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28/01/1999 | FRANCE | N°1996-3895

France | France, Cour d'appel de Versailles, 28 janvier 1999, 1996-3895


FAITS ET PROCEDURE

Monsieur Victor X..., pris en la personne de son tuteur, Monsieur Jean-Pierre X..., la FONDATION X... et la société des AUTEURS DANS LES ARTS GRAPHIQUES ET PLASTIQUES (ADAGP) ont intenté une action à l'encontre de la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT et de la société RENAULT FINANCE dans le contexte suivant :

Dans le cadre de l'aménagement de son nouveau siège social, la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT a commandé en 1974 à Monsieur Victor X..., une oeuvre constituée de trente et un panneaux, destinée pour trente panneaux, Ã

  la décoration de la salle à manger de la direction de la REGIE RENAULT et ...

FAITS ET PROCEDURE

Monsieur Victor X..., pris en la personne de son tuteur, Monsieur Jean-Pierre X..., la FONDATION X... et la société des AUTEURS DANS LES ARTS GRAPHIQUES ET PLASTIQUES (ADAGP) ont intenté une action à l'encontre de la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT et de la société RENAULT FINANCE dans le contexte suivant :

Dans le cadre de l'aménagement de son nouveau siège social, la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT a commandé en 1974 à Monsieur Victor X..., une oeuvre constituée de trente et un panneaux, destinée pour trente panneaux, à la décoration de la salle à manger de la direction de la REGIE RENAULT et pour le dernier panneau à celle du bureau du directeur.

Monsieur X... prenait l'engagement de la surveillance de l'exécution des panneaux, réalisée aux frais de la société RENAULT, des corrections éventuelles et de l'assistance.

La rémunération totale de Monsieur X... était fixée à 300.000 francs HT.

Le contrat prévoyait que "les différentes compositions créées pour la salle à manger et le bureau forment un ensemble indivisible que la REGIE RENAULT s'engage à ne dissocier d'aucune façon. Par ailleurs, la REGIE RENAULT n'utilisera en aucune manière la conception artistique de Monsieur X... pour des espaces autres que les espaces définis ci-dessus et interdira à des tiers toute reproduction de l'oeuvre."

Les oeuvres sont demeurées en l'état jusqu'en 1986, période à laquelle la société RENAULT a dû faire face à de graves difficultés économiques. Il fut alors décidé de supprimer la grande salle à manger et d'y installer, après cloisonnement, les services juridiques de la société ; les oeuvres furent maintenues en leur place d'origine

et protégées par des coffrages de verre pour vingt-six des trente panneaux, les quatre autres étant entreposées dans les coffres de la société.

Par ailleurs, dans le cadre de sa politique de mécénat, la société RENAULT FINANCE et la société REGIE RENAULT ont acquis diverses oeuvres de Monsieur X... à la FONDATION X... les 26 février 1974 et 18 décembre 1974 pour un prix total de 1.856.325 francs. Les factures 002 et 003 concernaient neuf oeuvres et aucune clause conventionnelle ne prévoyait leur affectation ou leur mise en valeur. Les factures 001 et 005 concernaient respectivement douze et deux oeuvres. Sur ces deux dernières factures est portée la mention suivante "oeuvres originales de Monsieur X..., indissociables, destinées à être présentées dans le cadre d'un organisme culturel à caractère non commercial". La vente facturée 006 concerne trois oeuvres et porte la mention "trois oeuvres destinées à être exposées dans les bâtiments de la REGIE RENAULT ou dans un organisme culturel à caractère non commercial". Enfin, la facture 61 vise six oeuvres sans aucune clause restrictive à la charge de l'acquéreur, la société RENAULT à LAUSANNE.

Monsieur Victor X..., la FONDATION X... et la société ADAGP ont fait assigner, à jour fixe, les sociétés REGIE RENAULT et RENAULT FINANCE le 27 septembre 1995 en exposant que, rendu inquiet par des rumeurs sur le devenir de cette collection, Monsieur Victor X... a tenté, depuis 1993, d'obtenir de la direction de la REGIE RENAULT des renseignements sur le sort réservé à ses oeuvres mais que toutes les réponses faites étaient dilatoires.

Ils invoquent un constat amiable effectué le 20 mai 1995 et un constat judiciaire réalisé le 2 juin suivant, dont il ressort que le restaurant a été transformé en bureaux dans lesquels les trente panneaux ont été désolidarisés, certains étant déposés et stockés,

les autres étant parfois dénaturés par leur mise sous verre ou coupés par des cloisonnements ou encore très abîmés. En ce qui concerne les trente tableaux acquis à la FONDATION X... ils ont été dispersés alors qu'indissociables et en outre six d'entre eux sont introuvables.

Il en résulte, selon les demandeurs, une atteinte au droit moral d'auteur de Monsieur X... et une violation des stipulations contractuelles ; en outre, il y a atteinte aux droits défendus par l'ADAGP résultant du mépris manifesté à l'égard des oeuvres concernées.

Ils ont en conséquence sollicité la reconstitution des oeuvres et leur restauration, la justification du devenir des panneaux et tableaux et la condamnation de la REGIE RENAULT à payer à Monsieur X... la somme de 5.207.930 francs avec intérêts au taux légal capitalisés à compter du 20 février 1974, correspondant à la différence entre le prix normal de l'oeuvre calculé en fonction de la cote de l'auteur et le prix réellement payé. La FONDATION X... demande la somme de 1.371.950 francs, outre les intérêts au taux légal capitalisés à compter du jour de chaque facturation, correspondant à la réduction de 40 % consentie sur les prix de vente réels lors de l'achat.

La société ADAGP se joignant aux demandes précédentes a demandé qu'il soit justifié, sous astreinte, du devenir de l'ensemble des oeuvres et a sollicité la somme de 200.000 francs à titre de dommages-intérêts.

