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01/04/1999 | FRANCE | N°1996-6185

France | France, Cour d'appel de Versailles, 01 avril 1999, 1996-6185


FAITS ET PROCEDURE

Suivant acte reçu par Maître Y... le 28 décembre 1989, la société SEMAG a vendu à la SCI LES GRESILLONS un terrain sis à GENNEVILLIERS (Hauts de Seine) d'une contenance de 2.035 m composé de six parcelles, moyennant le prix de 4.972.000 francs TTC.

Il était convenu à l'acte que : "L'acquéreur sera propriétaire à compter de ce jour par le seul fait des présentes des parcelles AN n° 47, 49, 51 et 55. En ce qui concerne les parcelles cadastrées section AN n° 29 et n° 53, leur transfert de propriété est différé jusqu'au prononcé du jugement

constatant un même transfert de propriété au profit de la société SEMAG. Ce trans...

FAITS ET PROCEDURE

Suivant acte reçu par Maître Y... le 28 décembre 1989, la société SEMAG a vendu à la SCI LES GRESILLONS un terrain sis à GENNEVILLIERS (Hauts de Seine) d'une contenance de 2.035 m composé de six parcelles, moyennant le prix de 4.972.000 francs TTC.

Il était convenu à l'acte que : "L'acquéreur sera propriétaire à compter de ce jour par le seul fait des présentes des parcelles AN n° 47, 49, 51 et 55. En ce qui concerne les parcelles cadastrées section AN n° 29 et n° 53, leur transfert de propriété est différé jusqu'au prononcé du jugement constatant un même transfert de propriété au profit de la société SEMAG. Ce transfert sera constaté par un acte à recevoir par le notaire soussigné ...."

Sous le paragraphe "PRIX", il a été prévu que : "Le prix sera payable au plus tard ... le jour du transfert de propriété des parcelles AN numéros 53 et 29 et de leur libération ...."

Enfin, en page 9 l'acte prévoit qu'"à la sureté et garantie du paiement du prix de la vente ou de son solde ... stipulée payable à terme, le vendeur fait réserve à son profit du privilège de vendeur prévu par l'article 2103 paragraphe 1 du code civil."

Finalement, le transfert des parcelles cadastrées n° 29 et 53 est intervenu non par jugement mais par un acte notarié en date du 1er octobre 1991.

A la suite de cet acte, la société SEMAG a demandé à Maître Y..., notaire, de régulariser le transfert des deux dernières parcelles au profit de la SCI LES GRESILLONS et d'exiger le paiement du prix.

Le 18 mars 1992, la SCI LES GRESILLONS a comparu devant Maître Y... et a déclaré qu'elle refusait de payer le prix de l'ensemble des six parcelles.

Il est alors apparu que Maître Y... n'avait pas pris l'inscription

de privilège de vendeur contrairement à ce que prévoyait l'acte de vente en sa page 9, alors que dès le 5 janvier 1990 la SCI LES GRESILLONS avait revendu en l'état futur d'achèvement à la société SOGESTRI, un immeuble à édifier sur les parcelles cadastrées 47, 49, 51 et 55, le prix total convenu étant de 13.401.800 francs sur lequel une somme de 10.500 francs francs a été payée immédiatement.

Cette revente était réalisée sous le ministère de Maître MIGNARD.

Les ventes des 28 décembre 1989 et du 5 janvier 1990 ont été publiées par Maitre Y... à la conservation des hypothèques le 2 octobre 1990.

C'est dans ce contexte que la société SEMAG a introduit une procédure en résolution de la vente à l'encontre de la SCI LES GRESILLONS le 23 juin 1992, pour défaut de paiement du prix. Le COMPTOIR DES ENTREPRENEURS, bénéficiaire d'une inscription hypothècaire, est intervenu dans la procédure pour s'opposer à la résolution du contrat, en faisant valoir que la société SEMAG ne bénéficiait pas du privilège de vendeur.

A la suite de la mise en liquidation judiciaire de la SCI LES GRESILLONS, la procédure a été radiée, l'action en résolution judiciaire étant en outre vouée à l'échec puisque la SOGESTRI avait acquis l'immeuble selon acte de vente publié le 2 octobre 1990.

La société SEMAG a, en conséquence de cette situation, mis en cause Maître Y... et par jugement en date du 3 mai 1996, le tribunal de grande instance de NANTERRE a retenu que si l'omission fautive du notaire n'était pas contestable, le lien de causalité entre cette faute et le défaut de paiement du prix n'était nullement établi dès lors que l'omission imputable au notaire "ne peut être considérée comme la cause du refus par la SCI LES GRESILLONS de verser le prix de vente ni la cause de l'impossibilité de la société SEMAG à être payée sur le produit d'une vente intervenue à l'intérieur du délai de

deux mois pendant lequel l'inscription peut être prise." Le tribunal a en conséquence rejeté la demande de la société SEMAG.

