Le 19 mai 1990, Madame Isabelle X... a subi une arthrographie du genou gauche pratiquée par le Docteur Y... à la CLINIQUE CONTI, 15 avenue de Paris à L'ISLE ADAM (Val d'Oise).
Des douleurs avec gonflement du genou s'étant manifestées dans les jours qui ont suivi cet examen, Madame X... a, le 22 mai 1990, consulté le Docteur LE Z..., lequel a pratiqué une ponction du genou qui a permis de mettre en évidence une infection bactérienne.
Désigné en qualité d'expert par ordonnance de référé du 17 juillet 1991, sur assignation de Madame X..., le Professeur A... a, le 17 novembre 1991, déposé un rapport d'expertise d'où il résultait que Madame X... avait développé une arthrite infectieuse à staphylocoques consécutivement à l'arthrographie du genou pratiquée par le Docteur Y....
Par actes d'huissier des 1er, 2 et 7 décembre 1992, Madame X... a fait assigner devant le tribunal de grande instance de PONTOISE le Docteur Y..., sa compagnie d'assurances LE SOU MEDICAL et la CLINIQUE CONTI en vue de les voir condamnés à réparer les conséquences dommageables de l'infection consécutive à l'intervention du 19 mai 1990.
Assignée en déclaration de jugement commun, la CPAM DU VAL D'OISE n'a pas comparu.
Par jugement réputé contradictoire du 24 mai 1994, le tribunal de grande instance de PONTOISE a :
- mis hors de cause la CLINIQUE CONTI en la déboutant de sa demande sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- condamné le Docteur Y... et sa compagnie d'assurances à réparer les conséquences dommageables de l'infection consécutive à l'arthrographie pratiquée le 19 mai 1990,
- avant-dire droit sur la réparation du préjudice de Madame X..., ordonné une expertise médicale,
- condamné le Docteur Y... et la compagnie LE SOU MEDICAL à payer à Madame X... la somme de 4.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Statuant sur l'appel du Docteur Y... et de la compagnie LE SOU MEDICAL, et l'appel incident de Madame X..., la Cour d'appel de céans, par arrêt du 11 avril 1996, a :
- débouté Madame X... de son appel incident tendant à voir réformer le jugement déféré en ce qu'il a mis hors de cause la CLINIQUE CONTI,
- avant-dire droit sur la responsabilité du Docteur Y..., ordonné un complément d'expertise en demandant au Docteur A... de :
o
dire si des précautions particulières en matière d'antisepsie et d'asepsie, conformes aux données acquises de la science en 1990, auraient permis de supprimer, sinon de réduire, la complication dont a été victime Madame X...,
o
dans l'affirmative, les décrire et indiquer si elles sont habituellement mises en oeuvre dans le cadre d'une arthrographie ou si leur emploi est limité à certaines hypothèses,
o
indiquer, dans le cas particulier de Madame X..., les précautions qui s'imposaient en vue d'éviter la complication survenue,
o
faire toutes constatations utiles et répondre aux dires éventuels des parties.
Par ordonnance du conseiller de la mise en état du 22 mai 1996, le Docteur Pierre-Albert B..., expert, a été désigné en
remplacement du Professeur A....
Le Docteur B... a déposé son rapport le 22 octobre 1996.
Sa conclusion était la suivante : "A la suite de l'arthrographie du genou gauche pratiquée le 19 mai 1990 par le Docteur Y..., Madame X... a été victime d'une complication septique (arthrite purulente) nécessitant deux arthroscopies avec lavage articulaire, plusieurs hospitalisations, une rééducation pénible et prolongée dans le temps (390 séances en quatre ans). Il persiste actuellement des séquelles articulaires du genou gauche. Cependant, les précautions en matières d'antisepsie et d'asepsie prises par le Docteur Y... lors de son geste sont parfaitement conformes aux données acquises de la science en 1990, et la complication septique grave observée chez Madame X... fait partie des risques, exceptionnels mais parfaitement connus, de ce type d'acte."