Par le jugement déféré en date du 31 janvier 1996, le tribunal de grande instance de NANTERRE a :

- condamné la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT à payer à Monsieur Victor X... la somme de 100.000 francs avec intérêt légal à compter du jugement en réparation de l'atteinte portée à son

droit moral d'auteur du fait de la disparition de deux des panneaux de l'oeuvre métallique intégrée, créée en 1974 pour le siège social de la REGIE RENAULT,

- donné acte à ladite REGIE de sa volonté de faire procéder à la restauration et à la recomposition de cette oeuvre,

- débouté les demandeurs de toute autre demande relative à l'oeuvre intégrée formée de trente et un panneaux,

- condamné la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT à payer à la FONDATION X... la somme de 135.000 francs avec intérêts au taux légal à compter du jugement, à titre de dommages-intérêts pour avoir manqué à ses obligations contractuelles relativement aux tableaux "RE-NA A" et "RE-NA B" acquis de la FONDATION le 18 novembre 1974,

- donné acte aux sociétés RENAULT de leur volonté de réexposer les oeuvres assorties d'une obligation particulière de présentation acquises de la FONDATION X... qui ne sont pas exposées actuellement,

- rejeté toutes autres demandes concernant les tableaux,

- déclaré la société ADAGP irrecevable en ses demandes,

- condamné la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT à payer à Monsieur X... et à la FONDATION X..., chacun, la somme de 10.000 francs au titre des frais irrépétibles.

Monsieur X..., la société ADAGP et la FONDATION X... ont interjeté appel de ce jugement.

A la suite du décès de Monsieur Victor X... et par conclusions visées le 29 juillet 1997, Messieurs Jean-Pierre X... et Y... X... sont intervenus à l'instance en qualité d'héritiers uniques de leur père.

Aux termes d'un très long dispositif contenant de nombreuses demandes de "constat", les appelants prient la Cour de :

- condamner la REGIE RENAULT sous astreinte de 10.000 francs par jour

de retard à compter de l'arrêt à justifier du devenir des panneaux manquants,

- condamner la REGIE RENAULT à réunir les éléments de l'oeuvre de Victor X... sous astreinte de 10.000 francs par jour de retard à compter de l'arrêt,

- condamner la REGIE RENAULT à restaurer les panneaux rescapés dans un délai de trois mois à compter de l'arrêt, sous astreinte journalière de 10.000 francs,

- condamner la même REGIE à reconstituer l'oeuvre de Victor X... dans son état original in situ dans le délai de quatre mois à compter de l'arrêt, sous astreinte de 50.000 francs par jour de retard, ladite restauration et réinstallation devant se faire sous la surveillance de Monsieur Jean-Pierre X...,

- condamner la REGIE RENAULT à payer aux héritiers X... la somme de 5.207.930 francs, outre les intérêts au taux légal et capitalisation à compter du 20 février 1974,

- condamner la REGIE RENAULT et la société RENAULT FINANCE à justifier du devenir des tableaux disparus sous astreinte journalière de 10.000 francs,

- les condamner à reconstituer les ensembles d'oeuvres voulus par Monsieur Victor X... sous astreinte journalière de 10.000 francs, - les condamner à payer à la FONDATION X... la somme de 1.371.950 francs actualisée par l'intérêt légal capitalisé à compter du jour de chacune des factures de cession,

- les condamner à justifier du devenir de l'ensemble des oeuvres d'art contemporain acquises sous astreinte de 10.000 francs par jour, - les condamner à payer à l'ADAGP la somme de 200.000 francs à titre de dommages-intérêts,

- les condamner au paiement de la somme de 50.000 francs au titre des frais irrépétibles.

Au soutien de leurs demandes, les appelants font valoir les arguments suivants :

- seul un transport sur les lieux de la Cour lui permettra d'appréhender la gravité de la mutilation de l'oeuvre de Victor X... et, subsidiairement, un constat, dans les termes de la requête de première instance, s'impose,

- la jurisprudence est constante pour consacrer le droit moral de l'auteur d'une oeuvre artistique lorsque celle-ci a été dénaturée ou mutilée, après sa divulgation au public,

- les trente et un panneaux litigieux constituaient et doivent constituer une oeuvre dont chacun des éléments se répondent alors que présentement trois éléments sont stockés dans les caves de la REGIE, - en ce qui concerne les trente tableaux, pour dix-sept d'entre eux la convention prévoit leur caractère indissociable et la nécessité d'une présentation dans le cadre d'un organisme culturel à caractère non commercial alors qu'à ce jour six tableaux ont disparu et que les ensembles cohérents voulus par l'artiste ont été éparpillés,

- la société RENAULT ne saurait invoquer la force majeure et les dispositions de l'article 1148 du code civil pour échapper à sa responsabilité, les difficultés économiques allèguées ne pouvant constituer un cas de force majeure, n'étant ni imprévisibles, ni irrésistibles,

- le propriétaire d'une oeuvre d'art qui a bénéficié d'un avantage patrimonial en contrepartie de son exposition au public perd cet avantage si l'exposition au public cesse et il convient de rappeler les dispositions de l'article 238 bis AB du code général des impôts, issu de la loi du 23 juillet 1987, aux termes duquel les avantages

fiscaux sont accordés aux acquéreurs d'oeuvres destinées à une exposition publique et cessent lorsque cette exposition a pris fin,

- en ce qui concerne l'action de l'ADAGP, le tribunal a retenu à tort que le nom des artistes figurant dans ses écritures n'étaient pas membres de l'association, alors que les pièces produites établissent le contraire ; en outre, l'association a qualité pour agir en vertu de ses statuts auxquels adhèrent ses membres et qui, notamment, prévoient que la société a "qualité pour ester en justice afin d'assurer la défense des droits individuels de ses membres et des intérêts et droits de la généralité de ses associés" ; la qualité de l'association est certaine concernant les droits patrimoniaux des auteurs qui en sont membres,

