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22/10/1998 | FRANCE | N°1996-3202

France | France, Cour d'appel de Versailles, 22 octobre 1998, 1996-3202


Monsieur Nicolas X... a élaboré et mis sur pied le concept d'une course trans-océanique baptisée "La Route du Café-Le Havre-Carthagène".

Pour exploiter ce concept, Monsieur X... a crée la société anonyme Résult dont il est devenu le représentant légal.

Le 08 mars 1989, la société RESULT a ouvert un compte courant dans les livres de la Banque de l'Union Occidentale, dite B.U.O., et suivant acte sous seing privé en date du 15 juin 1993, Monsieur X... s'est porté caution solidaire des engagements pris par ladite société envers la B.U.O., et ce, à hauteur de la s

omme de 320.000 francs en principal.

Dans le courant de la même année, la pr...

Monsieur Nicolas X... a élaboré et mis sur pied le concept d'une course trans-océanique baptisée "La Route du Café-Le Havre-Carthagène".

Pour exploiter ce concept, Monsieur X... a crée la société anonyme Résult dont il est devenu le représentant légal.

Le 08 mars 1989, la société RESULT a ouvert un compte courant dans les livres de la Banque de l'Union Occidentale, dite B.U.O., et suivant acte sous seing privé en date du 15 juin 1993, Monsieur X... s'est porté caution solidaire des engagements pris par ladite société envers la B.U.O., et ce, à hauteur de la somme de 320.000 francs en principal.

Dans le courant de la même année, la première édition de la course trans-océanique Le Havre-Carthagène a été organisée par la société Résult sous le nom de "La Route du Café".

Cette manifestation a été parrainée par la société KRAFT GENERAL FOOD JACOBS SUCHARD FRANCE, exploitant la marque "Café Jacques Vabre", qui sera ci-après désignée société JACOBS SUCHARD.

Des difficultés étant apparues dans la mise au point définitive du projet dont l'existence même a été mise en péril, la société JACOBS SUCHARD a été amenée à prendre le relais de la société Résult défaillante et à exiger de celle-ci l'ouverture d'un deuxième compte bancaire auprès de la B.U.O., tous les mouvements de ce compte, tant en crédit qu'en débit, étant soumis à deux signatures, d'une part celle de Monsieur X..., pris en sa qualité de dirigeant de la société Résult, et d'autre part celle de Monsieur Derek Y..., représentant la société JACOBS SUCHARD.

Ce deuxième compte a ainsi fonctionné d'un mois d'octobre 1993 à la fin du mois de janvier 1994, date à laquelle la société JACOBS SUCHARD a rompu toute relation avec la société Résult, qui a été

déclarée en liquidation judiciaire le 07 juillet 1997.

Par acte en date du 13 juin 1994, la BANQUE WORMS est venue aux droits de la B.U.O. et elle a déclaré sa créance aux organes de la procédure collective de la société Résult en distinguant les deux comptes ouverts dans ses livres à concurrence des montants ci-après :

- Solde débiteur du compte "Résult" n° 0340.152.128 D (1er compte) 23.762,73 francs.

- Solde débiteur du compte "Résult Route du Café" n° 0340.152.129 E (2ème compte) 275.094,96 francs.

Parallèlement et après une mise en demeure restée infructueuse, elle a introduit une action à l'encontre de Monsieur X..., pris en sa qualité de caution, pour obtenir paiement du solde des deux comptes. Monsieur X... a contesté être tenu au titre du deuxième compte et, à toutes fins, il a appelé en garantie la société JACOBS SUCHARD FRANCE.

Par jugement en date du 1er février 1996 auquel il est renvoyé pour plus ample exposé des éléments de la cause, le Tribunal de Commerce de NANTERRE, suivant pour l'essentiel l'argumentation de Monsieur X..., a condamné celui-ci à payer à la BANQUE WORMS la seule somme de 23.762,73 francs avec intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 1994, date de la mise en demeure, et rejeté le surplus des prétentions des parties, laissant les entiers dépens à la charge de Monsieur X....