Au vu de ce rapport d'expertise, la Cour a, par un nouvel arrêt rendu le 22 janvier 1998, rendu la décision dont le dispositif est le suivant :
"- réforme le jugement rendu entre les parties le 24 mai 1994 par le tribunal de grande instance de PONTOISE en ce qu'il a retenu une faute du Docteur Y... dans la réalisation de la désinfection cutanée en relation de causalité avec l'infection bactérienne et condamné le Docteur Y... et sa compagnie d'assurances LE SOU MEDICAL à réparer les conséquences dommageables de l'infection consécutive à l'arthrographie pratiquée le 19 mai 1990,
statuant à nouveau,
- dit que le Docteur Y... n'a pas commis de manquement à son obligation de moyens dans la mise en oeuvre de l'acte médical, mais qu'en revanche, il n'a pas rempli son devoir d'information sur les risques inhérents à l'intervention,
- évoque sur la réparation du préjudice,
mais, avant-dire droit, sur l'indemnisation de la perte de chance résultant de ce défaut d'information de Madame X...,
- ordonne une expertise médicale et désigne pour y procéder le Docteur Pierre-Albert B... - Hôpital Ambroise Paré - 92100 BOULOGNE-BILLANCOURT, avec pour mission de :
o
dire si, au cas où Madame X..., informée des risques inhérents à l'arthrographie, avait refusé de s'y soumettre, son médecin traitant pouvait prescrire un autre examen, ou si une arthrographie était en toute hypothèse indispensable pour permettre le traitement et la guérison de cette patiente,
o
examiner Madame Isabelle X..., décrire les lésions qu'elle a subies à la suite de l'intervention du 19 mai 1990, les traitements appliqués, l'état actuel,
o
déterminer la durée de l'incapacité temporaire, dire si cette incapacité a été totale ou si une reprise partielle d'activité a été possible, et dans l'affirmative, à quelle date,
o
fixer la date de la consolidation des séquelles,
o
qualifier le pretium doloris, le préjudice esthétique et le préjudice d'agrément,
o
dire s'il subsiste une incapacité permanente partielle, en déterminer les éléments constitutifs, en fixer le taux exprimant le déficit physiologique entre la capacité existant avant l'intervention et celle subsistant après celle-ci,
- dit que l'expert pourra se faire remettre par les parties tous
documents utiles et prendre l'avis d'un confrère, dans une autre spécialité que la sienne, en informant les parties de l'avis de ce dernier et en recueillant leurs observations sur ce point,
- dit que l'expert déposera son rapport dans un délai de quatre mois à compter de l'avis de consignation de la provision qu'il recevra,
- dit que Madame X... versera au greffe de la Cour une somme de 3.000 francs à titre d'avance sur les frais d'expertise dans un délai de deux mois à compter du présent arrêt,
- condamne in solidum le Docteur Y... et la compagnie LE SOU MEDICAL à verser à Madame X... une indemnité provisionnelle de 3.000 francs, ainsi qu'une somme de 5.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- condamne in solidum le Docteur Y... et la compagnie LE SOU MEDICAL aux dépens exposés à ce jour, y compris les frais d'expertise, et dit qu'ils pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile."
Au vu du rapport déposé le 30 avril 1998 par le Docteur B..., le Docteur Y... et la compagnie LE SOU MEDICAL, appelants, demandent à la Cour de :
- dire que Madame X... n'a subi aucun préjudice pour perte de chance du fait du défaut d'information sur le risque infectieux, imputable au Docteur Y...,
- débouter en conséquence Madame X... de l'intégralité de ses demandes,
- condamner Madame X... au remboursement de la provision de 3.000 francs précédemment allouée,
- subsidiairement, dire que Madame X... ne peut prétendre qu'à une indemnité de strict principe couvrant la chance qu'elle a perdue, faute d'avoir été mise à même de refuser l'intervention litigieuse, du fait de l'absence d'informations sur les risques encourus.