- le tribunal a retenu que l'obligation qui liait la REGIE RENAULT, concernant l'oeuvre ornant la salle à manger, a été respectée de 1974 à 1986, ce qui constituait un délai raisonnable de présentation "au public spécifique auquel ces conditions d'implantation, voulues par les deux parties, la destinait" alors que présentement, placées dans les services juridiques de la REGIE, ouverts à de nombreuses personnalités extérieures, l'oeuvre est présentée mutilée et endommagée,

- le tribunal a tenu pour suffisant d'accorder à Monsieur X... une indemnisation symbolique pour la disparition de deux des panneaux, alors que de l'aveu même de la REGIE RENAULT, ces pièces ne peuvent être représentées et que des articles de la presse spécialisée les tiennent comme étant passés dans des collections privées,

- concernant les trente tableaux, la REGIE RENAULT soutient à tort que deux des six tableaux manquants auraient été restitués à Monsieur X... et remplacés ("RE-NA A" et "RE-NA B"), alors qu'il s'agissait d'oeuvres appartenant à la FONDATION X..., et que les

quatre autres n'auraient jamais été remises à la REGIE RENAULT alors qu'elles devaient se substituer aux deux précédentes, restituées,

- la demande reconventionnelle de la REGIE RENAULT n'est pas fondée dès lors que rien n'établit que les informations communiquées par la presse concernant cette affaire, peu avant les plaidoiries en première instance, résultent d'une attitude des appelants et qu'en outre la REGIE RENAULT elle-même n'a pas manqué de révéler l'existence du litige au public.

Les intimées demandent à la Cour de :

- dire que l'oeuvre constituée de trente et un panneaux a été exposée pendant douze années dans les conditions exactement voulues par Monsieur Victor X... et que les modifications apportées à la salle à manger de la REGIE RENAULT résultent de contraintes économiques, qui conduiront au reste ladite REGIE à changer de siège social à la fin de l'année 1999,

- dire que le délai de douze années est un délai raisonnable, et que ces oeuvres n'étant plus désormais exposées au public, la REGIE RENAULT ne saurait être encore tenue des exigences initiales de la vente,

- dire que les sommes demandées au titre du complément de prix sont injustifiées tant dans leur principe que dans leur montant,

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré l'action de l'ADAGP irrecevable,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la REGIE RENAULT à verser la somme de 100.000 francs à Monsieur Victor X... pour non-présentation de deux des trente et une intégrations,

- donner acte à la société REGIE RENAULT de ce qu'elle s'engage de ne réexposer éventuellement l'oeuvre au public qu'après l'avoir reconstituée dans son intégralité et dans le respect de la volonté de son auteur,

- dire et juger que les oeuvres acquises de la FONDATION X... par les factures 002 et 003 du 26 février 1974, ne sont assorties d'aucune condition, que celles enregistrées par les factures 001 du 26 février 1974 et 005 du 18 décembre 1974 sont constituées d'oeuvres qualifiées d'indissociables et donc ne pouvant être cédées séparément,

- dire que la société RENAULT FINANCE et la REGIE RENAULT détiennent à ce jour la totalité des oeuvres visées par les engagements d'indivisibilité sus-rappelés,

- dire que deux des oeuvres objets de la facture 006 ont été restituées à Monsieur X... le 29 juin 1988 ("RE-NA A" et "RE-NA B"),

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté toute demande en complément de prix,

- l'infirmer en ce qu'il a alloué à la FONDATION X... la somme de 135.000 francs à titre de dommages-intérêts,

- faire droit à leur appel incident et allouer à la société REGIE RENAULT la somme de 200.000 francs à titre de dommages-intérêts à raison du comportement des appelants vis-à-vis de la presse, une demi-heure avant l'audience des plaidoiries de première instance,

- condamner les intimés, conjointement, à leur payer la somme de 50.000 francs au titre des frais irrépétibles.

Les intimées, concernant la composition de trente et un panneaux, rappellent leur mauvais état du fait notamment de l'altération des couleurs, les difficultés économiques rencontrées et le fait que l'oeuvre ne soit plus présentement exposée au public.

Pour s'opposer aux demandes concernant les trente tableaux prétendument acquis de la FONDATION X..., les intimées rappellent que les oeuvres facturées 002 et 003 sont toujours visibles dans les bureaux ou salle de réunion, qu'il en est de même de celles facturées

001 et 005, frappées par la clause d'indissociabilité et qu'en ce qui concerne les trois oeuvres facturées sous le numéro 006, deux d'entre elles ont, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, été restituées à Monsieur X... (deux tableaux "RE-NA A" et "RE NA B"), ce qui rend irrecevable toute demande - au surplus injustifiée - en paiement d'un complément de prix.

Concernant la facture allèguée d'avril 1975, numéro 61, les intimées font valoir que les oeuvres visées n'ont jamais été reçues, ce que confirme la mention figurant sur ladite facture "opération antérieure à valoir sur donation."

Par conclusions du 19 novembre 1998, les appelants ont demandé le rejet des pièces 39 et 40, alors que selon les intimées, il ne s'agit que de décisions judiciaires et non de pièces de fond.

L'incident a été joint au fond.

DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION SUR L'INCIDENT DE COMMUNICATION DE PIECES

Considérant que non repris à l'audience, cet incident, formalisé dans les dernières écritures, doit être écarté dès lors que les pièces communiquées constituent des éléments de jurisprudence, qui accompagnés ou non de leurs références, constituent de simples informations portées à la connaissance de l'adversaire et des juridictions et non partie intégrante des pièces de fond ; SUR LES DEMANDES DES HERITIERS DE MONSIEUR VICTOR X...

