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14/01/1999 | FRANCE | N°1996-2989

France | France, Cour d'appel de Versailles, 14 janvier 1999, 1996-2989


RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Suivant deux connaissements en date du 25 juillet 1994, la Compagnie CGM-Sud a chargé, au HAVRE, sur le navire "CGM Saint-Georges", deux conteneurs frigorifiques, renfermant respectivement 1222 colis de crémerie-charcuterie, à maintenir à température de + 2° + 4°, et 1224 colis de légumes surgelés à maintenir à température - 18°, en vue de leur acheminement jusqu'au port de DEGRAD des CANNES, en GUYANE. Le 5 août 1994, la CGM-Sud a informé l'expéditeur, la société Primistères REYNOIRD, de la panne des deux conteneurs frigorifiques

et de l'impossibilité de procéder aux réparations. Une partie de la marc...

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Suivant deux connaissements en date du 25 juillet 1994, la Compagnie CGM-Sud a chargé, au HAVRE, sur le navire "CGM Saint-Georges", deux conteneurs frigorifiques, renfermant respectivement 1222 colis de crémerie-charcuterie, à maintenir à température de + 2° + 4°, et 1224 colis de légumes surgelés à maintenir à température - 18°, en vue de leur acheminement jusqu'au port de DEGRAD des CANNES, en GUYANE. Le 5 août 1994, la CGM-Sud a informé l'expéditeur, la société Primistères REYNOIRD, de la panne des deux conteneurs frigorifiques et de l'impossibilité de procéder aux réparations. Une partie de la marchandise a été transférée dans les chambres froides du navire, mais, le 8 août 1994, de nombreuses avaries ont été constatées dues à la rupture de la chaîne du froid. Le préjudice de l'expéditeur a été évalué à 138.925,68 frs, indemnisé par les compagnies d'assurances.

Par acte d'huissier en date du 11 avril 1995, les compagnies LE CONTINENT, ASSURANCES GENERALES DE FRANCE, ALLIANZ FRANCE, BRITISH AND FOREIGN, PRESERVATRICE FONCIERE, GAN INCENDIE-ACCIDENT, UNION PHENIX ESPAGNOL, UNI EUROPE, COMMERCIAL UNION et ZURICH INTERNATIONAL FRANCE ont assigné la CGM-Sud en paiement de la somme de 138.925,68 frs avec intérêts légaux à compter de l'exploit introductif d'instance.

Par jugement rendu le 1er mars 1996, le tribunal de commerce de NANTERRE a condamné la COMPAGNIE GENERALE MARITIME SUD à payer aux compagnies d'assurances la somme demandée avec intérêts légaux à

compter du 11 avril 1995, outre 15.000,00 frs en application de l'article 700 du NCPC. Le tribunal a considéré que le transporteur qui met un conteneur à disposition de l'expéditeur le fait à titre accessoire du contrat de transport, qu'il s'agit alors d'une location de meuble, que la prescription de l'action en responsabilité découlant du contrat de transport ne s'applique pas à l'action en responsabilité découlant du contrat de louage du conteneur, qu'il y a autonomie du contrat de location par rapport au contrat de transport et que la CGM-Sud est responsable, en tant que loueur, des dommages subis par la marchandise, la panne des conteneurs relevant de la garantie des vices cachés due par le loueur au locataire.

Par conclusions signifiées le 4 juillet 1996, la société CGM-Sud, appelante, soutient que l'opération ne saurait s'analyser en un contrat de louage de chose et que seules les règles applicables au contrat de transport ont vocation à régir les rapports entre les parties et à déterminer l'étendue et le régime de leurs droits et obligations contractuelles réciproques. Elle précise que les règles du contrat de louage ne peuvent venir se substituer à celles du contrat de transport lorsque le conteneur fourni par le transporteur maritime se trouve sous la garde et la responsabilité de ce dernier. Elle ajoute que la mise à disposition du conteneur n'est qu'une prestation subordonnée dont l'existence est conditionnée par celle du transport maritime. Elle fait valoir que la cause du sinistre résulte d'un vice caché des conteneurs qui étaient neufs, et en tout cas ne provient pas de son fait ni de sa faute ni de la faute d'un de ses préposés, de sorte qu'elle est exonérée de toute responsabilité. Elle indique que les circonstances caractérisent un cas de force majeure. Elle demande à la cour de :

- recevoir la société CGM SUD en son appel,

- infirmer la décision du tribunal de commerce de Nanterre en date du 01.03.1996 en ce qu'elle a condamné la CGM SUD à payer aux sociétés suivantes :

LE CONTINENT

ASSURANCES GENERALES DE FRANCE (AGF)

ALLIANZ FRANCE

BRITISH etamp; FOREIGN

PRESERVATRICE FONCIERE

SA LE GAN INCENDIE ACCIDENTS

UNION PHENIX ESPAGNOL

UNI EUROPE SA

SA COMMERCIAL UNION

STE ZURICH INTERNATIONAL FRANCE,

la somme de 138.925 F avec intérêts légaux à compter du 11.04.1996, - infirmer ladite décision du tribunal de commerce en ce qu'elle a condamné la CGM SUD à payer aux demanderesses la somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du N.C.P.C. ainsi que les entiers dépens,

- condamner in solidum les sociétés demanderesses à payer à la CGM SUD la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du N.C.P.C. ainsi qu'aux entiers dépens tant de première instance que d'appel dont le montant sera recouvré par la SCP GAS, avoués à la cour dans les conditions de l'article 699 du N.C.P.C.

