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22/10/1998 | FRANCE | N°1996-245

France | France, Cour d'appel de Versailles, 22 octobre 1998, 1996-245


La société EDI 7 est appelante d'un jugement contradictoirement rendu par le tribunal de grande instance de NANTERRE le 18 octobre 1995, qui, statuant à la requête de Madame I X..., a considéré que les articles parus respectivement en page 11 du numéro 2530 du magazine "FRANCE DIMANCHE" de la semaine du 25 février au 3 mars 1995 et en première page de couverture et en cinquième page du numéro 2538 du même magazine, pour la semaine du 22 au 28 avril 1995, consacrés à la naissance du deuxième fils de Madame I X..., le 10 avril 1995, à NEW YORK, méconnaissaient le droit à la vie

privée et le droit à l'image de Madame I X...

Le tribunal a, e...

La société EDI 7 est appelante d'un jugement contradictoirement rendu par le tribunal de grande instance de NANTERRE le 18 octobre 1995, qui, statuant à la requête de Madame I X..., a considéré que les articles parus respectivement en page 11 du numéro 2530 du magazine "FRANCE DIMANCHE" de la semaine du 25 février au 3 mars 1995 et en première page de couverture et en cinquième page du numéro 2538 du même magazine, pour la semaine du 22 au 28 avril 1995, consacrés à la naissance du deuxième fils de Madame I X..., le 10 avril 1995, à NEW YORK, méconnaissaient le droit à la vie privée et le droit à l'image de Madame I X...

Le tribunal a, en conséquence, condamné la société EDI 7 au paiement de la somme de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts avec publication d'un extrait du jugement en page 5 du magazine, selon un texte précisé au dispositif, et en-dehors de tout encart publicitaire ; le tribunal a assorti sa décision de l'exécution provisoire et a condamné la société EDI 7 au paiement de la somme de 12.000 francs au titre des frais irrépétibles.

La société EDI 7, prise en sa qualité d'éditrice du journal "FRANCE DIMANCHE", fait valoir au soutien de son appel les éléments suivants :

- le premier article incriminé ne contient aucune révélation, ni aucun élément nouveau par rapport à ce qui avait pu être annoncé ou publié auparavant,

- l'actrice s'était elle-même ouverte de sa grossesse à l'occasion d'interviews données aux magazines "PARIS MATCH", "LE JOURNAL DU DIMANCHE", "ELLE", "TELESTAR", "TELE 7 JOURS" notamment,

- la sphère d'intimité des vedettes du spectacle ne peut avoir les mêmes limites restrictives que celles d'une personne anonyme et plus encore lorsqu'il s'agit de célébrités qui suscitent volontiers ce type d'indiscrétions,

- Madame I X... est dans l'imppossibilité de rapporter la preuve du souci de discrétion ou de la volonté de réserve qu'elle se plait à renvendiquer ou à transgresser selon son humeur.

- en ce qui concerne le second article litigieux, si le tribunal a retenu que l'annonce de la naissance d'un enfant n'était pas fautive, il a à tort estimé fautives les "digressions" accompagnant l'annonce de cette naissance, notamment en ce qui concerne les conditions de la naissance de l'enfant "dans l'eau" et la présence du père et du frère du nouveau-né,

- les photographies accompagnant ces articles ont été réalisées, soit lors de manifestations officielles, soit dans des lieux publics, et sont dénuées de tout caractère intime,

- les condamnations prononcées sont sans proportion avec l'éventuel préjudice allègué et l'exécution provisoire ne s'imposait nullement. La société appelante prie en conséquence la Cour d'infirmer le jugement, de rejeter toutes les demandes formées par Madame I X... et d'ordonner la restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire ; elle sollicite en outre la somme de 20.000 francs au titre des frais irrépétibles.

Madame I X... conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a limité la réparation allouée à la somme de 100.000 francs ; formant appel incident sur ce point, elle sollicite la somme de 400.000 francs outre celle de 40.000 francs au titre des frais irrépétibles. Elle rappelle que par jugement du 8 février 1995, la société appelante avait déjà été condamnée pour atteinte à la vie privée envers elle ; que nonobstant, dès fin février 1995, elle publiait un article ainsi titré "I X... : FUTURE MAMAN, CELIBATAIRE ET HEUREUSE DE L'ETRE".

Elle insiste sur le fait que le premier article, outre les révélations faites sur la paternité de l'enfant, est accompagné de deux photographies la représentant en compagnie de Monsieur D Y..., tenu comme étant le père de l'enfant, réalisées au téléobjectif et sans son accord.

Elle fait encore valoir que malgré l'assignation aussitôt délivrée en mars 1995, la société EDI 7, dès la semaine du 22 au 28 avril 1995, publiait en première page de couverture un nouvel article sous le titre suivant : "D ETAIT AVEC ELLE X... NEW YORK OU ELLE X... MIS AU MONDE UN GARCON - I X..., ELLE X... ACCOUCHE DANS L'EAU".

Elle précise également que deux photographies accompagnant le long article figurant en page 5 ont une fois encore été prises à son insu et au téléobjectif.

DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION

Considérant que l'article 9 du code civil pose un principe général de la protection de la vie privée et du droit à l'image sans qu'aucune tolérance de principe ne tempère ce principe à l'égard notamment des vedettes du spectacle ;

Considérant que les articles incriminés ne se bornent pas, comme les premiers juges l'ont justement retenu, à la relation d'un évènement d'actualité, la grossesse de l'actrice puis la naissance d'un enfant, mais comportent de très nombreux éléments concernant l'identité du père prétendu de l'enfant et l'histoire de la relation de Madame I X... avec ledit père ainsi que des considérations que la société n'hésite pas à publier sous les sous-titres "aveu" ou "explication" alors qu'aucune interview ne lui a été consentie par l'actrice ;

Considérant au surplus que deux photographies de l'actrice, en-dehors de toute scène de la vie publique, sont reproduites en compagnie du prétendu père de l'enfant ;

Considérant que le second article incriminé annonce la naissance de

l'enfant mais épilogue longuement sur les personnes alors présentes autour de l'actrice et les conditions de l'accouchement ;

Que cet article comme le précédent est accompagné d'une photographie de Madame I X... en compagnie d'un homme, cliché à l'évidence pris au téléobjectif et en-dehors de toute parution professionnelle ou publique de l'actrice ;

Considérant que par-delà l'annonce objective d'une grossesse et d'une naissance, l'ensemble des informations, des interrogations, des supputations contenues dans les deux articles litigieux, accompagnés de photographies non autorisées, prises en-dehors de toute scène de la vie publique ou professionnelle, constituent à l'évidence des atteintes à la vie privée de Madame I X... ;

Considérant que pour atténuer l'infraction qui lui est reprochée, la société EDI 7 ne peut invoquer la tolérance de l'actrice, face à d'autres évènements ou à d'autres publications ;

Que d'une part, elle ne démontre pas une tendance réitérée de celle-ci à se livrer à des épanchements concernant sa vie privée ; que d'autre part, les autres articles auxquels elle fait référence sont soit postérieurs aux articles incriminés, soit des interviews volontairement données par l'actrice sur des thèmes et dans des conditions convenus entre elle et l'organe de presse concerné, ce qui n'est nullement le cas en l'espèce ;

Considérant enfin que la société EDI 7 connaissait parfaitement l'attitude de Madame I X... face à toutes atteintes portées à sa vie privée puisqu'elle avait été condamnée pour des faits semblables le 8 février 1995 et que, nonobstant la première assignation, elle a fait paraître le second article litigieux ;

Considérant qu'il ressort de ce qui précède que le tribunal a retenu à bon droit l'existence d'une atteinte à la vie privée de Madame I X..., constitutive d'un préjudice pour cette dernière ;

Considérant que compte-tenu des mesures de publications très opportunément ordonnées par le tribunal, avec exécution provisoire, la somme de 100.000 francs allouée par les premiers juges doit être confirmée ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame I X... les frais irrépétibles exposés ; que la somme de 10.000 francs doit lui être allouée ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

RECOIT la société EDI 7 en son appel principal et Madame I X... en son appel incident,

LES DEBOUTE,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la société EDI 7 à payer à Madame I X... la somme de DIX MILLE FRANCS (10.000 francs) au titre des frais irrépétibles,

CONDAMNE la société EDI 7 aux dépens et dit que la SCP FIEVET ROCHETTE LAFON pourra recouvrer directement contre elle les frais exposés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

ARRET REDIGE PAR :

Madame Colette GABET-SABATIER, Président,

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Le Greffier,

Le Président,

Catherine CONNAN

Colette GABET-SABATIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-245
Date de la décision : 22/10/1998

Analyses

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE - Respect de la vie privée - Atteinte - Presse.

Le principe général de la protection de la vie privée et du droit à l'image posé par l'article 9 du Code civil, n'est tempéré par aucune tolérance de principe à l'égard, notamment, des vedettes du spectacles.La publication d'articles de presse qui, au delà de l'annonce de faits objectifs, en l'occurrence, la grossesse d'une actrice puis la naissance de son enfant, révèlent des informations relatives à l'identité du père prétendu, se livrent à des supputations sur l'histoire de la relation entre les parents, et ce, sans qu'aucun interview ait été consenti, alors que les articles litigieux sont accompagnés de photographies non autorisées, prises en dehors de toute scène de la vie publique et professionnelle, est constitutive d'atteinte à la vie privée de l'actrice

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE - Respect de la vie privée - Atteinte - Presse.

La tolérance d'une " vedette " face à d'autres évènements ou publications, invoquée en l'espèce pour atténuer l'infraction reprochée, implique la démonstration de la tendance réitérée de l'intéressée à se livrer à des épanchements concernant sa vie privée que n'apporte pas, notamment, la référence à des articles publiés postérieurement à ceux incriminés ou à des entretiens volontairement donnés par l'actrice sur des thèmes et dans des conditions convenus entre elle et l'organe de presse concerné


Références :

N1 Code civil, article 9

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-10-22;1996.245 ?
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