Considérant que le litige né entre Monsieur Victor X... et la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT concerne les trente et un panneaux créés pour décorer la grande salle à manger de la direction de la REGIE à son siège de BOULOGNE BILLANCOURT ;

Considérant qu'à l'acte de cession, en 1974, il a été convenu que :

"Les différentes compositions créées pour la salle à manger et le bureau forment un ensemble indivisible que la REGIE NATIONALE DES

USINES RENAULT s'engage à ne dissocier d'aucune façon" ;

Considérant que dans ses écritures, la REGIE RENAULT reconnait la transformation des lieux en bureaux affectés au service juridique et le sort des panneaux, savoir : vingt-six panneaux sont réexposés dans les services juridiques, trois ont été placés dans les coffres de la REGIE et deux panneaux, dont celui destiné au bureau directorial, sont "manquants" ;

Considérant que les héritiers de Monsieur X... estiment qu'il y a eu mutilation de l'oeuvre et donc atteinte au droit moral de l'auteur, ce qui justifie, d'une part, les mesures de mise en demeure avec astreinte formées dans leurs conclusions, ainsi que la condamnation de la REGIE RENAULT à la différence entre le prix réglé et la valeur réelle des oeuvres ;

Considérant que la réplique de la REGIE RENAULT est argumentée à partir de trois moyens : o

la dégradation des oeuvres,

o

la force majeure,

o

l'absence d'exposition actuelle au public après une durée d'exposition conforme aux exigences de l'artiste durant un délai raisonnable ;

Qu'elle y ajoute l'engagement de ne pas procéder à une nouvelle exposition au public sans restauration et reconstitution de l'oeuvre ;

Considérant que très justement le tribunal, après rappel des textes régissant la matière, et notamment des articles L.111-3 et L.111-1 du code de la propriété intellectuelle ainsi que de l'article 544 du code civil, a précisé que dans le présent domaine l'appréciation de l'étendue des droits respectifs devait se faire en établissant un

équilibre entre les prérogatives attachées aux droits de chacun, auteur et acquéreur, en tenant compte des engagements exprès ou tacites contractés réciproquement et de ce qui était normalement prévisible lors de l'aliénation ;

Considérant que le tribunal a retenu que la séparation des panneaux et la disparition de la salle à manger ne constituaient pas des atteintes au droit moral de l'auteur, ce qu'au contraire constituait la disparition de deux panneaux ;

Considérant qu'aux termes de leur engagement, les parties ont posé le principe suivant lequel l'oeuvre créée pour la salle à manger et le bureau constituait un ensemble indivisible que la REGIE RENAULT s'engageait à ne dissocier d'aucune façon ;

Considérant, en ce qui concerne les modalités de l'exposition de l'oeuvre, qu'aucun engagement autre que celui de l'affectation à la salle à manger n'a été pris et ne peut être imposé à l'acquéreur ; que l'oeuvre est demeurée en l'état de sa composition par l'artiste jusqu'en 1986, date à laquelle la salle à manger a été transformée en bureau avec installation de cloisonnements ;

Que la REGIE RENAULT s'est en outre engagée à ne pas dissocier l'oeuvre, ce qui n'est à l'évidence plus la réalité, puisque trois panneaux sont dans les coffres de la société et deux seraient manquants ;

Considérant que le tribunal a justement retenu que rien dans les conventions ne mettait à la charge de l'acquéreur une obligation d'exposition permanente et perpétuelle pas plus qu'une obligation de restauration de l'oeuvre acquise, les consorts X... ne soutenant et ne pouvant soutenir le caractère inaltérable de l'oeuvre de Monsieur Victor X..., laquelle comme la plupart des oeuvres d'art fondées sur les couleurs, subit inexorablement les effets du temps ;

Considérant que selon les appelants la violation des prévisions contractuelles est caractérisée par le changement de destination des locaux alors que l'auteur était soucieux de voir "l'art dans la rue, dans l'entreprise, dans la cité", que l'auteur n'a jamais conçu son oeuvre de telle sorte qu'elle soit abîmée et que l'acquéreur a bénéficié d'un important avantage patrimonial en contrepartie de l'exposition de l'oeuvre au public, avantage qui cesse lorsque l'exposition publique cesse elle-même ;

Mais considérant, ainsi qu'il a été dit plus haut, que les engagements conventionnels n'ont jamais comporté celui d'une exposition permanente au public, ce qui n'a jamais été, les panneaux litigieux ayant été composés pour décorer la salle à manger de la direction de la REGIE RENAULT ; que si ce lieu était conçu comme lieu d'accueil et de prestige d'un certain public, il ne saurait être un lieu ouvert au public ; que la présentation des oeuvres dans les services juridiques de la société perpétue le souhait de l'auteur, savoir "l'art dans la rue, dans l'entreprise, dans la cité" ; que toutefois, il ressort des documents produits que l'oeuvre n'est pas restituée dans son "ensemble indissociable" et que les nécessités économiques allèguées par la REGIE RENAULT ne sauraient suffire à justifier le cloisonnement de l'oeuvre et la mise en réserve de trois panneaux, pas plus que la disparition de deux autres panneaux ;

Considérant que ces derniers éléments constituent incontestablement une atteinte morale à l'oeuvre de Victor X... ;

Considérant que cette atteinte établie à partir de 1986 doit être réparée, mais cependant ne saurait justifier, comme le demandent les appelants, l'obligation d'une reconstitution immédiate et totale de l'oeuvre en son état originaire, après restauration et reconstitution, dès lors, d'une part, que l'oeuvre n'est pas présentement exposée au public, au sens habituel du terme, que

pareille obligation ne résultait pas de la convention qui pas plus n'imposait et ne pouvait imposer le maintien irréversible de l'oeuvre dans un local destiné à l'usage de salle à manger directoriale ; qu'en outre, les droits moraux de l'auteur ne lui permettent pas d'imposer à l'acquéreur des obligations illimitées, ce que la convention ne prévoit pas expressément, et ce que les intentions manifestement limitées des parties exprimées par ladite convention, ne permettent pas de déduire, par-delà les règles générales du droit régissant la durée des engagements contractuels ;

