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17/02/1999 | FRANCE | N°1999-180P

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17 février 1999, 1999-180P


RAPPEL DES FAITS Dans la nuit du 18 au 19 septembre 1995, GB épouse X... (Y...), ayant eu un malaise, faisait appel à SOS Médecins.GA, médecin de garde dans cet organisme, se rendait au chevet de la malade à 4 h 24. Elle diagnostiquait une "crise d'angoisse", prescrivait un comprimé d' atarax, et quittait les lieux environ une heure après son arrivée. La malade s'endormait après le départ du médecin. Elle était réveillée par son mari lorsque celui-ci se préparait à partir travailler, vers 6 h du matin, et elle déclarait alors qu'elle se sentait bien. A la suite d'un nouveau ma

laise constaté vers 8 h 20, des voisins, alertés par la fille de...

RAPPEL DES FAITS Dans la nuit du 18 au 19 septembre 1995, GB épouse X... (Y...), ayant eu un malaise, faisait appel à SOS Médecins.GA, médecin de garde dans cet organisme, se rendait au chevet de la malade à 4 h 24. Elle diagnostiquait une "crise d'angoisse", prescrivait un comprimé d' atarax, et quittait les lieux environ une heure après son arrivée. La malade s'endormait après le départ du médecin. Elle était réveillée par son mari lorsque celui-ci se préparait à partir travailler, vers 6 h du matin, et elle déclarait alors qu'elle se sentait bien. A la suite d'un nouveau malaise constaté vers 8 h 20, des voisins, alertés par la fille de la malade, faisaient appel au SAMU. Près d'une heure plus tard, le médecin régulateur du SAMU envoyait au domicile de Mme Y... une ambulance privée non médicalisée, par laquelle la malade était conduite au service des urgences de l'Hôpital d'E où était diagnostiqué un infarctus du myocarde. Y... était alors transférée au Centre cardiologique du Nord à ST DENIS, où elle décédait le 21 septembre. A la suite de ce décès, une information était ouverte sur constitution de partie civile le 5 octobre 1995, qui conduisait à la mise en examen du Dr Z... et du Dr A..., médecin régulateur du SAMU. AG déclarait qu'elle avait procédé à un examen complet de la patiente et s'était notamment enquise de ses antécédents personnels et familiaux, la questionnant sur les facteurs de risque cardio-vasculaire. Elle précisait qu'elle avait proposé à Mme Y... un électrocardiogramme, que la malade avait refusé, estimant qu'il ne pouvait s'agir d'un problème cardiaque : selon elle, Y... avait expliqué qu'elle était angoissée ce jour-là, anniversaire de ses 30 ans, au motif que, le jour de ses 15 ans, on avait diagnostiqué chez elle la maladie de Hodgkin (guérie depuis lors). C'est dans ces conditions que Z... avait conclu à une crise d'angoisse et prescrit un comprimé d' atarax. Les experts commis par le juge d'instruction écrivaient dans leur rapport que, si le Dr Z... avait

fait preuve de disponibilité et de sympathie à l'égard de la patiente, qu'elle avait bien examinée, elle avait été inefficace, ne faisant pas d'électrocardiogramme et, ainsi, ne se donnant pas les moyens du diagnostic, malgré une douleur typique; ils en concluaient que "le décès de Mme Y... aurait pu être évité si le Dr Z..., Médecin SOS, avait pratiqué un électrocardiogramme, reconnu l'urgence coronarienne, et fait appel au SAMU". Les experts ajoutaient . "Elle a commis une négligence, accrue par celle du médecin régulateur du SAMU qui, en raison de la surcharge de travail au moment de l'appel le 19 septembre 1995 au matin, n'a pas permis une prise en charge plus précoce de la patiente". A l'issue de l'information, le juge d'instruction rendait une ordonnance de non-lieu partiel au profit du Dr A..., estimant que "ses erreurs d'appréciation résultaient du diagnostic erroné effectué par le Dr Z...", et une ordonnance de renvoi de Mme Z... devant le tribunal pour avoir à A..., le 18 septembre 1995, par négligence, causé la mort de Y.... C'est dans ces conditions qu'a été rendu le jugement frappé d'appel. A l'audience de la Cour, la prévenue confirme ses déclarations antérieures, maintenant qu'elle a proposé l'électrocardiogramme à Mme Y..., "sans toutefois insister", et que celle-ci a refusé. Elle souligne que les experts désignés par le juge d'instruction sont des cardiologues et non des urgentistes, exerçant dans des conditions fort différentes. Le Dr B..., dont l'audition a été ordonnée par la Cour, explique les conditions d'exercice de la médecine d'urgence et donne son point de vue sur l'utilité de prescrire un électrocardiogramme. C..., mari de la victime et partie civile, affirme que l'électrocardiogramme n'a pas été proposé à son épouse. Considérant que la prévenue a bien commis, en ne pratiquant pas un électrocardiogramme, une faute directement à l'origine du décès, son conseil demande à la Cour, par conclusions déposées le 6 janvier 1999 - de réformer le jugement rendu par le

