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12/03/1999 | FRANCE | N°1996-7827

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12 mars 1999, 1996-7827


FAITS ET PROCEDURE

La S.A. FRANCONDIS, Centre de Distribution E. Leclerc, et la S.A. LABORATOIRES VENDOME sont appelantes d'un jugement rendu le 5 juillet 1996 par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE qui a interdit sous astreinte de 1.OOO francs par infraction constatée la distribution par la S.A. FRANCONDIS des lunettes loupes prémontées, nommées "VUNETTE", et les a condamnées à verser au SYNDICAT DES OPTICIENS FRANCAIS INDEPENDANTS (S.O.F.I.) une indemnité sur le fondement de l'article 7OO du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les deux appels ont fait l'objet d'

une ordonnance de jonction le 3 février 1997.

La S.A. FRANCONDIS ...

FAITS ET PROCEDURE

La S.A. FRANCONDIS, Centre de Distribution E. Leclerc, et la S.A. LABORATOIRES VENDOME sont appelantes d'un jugement rendu le 5 juillet 1996 par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE qui a interdit sous astreinte de 1.OOO francs par infraction constatée la distribution par la S.A. FRANCONDIS des lunettes loupes prémontées, nommées "VUNETTE", et les a condamnées à verser au SYNDICAT DES OPTICIENS FRANCAIS INDEPENDANTS (S.O.F.I.) une indemnité sur le fondement de l'article 7OO du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les deux appels ont fait l'objet d'une ordonnance de jonction le 3 février 1997.

La S.A. FRANCONDIS fait grief au jugement entrepris d'avoir considéré que les lunettes prémontées étaient équipées de verres correcteurs et que leur distribution relevait à ce titre du monopole des opticiens lunetiers, alors que :

- le monopole n'est pas défini par rapport à la notion de verres correcteurs,

- aucune considération de santé publique ne justifie le monopole pour

la vente des lunettes-loupes,

- les lunettes-loupes ne sont pas des verres correcteurs, mais des verres grossissants,

- le monopole concédé aux opticiens porte atteinte à la concurrence, - le monopole constitue une restriction quantitative, au sens de l'article 3O du Traité de Rome, qui n'est pas justifiée par des raisons de santé publique, et qui est disproportionnée par rapport à l'objectif à atteindre.

Elle conclut, en conséquence, à l'infirmation du jugement et à la condamnation de la S.O.F.I. à une indemnité sur le fondement de l'article 7OO du Nouveau Code de Procédure Civile.

La S.A. LABORATOIRES VENDOME, importateur des lunettes loupes, rappelle que la notion de "verres correcteurs d'amétropie" constitue le critère d'application du monopole et soutient que la presbytie, qu'ils sont susceptibles de corriger, ne constitue pas une amétropie, mais une évolution physiologique de l'accommodation.

Elle soutient que la loupe ne corrige pas, mais donne seulement une image grossie et que fixer deux loupes sur une monture ne modifie pas leur fonction.

Elle rappelle que le monopole des opticiens lunetiers, sanctionné pénalement, est d'application stricte et qu'il ne saurait exister de "lunettes par présentation".

Elle conteste que le monopole soit justifié par des considérations de santé publique.

Elle conclut à l'infirmation du jugement et au versement d'une indemnité sur le fondement de l'article 7OO du Nouveau Code de Procédure Civile.

Le S.O.F.I., réplique que la jurisprudence, conforme à la doctrine ophtalmologiste, considère que les lunettes prémontées constituent en réalité des verres correcteurs, au sens des articles L 5O5 et suivants du Code de la Santé Publique et relèvent, en conséquence, du monopole des opticiens.

Il fait valoir que la Cour de Justice des Communautés Européennes a admis, sur le fondement de l'article 36 du Traité de Rome, la licéité du monopole dans des espèces voisines et qu'elle a rappelé à

plusieurs reprises qu'il appartenait aux Etats de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique et des moyens d'y parvenir, sous réserve que soit respecté la règle de la proportionnalité.