Considérant que le dédommagement dû aux héritiers de Monsieur Victor X... ne saurait trouver sa mesure, comme ils le demandent, dans la différence entre le prix "consenti" et le prix "réel" de l'oeuvre ; que le préjudice n'est pas constitué dans un manque à gagner au regard de la notion de prix mais trouve sa source et sa mesure dans l'atteinte morale au droit de l'auteur ;

Que compte-tenu de l'ensemble de ce qui précède, la Cour estime que l'atteinte subie par l'auteur et ses ayants droit est justement réparée par l'allocation de la somme de 200.000 francs ;

Que les héritiers de Monsieur Victor X... doivent être déboutés de tous les autres chefs de demandes concernant l'oeuvre litigieuse, demandes non fondées ou excessives, compte-tenu de ce qui précède ; SUR LES TABLEAUX ACQUIS DE LA FONDATION X...

Considérant que dans le cadre d'une politique ouvertement déclarée de mécénat, la société RENAULT FINANCE et la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT ont acquis de la FONDATION X... trente tableaux de Monsieur Victor X... ;

Considérant que selon les appelants "la plupart" de ces oeuvres sont conventionnellement tenues pour indissociables alors qu'à partir des pièces produites il convient de fixer les éléments suivants :

FACTURES 002 ET 003 DU 26 FEVRIER 1974 ETABLIES PAR LA FONDATION

X... A L'ORDRE DE RENAULT FINANCE

Considérant qu'elles concernent respectivement trois et six oeuvres et qu'aucune mention d'affectation n'est stipulée, qu'aucune réserve n'est émise concernant la mise en exposition de ces oeuvres ;

Que le tribunal a justement retenu qu'aucune demande ne pouvait concerner ces neuf tableaux ; FACTURE 001 DU 26 FEVRIER 1974 ET FACTURE 005 DU 18 DECEMBRE 1974 ETABLIES A L'ORDRE DE RENAULT FINANCE Considérant que la première facture concerne douze oeuvres et la seconde deux oeuvres et que toutes deux portent la mention suivante :

"Oeuvres originales de Monsieur X..., indissociables, destinées à être présentées dans le cadre d'un organisme culturel à caractère non commercial" ;

Que ces oeuvres sont toujours en la possession de la REGIE RENAULT ; Considérant que selon les intimées ces termes signifient que les parties ont voulu que les oeuvres ne soient pas cédées séparément ; FACTURE 006 DU 18 DECEMBRE 1974

Considérant que cette facture concerne trois oeuvres "RENA I", "RENA II A" et "RENA II B" et porte la mention d'une réduction de 40 %, outre la clause suivante : "Trois oeuvres destinées à être exposées dans les bâtiments de la REGIE RENAULT ou dans un organisme culturel à caractère non commercial" ;

Qu'il n'est pas contesté que seule la première oeuvre est exposée alors que selon les intimées, les deux autres tableaux auraient été restitués à Monsieur Victor X... qui, en contrepartie, aurait remis à la REGIE RENAULT deux oeuvres sur bois ; FACTURE 61 D'"AVRIL 1975" LIBELLEE AU NOM DE "RENAULT - RUE DE LANGALERIE - LAUSANNE (SUISSE)"

Considérant que cette facture concerne quatre oeuvres : "SONORAMI",

"SORA I", "SONORA IX" et "AXONO" et porte la mention sous la rubrique "code collectionneur" : "opération antérieure à valoir sur donation" ;

Considérant que les intimées ne contestent pas ne pas pouvoir représenter ces oeuvres pour l'unique raison qu'elles ne les ont jamais reçues alors que les appelants font valoir que la mention sous le code collectionneur concerne la gestion interne de la FONDATION X... dans ses rapports avec l'artiste et que les intimées contestent vainement et sans élément, ne jamais avoir été destinataires de ces oeuvres, ce que contestent les appelants ;

Mais considérant que sur l'ensemble des trente tableaux litigieux, les prétentions des appelants sont totalement dénuées de fondement en ce qui concerne les neuf tableaux objets des factures 002 et 003 qui d'une part ont été représentés et qui d'autre part, ne sont frappés d'aucune clause quelconque et qui sont à la libre disposition et jouissance de leur propriétaire ;

Considérant que les quatorze oeuvres objets des factures 001 et 005, assorties d'une clause d'indissociabilité, sont toujours en la possession de la REGIE RENAULT et que seules sont contestées les conditions de leur mise en valeur, le constat d'huissier du 2 juin 1995 ayant constaté que quatre d'entre elles se trouvaient entreposées dans la salle des coffres et que les autres étaient exposées dans des bureaux, couloirs ou salles du siège social de BOULOGNE BILLANCOURT ;

Considérant que le tribunal a retenu que la clause d'indissociabilité signifiait uniquement que l'acquéreur s'engageait à ne pas éparpiller lesdites oeuvres en les aliénant mais ne saurait mettre à sa charge une obligation d'exposition en un lieu unique et permanent ;

Considérant qu'il n'a finalement retenu et sanctionné que l'impossibilité pour les intimées de représenter les deux tableaux

"RE-NA I A" et "RE-NA II B", dont la vente était assortie d'une clause prévoyant l'exposition conjointe des trois oeuvres "RE-NA", la cession des tableaux objets de la facture 61 n'étant pas établie et aucune clause ne permettant présentement aux appelants d'exiger une destination ou un mode de présentation desdites oeuvres ;

