La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/10/1998 | FRANCE | N°1996-3377

France | France, Cour d'appel de Versailles, 08 octobre 1998, 1996-3377


Les consorts X... sont propriétaires d'un immeuble sis 3 chemin de la Tour Neuve à EPERNON (Eure et Loir) depuis 1931.

En 1937, Mademoiselle Y... a acquis un immeuble sis à la même adresse, et Monsieur Z... était également propriétaire, à cette même adresse, de plusieurs parcelles.

Une cour commune existait entre ces parcelles.

Le 16 février 1938, un procès-verbal de bornage a été établi entre ces trois propriétaires et la cour a été répartie entre eux, en ménageant les accès nécessaires à chacun d'eux, avec droit de passage prévu au profit de Mad

emoiselle Y... sur la partie de la cour attribuée aux consorts X..., leur fonds étant tr...

Les consorts X... sont propriétaires d'un immeuble sis 3 chemin de la Tour Neuve à EPERNON (Eure et Loir) depuis 1931.

En 1937, Mademoiselle Y... a acquis un immeuble sis à la même adresse, et Monsieur Z... était également propriétaire, à cette même adresse, de plusieurs parcelles.

Une cour commune existait entre ces parcelles.

Le 16 février 1938, un procès-verbal de bornage a été établi entre ces trois propriétaires et la cour a été répartie entre eux, en ménageant les accès nécessaires à chacun d'eux, avec droit de passage prévu au profit de Mademoiselle Y... sur la partie de la cour attribuée aux consorts X..., leur fonds étant traversé par ladite cour commune en sa partie centrale.

Les époux A... ont acquis les biens appartenant à Mademoiselle Y... en 1990, alors qu'ils étaient déjà propriétaires de diverses parcelles, à la même adresse, pour partie, acquises de Monsieur Z....

Ils ont alors fait savoir aux consorts X... qu'ils remettaient en cause l'acte de partage de la cour et estimaient que celle-ci était cour commune sur laquelle ils avaient un droit de copropriété dont ils entendaient user.

Les consorts X... ont contesté cette attitude et fait valoir que l'enclave allèguée pour la parcelle cadastrée section AH numéro 317, anciennement cadastrée numéro 1189, avait cessé dès lors que sur l'ensemble de leur fonds, les époux A... disposaient d'autres issues, pouvant notamment desservir la parcelle litigieuse.

Sur la requête des consorts X..., le tribunal de grande instance de CHARTRES, par jugement en date du 22 novembre 1995, a :

- dit que les époux A... n'ont aucun droit de copropriété sur la cour commune cadastrée numéro 193,

- avant-dire droit sur la cessation de l'état d'enclave concernant la

parcelle numéro 317, ordonné une mesure d'expertise,

L'expert a déposé son rapport et précise que la parcelle AH n° 317 a un accès suffisant sur la rue de la Tour neuve et qu'en outre il existe une possibilité d'accès à partir de la parcelle AH n° 191 appartenant aux époux A....

Statuant après expertise, le tribunal de grande instance de CHARTRES par jugement en date du 17 septembre 1997 a :

- constaté la cessation de l'état d'enclave de la parcelle cadastrée AH n° 317,

- ordonné la suppression du droit de passage bénéficiant aux époux A... sur la parcelle des consorts X... cadastrée AH n° 193,

- condamné les époux A... à payer aux consorts X... la somme de 15.655,20 francs avec intérêts au taux légal à compter du 26 septembre 1996, représentant la remise en état du dallage de ladite cour, et la somme de 4.000 francs à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 4 octobre 1994, date de la première assignation. Le tribunal a, en outre, condamné les consorts X... à verser la somme de 10.000 francs au titre des frais irrépétibles et ordonné l'exécution provisoire.

Les époux A... ont interjeté appel de ces deux jugements et les procédures ont été respectivement enrôlées sous les numéros 3377 du rôle de 1996 et 8416 du rôle de 1997, de la Cour.

