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08/01/1999 | FRANCE | N°1996-8318

France | France, Cour d'appel de Versailles, 08 janvier 1999, 1996-8318


FAITS ET PROCEDURE

Par acte d'huissier en date du 18 juillet 1995, la SARL GISAB représentée par son gérant Monsieur Daniel X..., a fait assigner Madame Martine Y... devant le tribunal d'instance de PONTOISE, aux fins de :

- dire et juger que Monsieur Y... avait porté atteinte à son honneur et à sa considération en sa qualité de syndic de copropriété, par la nature des propos qu'elle avait tenus lors de l'assemblée générale de la copropriété les "boucles de l'Oise" du 30 septembre 1994,

- dire et juger que le jugement à intervenir serait publié dans tel

journal ou revue au choix de la requise et dans la limite d'une

insertion par ex...

FAITS ET PROCEDURE

Par acte d'huissier en date du 18 juillet 1995, la SARL GISAB représentée par son gérant Monsieur Daniel X..., a fait assigner Madame Martine Y... devant le tribunal d'instance de PONTOISE, aux fins de :

- dire et juger que Monsieur Y... avait porté atteinte à son honneur et à sa considération en sa qualité de syndic de copropriété, par la nature des propos qu'elle avait tenus lors de l'assemblée générale de la copropriété les "boucles de l'Oise" du 30 septembre 1994,

- dire et juger que le jugement à intervenir serait publié dans tel journal ou revue au choix de la requise et dans la limite d'une

insertion par extrait n'excédant pas la somme de 10.000 Francs,

- dire que la SARL GISAB pourrait afficher ledit jugement dans les locaux de la Résidence "Les Boucles de l'Oise",

- condamner Madame Y... à lui payer la somme de 20.000 Francs à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et celle de 6.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

La demanderesse a exposé que lors de l'assemblée générale ordinaire des copropriétaires de la résidence Les "Boucles d'Or" qui s'était tenue le 30 septembre 1994, un débat s'était ouvert sur les travaux de ravalement, étanchéité et isolation des bâtiments de la résidence, le syndic la SARL GISAB ayant rappelé la nécessité impérieuse de procéder à ces travaux.

Qu'à cette occasion Madame Y... aurait mis en cause l'impartialité de l'état des lieux dressé par le cabinet d'architectes 2AD missionné par la société GISAB, en des propos tendant à créer, selon la demanderesse, une suspicion sur le syndic de la copropriété et à soutenir indirectement que l'architecte pressenti serait en "combine" avec le cabinet GISAB, ce qui était de nature à douter de la crédibilité des appels d'offres et du travail réalisé par ce cabinet d'architectes.

La société GISAB a donc fait valoir qu'elle considérait que ces propos mettaient en cause son honorabilité, sa notoriété ou son honnêteté en sa qualité de syndic, et qu'ils étaient constitutifs d'une atteinte aux droits de la personnalité ouvrant droit à une action civile en réparation sur le fondement des dispositions des articles 9 et 1382 du code civil.

Madame Y... a fait déposer des conclusions en défense par lesquelles elle faisait valoir les moyens suivants :

- irrecevabilité de la demande fondée sur l'article 9 du code civil, les personnes morales n'étant pas protégées par ces dispositions,

- mal fondé de la demande, les propos qu'elle avait tenus ne présentant aucun caractère diffamatoire et la société GISAB ne démontrant aucune faute, ni aucun préjudice, ni lien de causalité,

- prescription de l'action : elle a soutenu à cet égard, que l'action bien que fondée sur l'article 1382 du code civil, était soumise au court délai de prescription de trois mois applicable en matière de diffamation, dès lors que les faits invoqués relevaient de cette qualification.

A titre reconventionnel, elle a donc sollicité la condamnation de la société GISAB à lui payer une somme de 20.000 Francs de dommages-intérêts en raison du caractère abusif de la procédure, introduite avec intention de nuire, outre la somme de 10.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le tribunal d'instance statuant par jugement contradictoire du 9 juillet 1996 a rendu la décision suivante :

- rejette la demande de réouverture des débats de la société GISAB et écarte des débats les conclusions déposées en cours de délibéré,

- déclare recevable le moyen de prescription opposé par Madame

Y... mais le rejette,

- déclare irrecevable l'action en réparation de la société GISAB sur le fondement de l'article 9 du code civil,

- déclare son action recevable sur le fondement de l'article 1382 du code civil, mais la déclare mal fondée et la déboute de l'ensemble de ses prétentions,

- condamne la société GISAB à payer à Madame Y... la somme de 2.500 Francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- déboute Madame Y... de sa demande de dommages-intérêts,

- condamne la société GISAB aux dépens.

