La société de droit canadien UNIVERSAL GENERAL INSURANCE COMPANY (ci-après dénommée U.G.I.C.), avait chargé son courtier, la société de droit français EUROMEPA ayant son siège à PARIS LA DEFENSE (92), de procéder au placement d'un traité de réassurance, à effet du 1er avril 1990, portant sur un portefeuille de police d'assurance multirisques habitation localisé au CANADA.
En exécution des instructions fournies par son mandant, la société EUROMEPA contactait, par un fax daté du 27 mars 1990, la société de droit belge GROUP JOSI REINSURANCE COMPANY (ci-après désignée GROUP JOSI), et offrait à celle-ci une participation sur ce traité de réassurance en indiquant que "les réassureurs principaux sont UNION RUCK avec 24 % et AGRIPPINA RUCK avec 20 %..."
Par fax en réponse du 06 avril 1990, la société GROUP JOSI donnait son accord pour une participation à hauteur de 7,5 %.
Entre temps, le 28 mars 1990, UNION RUCK indiquait à la société EUROMEPA qu'elle n'entendait pas prolonger sa participation au-delà du 31 mai 1990 et la société AGRIPPINA RUCK, par courrier du 30 mars 1990, qu'elle réduirait sa participation de 20 % à 10 % à effet du 1er juin 1990, ces retraits étant motivés par des changements de politique économique imposés par les maisons mères de ces assureurs déjà implantées sur le territoire américain.
Le 25 février 1991, la société EUROMEPA adressait à la société GROUP JOSI un relevé de compte présentant un solde débiteur, puis un décompte final duquel il ressortait que la société GROUP JOSI était redevable, au titre de sa participation, d'une somme de 54.679,34 dollars canadiens.
La société GROUP JOSI refusait, par courrier du 05 mars 1991, de régler ladite somme, motif pris essentiellement que son adhésion au traité de réassurance avait été emportée par la présentation d'informations qui "se sont révélées fausses à posteriori" et plus
particulièrement celles concernant la participation d'UNION RUCK et d'AGRIPPINA à l'opération.
C'est dans ces circonstances que la société U.G.I.C. a fait assigner, par acte du 06 juillet 1994, la société GROUP JOSI devant le Tribunal de Commerce de NANTERRE.
La société GROUP JOSI a soulevé l'incompétence de la juridiction saisie au profit du Tribunal de Commerce de BRUXELLES, lieu de son siège social, en se prévalant d'une part, de la convention de BRUXELLES du 27 septembre 1968 et, d'autre part, pour le cas où le droit commun serait jugé applicable, de l'article 1247 du Code Civil. Subsidiairement, et dans l'hypothèse où l'exception d'incompétence viendrait à être rejetée, elle a conclu à la nullité du contrat sur le fondement des articles 1134 et 1116 et suivants du Code Civil.
Par jugement en date du 27 juillet 1995, le tribunal de Commerce de NANTERRE a retenu sa compétence et condamné la société GROUP JOSI à payer à la société U.G.I.C. la somme de 54.679,34 dollars canadiens majorée des intérêts au taux légal à compter du 06 juillet 1994, outre une indemnité de 30.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
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Appelante de cette décision, la société GROUP JOSI a soutenu tout d'abord que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la convention de BRUXELLES doit trouver application en l'espèce.
A cet égard, elle s'est prévalu d'analyses doctrinales selon lesquelles doit être considéré comme un litige international communautaire soumis aux règles de la convention de BRUXELLES, tout litige dans lequel se dégage un critère de rattachement à la convention. Selon elle, le principal critère de rattachement est
celui prévu à l'article 2-1 de la convention, à savoir celui du domicile du défendeur.
Ayant son siège à BRUXELLES et aucun établissement secondaire en FRANCE, elle en a déduit, ainsi qu'en dispose l'article 2-1 précité, qu'elle ne peut être attraite que devant la juridiction belge. Elle a invoqué également l'article 5-1 de la convention qui traite de manière spécifique de la compétence en matière contractuelle et a soutenu que l'obligation qui sert de base à la demande devait être exécutée, s'agissant du règlement d'une dette conventionnelle et à défaut de stipulations contraires au traité de réassurance, au domicile du débiteur, soit encore à BRUXELLES. Elle a ajouté que, quand bien même la convention du BRUXELLES serait déclarée inapplicable, les règles traditionnelles du droit international privé commandent aussi d'écarter la compétence des juridictions françaises. A cet égard, elle a fait observer que c'est au lieu de son siège social qu'elle a reçu l'offre de contracter d'EUROMEPA et qu'elle a émis son acceptation, le lieu d'émission de l'acceptation permettant ainsi de déterminer, selon elle, la juridiction compétente. Elle s'est référée également au lieu d'exécution du contrat qui, selon l'article 1247 du Code Civil français, ne peut être que celui du domicile du débiteur.