Concernant le droit de copropriété revendiqué sur la cour, les époux A... font valoir que lors du bornage réalisé en 1938, avaient comparu Mademoiselle Y..., Monsieur X..., Monsieur Z..., Monsieur B... et Monsieur A..., que le procès-verbal n'a pas été signé par Monsieur B... et Monsieur A.... Ils font encore valoir que les consorts X... sont à ce point convaincus de l'absence de valeur de ce document, qu'ils ont demandé, en 1988, à Monsieur C..., géomètre, de procéder à un nouveau plan de

délimitation, qui fut réalisé le 22 mars 1988 et que Monsieur A... a refusé de signer.

En réplique, les consorts X... font valoir que seuls les consorts Y..., X... et Z..., signataires de l'acte de 1938, étaient concernés par la cour commune et que Messieurs A... et B... n'étaient présents qu'en qualité de propriétaires limitrophes.

En ce qui concerne le second jugement, les époux A... font reproche aux premiers juges d'avoir pris pour fondement, l'existence antérieure d'une servitude de passage résultant de l'état d'enclave régi par l'article 682 du code civil alors que le droit des époux A... sur la cour des consorts X... relève d'une servitude conventionnelle, puisqu'aussi bien dès 1938, la propriété Y... (parcelle 317) avait une sortie directe sur la Rue du Gros Pavé et n'était donc pas enclavée, mais s'est cependant vue reconnaître un droit sur la cour sur une largeur de trois mètres ; il rappelle que le bornage de 1938 ne prévoit nul dédommagement au profit du fonds servant des consorts X... comme l'exige la loi ; selon les époux A..., Madame Y..., en 1938, n'a consenti au partage de la cour qu'à la condition de s'y voir reconnaître un droit conventionnel de passage.

Les consorts X... demandent à la Cour de confirmer le jugement sauf en ce qui concerne la somme allouée pour remise en état de la cour, au titre de laquelle ils demandent la somme de 18.077,94 francs selon devis du 3 février 1998, et les dommages-intérêts, pour lesquels ils sollicitent la somme de 20.000 francs ; ils demandent en outre la somme de 15.000 francs au titre des frais irrépétibles.

DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION

Considérant que la connexité unissant les deux instances sus-rappelées, justifie, conformément à la demande des parties, la

jonction des deux procédures ; SUR LES DROITS REVENDIQUES PAR LES EPOUX A... SUR LA COUR CADASTREE NUMERO 193

Considérant que les époux A... n'invoquent, ni ne produisent de titres leur confèrant un droit de copropriété sur la cour litigieuse ;

Considérant que le tribunal a fait une longue, précise et très exacte analyse du procès-verbal de bornage du 16 février 1938 qui a, de la volonté expresse des parties concernées - savoir Mademoiselle Y..., Monsieur X... et Monsieur Z... - procédé au partage de la cour commune entre eux trois, avec attribution pour partie à Monsieur X... et partie à Monsieur Z..., et institution d'un droit de passage au profit de Mademoiselle Y... ; que ce document sous seing privé, régulièrement enregistré, a date certaine et est opposable aux tiers ; que Messieurs B... et A... n'y sont mentionnés que comme ayant été présents lors desdites opérations, en leur qualité de propriétaires de fonds limitrophes mais que ce document ne leur reconnait ni ne confère aucun droit ;

Considérant que les époux A... développent en conséquence vainement une argumentation selon laquelle le procès-verbal de bornage est dépourvu de portée juridique comme n'ayant pas été soumis à leur signature ;

Considérant que le jugement du 22 novembre 1995 doit être confirmé en ce qu'il a dit et constaté que les époux A... n'avaient aucun droit de copropriété sur la cour commune cadastrée numéro 193 ; SUR LA PARCELLE AH 317

Considérant que le jugement du 22 novembre 1995 a constaté l'état d'enclave de cette parcelle, propriété de Mademoiselle Y... et aujourd'hui des époux A..., cause de la constitution, dans l'acte de bornage, de la servitude de passage établie au profit de Mademoiselle Y..., sur la partie de la cour attribuée aux consorts X... ;

que le tribunal a reconnu que la mention de ce droit de passage dans l'acte de bornage n'avait pas eu pour effet de lui conférer un caractère conventionnel mais qu'il s'agissait d'une servitude établie dans les termes de l'article 682 du code civil, laquelle pouvait en conséquence disparaître si l'état d'enclave disparaissait lui-même ; Considérant, qu'après expertise, le jugement du 17 septembre 1997 a constaté la cessation de l'état d'enclave et ordonné la cessation de la servitude, à raison des accès suffisants existant au profit des époux A... ;