Le 4 octobre 1996, la SARL GISAB a interjeté appel.

Elle demande à la Cour de :

- réformer le jugement dont appel uniquement en ce qu'il a considéré que l'action de la SARL GISAB était recevable mais non fondée,

Statuant à nouveau, vu notamment les articles 1382-1383 du code civil,

- dire et juger que la SARL GISAB a été atteinte sans son honneur et sa considération par les propos tenus par Madame Y...,

- en conséquence, condamner Madame Y... à payer à la SARL GISAB et son représentant légal les sommes de :

[* 20.000 Francs à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

*] 10.000 Francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans tel journal ou revus spécialisée du choix de la SARL GISAB et dans la limite d'une insertion par extrait ne pouvant excéder la somme de 10.000 Francs,

- ordonner l'affichage pendant une durée de un mois de l'arrêt à intervenir dans les parties communes de la résidence "Les Boucles de l'Oise",

- condamner Madame Y... aux entiers dépens avec distraction pour ceux d'appel au bénéfice de Maître BOMMART, Avoué, en application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

L'appelante a expressément indiqué dans ses conclusions du 24 janvier 1997 (cote 3 du dossier de la Cour page 6) qu'elle renonçait à l'argument tiré de l'application de l'article 9 du code civil.

L'ordonnance de clôture a été signée le 15 octobre 1998 et l'affaire plaidée à l'audience du 26 novembre 1998.

SUR CE LA COUR

I)

Considérant, ici, que les demandes sont expressément fondées sur l'article 1382 du code civil (ou sur l'article 1383 dudit code) et qu'en Droit, cette action ainsi fondée est soumise à la prescription de droit commun de l'article 2270-1 (loi n° 85-677 du 5 juillet 1985), soit par dix ans à compter de la manifestation du dommage, et non pas au délai spécial pour prescrire par trois mois, édicté par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 qui ne vise que l'action résultant des crimes, délits et contraventions prévus par cette loi ;

Considérant donc que s'agissant de propos tenus publiquement, le 30 septembre 1994, la prescription spéciale par trois mois ne peut être opposée à l'action en responsabilité civile de droit commun extra-contractuelle engagée contre Madame Y... ; que cette action est donc recevable ;

II)

Considérant quant au fond que les propos publics reprochés à Madame Y... et adressés au gérant de la SARL GISAB, Monsieur Daniel X..., sont les suivants :

"La SCI appartient à votre frère qui est aussi actionnaire de la société GISAB dont vous êtes salarié et que vous représentez ce soir ; c'est une précision qu'il fallait faire car, dans ce cas là, il faut dire que l'état des lieux fait par cet architecte n'est pas

totalement impartial" ;

Considérant que ces propos s'adressaient d'abord, principalement, à Monsieur Daniel X..., pris en tant qu'individu, et non pas en tant que représentant de la SARL GISAB, puisqu'il est expressément question de son frère qui est propriétaire de la SCI évoquée, et qu'il est donc patent que ces circonstances ne peuvent concerner directement et personnellement que Monsieur X... et non pas la SARL GISAB qui, en tant que telle, n'était pas visée par cette précision donnée par la copropriétaire Madame Y... ; que l'intérêt à agir de cette SARL est donc très discutable, alors que les propos incriminés ne la concernaient pas directement ;

Mais considérant, de plus, qu'en tout état de cause, ces propos n'ont exprimé que le légitime souci qu'a eu cette copropriétaire de s'assurer que les travaux litigieux - qui, ce jour là, donnaient lieu à un vif échange de vues entre Monsieur Daniel X... et d'autres copropriétaires - seraient examinés par un architecte impartial, c'est-à-dire totalement indépendant de la SARL GISAB, le syndic ; qu'il est patent que, ce faisant, Madame Y... qui n'a usé d'aucun terme blessant ou outrageant, a fourni simplement des précisions utiles à une bonne et complète information de l'ensemble des copropriétés qui devaient se prononcer en toute connaissance de cause, sur un budget de 9,5 millions de Francs ; Que son intervention n'a rien eu de fautif, qu'elle n'a pas excédé les limites de la décence et celles d'un libre et loyal débat, et qu'elle ne porte pas atteinte à l'honneur ou à la considération ou à la réputation professionnelle de Monsieur Daniel X..., visé personnellement et directement, ou même à celle de la SARL GISAB dont il n'est toujours pas certain qu'elle ait été la destinataire véritable de ces propos ;