Il conclut à la confirmation du jugement entrepris, demande la publication de l'arrêt à intervenir dans trois revues spécialisées, aux frais des appelantes, et sollicite une indemnité sur le fondement de l'article 7OO du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société FRANCONDIS fait état d'un rapport du Conseil National de la Consommation qui se borne à préconiser d'adjoindre à chaque paire de lunettes-loupe commercialisée une notice d'information.

Elle réitère en conséquence qu'il ne s'agit pas de verres correcteurs et que le monopole constitue une entrave non justifiée aux dispositions du Traité de Rome.

Le S.O.F.I. rappelle que le C.N.C. n'est qu'un organisme consultatif, qui n'a pas vocation à connaître des problèmes de santé publique, et qui s'est borné à prescrire des mesures de mise en garde, dans sa sphère de compétence, qui est celle des relations entre professionnels et consommateurs.

La Société LABORATOIRES VENDOME relève que l'arrêté du 23 juillet

1996, qui oblige tout vendeur de verres correcteurs à proposer un devis préalablement à la vente, ne peut s'appliquer aux porte-loupes, ce qui confirme qu'elles ne constituent pas des verres correcteurs.

Le S.O.F.I. réplique que la référence à cet arrêté est étrangère au présent litige.

La S.A. FRANCONDIS indique que le Secrétaire d'Etat à la Santé, dans une réponse ministérielle du 16 février 1998 relative à l'optique lunetterie, a qualifié ces articles d'"aide visuelle à la lecture" et a relevé leur absence de dangerosité.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 1o décembre 1998.

MOTIFS

- Sur la portée du monopole des opticiens-lunetiers

Attendu que l'article L 5O5 du Code de la Santé Publique réserve l'exercice de la profession d'opticien-lunetier aux personnes titulaires du brevet professionnel ou d'un diplôme équivalent, selon

une liste limitative ;

Que l'article L 5O8 du même code, étendant cette obligation aux succursales et rayons d'optique lunetterie des magasins, interdit en son alinéa 2 le colportage des verres correcteurs d'amétropie ;

Attendu que, malgré l'absence de définition exhaustive des produits dont la vente est réservée aux titulaires d'un diplôme d'opticien-lunetier, il est manifeste que relève du monopole l'ensemble de ceux dont le colportage est interdit ;

Attendu que les articles vendus sous le nom de "Vunettes" sont constitués d'une monture de type lunette, équipée de deux verres-loupe ;

Attendu que ces articles peuvent remplir deux fonctions en étant utilisés :

- d'une part, par des personnes sans aucune déficience visuelle pour des travaux nécessitant le grossissement des objets auxquels ils s'appliquent, tels que horlogerie, restauration d'objets, couture délicate, etc...,

- d'autre part, pour des fonctions habituelles de lecture ou d'écriture par des personnes atteintes de presbytie.

Attendu que seule la seconde fonction est susceptible de relever du monopole ;

Attendu qu'il n'est pas contestable que les lunettes-loupes, utilisées pour cette fonction, constituent alors des verres correcteurs du défaut d'accommodation ;

Mais attendu que les appelants font valoir que la presbytie ne constituerait pas une amétropie ;

Attendu que le Professeur HAUT, dans un rapport d'expertise judiciaire, rappelle que l'amétropie est une anomalie de l'oeil, correspondant à un vice de réfraction, qui englobe l'hypermétropie, la myopie et l'astygmatisme, alors que la presbytie "qui est la diminution, puis la disparition physiologique de l'accommodation" ne fait pas partie des amétropies ;

Mais attendu que les auteurs cités par le Professeur HAUT, s'ils ont tous distingué la presbytie des autres anomalies de la vision, dénomment aussi pour certains la première "amétropie dynamique", due à un défaut acquis de l'accommodation et les autres "amétropies statiques" ;