Considérant que selon les époux A... la parcelle numéro 317 n'a jamais été enclavée et qu'à tort le tribunal a retenu que l'enclave avait cessé lors de l'acquisition, par les époux A..., en 1990, d'autres parcelles, alors qu'en 1990 ils n'ont fait qu'acquérir la parcelle numéro 317 sur laquelle se trouve un immeuble bâti qui dispose d'une sortie sur la Rue de la Tour Neuve ; que si l'acte de partage de 1939 a prévu un droit de passage au profit du fonds Y..., ce n'est que parce que la sortie sur la rue était insuffisante et le demeure ;

Considérant que si, effectivement, en 1990, les époux A... ont acquis la parcelle litigieuse, laquelle a toujours disposé d'une sortie, à partir de la maison, sur la voie publique, il n'en demeure pas moins que dès 1938, un droit de passage a pu être instauré sur le fondement de l'article 682 du code civil, lequel retient l'état d'enclave non seulement en cas d'absence totale d'issue sur la voie publique mais également lorsque la sortie existante est insuffisante pour l'exploitation ou l'usage normal des lieux ; que c'est ainsi que le passage établi au profit de Mademoiselle Y... a été fixé à trois mètres, ce qui notamment pouvait permettre le passage de charrettes et engins ;

Considérant qu'il est de droit constant qu'il n'y a pas servitude conventionnelle si l'acte est seulement récognitif d'une enclave préexistante et qu'il se limite à l'aménagement du passage prévu par la loi ; que le fait qu'un droit de passage soit prévu dans un acte n'a pas pour effet de modifier le fondement légal de la servitude dès lors que l'état d'enclave était préexistant ;

Considérant que l'absence de contrepartie financière relevée par les époux A... n'est pas déterminante, celle-ci n'étant pas de par la loi obligatoire, mais laissée à la discrétion des parties - ou du juge - en fonction du préjudice qui "peut" être imposé au fonds servant ;

Considérant que l'expertise a clairement établi, qu'outre la sortie sur la voie publique, la parcelle numéro 317 bénéficiait désormais d'une autre voie de sortie, large également de trois mètres, à raison de l'acquisition par les époux A... d'une parcelle ayant appartenu à Monsieur Z... et qui permet l'accès du fonds A... (ex-PELLETIER) au passage commun, sans nécessaire passage sur la partie de cour appartenant aux consorts X... (parcelle AH numéro 191) ;

Considérant que cette possibilité relevée par l'expert ne s'est pas heurtée à des objections des époux A... concernant l'assiette ou la situation de cette sortie ; que l'expert note seulement que Monsieur A... a relevé que "cette solution gênait l'exploitation du garage loué" ;

Mais considérant que l'établissement d'une servitude de passage est une limite au droit de propriété du fonds servant et qu'une certaine proportionnalité doit être recherchée entre la gêne causée à ce fonds et les besoins du fonds qui pourrait bénéficier du droit de passage ; Considérant que la seule objection des époux A... - émise devant l'expert et non reprise dans leurs conclusions - ne saurait en aucun

cas justifier le maintien du droit de passage des époux A... sur le fonds X... ;

Considérant en conséquence qu'il convient de confirmer le jugement du 22 novembre 1995 en ce qu'il a dit et constaté que l'acte de 1938 avait organisé un droit de passage sur le fondement de l'article 682 du code civil et de confirmer le jugement du 17 septembre 1997 en ce qu'il a constaté la cessation de l'état d'enclave et supprimé tout droit de passage au profit des époux A... sur la parcelle AH numéro 193 appartenant aux consorts X... ; SUR LES DEMANDES EN PAIEMENT FORMEES PAR LES CONSORTS X...