Considérant que de l'ensemble des pièces et écritures des parties, il ressort que le litige ne peut concerner les factures 002 et 003, les neuf tableaux étant en possession de la REGIE RENAULT et non grevés d'aucune clause limitative de jouissance ou de mise en valeur ; que les oeuvres visées à la facture 61 sont également hors du débat dans la mesure où par delà toute discussion concernant leur livraison ou non-livraison à la REGIE RENAULT, aucune clause ne limitait la jouissance que pouvait en avoir la REGIE RENAULT ;

Considérant que le litige ne concerne donc que deux points tranchés par le tribunal :

o

la portée de la clause concernant les quatorze tableaux objets des factures 001 et 005, o

le sort des deux tableaux "RE-NA" ;

Considérant, en ce qui concerne les oeuvres facturées 001 et 005, que toutes sont en possession de la REGIE RENAULT, ce qui n'est pas contesté, mais que par huissier il a été constaté que quatre sont entreposées dans les coffres de la REGIE RENAULT ; que la facture portait la mention suivante "deux oeuvres originales de Monsieur X..., indissociables, destinées à être présentées dans le cadre d'un organisme culturel à caractère non commercial" et "douze oeuvres originales de Monsieur X..., indissociables, destinées à être présentées dans le cadre d'un organisme culturel à caractère non commercial" ;

Considérant que selon les appelants, ces mentions imposaient à la

REGIE RENAULT une présentation de l'ensemble des oeuvres dans le cadre d'un organisme culturel à caractère non commercial ;

Considérant qu'il convient de relever que l'indissociabilité invoquée ne saurait concerner les quatorze oeuvres ensemble mais uniquement les douze oeuvres portées sur la facture 001 d'une part, et les deux oeuvres portées sur la facture 005, d'autre part, aucun lien n'étant conventionnellement établi entre ces deux factures ;

Considérant qu'il n'est pas contestable que l'ensemble de ces oeuvres sont actuellement réunies au siège de la REGIE RENAULT ;

Considérant que le terme "indissociable" signifie que les éléments qualifiés comme tel ne peuvent être séparés ; qu'en outre, la convention prévoyait une présentation dans le cadre "d'un organisme culturel" à but non commercial ;

Considérant que sans que les appelants formulenten outre, la convention prévoyait une présentation dans le cadre "d'un organisme culturel" à but non commercial ;

Considérant que sans que les appelants formulent des arguments et moyens précis et efficaces sur ce point, le tribunal a retenu à bon droit que la REGIE RENAULT ne s'était rendue coupable d'aucune violation contractuelle ; qu'en effet, dans le cadre de sa politique de mécénat et de constitution d'une oeuvre proposée à l'admiration de nombreuses personnes, la REGIE RENAULT a présenté et continue à présenter les oeuvres acquises, à l'exception de quatre d'entre elles, conservées dans ses coffres ;

Qu'elle ne se livre à aucune exploitation commerciale et que l'éparpillement que la clause voulait éviter n'est pas réalisé ;

Que le jugement sur ce point doit être confirmé ;

Considérant, en ce qui concerne le sort des trois tableaux "RE NA" facturés sous le numéro 006, que la REGIE RENAULT reconnait être encore en possession du tableau "RE-NA" qui se trouve dans ses

coffres alors que les deux autres oeuvres "RE-NA II A" et "RE-NA II B" ne seraient plus en sa possession pour avoir été restituées à Monsieur X... en échange d'autres oeuvres ;

Considérant que la facture, libellée au nom de la société REGIE RENAULT, comporte la mention suivante : "Il est précisé que ces trois oeuvres originales sont destinées à être exposées dans les bâtiments de la REGIE RENAULT ou dans un organisme culturel à caractère non commercial" ;

Considérant qu'il ne résulte de cette clause aucune obligation d'assurer en permanence l'exposition des oeuvres visées, aucune indissociabilité entre les trois tableaux et aucune clause d'inaliénabilité quelconque ; que la REGIE RENAULT s'y engage à une exposition dans ses bâtiments ou dans un organisme culturel à caractère non commercial et à rien de plus ;

Considérant que le fait que ponctuellement le tableau "RE-NA", qui est encore entre les mains de la REGIE RENAULT, ne soit pas exposé n'emporte aucune violation de ladite clause dès lors que ce fait est temporaire et donne toute assurance quant au respect de l'exigence d'une exploitation non commerciale ;

Considérant qu'en ce qui concerne les deux autres oeuvres "RE-NA", le tribunal a retenu que "la situation actuelle desdits tableaux étant inconnue, la REGIE RENAULT ne justifie pas que l'obligation d'en garantir une exploitation non commerciale qu'elle a contractée lors de leur acquisition est satisfaite" ;

Mais considérant que si la REGIE RENAULT ne rapporte pas la preuve certaine de la restitution de ces oeuvres à Monsieur Victor X..., il convient de rappeler que la clause ne contient aucune interdiction de conservation illimitée et que le tribunal ne pouvait déduire de l'impossibilité de représentation de ces oeuvres, l'absence de garantie d'une exploitation non commerciale ;

Considérant en cet état que toutes les demandes formées par les appelants au sujet de ces deux oeuvres ne sont pas fondées : qu'ils ne détiennent aucun droit contractuel à exiger l'immobilisation définitive des oeuvres entre les mains de la REGIE RENAULT pas plus que celui d'imposer au propriétaire une exposition permanente et illimitée dans le temps, que le tribunal ne pouvait tirer de l'incertitude existante sur la situation actuelle des deux oeuvres non représentées qu'il en résulte preuve suffisante de ce que l'exploitation non commerciale n'est pas garantie ;

Considérant en conséquence, concernant les oeuvres tenues pour "manquantes", que celles objets de la facture 61 ne comportaient aucun engagement pris par l'acquéreur, aucune limitation à la libre disposition et jouissance de ces oeuvres ; qu'en ce qui concerne les trois oeuvres "RE-NA", la conservation de l'une d'elle, de manière temporaire et non illégitime, ne saurait établir une violation des engagements contractuels pas plus que le seul fait de la non-représentation des deux autres oeuvres dont le sort réel n'est établi de façon certaine, ni par l'une, ni par l'autre des parties ; que l'absence de ces oeuvres, ni indissociables, ni inaliénables aux termes de la convention, ne peut suffire à faire présumer une mise en valeur non conforme aux engagements des parties ;