Tribunal correctionnel de PONTOISE en date du 6 avril 1998, et en conséquence, - de rentrer en voie de condamnation à l'encontre du Docteur Z..., - de dire et juger que le Tribunal correctionnel de PONTOISE a méconnu les dispositions de l'article 470-1 du Code de procédure pénale et, en tout état de cause, - de recevoir les concluants en leurs constitutions de partie civile, Y faisant droit, - de condamner Madame Agnès Z... à payer: - à Monsieur C... à titre personnel et en réparation de son préjudice moral la somme de 120.000 francs et es-qualité de représentant légal de ses enfants mineurs Ludivine et Kévin la somme de 80.000 francs pour chacun d'eux, - à Monsieur et Madame D..., parents de la victime, en réparation de leur préjudice moral la somme de 50.000 francs pour chacun d'eux, - à Monsieur et Madame Bernard X..., beaux-parents de la victime, en réparation de leur préjudice moral la somme de 30.000 francs pour chacun d'eux, - à Monsieur Jean-Louis D..., frère de la victime, en réparation de son préjudice moral la somme de 20.000 francs, - à Monsieur Maurice D..., frère de la victime, en réparation de son préjudice moral la somme de 20.000 francs, - à Madame Marie-Hélène D..., soeur de la victime, en réparation de son préjudice moral la somme de 20.000 francs, - à Madame Mireille E..., soeur de la victime, en réparation de son préjudice moral la somme de 20.000 francs, - à Monsieur Bernard D..., frère de la victime en réparation de son préjudice moral la somme de 20.000 francs, - à Monsieur C... en réparation de son préjudice matériel la somme de 52.090,04 francs, - à Monsieur C... en réparation de son préjudice patrimonial la somme de 471.649 francs et es-qualité de représentant légal de Ludivine la somme de 427.023 francs et de Kévin la somme de 458.237 francs, - de dire et juger que les sommes des condamnations attendues porteront intérêts de droit à compter des présentes conclusions, - de condamner Madame Z... à payer aux concluants la somme de 20.000 francs au titre

de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, - de donner acte à Monsieur C... de ce qu'il compte pour mémoire les frais médicaux et assimilés, Le Ministère Public requiert l'infirmation du jugement, s'en rapportant sur la peine. Par conclusions déposées le 6 janvier 1999, le conseil de la prévenue demande à la Cour - de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 6 avril 1998 par la 6°chambre A du Tribunal correctionnel de PONTOISE,En conséquence , pour l'ensemble des motifs exposés ci-dessus, - de prononcer la relaxe de Madame le Docteur Z... des fins de la poursuite, - de débouter les Consorts F..., et la CPAM du Val d'Oise, de leurs constitutions de parties civiles, en raison de la relaxe intervenue, - de constater que devant le Tribunal correctionnel, les parties civiles n'ont pas invoqué les dispositions de l'article 470-1 du Code de procédure pénale, Très subsidiairement - si la demande formulée par les partie civiles; sur le fondement de l'article 470-1 du Code de procédure pénale, pour la première fois devant la Cour d'appel, était jugée recevable, - de débouter les consorts F... et la CPAM du Val d'Oise, de l'ensemble de leurs demandes, la faute du Docteur Z... sur le fondement de l'article 1147 du Code civil n'étant pas établie, ni l'existence d'un lien de causalité certain, entre le manquement, si la preuve en était rapportée, et le préjudice allégué, Par conclusions déposées le 6 janvier 1999, la CPAM du Val d'Oise demande à la Cour - d'infirmer le jugement dont appel et, statuant à nouveau, - de déclarer Madame Z... coupable du délit qui lui est reproché, - de la condamner à rembourser à la CPAM du Val d'Oise la somme de 35.465,75 francs avec intérêts de droit, MOTIFS DE LA DECISION Considérant que les appels, interjetés dans les formes et délais légaux, sont recevables; Sur l'action publique Considérant qu'il n'est pas contesté que l'électrocardiogramme est, le plus souvent, utile au diagnostic de l'infarctus du myocarde et ne présente aucun