Considérant que formant appel incident, les consorts X... demandent à la Cour de leur allouer, au titre de la remise en état de la cour, une somme de 18.077,94 francs alors que le tribunal leur a alloué la somme de 15.655,20 francs avec intérêts au taux légal à compter du 26 septembre 1996 et exécution provisoire ;

Considérant qu'ils se fondent sur un devis en date du 3 février 1998 alors que les époux A... exposent, sans être contredits, avoir exécuté les causes du jugement ;

Considérant que rien ne justifie en conséquence la prise en compte du devis établi en 1998 ; qu'il convient de confirmer la décision des premiers juges ;

Considérant que les premiers juges ont alloué aux consorts X... la somme de 4.000 francs à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance, pour réparer le préjudice résultant des passages fréquents et non justifiés des époux A... ;

Considérant que les dommages-intérêts doivent être évalués au jour où la juridiction statue et ne sont assortis d'intérêts au taux légal qu'à compter de cette date ;

Considérant qu'il est certain qu'en maintenant un passage dans la

cour des consorts X..., alors qu'ils disposaient de deux autres sorties possibles parfaitement praticables, selon la finalité des passages, les époux A... ont causé aux consorts X... un préjudice certain qu'il convient, compte-tenu de la durée et de l'importance établie de ce trouble, de fixer à la somme de 12.000 francs ; SUR LES DEMANDES ANNEXES DES EPOUX A...

Considérant que succombant en leurs appels, les époux A... ne sont pas recevables en leurs demandes formées à titre d'amende civile (pour laquelle ils n'ont au reste pas qualité à agir), de dommages-intérêts et pour frais irrépétibles ; SUR LES FRAIS IRREPETIBLES DES CONSORTS X...

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des consorts X... les frais irrépétibles exposés et qu'il convient d'ajouter à la somme de 10.000 francs accordée en première instance, celle de 8.000 francs en cause d'appel ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

RECOIT Monsieur et Madame A... en leur appel principal et les consorts X... en leur appel incident ;

ORDONNE la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 3377/96 et 8416/97 ;

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du 22 novembre 1995 ; CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du 17 septembre 1997 sauf en ce qu'il a alloué aux consorts X... la somme de 4.000 francs à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal ;

STATUANT A NOUVEAU SUR CE POINT,

CONDAMNE Monsieur et Madame A... à payer aux consorts X... la somme de DOUZE MILLE FRANCS (12.000 francs) avec intérêts au taux

légal à compter de ce jour ;

Y AJOUTANT,

DEBOUTE les époux A... de leurs demandes d'amende, de dommages intérêts et pour frais irrépétibles ;

LES CONDAMNE à payer aux consorts X... la somme de HUIT MILLE FRANCS (8.000 francs) au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

LES CONDAMNE aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise, et dit que la SCP LAMBERT DEBRAY CHEMIN pourra recouvrer directement contre eux les frais exposés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile,

ARRET REDIGE PAR :

Madame Colette GABET-SABATIER, Président,

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Madame Colette GABET-SABATIER, Président,

Madame Catherine D..., Greffier.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 1996-3377
Date de la décision : 08/10/1998

Analyses

BORNAGE

1) Un procès-verbal de bornage dressé sous-seing privé, de la volonté expresse des parties intéressées au partage d'une cour, et régulièrement enregistré, a date certaine et est opposable aux tiers, sans reconnaître ni conférer aucun droit à des propriétaires de fonds limitrophes simplement mentionnés comme ayant été présents lors des opérations de bornage. 2) La simple mention dans un acte de bornage de l'existence d'une enclave préexistante, fondée sur l'article 682 du Code civil, ne peut avoir pour effet d'en changer le fondement légal pour lui conférer la nature d'une servitude conventionnelle. Dès lors que l'établissement d'une servitude de passage est une limite au droit de propriété du fonds servant et qu'une certaine proportionnalité doit être recherchée entre la gène causée à ce fonds et les besoins du fonds qui pourrait bénéficier du droit de passage, que la suppression du droit de passage organisé sur le fondement de l'article 682 précité peut être demandée lorsque l'enclave a cessé, il convient, en l'espèce, de confirmer un jugement qui, constatant la cessation de l'état d'enclave d'une parcelle, supprime le droit de passage qui y était attaché


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1998-10-08;1996.3377 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award