Subsidiairement sur le fond et pour le cas où l'exception d'incompétence par elle invoquée serait écartée, elle a estimé que sa participation au traité n'a été emportée qu'au moyen d'une réticence dolosive commise par la société EUROMEPA, mandataire de la société U.G.I.C., qui lui a celé le retrait des autres principaux réassureurs et que, du fait de cette manoeuvre dolosive, elle n'a pas été en mesure de se faire une opinion exacte du risque qu'elle a accepté. Elle a sollicité, en conséquence, l'annulation du contrat qu'elle a souscrit sur le fondement de l'article 1116 du Code Civil.
Plus subsidiairement encore, elle s'est prévalue des dispositions de l'article 1134 alinéa 3 du Code Civil selon lesquelles les conventions doivent s'exécuter de bonne foi et a conclu, sur ce deuxième fondement, à la résolution du contrat.
Enfin et en tout état de cause, elle a réclamé une indemnité de 45.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
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La société U.G.I.C. a sollicité, pour sa part, la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré, sauf à se voir allouer une indemnité complémentaire de 50.000 francs en couverture des frais qu'elle a été contrainte d'exposer devant la Cour.
En réplique, elle a fait essentiellement valoir, en s'appuyant sur d'autres analyses de doctrine, que les règles de compétence spécifiques posées par la convention de BRUXELLES ne peuvent trouver à s'appliquer que si le demandeur est également domicilié dans un état membre de la communauté européenne signataire de la convention. Elle en a déduit, comme le premier juge, qu'elle-même étant une société de droit canadien n'ayant aucun établissement secondaire sur le territoire de la communauté économique européenne, la convention de BRUXELLES ne peut être qu'écartée en l'espèce et le litige tranché conformément aux règles traditionnelles du droit international privé. A cet égard, elle a rappelé que, à défaut d'une convention internationale établissant des règles de compétence directe, la compétence internationale est régie par les règles internes de compétence territoriale.
Se prévalant des dispositions de l'article 46 du Nouveau Code de
Procédure Civile, elle a soutenu que, même si la société GROUP JOSI n'a pas de siège en France, elle était fondée à saisir la juridiction du lieu d'exécution de la prestation de service, cette prestation correspondant en la cause au paiement par JOSI de sa dette de réassurance. Sur ce point, elle a estimé tout d'abord qu'il avait été convenu entre les parties implicitement mais de manière non équivoque, comme le montrent les pièces des débats, que le paiement devait être fait, par dérogation au principe énoncé par l'article 1247 du Code Civil, entre les mains d'EUROMEPA, qui elle a son siège en France. Elle a ajouté également que, pour déterminer le lieu du paiement, il convenait de se référer aux usages de la profession, lesquels prévoient que l'assureur peut effectuer son paiement relatif aux indemnités de réassurance soit au siège social de l'assuré, soit auprès du mandataire désigné par lui à cet effet, agent ou éventuellement courtier, si celui-ci a reçu mandat d'encaissement, ce qui était le cas selon elle d'EUROMEPA qui a géré la totalité du contrat ainsi que les difficultés qui s'en sont suivies du fait de la position adoptée par la société GROUP JOSI. Elle a déduit de là que, comme l'ont retenu les premiers juges, le critère de rattachement se trouve parfaitement établi en l'espèce.
Elle a fait également valoir que l'application de la loi française ne saurait être contestée dès lors que les parties n'ont pas fait le choix d'une autre loi et que, tant au regard des usages applicables en matière de réassurance, que du lieu d'exécution du contrat qui s'est formé, contrairement à ce que prétend l'appelante, sur le territoire français au moment de la réception de l'offre par EUROMEPA, cette loi a seule vocation à régir la cause, étant précisé qu'en toute hypothèse la loi belge est identique à la loi française en matière contractuelle.
Sur le fond, elle a contesté l'existence d'une quelconque réticence
dolosive, faisant observer que les informations délivrées par EUROMEPA étaient parfaitement exactes au moment où elles ont été fournies et que ce n'est que par la suite qu'est intervenu le retrait des deux autres assureurs, ajoutant qu'il appartenait à la société GROUP JOSI, professionnelle de l'assurance, de se tenir informée de l'évolution de la situation contractuelle.
Elle a fait encore valoir que le retrait des deux assureurs n'était pas de nature à modifier le risque et que c'est à juste titre que le premier juge, se référant à une position de principe adoptée par la Chambre des Lords Anglais qui a à connaître traditionnellement en dernier ressort des litiges internationaux en matière de réassurance, en a déduit que la société JOSI ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que les modifications du seuil de participation de AGRIPPINA RUCK et UNION RUCK l'auraient amenée à ne pas contracter si elle les avait connues.
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En l'état de cette argumentation, la Cour de ce siège a, par arrêt du 15 janvier 1998, relevé que se posait en l'espèce la question du champ d'application de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et plus précisément celle de savoir si ladite convention doit s'appliquer non seulement aux litiges "Intra-communautaires" mais également aux litiges "intégrés à la communauté" ; que, de même, et bien que les parties n'aient pas soulevé ce moyen dans leurs écritures, se posait la question de savoir si, dans l'hypothèse ou la Convention de Bruxelles serait dite applicable, les dispositions des articles 7 et suivants de cette convention, spécifiques à la compétence en matière d'assurances, n'ont pas seules vocations à régir la cause au lieu de celles seules invoquées des articles 2 et
5-1. En conséquence de quoi, la Cour a, avant dire droit, ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties de présenter leurs observations, tant sur le moyen de droit soulevé d'office que sur l'opportunité de poser à la Cour des Communautés Européennes une question préjudicielle, et ordonné la communication du dossier au Ministère Public.