Attendu qu'il peut en conséquence être affirmé, sans que cela excède les limites de l'application même stricte du monopole, que l'article L 5O8, destiné à réglementer l'activité de professionnels de l'optique, mais aussi de commerçants non spécialisés, entendait par "amétropie" toutes les déficiences visuelles, qu'elles soient pathologiques, comme celles relevant de l'amétropie statique, ou physiologiques, comme celles relevant de l'amétropie dynamique ou presbytie ;

Attendu que tout différence de traitement serait, en outre, arbitraire au regard des dispositions de l'alinéa 3 de l'article L 5O8, qui interdit sans aucune distinction la délivrance sans ordonnance de verres correcteurs aux personnes âgées de moins de 16 ans ;

Attendu enfin que l'arrêté du 23 juillet 1996, qui impose de proposer un devis avant la vente de verres correcteurs, bien que sans objet relativement aux porte-loupes, produit fini proposé en l'état à la vente, ne peut remettre en cause l'analyse fonctionnelle du produit ; Attendu que la vente des "Vunettes" est en conséquence, en application des articles L 5O5 et L 5O8 du Code de la Santé PUBLIQUE, réservée aux personnes titulaires d'un des diplômes exigés par les articles L 5O5 et suivants ;

- Sur la compatibilité du monopole des opticiens-lunetiers avec le Traité de Rome

Attendu que la Cour de Justice des Communautés Européennes, dans un arrêt du 25 mai 1993, s'imposant en droit aux juridictions nationales des états-membres, a considéré que l'article 3O du Traité s'opposait à ce qu'une législation nationale réserve la vente de verres correcteurs aux seuls titulaires d'un diplôme d'optique-lunetterie, mais que cette limitation pouvait être justifiée, au sens de l'article 36 du Traité, pour des raisons tenant à la protection de la Santé Publique ;

Attendu que les appelants font état d'un rapport du Conseil National de la Consommation pour l'année 1996 et d'une réponse ministérielle à question écrite du 16 février 1998 pour soutenir, qu'en l'absence de dangerosité des lunettes-loupes, il ne saurait être allégué de raisons tenant à la protection de la Santé Publique ;

Mais attendu qu'il n'est pas allégué que l'utilisation des porte-loupes soit susceptible d'occasionner d'autres inconvénients qu'une gêne oculaire ou des maux de tête passagers, qui cèdent dès qu'il y est mis fin ;

Attendu que le rapport du Conseil National de la Consommation, comme la réponse ministérielle qui écartait toute urgence dans la prise d'une décision restrictive, se sont dès lors bornés à relever l'absence de dangerosité intrinsèque du produit, le C.N.C., intervenant dans le domaine qui est le sien des rapports entre fournisseurs et utilisateurs, préconisant un étiquetage informatif en direction du consommateur ;

Attendu que la simple absence de dangerosité immédiate des porte-loupes ne suffit en conséquence pas à démontrer que des considérations relatives à la protection de la Santé Publique soient étrangères aux limitations imposées à la libre concurrence ;

Attendu que, ainsi que le relève le Professeur HAUT dans le rapport cité ci-dessus, la presbytie apparait après la quarantaine, à l'âge où commencent à se manifester la plupart des maladies graves des yeux, à savoir la cataracte, la dégénérescence maculaire, la rétinopathie diabétique et le glaucome ;

Attendu que la consultation ophtalmologique habituelle quoique non obligatoire précédant la prescription de verres correcteurs ou, à défaut les conseils et l'orientation donnés par un professionnel de l'optique-lunetterie constituent dès lors une part importante de la prévention des maladies oculaires ;

Que réserver à des professionnels qualifiés la vente des verres correcteurs s'inscrit en conséquence dans une politique générale de prévention et est justifié par une nécessité de protection de la Santé Publique au sens de l'article 36 du Traité de Rome ;

Attendu que les appelants soutiennent que cette mesure, quand bien même elle pourrait trouver ainsi un début de justification, serait disproportionnée par rapport au but poursuivi ;