*

Appelante de cette décision, la BANQUE WORMS fait grief aux premiers juges d'avoir mal apprécié les éléments de la cause.

Au soutien de son recours, elle rappelle que seul Monsieur X...,

en sa qualité de dirigeant de la société Résult, a demandé l'ouverture d'un "sous-compte" en donnant une procuration à Monsieur Y... et sans indiquer l'appartenance de celui-ci à la société JACOBS SUCHARD ou l'informer des accords passés avec cette société dans le cadre de l'organisation de l'opération dite "Route du Café". Elle estime, en conséquence, que le deuxième compte ouvert dans ses livres ne peut être qualifié de compte joint, comme l'a dit le tribunal, ou de compte indivis comme le voudrait Monsieur X..., mais qu'il ne peut constituer qu'un "appendice" du compte principal destiné à enregistrer une opération spécifique de la société Résult, déduisant de là qu'à ce titre, il relève de l'engagement de caution souscrit par Monsieur X... dans les termes les plus généraux et sans aucune réserve relative à ladite opération. Elle ajoute que, quand bien même le deuxième compte serait qualifié de compte joint ou d'indivis par la Cour, Monsieur X... peut néanmoins être recherché en sa qualité de caution dès lors que, dans l'hypothèse d'un compte joint, elle peut s'adresser indifféremment à l'un ou l'autre des cotitulaires du compte pour la totalité de la dette et donc à la caution de l'un de ces cotitulaires défaillant et que, dans l'hypothèse d'un compte indivis, la solidarité passive est présumée entre les titulaires commerçants d'un tel compte collectif. Elle demande en conséquence à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné Monsieur X... à lui payer la somme de 23.762 francs au titre du solde du premier compte outre les intérêts de retard, de l'infirmer pour le surplus et de condamner l'intéressé à lui payer également la somme de 281.232,99 francs correspondant au solde du deuxième compte augmentée des intérêts de droit à compter du 14 septembre 1994, d'ordonner la capitalisation des intérêts de retard, de condamner aussi Monsieur X... à lui payer une indemnité de 12.060 francs en application de l'article 700 du Nouveau

Code de Procédure Civile.

*

Monsieur X... fait essentiellement valoir en réplique que son engagement de caution ne peut s'étendre au deuxième compte ouvert plusieurs mois après le premier et qui lui a été imposé par la société JACOBS SUCHARD FRANCE, estimant que le caractère indivis de ce compte était parfaitement connu de la banque, comme le montre les pièces des débats. Il ajoute que la solidarité passive ou active entre les cotitulaires d'un compte indivis ne se présume pas et qu'en conséquence la BANQUE WORMS ne peut utilement se retourner contre lui alors qu'il n'a entendu cautionner que les seuls engagements pris par la société Résult. Il sollicite, dès lors, la confirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris. Subsidiairement, et pour le cas ou une quelconque condamnation serait prononcée à son encontre, il demande à être garanti par la société SUCHARD FRANCE qu'il a assigné en appel provoqué, tenant cette société pour responsable de la défaillance de la société Résult.

*

La société JACOBS SUCHARD FRANCE fait valoir, pour sa part, que l'appel en garantie formée à son encontre est dépourvu de tout fondement et réclame à Monsieur X... une indemnité de 30.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Elle estime, comme la BANQUE WORMS, que le compte litigieux n'a jamais fonctionné que sous la seule responsabilité de la société Résult, elle-même n'ayant reçu de cette société qu'une procuration et n'ayant que la qualité de mandataire. MOTIFS DE LA DECISION

* Sur les demandes de la BANQUE WORMS

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 2015 du Code Civil, le cautionnement est d'interprétation restrictive et "on ne peut l'étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté".