Le Ministère Public a déposé des conclusions le 06 mars 1998, estimant qu'il était inopportun en l'espèce de poser une question préjudicielle quant aux difficultés d'application susévoquées de la convention .
La société GROUPE JOSI a, au contraire, tenu pour nécessaire de saisir la Cour des Communautés Européennes des difficultés dont s'agit.
La société UGIC a déclaré, pour sa part, s'en remettre à l'appréciation de la Cour, tout en suggérant également de saisir la Cour de Justice Européenne.
En ce dernier état, l'affaire a été clôturée par ordonnance rendue le 18 juin 1998. MOTIFS DE LA DECISION
* Sur l'application de la Convention de Bruxelles à une partie demanderesse non domiciliée dans un état contractant
Considérant que le Ministère Public estime qu'un litige est suffisamment intégré à la Communauté Européenne pour justifier la compétence des juridictions d'un Etat contractant lorsque, comme en l'espèce, le défendeur est domicilié dans un Etat contractant.
Mais considérant que, si le principe de compétence ci-dessus énoncé qui résulte de la stricte application de l'article 2 alinéa 1 de la Convention ne souffre aucune critique et s'il est acquis que suivant la règle classique " actor sequitur forum rei", un demandeur, domicilié dans un Etat non contractant à la possibilité d'assigner un défendeur au lieu de son siège social, étant observé qu'en la cause
le demandeur n'a pas délivré son assignation introductive d'instance au lieu du domicile du défendeur mais au lieu supposé de l'exécution de la prestation, différente est la question de savoir si ce même demandeur peut se voir opposer les règles spécifiques d'une convention à laquelle il n'a pas adhéré et notamment celles des articles 5-1 et suivants, ce qui aboutirait nécessairement à une extension du droit communautaire à des pays tiers, ou s'il y a lieu de recourir, pour régler le présent litige, aux principes généraux du droit international privé ; que cette question, évoquée dans divers articles de doctrine et apparemment non résolue, mérite d'être posée à la Cour des Communautés Européennes, contrairement à l'opinion du Ministère Public.
* Sur l'application des dispositions particulières de la convention relatives à la compétence en matière d'assurance
Considérant que l'article 7 de la convention se contente de viser la matière des "assurances" sans autre précision ; que la question se pose de savoir s'il faut comprendre la réassurance dans le champ du système autonome de compétence ainsi instauré par la convention.
Considérant que le Ministère Public, se ralliant à une doctrine classique, soutient que les articles 7 à 12 bis de la convention ont été édictés pour protéger l'assuré, tenu pour partie "faible" dans le contrat d'assurance, et que cette faiblesse ne se retrouve pas en matière de réassurance.
Mais considérant qu'il apparaît qu'en droit français, le législateur a dû édicter spécialement l'article L 111-1 pour exclure la réassurance, qui n'est qu'une variété d'assurance, de certaines dispositions du Code des Assurances ; que cette distinction ne se retrouve pas en droit anglais, l'assurance et la réassurance étant traitées de façon identique et soumises à la même législation ainsi qu'au mêmes autorités de contrôle ; que, dans une affaire OVERSEAS
UNION INSURANCE Ltd c/ NEW HAMPSHIRE INSURANCE COMPANY, la Commission Européenne a considéré qu'il n'existait pas de raison d'exclure la réassurance de la matière des assurances, alors et surtout que le texte ( de la convention) n'énonce aucune exclusion ; qu'il y a donc lieu également à question préjudicielle sur ce point, d'autant que l'interprétation de la Convention de Bruxelles ne peut être qu'uniforme dans tous les Etats membres de l'Union qui ont adhéré à ladite convention. PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement,
- Vu son arrêt avant dire droit en date du 15 janvier 1998,
- Vu l'avis du Ministère Public,
- Vu les observations des parties,
- Vu le protocole du 03 juin 1971,
- DECIDE de renvoyer à l'examen de la Cour de Justice des Communautés Européennes les deux questions préjudicielles ci-après :
1° question - La Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, a-t-elle vocation à s'appliquer non seulement aux litiges "intra-communautaires" mais également aux litiges "intégrés à la communauté" ä. Plus précisément, une partie demanderesse, domiciliée au Canada, peut-elle se voir opposer par la partie défenderesse, établie dans un état contractant, les règles spécifiques de compétence édictées par cette Convention ä
2° question - Les règles spécifiques de compétence en matière d'assurances, édictées par les articles 7 et suivants de la Convention de Bruxelles, ont-elles vocation à s'appliquer en matière de réassurance ä
- DIT l'instance suspendue pendant toute la durée de la procédure de renvoi à la Cour de Justice des Communautés,
- RESERVE l'ensemble des moyens et prétentions des parties ainsi que
les dépens. ARRET PRONONCE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER
LE PRESIDENT M.T. GENISSEL
F. X...