Appelante de cette décision, la société SEMAG demande à la Cour de condamner Maître Y... à lui payer la somme de 4.126.760 francs majorée de la somme de 500.000 francs à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 20.000 francs au titre des frais irrépétibles.

Elle fait valoir les moyens et arguments suivants :

- son désistement, dans le cadre de la procédure de résolution, est sans incidence, ni conséquence et ne pouvait être retenu comme déterminant par le tribunal, dès lors qu'elle disposait de deux procédures possibles : l'action en résolution et l'action en exécution forcée. Elle pouvait donc assigner Maître Y... en responsabilité sans jamais exercer son action en résolution,

- le défaut d'inscription du privilège de vendeur lui interdisait de poursuivre l'action résolutoire et ce manquement est le fait du notaire,

- elle ne conteste pas que l'inscription n'aurait pas empêché la revente à la société SOGESTRI, mais soutient que l'inscription lui aurait permis de se payer sur le prix de la revente quel que soit le moment de son action,

- le privilège doit être inscrit dans les deux mois de la vente et prend rang à la date de l'acte de vente, soit au 28 décembre 1989, or en l'espèce, si le notaire avait jusqu'au 28 février 1990 pour inscrire le privilège du vendeur, la revente est intervenue le 5 janvier 1990 pour les parcelles 47, 49, 51 et 55,

- à supposer que la SCI LES GRESILLONS, dans le cadre de la revente du 5 janvier 1990, ait fait inscrire son privilège de vendeur, celui-ci ne pouvait prendre rang qu'à cette date, soit postérieurement au 28 décembre 1989, alors que l'article 2103 du code civil prévoit que lorsqu'il existe des ventes successives dont le

prix est dû en tout ou partie, le premier vendeur est préféré au second,

- la faute du notaire l'a manifestement empêchée d'obtenir le paiement de son prix sur celui de la revente des mêmes parcelles à la société SOGESTRI.

Pour conclure à la confirmation du jugement et à l'allocation de la somme de 18.000 francs au titre des frais irrépétibles, Maître Y... retient, comme le tribunal l'a fait, qu'il n'existait aucun lien de causalité entre la non-inscription du privilège et le non-paiement du prix puisque le montage fait par la société SEMAG prévoyait que le prix n'était exigible que lors de la libération de toutes les parcelles, qui n'est intervenue que le 18 mars 1992, soit vingt-six mois après l'acte de vente de la SCI LES GRESILLONS à la société SOGESTRI.

Maître Y... fait encore valoir que si le privilège de vendeur d'immeuble prend rang à la date de naissance de la créance garantie, la réalisation effective de ce privilège ne pouvait qu'être reportée selon la convention des parties.

DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION

Considérant que la non inscription du privilège de vendeur par Maître Y... n'est pas contestée, alors que l'acte du 28 décembre 1989 prévoyait expressément cette garantie au profit du vendeur ;

Considérant que la vente SEMAG / SCI LES GRESILLONS est intervenue le 28 décembre 1989, le paiement du prix devant être règlé au plus tard lors de la libération des parcelles 29 et 53, laquelle est intervenue le 1er octobre 1991, le refus de payer le prix par l'acquéreur étant consigné par le notaire le 18 mars 1992 ;

Considérant que la revente SCI LES GRESILLONS / SOGESTRI est intervenue le 5 janvier 1990 par le ministère de Maître MIGNARD, partie du prix, soit 10.500.000 francs, étant payée au comptant ;

Considérant que peu importe, présentement, le sort de l'action en résolution de la vente, que la seule question est de savoir si l'inscription du privilège de vendeur, dans le délai de deux mois, prenant effet à la date de la vente SEMAG / SCI LES GRESILLONS du 28 décembre 1989, aurait permis de garantir la société SEMAG du paiement de son prix, exigible au plus tard lors de la libération des deux dernières parcelles, effective au 1er octobre 1991, alors que la revente SCI LES GRESILLONS / SOGESTRI est intervenue le 5 janvier 1990 ;