Par conclusions signifiées le 17 octobre 1996, les compagnies LE CONTINENT, ASSURANCES GENERALES DE FRANCE, ALLIANZ FRANCE, BRITISH AND FOREIGN, PRESERVATRICE FONCIERE, GAN INCENDIE-ACCIDENT, UNION PHENIX ESPAGNOL, UNI EUROPE, COMMERCIAL UNION et ZURICH INTERNATIONAL, se fondant sur la jurisprudence en la matière, soutiennent que la location du conteneur est un engagement spécifique

et accessoire du transporteur, lequel n'est pas soumis aux règles du transport. Elles se réfèrent à la motivation du jugement qu'elles approuvent, et ajoutent que le bailleur est entièrement responsable des dommages causés par la chose louée, dès lors qu'un vice de la chose est à l'origine du dommage. Elles demandent à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 01.03.1996,

- condamner la société CGM SUD à payer à la Cie d'assurances LE CONTINENT et aux neuf autres compagnies d'assurances la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du N.C.P.C. ;

- condamner la société CGM SUD aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP JULLIEN LECHARNY ROL, avoués aux offres de droit.

Par conclusions signifiées le 23 octobre 1997, la société CGM-Sud expose que l'objet prépondérant du contrat complexe conclu entre elle et l'expéditeur, la société Primistères REYNOIRD, était le transport maritime de la marchandise et non la location d'un conteneur ou son positionnement, de sorte que ce contrat doit être intégralement soumis au régime du contrat de transport maritime. Subsidiairement, sur le terrain du louage de chose, elle estime être exonérée de son obligation de garantie en raison de la force majeure. Elle demande à la cour de :

- allouer à la concluante l'entier bénéfice de ses précédentes écritures,

- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- dire et juger que la responsabilité de CGM SUD doit être appréciée par référence aux dispositions de la loi n°66-420 du 18.06.1966, en conformité avec le principe posé par le dernier alinéa de l'article 32 de ladite loi ;

- dire et juger que la CGM SUD n'est pas responsable des dommages allégués,

- rejeter les intimées en toutes leurs fins, demandes et conclusions, - les condamner au paiement d'une somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du N.C.P.C. ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP GAS, avoués, dans les conditions de l'article 699 du N.C.P.C.

Par conclusions signifiées le 3 juin 1998, les compagnies LE CONTINENT, ASSURANCES GENERALES DE FRANCE, ALLIANZ FRANCE, BRITISH AND FOREIGN, PRESERVATRICE FONCIERE, GAN INCENDIE-ACCIDENT, UNION

PHENIX ESPAGNOL, UNI EUROPE, COMMERCIAL UNION et ZURICH INTERNATIONAL réfutent l'analyse de la société CGM-Sud et affirment que chaque opération doit être considérée isolément, précisant qu'il s'agit d'un groupe de contrats dont chacun reste soumis aux régles juridiques qui lui sont propres. Elles ajoutent que les éléments de la force majeure ne sont pas réunis, de sorte que la société CGM-Sud doit garantir le locataire des dommages causés par tout vice ou défaut de la chose louée. Subsidiairement, elles font valoir que la responsabilité de la CGM-Sud en tant que transporteur se trouve engagée, les avaries ne provenant pas d'un vice caché du navire ni d'un événement imprévisible et irrésistible.

La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 6 octobre 1998, et l'affaire a été évoquée à l'audience du 25 novembre 1998.

SUR CE, LA COUR

Considérant que la mise à disposition de la société Primistères REYNOIRD par la société CGM-Sud, moyennant un prix et avec obligation de restitution, de deux conteneurs frigorifiques pour conserver les denrées périssables, expédiées par la première, pendant la durée du transport maritime effectué par la seconde, s'analyse en un contrat de location de meuble ; qu'à cet égard, il convient d'ailleurs de noter que cette location a été facturée, de manière détaillée et sous cette qualification, pour le prix de 2.460,00 frs, par la société CGM-Sud, propriétaire des conteneurs, à la société S.N.T.C., chargeur, pour le compte de la société Primistères REYNOIRD, et

pareillement facturée à cette dernière par la société S.N.T.C. ;