Considérant, en outre, que jamais Monsieur Daniel X... n'a contesté que l'architecte (cabinet 2AD) qu'il avait choisi, seul, avait travaillé pour "une -SCI -" (selon sa propre réponse, vague, au cours de cette même assemblée générale des copropriétaires) qui, en réalité, est bien la SCI appartenant à son frère ; qu'au demeurant, Monsieur Daniel X... sentant immédiatement la pertinence et la valeur de la précision donnée par Madame Y... au sujet des liens existant entre ce cabinet d'architectes, la SCI et son propre frère, s'est empressé de s'expliquer en faisant valoir qu'il se demandait "en quoi le fait d'avoir travaillé avec un cabinet d'architectes entachait en quoi que ce soit le travail de ce cabinet et les appels d'offre qui sont diligentés" ;

Considérant qu'il sera souligné, de plus, que cette "impartialité" de l'architecte, légitimement recherchée par Madame Y..., est celle du cabinet d'architecte 2AD chargé de cet état des lieux et non pas directement celle de Monsieur Daniel X..., pris individuellement, et encore moins celle de la SARL GISAB prise en tant qu'entité juridique distincte ; que ni l'un ni l'autre n'ont donc subi de préjudice personnel et direct et qu'aucune faute n'est retenue à la charge de

Madame Y... ;

Considérant que la Cour confirme et adopte, si besoin est, toute la motivation pertinente du premier juge et confirme donc en son entier le jugement déféré ; que la SARL GISAB est, par conséquent, déboutée des fins de toutes ses demandes ;

Considérant que la Cour, y ajoutant et compte-tenu de l'équité, condamne la société appelante à payer à Madame Y... la somme de 8.000 Francs pour ses frais irrépétibles en appel ;

III)

Considérant, certes, qu'il résulte de la motivation ci-dessus développée qu'aucune faute n'est retenue à la charge de Madame Y..., mais qu'il n'est pas pour autant démontré que la SARL GISAB aurait suivi contre elle une procédure abusive comme elle le prétend ; qu'elle est donc déboutée de sa demande incidente en paiement, de ce chef, de 20.000 Francs de dommages-intérêts ;

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Vu les articles 1382 et 1383 du code civile et 2270-1 dudit code :

I)

- DECLARE non prescrite et recevable l'action de la SARL GISAB ;

II)

- CONFIRME en son entier le jugement déféré ;

- DEBOUTE la SARL GISAB des fins de son appel et de toutes les demandes que celui-ci comporte ;

Et ajoutant au jugement :

- CONDAMNE la SARL GISAB à payer à Madame Martine Y... la somme de 8.000 Francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, pour ses frais irrépétibles en appel ;

III)

- DEBOUTE Madame Y... de sa demande incidente en paiement de dommages-intérêts ;

- CONDAMNE la SARL GISAB à tous les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés directement contre elle par la SCP d'avoués LISSARRAGUE DUPUIS ET ASSOCIES, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

LE GREFFIER

LE PRESIDENT

M-H. EDET

A. CHAIX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-8318
Date de la décision : 08/01/1999

Analyses

PRESSE - Abus de la liberté d'expression - Réparation - Fondement - Détermination - /

Une action en réparation d'un dommage allégué à raison de propos tenus publiquement, dès lors qu'elle est expressément fondée sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil, est soumise à la prescription décennale de droit commun de l'article 2270-1 du même code, sans que la prescription spéciale de trois mois édictée par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ne puisse être opposée à cette action délictuelle ou quasi délictuelle, l'article 65 précité ne visant que l'action résultant des crimes, délits et contraventions prévus par cette même loi


Références :

Code civil, articles 1382, 2270-1
loi du 29 juillet 1881, article 65

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-01-08;1996.8318 ?
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