Considérant que le jugement qui a alloué à la FONDATION X... la somme de 135.000 francs à ce titre, doit être infirmé ;

Considérant que par voie de conséquence toutes les demandes formées par ladite FONDATION, tant sous forme d'obligation sanctionnée par une astreinte, que sous forme de complément de prix, sont totalement dénuées de fondement et seront rejetées ; SUR LES DEMANDES DE l'ADAGP Considérant que la société des AUTEURS DANS LES ARTS GRAPHIQUES ET PLASTIQUES (ADAGP) se présente pour la défense des intérêts

patrimoniaux de l'auteur et sollicite la somme de 200.000 francs à titre de réparation alors que les premiers juges ont dit cette demande irrecevable ;

Qu'elle demande en outre que "RENAULT" soit condamné sous astreinte à lui communiquer l'état de son patrimoine artistique et subsidiairement qu'une expertise soit ordonnée sur ce point ;

Considérant que l'ADAGP est un organisme de perception et de répartition des droits d'auteurs et que ses statuts, produits en extraits, prévoient notamment que "du fait de son adhésion, elle fait apport à la société, en tous pays et pour la durée de la société, sous réserve ... du droit d'autoriser ou d'interdire la représentation ou la communication directe des oeuvres au public, notamment par voie d'exposition, du droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction des oeuvres ..." ;

Considérant que Monsieur Victor X... n'a jamais contesté être membre de cette société, ni dénié à celle-ci le droit de se présenter à ses côtés dans le cadre de la présente instance, ce que pas plus la REGIE RENAULT que la société REGIE FINANCE ne peuvent faire en l'état des pièces produites ; qu'à tort, le tribunal a déclaré la société sans qualité pour agir ;

Considérant, en ce qui concerne son intérêt à agir, que l'ADAGP ne revendique présentement que la défense des intérêts patrimoniaux de l'auteur, ce qui est conforme à ses statuts ;

Considérant que la société ADAGP ne soutient, ni ne développe, aucun préjudice résultant de comportements autres que ceux soumis à l'examen du tribunal et de la Cour à travers les deux griefs sus-analysés : la mutilation de l'oeuvre de trente et un panneaux, la disparition de certains tableaux acquis à la FONDATION X... ;

Considérant que la non-représentation de certaines oeuvres n'a pas été retenue comme portant atteinte aux obligations contractuelles

souscrites par l'acquéreur et que l'ADAGP comme la FONDATION X... ne peuvent demander réparation d'un préjudice résultant d'un comportement fautif, en violation des obligations souscrites, générateur d'un préjudice patrimonial pour l'ADAGP ;

Considérant, en ce qui concerne l'oeuvre formée de trente et un panneaux, que la Cour a, comme le tribunal, retenu le manquement de la REGIE RENAULT ; que ce manquement sus-caractérisé, s'il a causé un préjudice moral à l'auteur, a également généré un préjudice patrimonial, dès lors qu'en l'état actuel, l'oeuvre n'est pas présentée dans son intégralité et que le sort de deux panneaux demeure inconnu ;

Considérant que la valeur patrimoniale de l'oeuvre résulte de la composition d'une fresque de trente et un tableaux, lesquels sont indissociables et que l'absence de l'un des éléments est de nature à porter atteinte à l'oeuvre ;

Considérant qu'il ressort de ce qui précède que le jugement doit être infirmé et que l'ADAGP, recevable à agir, doit être indemnisée au titre du préjudice patrimonial dont elle assure la défense, à concurrence de 200.000 francs ; SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE FORMEE PAR LA SOCIETE REGIE RENAULT

Considérant que la REGIE RENAULT rappelle que des articles de presse ont été publiés et une cassette vidéo annexée au procès-verbal de l'huissier désigné par voie judiciaire a été remise aux chaînes d'information peu avant l'audience des plaidoiries en première instance, ce dont il est résulté pour elle un préjudice qui ne saurait être évalué à une somme inférieure à 200.000 francs ;

Considérant que la parution des articles de presse allègués ne saurait constituer un comportement fautif imputable aux appelants ; qu'il s'agit d'articles d'information qui ne rapportent aucun propos de quelque nature tenus par les appelants d'une manière ou d'une

autre ;

Considérant qu'en ce qui concerne la vidéo-cassette, rien n'établit que celle-ci ait été utilisée par les appelants ;

Qu'enfin, il est clair que la REGIE RENAULT a suivi une radicale évolution de sa politique artistique, passant d'un mécénat déterminé et ambitieux à une attitude de repli et de retrait qui ne pouvait laisser quiconque insensible, tant dans les milieux de l'art que dans ceux de l'économie ainsi que dans le "grand public" ; que dans ce contexte, les éléments développés par la REGIE RENAULT ne sont pas de nature à caractériser le préjudice par elle allègué ; que sa demande doit être rejetée ; SUR LA MESURE DE TRANSPORT

Considérant que les éléments soumis à la Cour sont suffisants pour lui permettre de prendre la décision sus-exposée et que rien ne justifie le transport demandé ; SUR LES FRAIS IRREPETIBLES

Considérant que les premiers juges ont alloué à ce titre une somme de 10.000 francs à Monsieur X... et à la FONDATION X..., chacun ;

Que les appelants considèrent que cette somme est nettement insuffisante compte-tenu de l'importance des écritures qui ont dû être prises et du travail qu'elles ont exigé ;