Considérant que Maître Y... se devait, conformément à l'acte par lui rédigé le 28 décembre 1989, d'inscrire le privilège de vendeur de la société SEMAG, ce qu'il ne conteste pas ; qu'à tort le tribunal a retenu que ce manquement était sans rapport causal avec le préjudice subi par la société SEMAG, représenté par le non paiement du prix de vente des parcelles ; qu'en effet, si le privilège avait été régulièrement inscrit dans le délai de deux mois, il permettait à la société SEMAG de faire valoir, dans le cadre de la revente, le non paiement du prix de la vente initiale ; que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal et à ce que soutient Maître Y..., la société SEMAG était en droit de requérir le paiement dès lors que dans l'acte de vente SEMAG / SCI LES GRESILLONS il est prévu que "de convention expresse entre les parties, ce prix sera payable AU PLUS TARD le jour de la libération des immeubles actuellement occupés et du transfert de propriété des parcelles cadastrées AN numéros 53 et 29 et de leur libération" ;

Qu'en tout état de cause, l'inscription du privilège de vendeur permettait à la société SEMAG d'intervenir auprès du notaire, rédacteur de l'acte de revente, Maître Y..., pour qu'une mesure de séquestre soit opérée ;

Considérant que le premier manquement de Maître Y..., soit le

défaut d'inscription du privilège de vendeur, est aggravé par le fait qu'il a été le rédacteur de l'acte de revente et qu'il a accepté la remise à la SCI LES GRESILLONS du prix de la revente, alors qu'il savait parfaitement que le prix de la vente initiale n'était ni payé, ni garanti, lors de la revente, par une inscription de privilège de vendeur ;

Considérant qu'alors que la société SEMAG aurait pu et dû être réglée de son prix de vente, les agissements de Maître Y... ont finalement rendu sa créance irrécouvrable ;

Considérant que le préjudice subi par la société SEMAG est en rapport causal direct avec le comportement fautif du notaire et doit être réparé par l'allocation d'une somme de 4.126.760 francs représentant le prix de vente irrécouvrable, augmentée de la somme de 100.000 francs, ladite somme réparant les préjudices complémentaires subis par la société SEMAG du fait du non paiement du prix et de la présente procédure ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société SEMAG les frais irrépétibles exposés ; que la somme demandée de 20.000 francs doit lui être accordée ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

RECOIT la société SEMAG en son appel ;

LE DIT BIEN FONDE,

INFIRME le jugement déféré ;

STATUANT A NOUVEAU,

DIT que Maître Y... a commis une faute professionnelle en rapport causal direct avec le préjudice subi par la société SEMAG ;

EN CONSEQUENCE :

CONDAMNE Maître Y... à payer à la société SEMAG les sommes de

QUATRE MILLIONS CENT VINGT SIX MILLE SEPT CENT SOIXANTE FRANCS (4.126.760 francs) et de CENT MILLE FRANCS (100.000 francs) à titre de dommages-intérêts ;

LE CONDAMNE à payer la somme de VINGT MILLE FRANCS (20.000 francs) au titre des frais irrépétibles ;

LE CONDAMNE aux entiers dépens et dit que la SCP JULLIEN LECHARNY ROL pourra recouvrer directement contre lui les frais exposés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

ARRET REDIGE PAR :

Madame Colette GABET-SABATIER, Président,

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Le Greffier,

Le Président,

Catherine X...

Colette GABET-SABATIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-6185
Date de la décision : 01/04/1999

Analyses

OFFICIERS PUBLICS OU MINISTERIELS - Notaire - Responsabilité - Faute - Vente - Immeuble - Privilège du vendeur - Inscription

Lorsque le prix d'une vente est payable à terme "au plus tard le jour de la libération des immeubles et du transfert de propriété de (certaines parcelles)", le notaire qui, contrairement aux stipulations de l'acte de vente, ne procède pas dans le délai de deux mois à l'inscription du privilège du vendeur, interdit à celui-ci de faire valoir dans le cadre d'une revente le non paiement du prix de la vente initiale et, en tout état de cause, exclut toute intervention du vendeur auprès de ce même notaire, rédacteur de l'acte de revente, pour qu'une mesure de séquestre soit opérée. Dès lors que la non inscription du privilège du vendeur constitue un manquement du notaire à ses obligations, qu'aggravent les circonstances qu'il a été rédacteur de l'acte de revente et qu'il a accepté la remise du prix de cette revente au revendeur, sachant que le prix de vente initiale n'était ni payé ni garanti, ces agissements fautifs ont eu pour effet de rendre la créance du vendeur irrécouvrable. Le préjudice du vendeur étant en rapport causal avec la faute du notaire, il doit être réparé à concurrence de la perte du prix subie par le vendeur


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-04-01;1996.6185 ?
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