Madame X..., intimée, demande à la Cour de :
- constater que la survenance du dommage dont il est demandé réparation constitue la réalisation du risque qui aurait dû être signalé,
- la déclarer recevable et bien fondée en sa demande d'indemnisation du préjudice par elle subi à la suite du défaut d'information imputable au Docteur Y...,
- condamner en conséquence in solidum le Docteur Y... et sa compagnie d'assurances LE SOU MEDICAL à l'indemniser de l'intégralité du préjudice par elle subi,
- condamner en conséquence in solidum la compagnie LE SOU MEDICAL et le Docteur Y... au paiement d'une somme de 156.430,74 francs au titre du préjudice soumis à recours,
- les condamner également in solidum au paiement d'une somme de 75.000 francs au titre des préjudices personnels,
- les condamner in solidum au paiement d'une somme de 15.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La CPAM DU VAL D'OISE, intimée, demande à la Cour de :
- constater que sa créance s'élève à la somme de 47.845,07 francs,
- dire et juger qu'elle a droit au remboursement prioritaire de sa créance sur l'indemnité mise à la charge du tiers réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime,
- dire et juger que ces sommes doivent porter intérêts de droit à compter de la première demande pour les prestations servies antérieurement à celle-ci, et à partir de leur règlement pour les débours effectués postérieurement,
- en tant que de besoin, condamner in solidum le Docteur Y... et la compagnie LE SOU MEDICAL à lui payer : o
la somme de 47.845,07 francs, o
les intérêts sur ces mêmes sommes à compter de la première demande pour les prestations servies antérieurement à celles-ci, et à partir de leur règlement pour les débours effectués postérieurement,
- lui donner acte de ses réserves pour les prestations non connues à ce jour, et pour celles qui pourraient être versées ultérieurement.
SUR CE, SUR LA DEMANDE DE MADAME X...
Considérant que dans son rapport déposé le 30 avril 1998, le Docteur B... indique, sans être contredit, que si Madame X... avait été informée des risques inhérents à l'arthrographie et avait en conséquence refusé de s'y soumettre le 19 mai 1990, son médecin traitant aurait eu alors la possibilité de lui prescrire une arthroscopie pour signer le diagnostic de lésion méniscale qui était très fortement suspecté ;
Que ledit expert précise que cette arthroscopie, comme tout examen invasif, aurait présenté elle-même un risque infectieux, et exclut qu'un autre examen eût pu lui être substitué à l'époque ;
Qu'ajoutant que l'arthrographie pratiquée par le Docteur Y... était en 1990 et reste actuellement l'examen de référence en pathologie méniscale, il est d'avis qu'elle était indispensable en vue du diagnostic, du traitement et de la guérison de Madame X..., qui se plaignait de blocages articulaires ;
Considérant que sans discuter les énonciations de l'expert, Madame X... fait valoir que le défaut d'information imputable au Docteur Y... ne lui a pas permis d'apprécier les risques de l'arthrographie litigieuse, et conclut finalement que le défaut d'information dont il s'agit a eu pour conséquence "d'anéantir toute chance réelle et sérieuse d'une amélioration de son état, et d'en éviter l'aggravation" ;
Qu'exposant que le dommage dont elle a souffert constitue la réalisation du risque qui aurait dû lui être signalé, elle demande à
la Cour de condamner le Docteur Y... et son assureur à réparer l'intégralité dudit dommage, en fixant à la somme de 156.430,74 francs le montant du préjudice soumis au recours de l'organisme social et à la somme de 75.000 francs le montant du préjudice personnel ;
Considérant toutefois qu'en n'informant pas sa patiente du risque infectieux inhérent à la réalisation d'une arthrographie, voire à celle de l'arthroscopie, tout aussi dangereuse, qui aurait pu lui être substituée - l'un ou l'autre de ces examens étant indispensable au traitement et à la guérison, selon l'avis non contesté de l'expert - le Docteur Y... a en réalité privé Madame X... de la possibilité d'opter, en connaissance de cause, pour le choix de se faire soigner, moyennant un risque exceptionnel d'infection et d'aggravation corrélative de son état, ou au contraire pour le choix délibéré de ne pas se laisser traiter ;