Considérant qu'en l'espèce, il ressort des pièces des débats que le deuxième compte, référencé n° 121.037.14051 puis devenu 0340.152.129 E, intitulé " Résult-Route du Café", a été ouvert postérieurement à l'engagement de caution de Monsieur Nicolas X... et qu'à la demande expresse de ce dernier, tous les mouvements de ce compte devaient être soumis à deux signatures (celle de Monsieur X... et celle de Monsieur Y...) ; qu'il est, par ailleurs, constant que l'ouverture de ce compte a été imposé par la société JACOBS SUCHARD, laquelle entendait, à la suite des difficultés qu'elle a rencontré pour l'organisation de la course, exercer un contrôle sur les dépenses engagées par la société Résult et pourvoir directement à certaines d'entre elles ; que cela a été, au demeurant, expressément reconnu par la société JACOBS SUCHARD, elle-même, dans le cadre d'une procédure qu'elle a initiée à l'encontre de la société Résult et qui a donné lieu à un jugement, rendu le 03 octobre 1995 par le Tribunal de Commerce de PARIS dont le caractère définitif n'est pas discuté, et résulte encore, si besoin était, des correspondances produites en la cause.

Considérant que la BANQUE WORMS soutient toutefois qu'elle n'a jamais été informée des accords particuliers passés entre les sociétés Résult et JACOBS SUCHARD et qu'elle n'a eu pour seul et unique interlocuteur que la société Résult qui lui a demandé d'ouvrir le deuxième compte avec une procuration donnée à Monsieur Y... dont elle ignorait l'appartenance à la société JACOBS SUCHARD ; qu'elle déduit de là que le compte litigieux ne constitue qu'un "sous compte" ou "un appendice du précédent" et qu'il est couvert par l'engagement

de caution donné en termes généraux par Monsieur X....

Mais considérant que cette analyse ne saurait être suivie.

Considérant, en effet, que la preuve de la convention d'ouverture d'un compte est libre entre sociétés commerciales et qu'elle peut s'induire des conditions dans lesquelles a fonctionné le compte.

Or considérant qu'en l'espèce, il apparaît que la banque était parfaitement informée de ce que les deux sociétés Résult et JACOBS SUCHARD étaient cotitulaires du compte "Résult-Route du Café" et que ce compte devait fonctionner de manière autonome ; qu'à cet égard, il sera tout d'abord observé que toute remise de chèque comme toute émission supposait, comme il a été dit, la double signature de Messieurs X... et Y..., ce qui exclut la qualification de compte joint qui, en principe, fonctionne sous l'unique signature de l'un ou l'autre de ses cotitulaires ; que, par ailleurs, la banque a, pendant la période de fonctionnement du compte, reçu plusieurs courriers émanant de la société JACOBS SUCHARD relatifs à des diverses opérations bancaires et notamment un courrier daté du 29 octobre 1993 signé de Monsieur Y... et comportant les références commerciales de la société JACOBS SUCHARD, par lequel il lui était demandé d'affecter deux chèques au compte "Résult-Route du Café n°..." ; qu'elle a, en outre, émis des relevés bancaires différents pour chacun des deux comptes et clairement distingués, tant dans la mise en demeure adressée à Monsieur X..., que dans sa déclaration de créance, les deux comptes ; qu'il est ainsi suffisamment établi que la banque ne pouvait ignorer que le compte "Résult-Route du Café" avait été ouvert par la réalisation en commun, par les sociétés Résult et JACOBS SUCHARD, d'une opération déterminée, à savoir la Course Trans-océanique "Route du Café" et que ce compte était conjointement alimenté par les deux sociétés précitées ; que c'est donc à bon droit que Monsieur X... entend

voir qualifier le compte litigieux d'indivis.

Considérant que le compte indivis a cependant cette particularité qu'il fonctionne sous le régime de l'indivision et non sous celui de la solidarité active et passive, sauf convention contraire, étant observé en l'espèce que la banque ne justifie pas avoir imposé aux cotitulaires du compte, lors de son ouverture ou ultérieurement, une solidarité passive ou une indivisibilité qui lui permettrait d'agir contre chacun d'eux pour le tout ; que, dès lors, Monsieur X..., pris en sa qualité de caution de la seule société Résult, ne peut être utilement recherché au titre du compte indivis ouvert en commun par les sociétés Résult et JACOBS SUCHARD alors qu'il n'a entendu cautionner que les seuls engagements pris par la première de ces sociétés, sauf à étendre abusivement son engagement au-delà des limites pour lesquelles il a été contracté ; que le jugement dont appel sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a condamné Monsieur X... au paiement du solde du seul compte cautionné, à savoir le premier compte ouvert par la société Résult, et rejeté à bon droit le surplus des réclamations de la BANQUE WORMS.