Mais attendu que la fabrication et la vente des porte-loupes ne sont pas remises en cause par le monopole de vente ;

Que leur vente ne constituait pour les revendeurs autres que les opticiens qu'une activité marginale ;

Attendu que les appelants ne démontrent pas que d'autres mesures, telles que l'étiquetage informatif qu'ils préconisent après le C.N.C., suffiraient à répondre aux exigences de protection de la santé publique ;

Attendu qu'il n'apparait donc pas que le maintien du monopole ait sur la libre concurrence des conséquences exagérées, disproportionnées par rapport au but de protection de la Santé Publique poursuivi ;

Attendu que le S.O.F.I. est donc bien fondé à demander l'interdiction de la vente des porte-loupes de marque "Vunette" par des personnes ne remplissant pas les conditions des articles L 5O5 et suivants du Code de la Santé Publique ;

Que le jugement entrepris sera confirmé ;

Attendu que le présent arrêt n'entre, ni par sa matière, ni par la qualité des parties, dans le champ d'application des dispositions relatives à la publication dans la presse des décisions de justice ; Attendu qu'il n'apparait pas équitable que le S.O.F.I. conserve la charge des frais irrépétibles qu'il a du exposer ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement entrepris,

Déboute le S.O.F.I. de sa demande de publication,

Condamne solidairement la Société FRANCONDIS et la Société des LABORATOIRES VENDOME à payer au S.O.F.I. la somme de 1O.OOO francs sur le fondement de l'article 7OO du Nouveau Code de Procédure Civile,

Les condamne aux dépens d'appel, qui seront recouvrés en priorité au profit de la SCP MERLE DORON CARENA, Avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Arrêt prononcé par Madame PRAGER-BOUYALA, Conseiller,

Assisté de Monsieur X..., Greffier Divisionnaire,

Et ont signé le présent arrêt,

Monsieur FALCONE, Président,

Monsieur X..., Greffier Divisionnaire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-7827
Date de la décision : 12/03/1999

Analyses

PROFESSIONS MEDICALES ET PARAMEDICALES - Auxiliaires médicaux - Opticien-lunetier - Monopole des opticiens-lunetiers - Vente de lunettes "prémontées" ou "porte-loupes".

La distribution par une société commerciale de montures de type lunette équipées de deux verres-loupe, pouvant être utilisées pour des fonctions habituelles de lecture ou d'écriture par des personnes atteintes de presbytie, constitue une atteinte au monopole des opticiens-lunetiers en application des dispositions de l'article 508 du Code de la santé publique

PROFESSIONS MEDICALES ET PARAMEDICALES - Auxiliaires médicaux - Opticien-lunetier - Vente de lentilles de contact et produits connexes - Vente réservée aux titulaires du diplôme d'opticien-lunetier - Exception à la libre circulation des marchandises - Exception justifiée par l'article 36 du Traité de Rome - /.

Selon un arrêt du 25 mai 1993 de la Cour de Justice des Communautés Européennes, s'imposant aux juridictions des Etats membres, l'article 30 du traité de Rome s'oppose à ce qu'une législation nationale réserve la vente de verres correcteurs aux seuls titulaires d'un diplôme d'optique-lunetterie, sauf à ce que la limitation soit justifiée, au sens de l'article 36 du même traité, par des raisons tenant à la protection de la santé publique. La consultation ophtalmologique habituelle quoique non obligatoire précédant la prescription de verres correcteurs ou, à défaut les conseils et l'orientation donnés par un professionnel de l'optique-lunetterie constituent une part importante de la prévention des maladies oculaires. Dès lors, réserver à des professionnels qualifiés la vente des verres correcteurs s'inscrit en conséquence dans une politique générale de prévention et est justifié par une nécessité de protection de la santé publique au sens de l'article 36 du traité de Rome


Références :

Traité de Rome, articles 30 et 36

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-03-12;1996.7827 ?
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