire au titre du solde débiteur du compte 232.650/27 et une créance de 525.866,29 francs au titre d'effets escomptés impayés ou de sort encore inconnu à la date du jugement d'ouverture.

Elle s'est ensuite retournée contre Madame Y... en la mettant en demeure, par lettre du 22 septembre 1994, d'honorer son engagement de caution.

Après l'avoir vainement sommée de payer le 17 novembre 1994, la B.N.P. a fait assigner Madame Y..., suivant acte du 9 janvier 1995, devant le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE.

Par jugement contradictoire du 4 juin 1996, le Tribunal a : - déclaré bon et valable le cautionnement de Madame Y..., - l'a condamnée à payer à la B.N.P. 2.000.000 francs en principal, avec les intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 1994, et à rembourser les frais exposés par la banque à l'occasion de la publication de l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire prise le 14 décembre 1994, - rejeté la demande en paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, - statuant sur la demande reconventionnelle, déclaré Madame Y... recevable et fondée en sa mise en cause de la responsabilité de la B.N.P. pour soutien abusif, - dit qu'en réparation, la B.N.P. supportera à concurrence de 50 % les condamnations prononcées à son profit et mises à la charge de

Madame Y..., - rejeté la demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral ainsi que la demande en paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, - dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, - fait masse des dépens qui seront supportés par moitié par chacune des parties.

Appelante de cette décision, Madame Y... conclut à titre principal à sa réformation en ce qu'elle a déclaré valable le cautionnement, à l'annulation de l'acte de caution, au rejet des demandes dirigées contre elle, à la nullité de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire et à la condamnation de la banque à lui payer 50.000 francs à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et 50.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. A titre subsidiaire, elle demande la confirmation du jugement en ce qu'il a reconnu la faute de la B.N.P. et à sa réformation pour le surplus. Elle sollicite la condamnation de la banque à lui payer 2.000.000 francs à titre de dommages-intérêts, outre 50.000 francs en réparation de son préjudice moral et 50.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Elle demande également que soit ordonnée la compensation entre les sommes qui pourraient être dues par elle et celles dont la B.N.P. sera redevable envers elle en vertu de l'arrêt à intervenir.

Fondant sa demande d'annulation sur les articles 1116 et 1131 du code civil, Madame Y... reproche aux premiers juges d'avoir commis une erreur de fait en ayant retenu qu'elle était associée de la Société ART EMPREINTE et considère qu'elle a été victime d'un dol par réticence de la B.N.P. qui a sollicité son engagement sans l'informer de la situation gravement compromise de la Société ART EMPREINTE.

Elle estime que la B.N.P. a commis une faute en consentant un crédit à la Société ART EMPREINTE à un moment où sa situation était

lourdement obérée et que son préjudice équivaut à la somme qui lui est réclamée dès lors que la banque lui a fait perdre la chance de ne pas engager son patrimoine.

La B.N.P. conclut au mal fondé de l'appel et, formant appel incident, demande que le jugement soit confirmé, sauf en ce qu'il a dit qu'elle devrait supporter 50 % des condamnations prononcées à son profit et mises à la charge de Madame Y.... Statuant à nouveau, elle sollicite la condamnation de Madame Y... à lui payer 2.000.000 francs en principal, avec intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 1994, et à lui rembourser les frais exposés à l'occasion de la publication de l'inscription d'hypothèque provisoire prise le 14 décembre 1994. Elle réclame 20.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle conteste avoir commis un dol et fait valoir que Madame Y... était impliquée dans la gestion de la Société ART EMPREINTE et informée de sa situation pour en être l'associée à hauteur de 40 % du capital et pour être la cousine du gérant, Monsieur Z....

Elle déclare avoir accordé le crédit de 1.800.000 francs au vu d'éléments comptables fournis par la Société ART EMPREINTE dont elle ne pouvait douter de la sincérité et soutient que les reports de remboursement étaient justifiés par des événements conjoncturels ainsi que par l'entrée dans le capital d'une société réputée et par un remboursement important de TVA à intervenir. Elle en déduit que sa responsabilité n'est pas engagée.

DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION

Considérant que manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée omet de porter cette information à la

connaissance de la caution, l'incitant ainsi à s'engager ;

Qu'il résulte des pièces produites aux débats que le découvert autorisé de 200.000 francs dont bénéficiait la Société ART EMPREINTE ayant été dépassé, la B.N.P. qui avait constaté un débit de 380.000 francs a invité la société, par lettre du 6 octobre 1993, à régulariser rapidement sa situation ;

Que la Société ART EMPREINTE ne satisfaisait pas à la demande de la banque et le solde de son compte présentait un solde débiteur de 704.034,63 francs le 31 octobre suivant ;

Qu'en dépit de cette situation, la B.N.P. accordait ensuite à la Société ART EMPREINTE, courant novembre 1993, un crédit de campagne sous forme de découvert en compte de 1.800.000 francs ;

Que le remboursement du crédit qui devait intervenir vers la mi-janvier 1994 était repoussé au 20 février 1994 ;

Que, le 17 février 1994, jour de signature de l'acte de caution, le solde du compte de la Société ART EMPREINTE était débiteur de 2.680.000 francs environ ;

Qu'à l'évidence, la situation de la Société ART EMPREINTE était très lourdement obérée lorsque la B.N.P. a sollicité le cautionnement de Madame Y... ;

Que cette appréciation est corroborée par la fixation par le Tribunal de Commerce au 1er janvier 1994 de la date de cessation des paiements ;

Que Madame Y... est institutrice ;

Qu'il n'est pas établi qu'elle était associée de la Société ART EMPREINTE, le procès-verbal de l'assemblée générale du 1er février 1994 sur lequel il est mentionné qu'elle est titulaire de 1 400 parts n'étant ni signé, ni paraphé ;

Que son lien d'alliance avec le gérant dont son mari était le cousin

ne suffit pas à démontrer qu'elle était impliquée dans la gestion de la société et qu'elle en connaissait la situation financière ;

Que la banque se devait donc de l'éclairer sur l'état du compte de la Société ART EMPREINTE, ce qu'elle n'a pas fait, commettant ainsi une réticence dolosive qui a vicié le consentement de Madame Y... qui ne se serait pas engagée si elle l'avait connu ;

Qu'il convient, réformant le jugement entrepris, de constater la nullité du cautionnement et de débouter la B.N.P. de ses demandes ;

Que par voie de conséquence, il y a lieu d'ordonner la radiation de l'inscription d'hypothèque provisoire prise sur l'immeuble dont Madame Y... est propriétaire ;

Que celle-ci ne démontrant pas la réalité du préjudice moral dont elle se prévaut doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

Qu'en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, il y a lieu de lui accorder une indemnité de 10.000 francs ; PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Réforme le jugement entrepris,

Et statuant à nouveau :

Déclare nul l'acte de caution signé le 17 février 1994 par Madame Y...,

Déboute la B.N.P. de ses demandes,

Ordonne la radiation de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire prise par la B.N.P. sur l'immeuble dont Madame Y... est propriétaire,

Déboute Madame Y... de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral,

Condamne la B.N.P. à lui payer 10.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Condamne la B.N.P. aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais de radiation de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire et dit que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par la SCP MERLE-CARENA-DORON, société titulaire d'un office d'avoué, conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Arrêt prononcé par Madame SIMONNOT, Conseiller,

Assisté de Monsieur A..., Greffier,

Et ont signé le présent arrêt,

Monsieur FALCONE, Président,

Monsieur A..., Greffier qui a assisté au prononcé.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-7412
Date de la décision : 02/04/1999

Analyses

CAUTIONNEMENT - Conditions de validité - Consentement - Dol - Banque - Indication de la situation réelle du débiteur - Défaut - Effet - /

Manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise, ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l'incitant ainsi à s'engager. Lorsqu'il résulte des pièces versées aux débats qu'une banque, en dépit de l'impossibilité pour son client de rembourser un découvert en compte de plusieurs centaines de milliers de francs, lui consent un crédit de campagne de plus d'un million de francs, sous forme de découvert en compte, qu'elle re- pousse, ensuite, la date de remboursement de ce crédit et qu'enfin, quelque jours avant l'échéance, elle fait signer un engagement de caution au profit du client évoqué, alors que le découvert en compte de celui-ci dépasse deux millions et demi de francs, d'évidence, au moment où la banque a sollicité la caution, la situation du débiteur était obérée, comme l'a confirmé le tribunal de commerce en fixant, en l'occurrence, la cessation des paiements à une date antérieure. A défaut d'établir que la caution, simple institutrice, avait la qualité d'associée de la société débitrice ou, qu'eu égard à un lien de parenté avec le gérant de celle-ci, elle était impliquée dans la gestion de cette même société et qu'elle en connaissait la situation financière, il incombait, en conséquence, à la banque d'éclairer la caution sur l'état du compte de la société qu'elle garantissait ; en s'en abstenant, la banque a commis une réticence dolosive qui a vicié le consentement de la caution, laquelle ne se serait pas engagée si elle avait connue cette situation. Il convient donc de constater la nullité de ce cautionnement


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-04-02;1996.7412 ?
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