Que le fait que la société CGM-Sud ait conservé la maîtrise et la garde de ces conteneurs placés sur son navire, depuis l'embarquement jusqu'au port de destination, ne fait pas obstacle à ce que la jouissance en soit transférée à la société Primistères REYNOIRD, qui en a fait un usage temporaire, conforme à leur destination, pour la conservation de ses marchandises pendant la traversée ;

Que, contrairement à ce que soutient la société CGM-Sud, l'opération de transport ainsi réalisée ne constitue pas un seul contrat de transport matérialisé par le connaissement ni même un contrat complexe, dès lors qu'elle recouvre deux conventions distinctes et autonomes, sans rapport d'indivisibilité ni même d'interdépendance juridique ; que la disproportion entre le prix du transport et le prix de la location n'est pas de nature à caractèriser une unité contractuelle ni à établir que le contrat de location est subordonné au contrat de transport ; que l'existence de celui-ci ne conditionne pas l'existence de celui-là, puisque, selon l'équipement du navire, la location peut ne pas avoir lieu ou peut être conclue avec un tiers au contrat de transport ; que, même si le navire ne comporte pas de cales réfrigérées, la cause de la location des conteneurs frigorifiques n'est pas pour autant le contrat de transport, mais la jouissance de ces matériels pour la conservation des marchandises en fonction de leurs caractèristiques ; qu'en admettant que le contrat de location soit l'accessoire du contrat de transport, cette situation ne peut conduire à assimiler le premier au second, et à lui faire perdre son régime juridique propre ;

Qu'il s'ensuit que, conformément à l'article 1721 du code civil, la société CGM-Sud, en tant que loueur des conteneurs, doit garantir et indemniser la société Primistères REYNOIRD, aux droits de laquelle se trouvent les compagnies d'assurance, des dommages résultant des vices ou défauts de la chose louée, quand même elle ne les aurait pas connus lors du contrat de louage ;

Qu'il n'est pas contesté que la perte de certaines marchandises périssables transportées est due à la panne qu'ont subie les deux conteneurs frigorifiques et à la rupture de la chaîne du froid qui en est résultée ; qu'une telle panne, propre à ces matériels et toujours prévisible même s'ils sont neufs, ne présente aucunement les caractères de la force majeure ; que, par ailleurs, la société CGM-Sud n'établit ni n'allègue une faute quelconque imputable à la société locataire des conteneurs ;

Que le quantum de l'indemnisation n'est pas contesté ;

Que, dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement entrepris ;

Considérant que l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du NCPC ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- déclare recevable l'appel formé par la société CGM-Sud à l'encontre du jugement rendu le 1er mars 1996 par le tribunal de commerce de NANTERRE,

- le dit mal fondé,

- confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

- condamne la société CGM-Sud aux dépens qui pourront être recouvrés par la SCP JULLIEN-LECHARNY-ROL, conformément à l'article 699 du NCPC,

- déboute les parties de leurs autres conclusions contraires ou plus amples.

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

LE GREFFIER

LE PRESIDENT

M. LE X...

J-L GALLET

R.G. n°2989/96

du 14.01.1999

Sté CGM SUD

SCP GAS

C/

Le Continent

AGF

Cie Allianz France

British etamp; Foreign

Commercial Union

GAN

PFA

UNI EUROPE

Union et Phénix

Groupoe ZURICH

SCP Jullien Lecharny Rol

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- déclare recevable l'appel formé par la société CGM-Sud à l'encontre du jugement rendu le 1er mars 1996 par le tribunal de commerce de NANTERRE,

- le dit mal fondé,

- confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

- condamne la société CGM-Sud aux dépens qui pourront être recouvrés par la SCP JULLIEN-LECHARNY-ROL, conformément à l'article 699 du

NCPC,

- déboute les parties de leurs autres conclusions contraires ou plus amples.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-2989
Date de la décision : 14/01/1999

Analyses

TRANSPORTS MARITIMES - Marchandises - Contrat de transport

La mise à disposition de conteneurs par un transporteur, pou la durée d'une opération de transport maritime, moyennant un prix et obligation de restitution, s'analyse en un contrat de location de meubles. La circonstance que le transporteur conserve la maîtrise et la garde des conteneurs placés sur son navire ne fait pas obstacle à ce que la jouissance desdits conteneurs soit transférée au locataire, qui en fait un usage temporaire pour la conservation de ses marchandises; de même, la matérialisation de l'opération de transport par le connaissement n'est pas de nature à caractériser une unité contractuelle, ni à établir que le contrat de location est subordonné au contrat de transport, les deux conventions étant distinctes et autonomes, sans rapport d'indivisibilité ni même d'interdépendance juridique. En l'occurrence, la cause de la location des conteneurs résidant dans la jouissance de ces matériels et non dans le contrat de transport, le contrat de location conserve son régime juridique propre et, conformémént à l'article 1721 du code civil, le loueur doit répondre des dommages résultant des vices ou défauts de la chose louée, quand même il ne les aurait pas connus lors du contrat de louage


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-01-14;1996.2989 ?
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