[* Sur l'appel en garantie de la société JACOBS SUCHARD

Considérant que, eu égard à la solution du litige, l'appel provoqué dirigé à toutes fins par Monsieur X... à l'encontre de la société JACOBS SUCHARD s'avère sans objet ; qu'il y a donc lieu d'écarter cette mise en cause comme l'a encore fait à juste titre le premier juge.

*] Sur les autres demandes

Considérant que la BANQUE WORMS est fondée à solliciter la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code Civil sur la somme que reste alors devoir Monsieur X..., et ce, à compter du 24 avril 1998, date de la première demande en justice formée par voie de conclusions.

Considérant que l'équité ne commande pas, eu égard aux circonstances particulières de la cause, qu'il soit fait application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; que les demandes formées de ce chef par les parties en cause seront rejetées.

Considérant enfin que la BANQUE WORMS qui succombe devant la Cour, supportera les entiers dépens d'appel en ce compris les frais de mise en cause de la société JACOBS SUCHARD, le jugement étant confirmé en ce qu'il a laissé les dépens de première instance à la charge de Monsieur X... qui n'a pas satisfait spontanément à son engagement de caution en ce qui concerne la couverture du premier compte ouvert par la société Résult. PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- DIT recevables en la forme l'appel principal formée par la SA BANQUE WORMS et l'appel provoqué formé par Monsieur Nicolas X... à l'encontre de la SA KRAFT JACOBS SUCHARD FRANCE,

- DIT le premier de ces appels mal fondé et le second sans objet,

- CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Y AJOUTANT,

- AUTORISE la SA BANQUE WORMS à capitaliser les intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code Civil, sur la somme due par Monsieur Nicolas X... au titre de son engagement de caution, et ce, à compter du 24 avril 1998, date de la première demande,

- DIT n'y avoir lieu en la cause à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- LAISSE les entiers dépens d'appel à la charge de la SA BANQUE WORMS et autorise les avoués en cause concernés à en poursuivre directement le recouvrement comme il est dit à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. ARRET REDIGE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT PRONONCE

PAR MADAME LAPORTE, CONSEILLER POUR LE PRESIDENT EMPÊCHÉ ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER

POUR LE PRESIDENT EMPÊCHÉ qui a assisté au prononcé M.T. GENISSEL

F. LAPORTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-3202
Date de la décision : 22/10/1998

Analyses

CAUTIONNEMENT - Etendue - Limite

En application de l'article 2015 du code civil, le cautionnement est d'interprétation restrictive et " on ne peut l'étendre au delà des limites dans lesquelles il a été contracté ". Lorsqu'il ressort des pièces du débat que le fonctionnement d'un second compte bancaire ouvert par une société, postérieurement à un premier assorti d'un engagement de caution par son dirigeant, a été expressément soumis à une double signature, que la banque a été parfaitement informée de ce que deux sociétés étaient co-titulaires de ce nouveau compte et qu'il devait fonctionner de manière autonome - toute remise ou émission de chèque étant subordonnée à la double signature des représentants désignés -, que des relevés bancaires différents pour chacun des comptes ont été établis par la banque, il en résulte qu'un tel compte est à bon droit qualifié de compte indivis. Dès lors qu'un compte indivis fonctionne, sauf convention contraire, sous le régime de l'indivision, qu'en l'espèce l'établissement bancaire n'établit pas avoir imposé aux co-titulaires du compte une solidarité passive ou une indivisibilité lui permettant d'agir contre chacun des titulaires pour le tout, la banque n'est pas fondée à rechercher en garantie du compte indivis, la caution donnée au titre du seul premier compte et du chef exclusif des engagements pris par la société qu'elle dirigeait


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-10-22;1996.3202 ?
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