Que la chance perdue par Madame X... de ne pas avoir été à même de se soustraire, du fait même du défaut d'information imputable au médecin, au risque infectieux qui s'est en l'occurrence réalisé, indépendamment de la faute du Docteur Y..., ne peut donc s'identifier à la réalisation du risque lui-même, mais s'apprécie au regard de la latitude dont disposait effectivement Madame X... de refuser le risque encouru, et conduit ainsi à rechercher d'une manière objective si Madame X... pouvait se permettre ou non, compte tenu de l'état de ses genoux, de refuser le traitement de sa maladie et partant l'examen litigieux ou l'arthroscopie qui aurait pu être pratiquée à sa place ;
Qu'à cet égard, le Docteur B... rappelle que Madame X... se plaignait depuis 1989 de souffrir des deux genoux, et qu'en raison tant de l'accentuation des douleurs du genou gauche, malgré une kinésithérapie, que de l'apparition de blocages articulaires
douloureux, elle s'est déterminée à consulter un rhumatologue, le Docteur C..., auteur de la prescription de l'arthrographie litigieuse, d'où il suit que Madame X..., du fait de ses souffrances et de l'état de son genou gauche, était contrainte de se faire soigner et y était résolue ;
Que la Cour constate du reste que Madame X... ne prétend pas qu'elle aurait renoncé à se faire traiter, si elle avait eu connaissance des risques inhérents à l'examen litigieux, mais se borne à soutenir qu'elle aurait refusé l'examen dont il s'agit ;
Qu'il apparait dans ces conditions que la chance perdue par Madame X..., du fait de son manque d'information, de refuser l'arthrographie litigieuse et d'éviter ainsi l'infection et ses conséquences dommageables, était de faible importance, et qu'elle sera compensée par l'allocation d'une indemnité que la Cour est en mesure de fixer à la somme de 15.000 francs ;
Qu'il convient en conséquence de condamner le Docteur Y... et son assureur au paiement de ladite somme, à titre de dommages-intérêts, sauf à déduire la provision de 3.000 francs précédemment allouée ; SUR LE RECOURS DE LA CPAM DU VAL D'OISE
Considérant que le préjudice subi par Madame X..., du fait du défaut d'information imputable au Docteur Y..., n'est pas assimilable à une atteinte à l'intégrité physique de la victime, mais constitue un dommage de caractère personnel, échappant au recours des organismes sociaux ;
Qu'il y a lieu en conséquence de rejeter la demande de la CPAM DU VAL D'OISE, tendant à l'autoriser à se rembourser prioritairement de sa créance (47.845,07 francs) sur l'indemnité mise à la charge du Docteur Y... et de la compagnie LE SOU MEDICAL, ainsi que la demande en paiement formée en tant que de besoin contre les mêmes ; SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
Considérant que l'équité commande d'allouer à Madame X... une somme de 4.000 francs au titre des frais non taxables par elle exposés depuis le précédent arrêt ;
Qu'il convient de mettre les dépens postérieurs au précédent arrêt à la charge du Docteur Y... et de son assureur, la compagnie LE SOU MEDICAL ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
VU les arrêts des 11 avril 1996 et 22 janvier 1998, et le rapport d'expertise déposé le 30 avril 1998,
CONDAMNE le Docteur Y... et son assureur, la compagnie LE SOU MEDICAL, à payer à Madame X... une somme de DOUZE MILLE FRANCS (12.000 francs) à titre de dommages-intérêts, après déduction de la provision de 3.000 francs allouée par l'arrêt du 22 janvier 1998 ;
REJETTE les demandes de la CPAM DU VAL D'OISE ;
CONDAMNE le Docteur Y... et la compagnie LE SOU MEDICAL à payer à Madame X... une somme de QUATRE MILLE FRANCS (4.000 francs) au titre des frais non taxables par elle exposés depuis l'arrêt du 22 janvier 1998 ;
CONDAMNE le Docteur Y... et la compagnie LE SOU MEDICAL aux dépens postérieurs à l'arrêt du 22 janvier 1998, lesquels pourront être directement recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
ARRET REDIGE PAR :
Monsieur Gérard MARTIN, Conseiller,
ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :
Le Greffier,
Le Président,
Catherine CONNAN
Colette GABET-SABATIER