Considérant qu'il serait certes inéquitable de laisser à la charge des héritiers de Monsieur Victor X... et de l'ADAGP les frais irrépétibles exposés ; que toutefois, l'indemnisation au titre des frais irrépétibles ne trouve pas sa mesure dans l'importance des demandes et des développements, mais dans la précision de l'argumentation, en fait et en droit, et dans celle des pièces dont l'examen est soumis à la juridiction saisie ;

Considérant qu'il convient de confirmer l'allocation, en première instance, à Monsieur X... de la somme de 10.000 francs et de lui allouer en cause d'appel, la somme de 20.000 francs ;

Considérant que succombant en ses prétentions, la FONDATION X... est irrecevable en ce chef de demande ;

Que l'ADAGP doit être indemnisée à concurrence de 10.000 francs pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

DECLARE recevable l'appel principal formé par Monsieur Victor X..., la FONDATION X... et la société DES AUTEURS DANS LES ARTS GRAPHIQUES ET PLASTIQUES (ADAGP) et l'appel incident formé par la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT et la société RENAULT FINANCE ;

DONNE ACTE à Messieurs Y... et Jean-Pierre X... de ce qu'ils reprennent et poursuivent l'instance aux lieu et place de leur père, Victor X..., décédé en cours de procédure ;

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a dit y avoir lieu à condamnation de la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT au titre de l'oeuvre formée de trente et un panneaux décorant à l'origine la salle à manger du siège social de la REGIE RENAULT ;

EMENDANT le jugement relativement au montant de la condamnation,

CONDAMNE la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT à payer aux héritiers (ensemble) de Monsieur Victor X... la somme de DEUX CENT MILLE FRANCS (200.000 francs) à titre de dommages-intérêts ;

DONNE ACTE à la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT de ce qu'elle s'engage à ne pas exposer l'oeuvre au public sans restauration, ni reconstitution ;

CONFIRME le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur Victor X... de toutes autres demandes formées au titre de cette oeuvre ;

Y AJOUTANT,

DIT n'y avoir lieu à transport sur les lieux et déboute les héritiers

X... de toutes demandes complémentaires formées en cause d'appel ;

INFIRME le jugement en ce qu'il a condamné la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT à payer à la FONDATION X... la somme de 100.000 francs au titre des oeuvres non représentées dans le cadre de l'acquisition de trente tableaux réalisés par Monsieur Victor X... ;

STATUANT A NOUVEAU,

DEBOUTE la FONDATION X... de toutes ses demandes tant en obligation de faire, qu'en astreinte, complément de prix ou dommages-intérêts ;

INFIRME le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables l'action et la demande de la société des AUTEURS DANS LES ARTS GRAPHIQUES ET PLASTIQUES ;

STATUANT A NOUVEAU,

DECLARE la société des AUTEURS DANS LES ARTS GRAPHIQUES ET PLASTIQUES recevable et bien fondée en son action tendant à la protection des droits patrimoniaux de Victor X... ;

CONDAMNE la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT à lui payer, en réparation du préjudice causé, la somme de DEUX CENT MILLE FRANCS (200.000 francs) ;

LA DEBOUTE de tous autres chefs de demandes ;

CONFIRME le jugement en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle formée par les intimées ;

DIT que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt ;

CONFIRME le jugement en ce qu'il a alloué à Monsieur Victor X... la somme de 10.000 francs au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ;

L'INFIRME en ce qu'il a condamné la société REGIE NATIONALE DES

USINES RENAULT à régler pareille somme à la FONDATION X... ;

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT à payer la somme de VINGT MILLE FRANCS (20.000 francs) pour frais irrépétibles exposés en cause d'appel aux héritiers X... et au paiement de la somme de DIX MILLE FRANCS (10.000 francs) à la société des AUTEURS DANS LES ARTS GRAPHIQUES ET PLASTIQUES ;

CONDAMNE la société REGIE NATIONALE DES USINES RENAULT aux entiers dépens et dit que la SCP GAS pourra recouvrer directement contre elle les frais avancés non compris dans les dépens, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

ARRET REDIGE PAR :

Madame Colette GABET-SABATIER, Président,

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Le Greffier,

Le Président,

Catherine CONNAN

Colette GABET-SABATIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-3895
Date de la décision : 28/01/1999

Analyses

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE - Droits moraux - Droit au respect de l'oeuvre - Atteinte - Altération ou modifcation

L'appréciation de l'étendue des droits respectifs d'un auteur (articles L 111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle) et d'un acquéreur (article 544 du code civil) doit se faire en établissant un équilibre entre les prérogatives attachées au droits de chacun, en tenant compte des engagements exprès ou tacites contractés réciproquement et de ce qui était normalement prévisible lors de l'aliénation. Lorsque l'acquéreur d'une oeuvre, composée de plusieurs dizaines de panneaux, s'est engagé à implanter celle-ci dans un lieu déterminé, en l'espèce la salle à manger du siège social d'une entreprise industrielle, qu'aucun engagement d' exposition permanente au public n'a été pris et que l'oeuvre n'a été exposée à d'autre public que celui des visiteurs invités, la représentation même partielle de l'oeuvre dans le même lieu restructuré en bureaux perpétue le souhait de l'auteur de voir " l'art dans la rue dans l'entreprise dans la cité"; mais dès lors que l'engagement contractuel spécifiait que "les différentes compositions créées pour la salle à manger forment un ensemble indivisible que l'acquéreur s'engage à ne dissocier d'aucune façon", la représentation partielle de l'oeuvre, en l'occurrence vingt-six panneaux sur trente et un, trois étant en réserve et deux ayant disparu, constitue une atteinte au droit moral de l'auteur sur son oeuvre dont l'indemnisation trouve sa source et sa mesure dans le préjudice constitué par cette atteinte et non dans un manque à gagner résultant de la différence entre un prix "réel" et prix "consenti" à l'acquéreur


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-01-28;1996.3895 ?
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