inconvénient médical; que, selon la prévenue elle-même, les seules objections, minimes, que l'on peut soulever à propos de cet acte concernent uniquement le coût légèrement accru de l'intervention et le caractère éventuellement anxiogène pour le patient; qu'en l'espèce, si cet acte avait été accompli, il est probable que l'urgence coronarienne aurait pu être détectée; qu'ainsi, grâce à une intervention plus précoce du SAMU, la victime aurait peut-être été sauvée; Considérant que la prévenue admet qu'elle aurait pu, sans aucune difficulté, procéder à l'électrocardiogramme de Y..., étant en possession de l'appareil lors de son intervention; que, dans ces conditions, en se privant de cette technique et, ainsi, en ne se donnant pas les moyens du diagnostic d'infarctus malgré une douleur typique, Z... a incontestablement commis une faute; que, la faute étant établie, le seul point véritablement en discussion concerne le lien de causalité entre cette faute et le dommage; Considérant qu'il ressort de la littérature spécialisée que l'utilité de l'électrocardiogramme dans le bilan d'une maladie cardiaque est variable selon la situation clinique, le tracé n'étant pas systématiquement anormal; qu'en outre, il ne suffit évidemment pas que le diagnostic soit correctement posé pour que le traitement de ce type de pathologie soit couronné de succès, ainsi qu'en témoigne le pourcentage très important de décès en cas d'infarctus; que, dans le cas de Mme Y..., il n'est pas certain que le tracé de l'électrocardiogramme aurait été anormal; qu'à supposer que ce fût le cas et que le Dr Z... ait ordonné l'hospitalisation immédiate de la patiente, il n'est aucunement démontré que le décès aurait alors pu être évité; qu'en conséquence, si la faute du Dr Z... a incontestablement fait perdre à la malade une chance de survie, il n'est pas établi que, sans la négligence commise, la victime aurait survécu; qu'ainsi, le lien de causalité certain entre la faute et le

dommage lequel consiste, en ce qui concerne le délit d'homicide involontaire, non en une perte de chance de survie mais dans le décès- n'est pas établi; que, par suite, la prévenue ne peut qu'être relaxée du chef d'homicide involontaire; Sur les intérêts civils Considérant que la CPAM du Val d'Oise sera déboutée de ses demandes au vu de la relaxe prononcée; Considérant que ne constitue pas une demande nouvelle la demande par laquelle, pour la première fois en appel, la partie civile, invoquant les dispositions de l'article 470-1du Code de procédure pénale, réclame subsidiairement l'application des règles du droit civil pour obtenir réparation du dommage résultant des faits ayant fondé la poursuite; que cette demande est donc recevable; Considérant, ainsi qu'il a été démontré ci-dessus, qu'est établi un lien de causalité certain, au sens des règles du droit civil, entre la faute commise par Z... et la perte par Y... d'une chance de survie; qu'en conséquence, Z... a l'obligation de réparer le préjudice en résultant, sur le fondement des articles 470-1 du Code de procédure pénale et 1147 du Code civil; Considérant que la Cour est en mesure de déterminer de la manière suivante l'indemnisation des préjudices subis par les parties civiles à ce titre: pour M. C..., mari de la victime, 120.000F pour chacun des 2 enfants 80.000F pour les parents de Mme X... 40.000F pour les beaux-parents 20.000F pour chacun des frères et sours 10.000F Considérant qu'il serait inéquitable que ces parties civiles aient à assumer les frais irrépétibles qu'elles ont dû engager dans la procédure d'appel; que la Cour est en mesure de fixer à 10 000 francs la somme globale que la prévenue devra leur payer en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement, EN LA FORME - déclare les appels recevables; AU FOND sur l'action publique - confirme le jugement entrepris; sur l'action civile - confirme le

jugement entrepris en ce qu'il a débouté la CPAM du Val d'Oise de sa constitution de partie civile; - le réforme pour le surplus et, statuant à nouveau, dit que Z... a l'obligation, sur le fondement des articles 470-1 du Code de procédure pénale et 1147 du Code civil, de réparer le préjudice résultant, pour les parties civiles, de la perte d'une chance de survie de Y...; - fixe le montant du préjudice subi à ce titre, par M. C... à 120 000 F, par chacun des 2 enfants à 80 000 F, par les parents de Mme X... à 40 000 F, par les beaux-parents à 20 000 F, par chacun des frères et sours à 10 000 F; - condamne Agnès GUTH-STELLA à payer, en deniers ou quittances à C...

120 000 F à Ludivine X..., représentée par son père 80 000 F à Kevin LIGIER, représenté par son père 80.000F à M et Mme Louis D... 40.000F à M et Mme Bernard X... 20.000F à Jean-louis D... 10.000F à Maurice D... 10.000F à Marie-Hélène D... 10.000F à Mireille D... 10.000F à Bernard D... 10.000F - condamne Z... à payer la somme globale de 10.000F aux parties civiles en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; - déboute les parties de leurs conclusions contraires ou plus amples; - condamne Z... aux dépens de l'action civile. Et ont signé le présent arrêt Monsieur RIOLACCI, Président et Madame G..., Greffier. LE GREFFIER,

LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1999-180P
Date de la décision : 17/02/1999

Analyses

HOMICIDE ET BLESSURES INVOLONTAIRES - Lien de causalité

Le délit d'homicide involontaire suppose un lien de causalité certain entre la faute et le dommage. Ce dommage, élément constitutif de l'infraction, consiste non en une perte de chance de survie mais dans le décès de la victime


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-02-17;1999.180p ?
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